Il marche, il n’arrête pas de marcher, la crinière blanche, un cheval, un véritable
cheval, il rit à haute voix, bouge, ne peut pas accepter la facilité, volubile, il parle
encore de tout, il saute d’un sujet à un autre, un rire strident ponctue son discours.
René n’est pas n’importe qui, d’un courage indescriptible et d’une grande
sensibilité, brouillon, volcanique, ce n’est pas sans raison qu’il rejoint la
résistance à l’âge de 15 ans, au moment où ceux de son âge étaient encore en
culotte courte. Il trône dans les territoires de l’âge adulte bien avant une
adolescence qui a, chez lui, pris tout simplement la clé des champs. Il reçoit à
seize ans de nombreuses décorations, célébrant son patriotisme et son courage,
félicité par De Gaulle en personne, lui qui, bambin, prend des airs de leader ; il
dirige en 1943, un groupe de jeunes bretons qui font le coup de feu contre
l’occupant allemand. Très actif, dynamique, il était aussi, dit-on, très séducteur,
ses cheveux blancs et ses yeux clairs, longues jambes lui facilitent les choses dans
ses relations féminines. Ce qui ne gâche rien, il réussit à les faire rire. Il a un sens
singulier de l’humour. Son discours est imagé, usant depuis son jeune âge de plein
de métaphores et de paraboles. C’est peut-être ce langage imagé qui l’a prédestiné
à prendre le train de l’IDHEC (Institut de hautes études cinématographiques) de
Paris. Il est premier de sa promotion (Réalisation-production) de 1948. Cet enfant
d’institutrice et d’ouvrier va trouver à l’IDHEC, une école considérée comme
marquée par l’empreinte de la gauche, la possibilité d’adhérer au PCF tout en
ayant une démarche paradoxalement autonome.
Curieux, ouvert, nourri des idées de justice et d’égalité, René Vautier (1928-2015)
va vite découvrir les affres d’un colonialisme déjà dénoncé par Aimé Césaire.
L’occasion de découvrir la réalité africaine lui est offerte par la ligue française
pour l’enseignement qui le charge de la réalisation d’un reportage sur les
conditions sociales de l’enfance dans les colonies africaines. Mais une fois sur
place, la triste situation de ces pays le révolte, il décide de changer de sujet, filmant
des populations marquées par la misère, l’esclavage et l’oppression coloniale.
149
C’est tout Vautier qui ne peut accepter l’injustice. C’est ainsi qu’il réalise le
premier film anticolonial, Afrique 50. Mais les autorités coloniales comprennent
vite ce qui se tramait derrière la tête de Vautier, il est arrêté, ses négatifs saisis et
détruits, il réussit, malgré tout, à cacher quelques négatifs qui vont lui servir à la
réalisation de ce court métrage de quinze minutes, Afrique 50, qui a valu à son
auteur treize inculpations et un an de prison, il prit la décision de faire face et de
prendre parti, il savait que ce n’est pas sans risques. René rit de bon cœur, ce
souvenir l’amuse plutôt, il se tape les mains, rit encore, esquisse des pas de danse
puis reprend la parole : « Ils sont fatalement idiots, cette arrestation et cette
interdiction m’ont permis encore plus d’aller dans le cinéma militant, de
m’opposer davantage à la bêtise. A partir de ce moment-là, j’ai décidé que ma
caméra allait devenir une véritable arme. Afrique 50 fut un déclic. J’ai appris
concrètement ce que c’est que le colonialisme, au-delà de mes positions de
principe. Arrêté, dénigré, j’étais heureux. Ce film a connu une interdiction de plus
de quarante ans, levée en 1996. Pour l’anecdote, l’armée, après ce film se souvint
que je devais passer le service militaire, ce que je fis, alors que je devais être
exempté, étant résistant. Je n’ai même pas voulu protester. J’ai fini par faire mon
service en Allemagne. C’est le prix à payer dans un Etat de non droit. Ce film
obtint la médaille d’or au festival de cinéma de Varsovie ».
René Vautier parle toujours, c’est un véritable train, un tonneau à/de paroles
dignes d’être dites, chez lui, parler, c’est dire, tout mot se conjugue à l’amour de
l’autre, il ne peut pas arrêter de tenter de découvrir tout ce qui est interdit, l’interdit
a un goût de cendres. Il s’exprime ainsi : « En 1956, je décide de rentrer en Algérie
et de filmer le colonialisme du côté des colonisés. Le choix est fait. J’ai pris mon
parti, celui de ceux qui se battent pour l’indépendance. Je savais que l’Algérie
allait retrouver son indépendance. D’ailleurs, dans mon film, Une nation Algérie,
réalisé en 1954, je disais dans le commentaire que l’Algérie sera de toute façon
indépendante, ce qui m’avait valu réprimandes, poursuites judiciaires et
arrestation. Je décide de venir sur place en Algérie, alors que je tournais quelques
rares films de fiction relativement bien accueillis comme Anneaux d'or avec
Claudia Cardinale qui remporta l’Ours d'argent au festival de Berlin-Ouest ».
