En amont du colloque Foccart qui se tient à Paris les 26 et 27 mars, « Le Monde Afrique » lance une série sur les archives du Monsieur Afrique du général de Gaulle, et publie en exclusivité les bonnes feuilles de « La Fabrique des barbouzes ».
En amont du colloque Foccart qui réunit les 26 et 27 mars à Paris les spécialistes de cet homme de l’ombre et le gotha des archivistes et historiens d’Afrique francophone, « Le Monde Afrique » propose une série autour de cet évènement. Durant toute la semaine seront publiés des articles autour de Jacques Foccart et de la question des archives, donc de la mémoire en Afrique francophone.
Pour inaugurer cette série, « Le Monde Afrique » publie en exclusivité les bonnes feuilles du livre de Jean-Pierre Bat, La Fabrique des barbouzes, histoire des réseaux Foccart en Afrique (Nouveau Monde Editions, à paraître le 19 mars).
Son auteur est agrégé et docteur en histoire de l’université Paris I Panthéon Sorbonne et archiviste-paléographe (Ecole nationale des chartes). Membre de l’Institut des mondes africains (CNRS), il est également chargé d’études aux Archives nationales, en charge du Fonds Foccart.
Dans cette première série de deux articles, l’auteur nous plonge dans le Brazzaville de la fin des années 1950 où l’abbé Fulbert Youlou, adoubé par la France, fait fonction de président du Conseil de la République du Congo. A la tête de cette jeune République du Congo, l’abbé Youlou se tourne vers Paris et des étonnants spécialistes français, que d’aucuns appellent « barbouzes », pour structurer un système sécuritaire et surtout mettre sur pied un service de renseignements. L’abbé Youlou est l’homme sur qui compte Foccart pour mettre en échec ou du moins repousser le communisme. Les coulisses de l’histoire révélées dans ces lignes s’appuient sur des documents d’archives inédites.
En 2001, à la suite du scandale lié à la publication de « L’assassinat de Lumumba » par Ludo de Witte, l’assemblée nationale belge a constitué une commission d’enquête parlementaire. Objectifs : établir les circonstances précises de la mort de Patrice Lumumba, assassiné le 17 janvier 1961 au Katanga, d’une part, et, d’autre part, étudier la part de culpabilité de la Belgique dans cet événement. Quoique vivement critiquée par plusieurs spécialistes de la décolonisation du Congo, cette commission d’enquête conserve encore à ce jour une dimension historique inédite chez une ancienne puissance coloniale. Son rapport a notamment cherché à mettre en lumière toutes les forces anti-lumumbistes de l’été 1960.
Si le rôle de Brazzaville est fréquemment évoqué, et la silhouette du barbouze français « Monsieur Charles » ponctuellement identifiée, le rôle joué par Brazzaville n’a pas été pleinement mesuré. Pourtant, il s’avère fondamental pour comprendre comment s’est joué la guerre froide au coeur de l’Afrique à l’été 1960, dans la coulisse des cérémonies de l’indépendance du Congo-Brazzaville.
La capitale congolaise n’a pas été que la résidence d’exil d’espions belges ou de personnalités congolaises opposées à Lumumba : l’abbé Youlou a mis à profit le mois d’août 1960 pour tisser ses plans pour le Congo, avec en ligne de mire le soutien aux entreprises sécessionnistes pour mieux lutter contre l’influence lumumbiste. C’est à Brazzaville que se sont tramés de nombreux complots de cette décolonisation…
Pour aborder cette histoire, il convient de revenir sur les horizons politiques régionaux de l’abbé Youlou, mûris depuis 1958 dans la crise de décolonisation belge, puis sur la lutte anticommuniste menée par les « barbouzes » depuis Brazzaville...
Demain, « Le Monde Afrique » publie deux autres extraits :
- Deux nouveaux « barbouzes » à Brazzaville : plongée dans les vies et les actions troubles de « Monsieur Jean » et de Franz Saar, dit François Demichel.
- Brazzaville contre Lumumba : ou quand les complots en direction de l’ancien Congo belge se multiplient.
e 1956 à 1962, la France a ordonné à ses services secrets d’assassiner des citoyens français
Des documents lèvent le voile sur des projets d’élimination de Français, d’Européens et de dignitaires étrangers pendant la guerre d’Algérie
C’était un tabou. Si notre démocratie s’accordait, en secret, le droit de recourir à l’assassinat ciblé contre des ennemis étrangers, une pratique reconnue par l’ancien président de la République François Hollande, la France s’interdisait, en théorie, de tuer ses propres ressortissants. Une règle avancée officieusement par les autorités politiques et du renseignement depuis l’après-guerre. Un ouvrage fouillé à paraître, Les Tueurs de la République (Fayard), de Vincent Nouzille, dans son édition augmentée, livre des documents inédits qui viennent contredire cette affirmation. Extraits du fonds d’archives personnelles de Jacques Foccart, homme de confiance du général de Gaulle, chargé de suivre les services secrets et les affaires africaines, ils lèvent un voile inédit sur des projets d’élimination de Français mais aussi d’Européens et de dignitaires étrangers.
Selon ces nouvelles pièces, au cœur de l’été 1958, dans le plus grand secret d’un pouvoir gaulliste tout juste revenu aux affaires grâce au putsch d’Alger du 13 mai, Jacques Foccart a coordonné, sous les ordres du général, un programme d’opérations clandestines sur fond de conflit algérien. Menaces, attentats, sabotages mais aussi assassinats figurent parmi les moyens employés. Le service action du Sdece (service de documentation extérieure et de contre-espionnage, devenu DGSE) était chargé de mener ces missions. Constantin Melnik, conseiller du premier ministre chargé des affaires de renseignement de 1959 à 1962, chiffrait le nombre d’assassinats à 140 pour la seule année 1960, sans pour autant fournir de détails.
Daté du 5 août 1958 et intitulé « Fiche concernant les objectifs Homo [terme technique qui désigne les assassinats] », le premier document dresse la liste de neuf personnes à éliminer. Elles sont classées en trois catégories. Les « Français pro-FLN » avec un nom, Jacques Favrel, un journaliste basé à Alger. Celle des « trafiquants » comprend six noms : des vendeurs d’armes mais aussi des proches du Front de libération nationale (FLN), dont un Autrichien, un Allemand et un « Français musulman algérien » appartenant à un réseau d’exfiltration de légionnaires déserteurs. Et enfin, celle intitulée « Politique » dans laquelle apparaît le nom d’Armelle Crochemore.
« But à atteindre »
Au bas de cette pièce essentielle à l’écriture de l’histoire de la politique française d’assassinats ciblés, l’encre bleue de la plume de Jacques Foccart, dont on reconnaît la signature, indique que cette liste a reçu « l’accord de l’amiral Cabanier le 7/8 ». Ce dernier n’est autre que le chef d’état-major de la défense nationale attaché au général de Gaulle à la présidence du Conseil. Puis M. Foccart ajoute, à la suite : « Donné aussitôt au général Grossin », le patron du Sdece. Deux jours se sont écoulés entre la réception des noms réunis par les services secrets et le feu vert transmis, en retour, par le pouvoir politique. La validation, entre-temps, par le général de Gaulle lui-même est probable, mais elle ne relève, à ce stade, que de l’hypothèse.
https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/25/de-1956-a-1962-la-france-a-ordonne-a-ses-services-secrets-d-assassiner-des-citoyens-francais_6053582_3210.html
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