« Les forces noires »
Des tirailleurs sénégalais en train de construire des fortifications dans le maquis algérien. ECPAD/FRANCE 5
Un documentaire poignant rend hommage aux « forces noires » de la nation. Certains de ces anciens combattants, qui se sont retrouvés dans les tranchées de 14-18, en Indochine ou en Algérie, témoignent ici.
Ce sont de vieux messieurs dignes et touchants, dont les vestes sont bardées de médailles militaires. Sénégalais pour la plupart, parfois Ivoiriens, Nigériens, Burkinabés ou Maliens, ils ont combattu dans leur jeunesse sous l’uniforme français, en Indochine ou en Algérie, parfois les deux. Ces anciens combattants au regard encore perçant avaient la vingtaine dans les années 1950. Avant qu’il ne soit trop tard, ils parlent face caméra, dans ce documentaire poignant qui rend hommage, à travers eux, à tous les combattants africains ayant donné leur jeunesse et parfois leur sang à une mère patrie souvent ingrate envers sa « force noire ».
Autrefois encensés parce qu’ils incarnaient la force de l’Empire, puis effacés de la mémoire parce qu’ils en demeurent la mauvaise conscience, ces soldats africains racontent une certaine histoire de France. Dès 1857 est créé au Sénégal, au cœur de ce qui est alors l’Empire colonial français, le corps des tirailleurs. Ces soldats, réputés pour leur bravoure au combat, aideront la France à coloniser d’autres pays africains. On les retrouvera ensuite dans les tranchées de 14-18 (sur 130 000 soldats noirs, 30 000 perdront la vie), sur les plages du Débarquement en Provence en août 1944, plus tard dans les rizières indochinoises puis les montagnes algériennes.
Images d’archives inédites
En Indochine, ils furent 60 000 soldats noirs (soit 20 % des forces françaises) à combattre dans des conditions particulièrement éprouvantes. En 1946, l’état-major doutait de la loyauté de ces soldats dans une guerre coloniale. Crainte infondée. Pour certains, la fin de la guerre en Indochine coïncide avec un transfert direct en Algérie, où 15 000 d’entre eux (5 % des forces françaises) prirent part aux opérations.
« Si la France est libre aujourd’hui, les Africains y sont pour beaucoup, car ils sont morts par milliers pour défendre la patrie », rappelle un ancien tirailleur
La carrière des soldats noirs au sein de l’armée française est également passée au crible. En Algérie, pour la première fois, soldats noirs et blancs combattent et vivent côte à côte. A la fin des années 1950, juste avant l’indépendance du Sénégal et d’autres pays de l’Afrique francophone, la France décide de former les cadres des futures armées africaines. Une école d’officiers est spécialement créée à Fréjus (Var).
Riche d’images d’archives inédites, ce documentaire tire surtout sa force des témoignages recueillis auprès de ces anciens combattants, qui n’ont rien oublié : ni la dureté des combats, ni la fierté de servir la France, ni les injustices dont ils ont été victimes. « Mutinerie » de Thiaroye en décembre 1944, rétention de soldats guinéens dans le sinistre camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) au milieu des années 1960, les épisodes tragiques ne manquent pas.
L’épineuse question des pensions est notamment évoquée : alors qu’elles avaient été bloquées durant des décennies à un niveau scandaleusement bas avant d’être enfin revalorisées en 2006 par Jacques Chirac, 84 000 anciens combattants en ont bénéficié.
Autre question sensible : celle de la nationalité. « On a grandi en France, on a été élevés par la France. Nos parents étaient citoyens français. Si la France est libre aujourd’hui, les Africains y sont pour beaucoup, car ils sont morts par milliers pour défendre la patrie », rappelle un ancien tirailleur qui, après avoir perdu sa nationalité française au début des années 1960, lorsque le Sénégal est devenu indépendant, s’est battu de longues années pour la retrouver. Le 15 avril 2017, après de nombreuses demandes, François Hollande accordait la nationalité française à plusieurs de ces tirailleurs.
Les Derniers Tirailleurs, de Jean-Yves Le Naour et Cédric Condon (Fr., 2020, 52 min).
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