Nora Hamdi est née en France. Longtemps elle ne saura rien de la vie de sa mère, née en Kabylie et qui a suivi son époux en France, si ce n’est qu’elle était « de ceux qui avaient porté la victoire de l’Algérie ». Elle se la représente paysanne, cueillant des olives et surveillant les moutons, captive d’un paysage de guerre prolongée. Jusqu’à ce que la mort de sa grand-mère vienne interroger ce silence maternel et qu’elle ne décide de partir en Algérie, enquêter sur sa propre histoire familiale. Elle va d’abord en faire un livre, écrit à la première personne comme pour redonner une voix à sa mère, qu’elle intitule La Maquisarde (1) et qu’elle dédie « à la mémoire de toutes les femmes, disparues, oubliées de la guerre d’Algérie ». Sa mère a tout juste seize ans, lorsqu’en 1956, la guerre la rattrape dans son village de montagne. Elle vit avec sa mère et son frère dont on craint qu’il ne soit réquisitionné pour servir l’armée française et trahir les siens. Il faut être sans cesse sur le qui-vive. Et survivre dans le village où la population, affamée, vit sous la menace du ratissage et de la terreur. Mais elle a soif de vivre et a un amoureux qu’elle aime éperdument. À qui on vient de la fiancer. Comme pour conjurer tous les mauvais présages. Très vite les garçons prennent le maquis. Et à son tour, malgré la peur, pour échapper aux représailles, elle les rejoindra. Elle est capturée lors d’une attaque et conduite dans un centre d’interrogatoire, en dehors de toute procédure légale.
Si l’histoire a retenu les noms de Jamila Boupacha, Djamila Bouhireb, Hassiba Ben Bouali, Danièle-Djamila Amrane-Minne (qui deviendra historienne et documentera le rôle des femmes algériennes durant la guerre d’indépendance)... et en fera des moudjahidate (femmes combattantes en arabe (2)), elles sont nombreuses, paysannes, citadines, mères, sœurs, filles, à être devenues militantes et héroïnes, par choix délibéré ou pour survivre, et à être restées anonymes.
C’est leur histoire, à travers celle de sa mère, que Nora Hamdi explore dans son cinquième livre La Maquisarde, dont elle décide ensuite de faire un long métrage sous le même titre. Comme si elle voulait creuser encore les faits et donner plus de visibilité à ce récit intime et partagé. Un film « grand public », qui pourrait ressembler à une fiction si on ne savait pas que tout y est vrai. Elle s’y attache à sa protagoniste (la très juste Sawsan Abès) et aux personnages qu’elle lui fait rencontrer, presque dans un huis-clos. Suzanne (Émilie Favre-Bertin), une infirmière, ancienne résistante (inspirée de la figure de Germaine Tillion), qui va lutter clandestinement aux côtés des Algériens et en paiera le prix fort, avec qui elle partage la même cellule et se lie d’amitié. D’autres prisonnières, jeunes filles et femmes, pour la plupart villageoises et analphabètes, raflées en toute illégalité. Qui se révoltent lorsque l’une d’entre elles est conduite au cachot, à la salle de torture. Ou à la mort. Mais qui peuvent aussi être des « balances ». Des militaires brutaux et tortionnaires mais aussi l’un d’entre eux, un jeune appelé insoumis, qui va lui sauver la vie. La réalisatrice filme les visages au plus près. Capte les regards et les émotions. Joue des clairs-obscurs. Saisit les lumières du ciel, la beauté des paysages kabyles. Donne la mesure de la densité de l’enfermement et de l’attente. Distille la peur et l’angoisse. Elle localise le camp de regroupement, véritable camp de concentration, où sa mère a été enfermée et dont elle intègre des images d’archives (3), rappelant le rapport accablant de Michel Rocard, en avril 1959 qui attestait que dans ces camps « sont mortes de faim 200 000 personnes et en majorité des enfants ». Et se confronte à la torture qui y était amplement pratiquée.
En mettant en scène cette histoire, la sienne, Nora Hamdi qui n’avait jamais entendu parler de la guerre d’Algérie à l’école autrement qu’en termes « d’événements », se la réapproprie. C’est aussi parce que ce silence a recouvert durant trop longtemps l’enfance de toutes les Nora Hamdi qu’on ne peut que se réjouir de cette prise d’images et de paroles, à la première personne, dans un film autoproduit.
Prévue en mars 2020, sa sortie a bien entendu été arrêtée net par les impératifs sanitaires. On se réjouit de sa sortie en salles, au cinéma Espace Saint-Michel à Paris, et dans d’autres salles en France, dès le 16 septembre.
La Maquisarde
Avec Sawsan Abès, Emilie Favre-Bertin, Bastien Tosetti, Mohand Azzoug, Rachid Yous, 84 mn. Produit par La Nouvelle Productions et distribué par Hévadis Films
par Marina Da Silva, 6 septembre 2020
https://blog.mondediplo.net/les-combattantes
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