Je suis vos détritus, vos tics, vos manies,
les tessons de la soif aux recoins du désastre,
vos parfums vétustes où se brise le ciel,
ce mur où s'écrasent vos souvenirs d'enfance.
Je suis votre mariole, votre guignol, votre mime.
Je suis votre bafouille à la trouille de la honte,
l'amertume de la rouille sur vos chaînes dorées.
Je suis votre fantôme où s'use la lumière,
la sève et le silence entre la page et l'arbre.
Je suis l'hémorragie des remords sans reproche,
une crasse d'ignorance, une ignorance crasse,
une carapace d'arrogance délavée par la peur.
Je suis l'apoplexie au moment du plaisir,
cette varice amère à la place de l'âme.
Je suis le vide au cœur de vos amis,
comme un mort dans la tombe,
comme un pas dans la neige,
comme un trou dans la nuit,
comme un cri sans personne,
Je suis la bactérie fomentant la révolte,
l'aliment de l'absence, la semence des cendres,
votre chrysobéryl, votre schiste, vos schismes,
un hiver aux joues creuses, un été sans soleil,
un astre familier dans le repli des pierres,
l'orgueil du borgne au pays des aveugles,
cet amour de vivre crachant sur les cadavres,
l'impossible à saisir, le juron des pavés,
la braise du désir qui se meurt de froid.
Je suis votre souffrance. Je suis votre malchance.
Je suis parmi vos mots celui qu'on n'a pas dit,
ce creux pesant du monde où le temps se fait mal
et ramasse la nuit pour la jeter au loin.
Je suis votre balafre, votre moignon, votre ombre,
le négatif des rencontres, la dérive des heures.
Je suis le squelette sous la chair de l'ennui,
ce revenant qui tombe et ne veut pas se taire,
la beauté mise à nu entre la rose et l'œil.
1968
.
JEAN-MARC LA FRENIÈRE
Les commentaires récents