Il ne peut pas arrêter de parler, René, surtout de l’Algérie. A Alger, tout le monde
connait cet homme longiligne, tête blanche, cheveux mi-longs, des yeux rieurs et
clairs, il se met à raconter des anecdotes du combat, il n’en finit pas de revivre ces
moments graves dans les Aurès, il les raconte avec le rire. Il se souvient de ce
maquisard de Ngaous qui n’arrivait pas à maîtriser comment prendre un plan, il a
failli lui casser la caméra sur la tête, puis par la suite, il apprit très bien comme on
fait un reportage. Durant cette période René qui portait le pseudonyme de Farid
Dendani met en place un groupe de formation cinématographique dans les Aurès
150
« En 1957, j’ai été aux Aurès, dans la zone 5 de la wilaya 1 pour former les
moudjahidine à la manipulation de la caméra pour pouvoir filmer des scènes en
direct et témoigner ainsi du combat des Algériens. J’ai appelé ce groupe, « le
groupe Farid », j’apprenais à de jeunes combattants les techniques de prises de
vues tout en les initiant au reportage. Nous avions d’ailleurs tourné quelques
reportages, Sakiet Sidi Youcef, L’Attaque des mines d’El
Ouenza, L’Ecole, Infirmières au maquis. Ces images vont permettre de mettre en
œuvre le film L’Algérie en flammes, distribué dans les pays socialistes, qui
représente l’aboutissement de ce travail de formation au maquis, la grande partie
des membres de ce groupes ont été tués ou emprisonnés par l’armée coloniale ».
Ce film, Algérie en flammes, tourné avec des combattants, allait finalement lui
être fatal. René ne s’attendait pas à ce qu’il soit arrêté par le FLN qu’il soutenait.
Tout était parti d’un malentendu. Débarquant au Caire avec son film qu’il voulait
présenter à Abane Ramdane, alors que ce dernier avait été assassiné par ses
propres compagnons de l’ALN. Il est renvoyé à Tunis où il passera vingt-cinq
(1958-1960) mois dans une prison. Il ne garde encore rancune de ce moment
tragique, il en rit d’ailleurs tout en soupçonnant aussi une sorte de bleuite qui
aurait affecté le FLN. Il saute, parle, bombe logorrhéique, rit aux éclats, se rit de
lui-même et de ce qu’il a subi : « Je me retrouvais dans la gueule d’une prison du
camp que je soutenais, j’avais été torturé pendant quatre jours, il était même
question de me liquider, Fanon avait lui aussi subi cela. Arrivant au Caire, dans
le but de montrer le film à Abane Ramdane, je devenais suspect, je ne savais pas
que Abane a été assassiné par les frères, détenu à Mornag, pas loin de Tunis,
littéralement épluché avec une garcette, puis on me prend à Den Den où j’ai été
libéré sans aucune explication. Je me retrouvais entre deux feux en 1958, que le
cinéaste évoque dans Guerre aux images en Algérie (1985). Je me suis retrouvé
dans une prison algérienne alors qu’on me recherchait côté français pour me
mettre dans une prison française pour aide au FLN. C’est une position
inconfortable d’être ainsi recherché de tous les côtés. ». Le cinéaste évoque cette
scène dans son film, Guerre aux images en Algérie.
Ce film qui est considéré comme un chef d’œuvre du cinéma militant a été restauré
dans une très belle version, parmi une quinzaine dans un coffret exceptionnel. On
ne peut séparer ce grand cinéaste de l’Algérie dont le sang semble couler dans ses
veines, tellement il a été marqué par ses venelles, ses femmes et ses hommes et
surtout le combat pour l’indépendance. Homme de principe, rebelle et généreux,
après avoir formé des cinéastes qui vont animer le cinéma algérien, il va continuer
à donner vie à une autre manière de faire du cinéma dans une Algérie
indépendante. Il est pour beaucoup celui qui édifia le cinéma national. Sa
silhouette ne passe pas inaperçue à Alger, il connait tout le monde et tout le monde
151
semble connaitre René qui, après 1962, va être celui qui va lancer le Centre
Audiovisuel d’Alger et les ciné-pops. Il sera celui qui permettra d’animer les villes
algériennes pendant cette période, 1962-1965, qui l’a vu prendre en charge deux
structures du cinéma, le centre audiovisuel et les ciné pops, entreprenant un travail
d’animation, de réalisation, de formation et d’éducation politique.
