«Quand le Chenoua met son chapeau, il pleuvra à Marengo. » Comprenez : « Quand le mont Chenoua est recouvert de nuages, il pleuvra à 13 km de là, à Marengo », petite cité côtière algérienne, qui a conservé son nom colonial. Ce proverbe, Abdallah Bendaoud, la quarantaine volubile, le chante, en bon Chenoui qu'il est, ardent défenseur de cette tribu berbère du mont Chenoua (1), un mont haut d'à peine 905 mètres, recouvert de thuyas, d'arbousiers aussi touffus que des lauriers ou encore de lavande, « la montagne qui sent bon », dit le jeune écolier Idir.
Masse verdoyante qui se reflète dans l'eau si bleue, situé face aux ruines de Tipasa, tant célébrées par l'écrivain Albert Camus qui aimait de là plonger dans la Méditerranée, le mont n'a pas été épargné lors des terribles années 1990. Il ne faisait pas bon alors y flâner, les « terros », nom donné aux groupes armés islamistes, s'y cachant et les forces de l'ordre y patrouillant sans cesse, après avoir brûlé des zones pour éviter tout maquis. Le souvenir de la présence française est toujours là puisque l'armée algérienne s'est réinstallée sur la base construite avant l'indépendance, en haut du mont, pour mieux surveiller la Méditerranée. « Heureusement, s'exclame Abdallah Bendaoud, les deux grottes préhistoriques découvertes du temps des Français n'ont pas été abîmées, même si elles ont servi de cache. On y avait découvert sous la colonisation un poignard en bronze datant de 12 000 ans avant J.-C., exposé à Alger au Musée national du Bardo. »
Ici, tout le monde se souvient de ces cinq villageois de Beldj égorgés sur le versant nord, à quelques mètres du sommet, non loin d'un petit marabout renommé, visible par beau temps depuis les ruines de Tipasa, et censé par son côté sacré protéger les villageois, comme le proclamait la tradition. Le versant sud-ouest non plus n'a pas été épargné : à Draa-Legvenin (« la colline du lapin », en berbère), plus de six personnes ont aussi été assassinées. Des villages se sont vidés de leurs habitants par mesure de sécurité. Encore aujourd'hui, ils sont à moitié peuplés, la confiance n'étant pas totalement revenue. Mais Abdallah n'est pas peu fier de pouvoir prendre en voiture la route circulaire, longtemps interdite. Il chante dans le dialecte chenoui, si poétique, dérivé du berbère, glorifiant « son » mont : « L'olivier et le figuier croissent en toi/Les airs de la forêt et des champs sont tes essences guérisseuses/... »
Ici, en contrée berbère, « les femmes sont plus libres qu'ailleurs », note-t-il fièrement. Il montre un groupe de jeunes filles, les unes voilées, les autres non, riant aux éclats, qui se promènent sur la corniche au pied du mont, non loin de baraquements abandonnés par l'armée française après l'indépendance et transformés aujourd'hui en maisons individuelles. Elles sont seules, sans que personne ne mette en doute leur conduite. Abdallah tient à mettre en avant ce particularisme-là en terre d'islam. « On veut montrer, estime-t-il, une seule et même image de la musulmane. Chez les Chenouis, la femme va aux champs sans qu'un frère, un mari ne l'accompagne. Un peu sur les hauteurs, il y a même un marché chaque lundi, le marché des femmes. Je ne sais à quand remonte cette tradition ! J'ai toujours connu cela », ajoute-t-il. Sans crainte, Ania et Anissa, la première mariée, la deuxième célibataire, vendent sur le bord de la route des poteries artisanales, celles que font depuis des siècles les femmes du mont Chenoua, un art transmis de génération en génération par les grands-mères et les mères. Elles expliquent dans un français approximatif comment elles « mélangent de l'argile, de l'eau, des tessons de céramique », mortiers de terre cuite, qu'elles transforment en amphores immenses, assiettes, plats creux. Certains sont faits à l'ancienne, de couleur naturelle, grège, ornés de motifs légers, comme des dessins au henné ; d'autres sont noirs, colorés d'immenses fleurs, essentiellement bleues et roses, aux longues et fines tiges. « Ainsi va la mode, disent Ania et Anissa, j'aime tant dessiner les fleurs et je serais bien incapable de quitter mon mont Chenoua », s'exclame Ania. Plus discrète, Anissa, elle, a néanmoins les yeux rêveurs : « Partir, pourquoi pas ? Mais où ? questionne-t-elle. Est-ce que vous croyez que mes poteries pourraient plaire ? »
FICATIER Julia
Les Berbères en Algérie
En Algérie, la communauté berbère représente environ 10 millions de personnes. Cette communauté se répartit en plusieurs groupes : les Kabyles, les plus importants, les Chaouis, les Chenouis et les Mozabites, tous avec un parler berbère légèrement différent. Depuis plus de trente ans, les Berbères d'Algérie se battent pour que le berbère, le tamazight, devienne une langue officielle comme l'arabe. Jusqu'ici, le président Bouteflika y a opposé un refus, répétant que l'arabe est la seule langue officielle de l'Algérie.
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