Le conflit idéologique qui oppose les islamistes et les démocrates en Algérie a connu un certain regain depuis le début des contestations populaires du 22 février 2019. Avant de revenir sur l’historique de ces deux courants et leurs principaux points de divergence, il est important de faire un bref rappel des événements qui ont eu lieu depuis quelques mois.
En effet, depuis le 22 février 2019, plusieurs milliers – voire millions – de personnes manifestent chaque semaine dans plusieurs villes du pays pour réclamer un changement de régime politique. Cet état de fait n’a bien évidemment pas laissé indifférents les islamistes et les démocrates, qui représentent les deux principaux courants politiques dans le pays.
Ainsi, en novembre 2019, Saïd Sadi, l’une des principales figures du courant démocrate, fut pris à partie à Marseille par un homme qui lui reprochait de s’être allié au régime en place en Algérie pendant les années 1990, période caractérisée par une montée des violences terroristes qui feront environs 200.000 morts et des milliards de dollars de dégâts matériels. Cet homme sera présenté plus tard comme étant proche de Rachad, principal mouvement islamiste algérien auquel appartiennent également Mohamed Larbi Zitout et Amir DZ, deux personnalités très en vue sur les réseaux sociaux.
Quelques mois après l’événement de Marseille, Saïd Sadi s’attaquera au même mouvement Rachad, qu’il accuse entre autres de « participer assidûment aux conférences de l’islamisme international en Europe, en Turquie et au Qatar ». Enfin un troisième événement important dans la lutte idéologique opposant les islamistes aux
démocrates a eu lieu à la fin du mois de juin 2020. Il s’agit de l’annonce de Saïd Sadi de son intention de saisir la justice contre Mohamed Larbi Zitout et Amir DZ, qui l’avaient accusé de complicité dans l’assassinat du chanteur Kabyle Lounès Matoub survenu le 25 juin 1998.
L’histoire de ces deux courants politiques au sein de l’Algérie indépendante
Au début des années 1980, les courants démocrate et islamiste, qui étaient déjà présents depuis l’indépendance en 1962 commencent à prendre de l’ampleur. Ils œuvrent d’abord dans la clandestinité étant donné que l’Algérie est alors gouvernée par un système de parti unique quelque peu inspiré du modèle soviétique. Leurs terrains
d’activité sont les universités et les syndicats pour les démocrates, tandis que les islamistes occupent principalement les mosquées et les écoles.
En 1988, de violentes émeutes éclatent à Alger et dans d’autres régions du pays. Ceci force le président d’alors, Chadli Bendjedid à adopter une nouvelle constitution qui ouvre le champ politique à partir de 1989. De nombreux partis voient alors le jour dont le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le Front des forces socialistes (FFS) – qui existait depuis 1963, mais n’est agréé qu’en 1989-. Mais aussi et surtout le Front islamique du salut (FIS), parti représentant la branche dure du courant islamiste et prônant l’instauration d’un Etat théocratique régi par la Charia, la loi coranique.
En 1990 sont organisées les premières élections locales depuis l’avènement du multipartisme, qui sont largement remportées par le FIS. Devant cette montée en puissance du parti radical et l’inévitabilité de sa victoire aux élections législatives de 1991, qui lui aurait permis de suspendre la constitution et d’instaurer un Etat islamique, l’armée décide d’intervenir. Le président Chadli Bendjedid est forcé à la démission et la dissolution du FIS est prononcée. Ces événements plongeront l’Algérie dans une période de violences terroristes dont elle ne sortira qu’au début des années 2000.
Une guerre idéologique qui dure depuis plus de 30 ans ?
La principale divergence entre les deux courants concerne le type de régime qui doit gouverner le pays. Alors que les islamistes souhaitent instaurer un Etat théocratique régi par la loi coranique et les préceptes de l’islam, les démocrates militent de leur côté pour la création d’une république laïque grandement inspirée des modèles européens. Autre cette divergence, les deux courants ont également des différends d’ordre historique.
En effet, deux périodes de l’histoire algérienne font l’objet de différences fondamentales entre les courants islamistes et démocrates : la guerre d’indépendance et la décennie noire des années 1990. Concernant la première période, les islamistes voient qu’il s’agit d’un Jihad (guerre sainte) contre une France chrétienne avec pour objectif l’instauration d’un Etat islamique.
Les démocrates sont opposés à cette idée et voient que la guerre d’Algérie est une lutte anticolonialiste, sans rapport avec la religion, et qui avait pour objectif la fondation d’une Algérie moderne, basée sur les principes de la démocratie et de la laïcité.
Concernant la décennie noire, les islamistes nient avoir été responsables des massacres qui ont eu lieu à cette période, ils se défendent notamment en arguant que ceux-ci auraient été perpétrés par les services de renseignement pour les décrédibiliser auprès de la population. Une vision réfutée par les démocrates, qui
accusent les islamistes d’avoir pris les armes à la fois dans un objectif de vengeance après la dissolution du FIS, mais également pour punir leurs opposants, dont beaucoup ont été assassinés au cours de cette période.
Les démocrates et les islamistes continuent de s’affronter
De nos jours, les démocrates et les islamistes continuent de s’affronter notamment sur les réseaux sociaux et par le biais de la presse interposée. Des personnalités comme Mohamed Larbi Zitout et Amir DZ, appartiennent tous deux au courant islamiste – se servent entre autres des plateformes Facebook et Youtube – pour la diffusion de leurs idées.
Le dernier développement en date dans cette lutte idéologique, est l’intervention du président du Sénat et ancien combattant de la guerre d’Algérie Salah Goudjil. Celui-ci a affirmé que « le 1er novembre (…) énonce l’édification d’un Etat démocratique, populaire et social dans le respect des principes de l’Islam. Une déclaration qui porte donc un coup aux affirmations des deux camps concernant la guerre d’Algérie, puisque selon Salah Goudjil, cette guerre n’avait pour objectif ni de créer un Etat islamique, ni de fonder une Algérie laïque où la religion musulmane n’aurait pas sa place.
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