René court, n’arrête pas de courir tout en parlant, puis s’arrête un moment pour
observer tout simplement une femme poussant sans landau, il pense déjà au
Cuirassé Potemkine du cinéaste russe Sergueï Eisenstein. Un oiseau passe, vole,
il le regarde, mais continue à décrire ce film qu’il avait fait juste après
l’indépendance, Un peuple en marche (1963), un peu boy-scout, rebelle, puis ne
peut ne pas évoquer cette nécessité de construire un cinéma populaire et
révolutionnaire. Ce film a été réalisé de manière singulière, «avant que le film ne
soit définitivement monté, il est projeté devant des assemblées qui le critiquent et
le commentent avec les réalisateurs ». Selon Vautier, « Un peuple en marche »
aurait été interdit, mais un haut responsable algérien aurait vendu, à titre
personnel, plusieurs photogrammes à une revue d’histoire.
Alger durant les premières années de l’indépendance était en ébullition, débats et
bouillonnement culturel. Quel cinéma faire ? Il en parle avec une extraordinaire
passion : « Le problème que nous avions à résoudre dans cette Algérie maintenant
indépendante, mais laissée exsangue par près de huit ans de guerre, était nouveau
pour moi : à quoi doit servir le cinéma dans un pays qui mobilise ses forces pour
se retrouver et sortir du sous-développement, panser ses plaies, exister en tant
qu’entité indépendante ? Le cinéma est-il une priorité ? Ou bien apparaît-il
comme un superflu, comme une distraction qui pourra être envisagée lorsque l’on
aura répondu aux exigences les plus criantes ? » (René Vautier, Caméra
citoyenne : Mémoires, Rennes, Apogée, 1998). Il n’arrête pas de se poser des
questions sur la nécessité de « mettre l’image et le son à disposition de ceux et de
celles à qui les pouvoirs les refusent ». Il continue à parler, à faire les cent pas, à
fixer les murs, les objets et les choses, un souvenir, des pérégrinations, tape des
mains, ses yeux s’éclairent davantage, cite un poème de Louis Aragon, puis parle
sans discontinuer de Jacques Charby, des frères Chanderli, de Hamina, Rachedi,
de Chaulet, de Fanon et de bien d’autres militants de la cause de l’indépendance
avant de revenir au projet des premières années de l’indépendances. Il évoque
entre autres films avec une mémoire extraordinaire, Yasmina de Djamel Chanderli
et Mohammed Lakhdar-Hamina, 1961, Djezaïrouna, notre Algérie de Djamal
Chanderli, Pierre et Claudine Chaulet et Mohammed Lakhdar-Hamina, 1960.
Hurlements, voix haute, un clin d’œil à Paul Eluard, René lit beaucoup, connait
de nombreux poètes, des romanciers, des cinéastes. Mais qui ne le connait pas ?
152
René cite un commentaire du film, L’Algérie en marche : « Notre tâche à nous
cinéastes algériens est de peindre les hommes plus que les maisons, prendre la
caméra comme un scalpel et décortiquer la ville. […] Aujourd’hui, après l’An I
de notre indépendance, il nous faut faire comprendre le mouvement d’un peuple,
un peuple vivant, un peuple debout. C’est seulement en cela que nous sommes
sûrs qu’une caméra a sa place au cœur du combat pour l’édification d’une société
nouvelle. Mais il faut que chacun ait pour devise : ‹ Je dis ce que je vois, ce que
je sais, ce qui est vrai ›. »
Quel sacré bonhomme, ce René qui refait le même geste que Messali el Hadj en
1936, se remet à genoux, ramasse une poignée de terre et dit sentencieusement
que seul le peuple souverain peut construire ce pays, en choisissant ses
représentants lui-même. Il raconte ses années de ciné pop et cette passion qui les
poussait à aller partout projeter des films, les débats étaient partout. Il reprit un
peu l’idée de « Ciné-train » d’Alexandre Medvedkine dans l’URSS des années
1930. On y projetait notamment Cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï M.
Eisenstein, ’Alexandre Nevski (1938) de Sergueï M. Eisenstein, Le Sel de la
Terre (1954) d’Herbert J. Biberman ou Le dictateur de Charlie Chaplin.
