“Rien ne pouvait m’arrêter”
Pour l’avocate décédée le 28 juillet dernier, la lutte des Algériens pour leur émancipation est une cause qu’elle a défendue non par héroïsme mais par souci de cohérence avec ses idéaux de justice et de liberté.
Le soutien à l’indépendance de l’Algérie est l’un des combats qui ont marqué la vie professionnelle et militante de Gisèle Halimi. Dans un livre autobiographique, Une farouche liberté, qui vient de paraître aux éditions Grasset et qu’elle a signé avec Annick Cojean, journaliste au Monde, l’avocate franco-tunisienne décédée le 28 juillet dernier à Paris consacre un chapitre à cet engagement obstiné qui lui avait valu une condamnation à mort de la part de l’OAS.
“Ce qui se passait en Algérie pendant la guerre d’Algérie était fou. Je ne pouvais refuser de m’y engager. D’abord, il était question d’un peuple qui réclamait sa liberté. Et il n’y a pas de sujet auquel je sois plus sensible. C’était mon idéal. Rien ne pouvait m’arrêter. Je suis née comme ça. Ce n’était pas de l’héroïsme mais de la cohérence”, explique-t-elle.
En arrivant à Alger en 1956, Gisèle Halimi dit avoir découvert abasourdie l’étendue des pouvoirs spéciaux qui avaient rendu possibles les pires abominations comme la torture, les exécutions sommaires, les condamnations sur aveux extorqués, les disparitions et les viols des militantes du FLN. “La justice, qui était mon métier, n’était plus qu’un simulacre au service d’une logique de guerre.
Soldats et magistrats travaillaient main dans la main pour rétablir l’ordre répressif français : les premiers tuaient, les seconds condamnaient”, relate l’avocate. Jusqu’aux accords d’Évian, elle ne cessera de faire la navette entre Alger et Paris pour défendre ceux qu’on surnommait alors des fellagas. Gisèle Halimi assure avoir rempli son rôle sans avoir eu peur, sauf une nuit, dans un centre de torture sur les hauteurs d’Alger où les militaires français l’avaient enfermée. Elle pensait qu’elle allait être exécutée.
Courageuse et déterminée, l’avocate tient tête aux juges du tribunal militaire et débarque un jour dans le bureau du général Massu pour lui demander des comptes concernant le sort de l’un de ses clients, disparu de la prison de Barberousse où il avait subi la gégène.
Le général lui fait alors un plaidoyer en faveur de la torture qui la révulse. “Je n’arrive pas à croire qu’il tente sur moi son prosélytisme abject. Je suis écœurée. Je ne veux même pas entrer dans cette discussion”, raconte Gisèle Halimi.
L’affaire Djamila Boupacha va lui permettre de briser le silence autour de la torture, et plus exactement de la torture par le viol. “Djamila Boupacha représentait tout ce que je voulais défendre. Son dossier était même, dirais-je un parfait condensé de combats qui m’emportaient : la lutte contre la torture, la dénonciation du viol, le soutien à l’indépendance et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la solidarité avec les femmes engagées dans l’action publique et l’avenir de leurs pays, la défense d’une certaine conception de la justice et enfin le féminisme. Tout était réuni. Le cas était exemplaire !”, souligne l’avocate.
Elle rencontre Djamila Boupacha une première fois à la prison de Barberousse et découvre une jeune fille de 22 ans très abîmée physiquement et qui risquait la peine de mort pour avoir refusé de livrer ses camarades de combat. “Il fallait dénoncer les sévices qu’elle a subis et porter plainte en tortures pour que ses bourreaux soient punis. Il fallait en faire un symbole aux yeux du monde entier, des ignominies commises par la France”, explique Gisèle Halimi.
Pour ameuter l’opinion, l’avocate compte sur ses amis journalistes. Elle écrit aussi au général de Gaulle et à son ministre de la Culture, l’écrivain André Malraux. Simone De Beauvoir à qui elle raconte les détails de l’affaire rédige un article explosif dans Le Monde et prend la direction d’un comité “Pour Djamila Boupacha” auquel adhèrent d’illustres personnalités comme le poète Louis Aragon, le philosophe Jean-Paul Sartre, l’écrivain antillais Aimé Césaire et l’ethnologue Germaine Tillion.
“J’ai trahi le secret professionnel en divulguant devant l’opinion publique les détails du dossier Boupacha, mais je lui avais peut-être évité la peine de mort et attiré l’attention sur un sujet crucial : ces viols commis par les troupes françaises et dont personne ne voulait entendre parler”, fait savoir Gisèle Halimi.
À l’intérieur et à l’extérieur des salles d’audience, l’avocate a réussi tout au long de sa carrière à faire triompher des causes perdues d’avance. Sa bataille en faveur de l’émancipation des femmes et de l’égalité fait écho d’un combat plus personnel.
Née et élevée à Tunis dans une modeste famille juive, elle s’est insurgée dès son jeune âge contre le destin assigné par son genre. En dépit d’un environnement socioculturel hostile, elle est parvenue à lever toutes les entraves. En 1949, Gisèle Halimi devient avocate. Elle avait 22 ans.
De Paris : Samia Lokmane-Khelil
e 12-09-2020
https://www.liberte-algerie.com/culture/rien-ne-pouvait-marreter-345371
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