Parlez moi d'amour...
Ce texte écrit il y a qq semaines. Je comptais le partager en novembre. Je le dédie à la vie et à tous les profs qui ont été ma chance. Et à cet homme tué hier et que je n'oublierai pas.
El Harrachi et Lennon
Les croyances affûtent leurs couteaux et l'être n'est plus que barbaque jeté à la loterie du paradis où coule tant de sang
Ça emmerde qui que sur ma guitare je joue El Harrachi et Lennon? Que j'aime jusqu'à l'os la France et l'Algérie? Par dessus toutes les guerres, par amour de tous les morts.
Qu'on se le dise : j'ai deux langues maternelles : celle de ma mère-mère, celle de ma mère- l'école. Soyons précis : arabo-berbère ( pas la Haute lettrée de Tlemcen importée des érudits de Grenade et Seville, mais la vernaculaire comme on dit avec mépris, alliage d'arabe déformé et de berbère, de français, de maltais, une lumière de dialecte sur la plaine de Remchi où poussent les amandes qu' on ouvre d'une pression des doigts, pas l'Algérois, loin du parler de Béjaïa) et française ( deuch'nord puis ma rolap de Seine Saint Denis avant qu'on le baptise 9 3, puis la gouaille du 11ème côté avenue Parmentier, puis oh là là...la langue savante devant laquelle oh là là)
Le boulevard Richard Lenoir circule dans mon sang et croise la rue Didouch
Mes fils sont les prénoms des deux rives. De toutes les rives.
Dis-moi, comment fait-on pour lire le monde et les êtres.
Toi qui tues, combien de coups assènes-tu dans le corps de la vie
Mais la vie...
Je me souviens de toi quand tu m'as dit ne t'égare pas, méfie-toi de la vie, je me souviens quand tu m'as dit tu es perdu, quand au chant du muezzin tu venais accomplir ta chorégraphie bigote à la porte de mon père et au vu du village, je me souviens de tes yeux de triomphe quand j'ai refusé d'être de ta meute endjellabée et de toutes tes arlequinades de dévot, je me souviens être resté avec mon père l'imam à qui tu voulais apprendre le vrai du texte, mon père a posé son front et ses années de foi sur le tapis en direction du mihrab de son coeur et a prié pour toi, moi je suis resté sous la clim du salon, heureux de l'entendre psalmodier en lisant Freud, Dieu est en effet plus grand que toi puisqu'il chante dans un vieil homme et me laisse lire l'homme de Vienne, et le vieil homme a plié un siècle de son corps, c'est ainsi qu'il veut lire et écrire, tant de voix dans son souffle, tant de mondes
Et toi qui me lis, viens me parler, le brouillard fendu, dans la langue qui nous relie, l'inaltérable qui saute par dessus les mots et se dit aux yeux et à la peau, la langue des débuts, celle du bébé nu riant aux éclats quand frémissent les feuilles du bouleau et que pédalent ses jambes soulevées de joie
Et si nous étions nus. De tout
Ne me perds pas, ne fais pas de moi un territoire perdu, une pensée insoluble : c'est ce que veulent les bombes de croyances. Trouve d'autres éclats
Regarde-moi comme le témoin du possible, lis comme on puise dans les yeux et la chorégraphie des corps, quand un silence, un clignement de cils libèrent la présence liminaire, l'amorce d'un homme vers l'autre, quand le plus près ouvre sur le lointain, sans mièvrerie, au frotté des arêtes, mais ouvre et s'éprouve. Puise, oh puise, prélève patiemment dans une marche lente embrassant les grains du réel : à chaque fois il y aura la chance d'une phrase découverte se donnant à l'autre phrase. Nous sommes l'un à l'autre notre faille, à l'échancrure il faut peu que la plaie ne soit une source.
Publié le
Nourredine Ben Bachir
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