Ah il a le sens des formules et des gestes prémonitoires. D’ailleurs, André
Malraux le reconnait, lui qui avait dit à propos de notre ami qu’il avait le sens de
l’Histoire : « René Vautier est un Français qui a vu juste avant les autres ». Ce
sens du monde et de la justesse l’a paradoxalement condamné aux yeux des
pouvoirs en place à la censure, la prison et les attaques faites de perfidie et de
lâcheté. C’est le cinéaste français qui a connu le plus de censure, mais ses films,
tout le monde le reconnait aujourd’hui, constituent une sorte d’anthologie
historique et une manière de lire le présent à partir de ces alarmes signées René.
Il a touche à tout, fiction, documentaire, court ou long métrage. Je me souviens
de ce film sur la Bretagne, La folle de Toujane, que j’avais beaucoup apprécié où
je découvrais de grands chanteurs bretons et un son singulier.
Mais j’ai surtout apprécié cet autre film de fiction marqué par l’Histoire de
l’Algérie, Avoir vingt ans dans les Aurès (avec Alexandre Arcady, Yves
Branellec, Philippe Léotard). C’est peut-être ce long métrage qui a le plus su
montrer les horreurs du colonialisme, mais aussi sonner à voir une certaine
humanité d’hommes dont on avait enlevé cette forme humaine qui fait l’homme
pour en faire des machines de la mort. Il aime, lui aussi, ce film qui,
paradoxalement, malgré la beauté de ses autres films, fit le plus connaitre Vautier.
Il obtint le prix de la critique internationale au festival de Cannes. Il en parle avec
émotion : « Si le geste, libre, engagé et enragé apparaît aujourd’hui comme une
nécessité absolue, l’histoire de la production et de la diffusion de ce film reste tout
153
sauf simple. Avoir 20 ans dans les Aurès pose les bases d’un cinéma de lutte et
témoigne d’une guerre que les autorités colonisatrices voulaient sans images,
chaque scène est une reconstitution fictionnelle dont peut être vérifiée
l’authenticité « par au moins cinq personnes ». Henri Alleg a énormément aimé
le film, lui qui a connu la torture dans les geôles françaises (La question), il en
parle avec admiration : «Avoir 20 ans dans les Aurès m’a pris aux entrailles dès
les premières images et m’a gardé passionné jusqu’à la dernière. La première
tentative d’explication de ce qu’ont vécu les appelés… Un film nécessaire et un
film positif. ».
C’est vrai que quelqu’un comme René Vautier, premier de sa promotion à
l’IDHEC, à son actif 180 films réalisés, dérange, prend parti pour les causes qu’il
estime justes, lui qui n’a pas cessé de défendre les travailleurs en lutte (Classe de
lutte, 1969, avec les ouvriers du Groupe Medvedkine et Chris Marker, -
Transmission d'expérience ouvrière, 1973, Quand tu disais Valéry, 1975), les
féministes, l’écologisme anticapitaliste, le racisme (Les trois cousins, 1970 ; Les
ajoncs, 1971 ; Le remords, 1974 ; Vous avez dit : français ? 1986) et l’apartheid
(Frontine, sur l’ANC, Le Glas). De retour en France, il intègre en 1968 un groupe
de lutte, Medvedkine. Après la réalisation de « Avoir vingt ans dans les Aurès »,
il ne peut accepter qu’un film sur les événements du 17 octobre soit censuré, il
observe une grève de la faim de trente et un jours pour « la suppression de la
possibilité, pour la commission de censure cinématographique, de censurer des
films sans fournir de raisons ; et l’interdiction, pour cette commission, de
demander coupes ou refus de visa pour des critères politiques ». Il est vite soutenu
par Jean-Luc Godart, Jacques Rivette, Agnès Varda, Claude Sautet, Alain
Resnais et Robert Enrico. Il finit par avoir gain de cause et le film réalisé par
Jacques Panijel obtient le visa d’exploitation. Proche de Godart, notamment dans
sa « théorie en acte de l’image ». René n’est pas facile, ce militant de la première
heure gagne à tous les coups, il n’a peur de rien, singulier jusqu’au bout de
l’engagement et de l’amour, lui, formé au cinéma vérité, marqué par les lieux
emblématiques d’un cinéma russe traversé par les jeux de la perfection appelée
Eisenstein-Poudovkine, Dziga Vertov adossée à ces autres de l’autre côté de la
géographie, Biberbann, Joris Ivens ou Chaplin, il sait que son combat pour la
Bretagne représentée par les chants de Gilles Servat et de Stivell marque son
territoire.
