Lors du 60e anniversaire de sa sœur, la seule pour laquelle il a encore de l’estime, Bernard, ancien combattant de la guerre d’Algérie et alcoolique notoire, a une altercation raciste avec un invité. L’incident fait remonter toute la douleur des 28 mois qu’il a passés en Algérie et n’a jamais pu oublier. “Des hommes” du réalisateur belge Lucas Belvaux, estampillé du label Festival de Cannes, était présenté hier au Brussels International Film Festival. Dans le rôle principal, homme blessé et perpétuellement en colère, Gérard Depardieu, est à sa place. Sa présence dans le film était “une évidence” pour Lucas Belvaux. Rencontre.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette histoire-là? C’est un film qui a failli exister il y a quelques années: Patrick Chéreau a tenté d’adapter le roman “Des hommes” de Laurent Mauvigner...
Tout. C’est la différence avec Patrick Chéreau qui ne s’intéressait qu’à une partie du film. Il était très intéressé par la période algérienne et assez peu par la partie française. Moi, tout m’intéressait: comment fonctionne la mémoire, comment on vit après avoir fait la guerre, ce que ça laisse comme traces sur les individus et sur une société, les non-dits...
Ce qui est intéressant c’est que tout explose à une réunion de famille. Et les non-dits, c’est propre aux familles...
C’est Benjamin Staura, grand historien de la guerre d’Algérie, qui dit que la guerre d’Algérie, c’était le secret de famille de la France. C’était l’idée de Laurent Mauvigner, auteur du livre “Des hommes” dont le film est tiré, de mêler secrets de famille et guerre d’Algérie. Le fait que ça explose dans une réunion de famille, c’est une espèce de métaphore. La guerre d’Algérie est une guerre spécifique: ce sont des gens qui vivaient côte à côte depuis des générations.
Il y a une scène très visuelle à la fin, sanglante. Vous vous êtes demandé jusqu’où vous pouviez aller?
Il faut montrer les choses parce qu’on parle de traumatisme. On ne peut pas toujours cacher. Je ne montre pas le pire. Le pire est raconté ou suggéré. Mais oui, un massacre, c’est un massacre. Sinon, tout est théorique. C’est comme dans Rapt, je montre qu’on lui coupe le doigt, je fais un gros plan sur le doigt. Il ne faut pas mettre le spectateur en position de voyeur. Il y a une pornographie de la violence au cinéma. Je ne veux pas de ça. Il faut que ça soit un échange. Le spectateur ne vient pas pour être violenté. Mais il faut pouvoir montrer certaines choses pour comprendre.
Gérard Depardieu est dans son élément dans ce film. Il est fâché, il s’énerve, il bouscule. On le sent très à l’aise dans le rôle de Bernard. Parlez-moi de votre travail avec lui sur ce film...
C’est un sujet qui le passionne. Il connaît l’histoire de l’Algérie, il a des attaches là-bas, il y a plein de copains. Il m’a appris plein de choses. C’est pour ça qu’il a fait le film. Moi, je n’imaginais pas un autre acteur jouer ce personnage-là. On n’a pas d’autres acteurs capables de jouer cette brutalité potentielle, ce corps, cette façon de s’imposer, de faire que tout le monde se taise par sa seule présence. J’aurais été embêté s’il n’avait pas accepté. Catherine Frot, aussi, ça m’a aussi semblé évident. Il n’y avait qu’elle pour jouer la gardienne de l’humanité du personnage joué par Gérard Depardien. Elle rappelle qu’il n’est pas un monstre, que c’est un être humain. Et Radu, joué par Daroussin, ce n’est pas un personnage actif: il regarde et il commente. C’est difficile d’exister avec ce genre de rôle. L’essentiel de ce qu’il a à dire est en voix off. Et pourtant, il existe vraiment très fort.
Vous le dites: quand Gérard Depardieu arrive quelque part, tout le monde se tait. Comment fait-on pour diriger un acteur de cette trempe?
C’est comme les cornacs avec les éléphants: c’est un rapport de confiance, une légitimité. Diriger n’est pas le mot exact quand on parle de Gérard Depardieu: je ne le dirige que s’il veut bien. D’une manière générale, avec tous les acteurs, c’est ça. Avec lui, c’est le stade ultime.
Et c’est facile de trouver sa place en tant que réalisateur quand Gérard Depardieu est sur un plateau ?
Il faut être persuadé de sa propre légitimité. Je ne me demande pas si je suis ou non à ma place parce que pour moi, c’est une évidence. Quand je suis sur un plateau, je suis à ma place. Je sais ce que je fais. Et si je demande quelque chose aux acteurs, je suis en droit de leur demander.
Déborah Laurent
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