Je ne sais pourquoi mais j’ai toujours assimilé Vautier à une caméra en marche, il
fait cinéma de tout objet, même quand la caméra manque de pellicule, il continue
à tourner, seul en est capable René qui a toujours voulu faire de cet art la
possibilité d’élaborer « dialogue avec la puissance coloniale ». Sa caméra n’est
pas un objet simple, elle est un instrument de combat, lui qui a appris à faire de
154
l’art le moyen le plus sûr de dire le socialisme. Il est un homme-caméra : « Je suis
plus une caméra qu’un homme.», ne cesse-t-il de dire, lui qui est de tous les
combats, mai 1968, son compagnonnage fertile avec Godard, son combat pour les
ouvriers, il s’y identifie tellement avec leurs luttes qu’il est toujours à l’avantgarde. René est comme Jean-Luc, deux frères, deux camarades-volcans qui savent
que rien ne peut arrêter le mouvement. Ils sont partout, ils n’ont cure des
commémorations et des reconnaissances.
Vautier vient par un film, soutenir, à propos de la torture, son ami Pierre VidalNacquet contre Le Pen, l’extrême droite met le feu dans les locaux de sa maison
de production détruisant des milliers de kilomètres de pellicule, il tourne en
banlieue, apprend le cinéma à des enfants palestiniens, leur offre du matériel
vidéo, il sait, René, que ses films ne peuvent obtenir de visa d’exploitation,
tellement la censure est implacable. On fait tout pour qu’on n’en parle pas. Le
nom de Vautier fait peur aux médias qui l’excluent de leur répertoire. C’est un
insoumis, sa manière de faire est singulière, il assume ses choix. Il en parle avec
énergie de sa conception de l’art de filmer : « J'ai toujours considéré une caméra
comme une arme de témoignage. Mais ce n'est pas une arme qui tue. Au contraire,
ça peut être un instrument de paix. C'est pour cela que je me suis bagarré pendant
cinquante ans pour qu'il y ait des dialogues d'images, et tous les films que j'ai faits,
je considère que ce sont des dialogues d'images. Le réalisateur prend parti. Il
s'engage d'un côté, mais il donne aussi la parole aux gens d'en face. ». Il aime
beaucoup Godart qui cherche souvent à entreprendre un cinéma d’auteur qui
privilégie la dimension esthétique, il explique ainsi sa différence avec Vautier, à
partir de son expérience du film, Le petit soldat : « J’ai fait Le Petit Soldat,
Cavalier a fait L’Insoumis, il y a eu Avoir 20 ans dans les Aurès. On a fait ce qu’on
pouvait faire, là où on était. La différence entre Vautier et moi, c’est que lui faisait
son film en tant que militant, moi en tant que cinéaste : il fallait parler de l’Algérie
plutôt que d’un hold-up. »
Cette dimension militante ne plait nullement aux médias et aux pouvoirs publics.
Le critique Guy Hennebelle ne trouve pas de mots assez forts pour qualifier la
démission des cinéastes qui n’ont jamais vouli aborder les questions
coloniales : « L’œuvre de René Vautier témoigne par antithèse de la démission,
voire de la trahison, d’un cinéma parisien qui a superbement ignoré les guerres
coloniales. ». Si cinéma censure le colonialisme, accompagnant parfois l’empire,
la presse observe le silence et refuse d’évoquer toute image rapportant l’ignominie
de la colonisation. Jean-Louis Bory le reconnait, fait ainsi son
autocritique : « « Des films existent qui élèvent la voix. Produits en marge du
système : par exemple, chez SLON, le magazine de contre-information : On vous
parle. Mais le système les coince au virage : à la distribution. Il les occulte. Où
155
les voir ? La presse se tait. Et c’est là où la presse de gauche ne fait pas toujours
son travail comme elle le devrait. Je plaide coupable. J’ai été coupable de ne pas
prévenir en temps voulu, en 1955, que des Français, Jean Lods, Sylvie Blanc et
René Vautier, avaient tourné Une nation, l’Algérie ; en 1958, qu’un film, Algérie
en flammes, était réalisé dans le maquis algérien, diffusé à travers le monde, hors
la France, quatre cent soixante copies en quatorze langues, et dont on peut
aujourd’hui trouver des extraits dans dix-huit films de long et court métrage ; en
1961, le film J’ai 8 ans, toujours sur la guerre d’Algérie, et Peuple en marche, en
1963. Ces films ne pouvaient être vus en France, ils existaient cependant. » ( JeanLouis Bory, Questions au cinéma, Paris, Stock, 1973).
René marche, parle, n’arrête pas de parler, Aragon rit, Kareche écoute, Godard
joue avec ses lunettes, Abane, trop austère, le regarde, il continue à parler, tout
Alger lui fait la fête, l’homme-caméra, Alger marche, cette fois-ci, c’est la bonne,
il rit, éclate de rire, tout se met à marcher…
Ahmed Cheniki
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