Alors que les résistants de la Seconde Guerre mondiale, communistes ou de toute autre obédience, désormais entrés dans le grand âge, suscitent plus que jamais respect et admiration, les anciens combattants français de la guerre d’Algérie, eux aussi atteints par la vieillesse, ne pourront jamais se prévaloir d’une égale estime. Qu’ils fussent convaincus de la justesse de leur combat ou de sa nocivité, tous en sont sortis perdants, les uns car ils n’ont pu maintenir l’Algérie dans le giron français, les autres parce qu’ils n’ont pu éviter des années de « sale guerre ». Un travail de thèse a rendu justice à ceux qui ont refusé de combattre, ou se sont peu ou prou insoumis à la discipline militaire, en décryptant la diversité de leurs motivations [1][1]T. Quemeneur, « Une guerre sans ‘non’ ? Insoumission, refus…. De ces milliers d’hommes recensés par Tramor Quemeneur, nous ne retiendrons ici que les quelques dizaines de membres des Jeunesses communistes qui, encouragés à suivre l’exemple de leur précurseur Alban Liechti, ont été appelés les « soldats du refus ». Nous chercherons à comprendre pourquoi le Parti communiste a mis deux ans avant de soutenir ou promouvoir cette forme d’indiscipline, pourquoi celle-ci n’a touché qu’un nombre si restreint d’individus, et pourquoi elle ne s’est pas prolongée au-delà de l’année 1959, alors que la guerre allait encore se poursuivre durant trois ans.
2Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un questionnement plus large, le procès fait au Parti communiste de n’avoir jamais clairement soutenu avec toute sa puissance de propagande et toutes ses capacités militantes le combat indépendantiste des nationalistes algériens. Ces derniers n’ont pas manqué, au sein du FLN, dès l’origine ou presque, de lui adresser de véhéments reproches à ce sujet. Et le débat est loin d’être éteint, comme le prouvent les controverses, souvent très vives, qui prolongent celles de l’époque du conflit et s’élèvent encore, entre des militants communistes et d’autres de la gauche non communiste ou de l’extrême-gauche.
3Mais c’est aussi entre communistes que les controverses ont gardé de leur âpreté. Ceux qui ont assisté à l’automne 2004 à la série de débats organisés par le PCF dans la grande salle du comité central de son siège place du Colonel Fabien, à l’occasion du cinquantième anniversaire du déclenchement des « événements d’Algérie », ne peuvent avoir oublié les échanges à fort contenu émotionnel qui clôturèrent la soirée du 2 novembre. À la tribune, quelques dirigeants des Jeunesses communistes de l’époque : Henri Martin notamment, qui en était le secrétaire général adjoint, le second de Paul Laurent [2][2]Secrétaire général de l’Union de la jeunesse républicaine de…, et François Hilsum, qui devait succéder à ce dernier quelques années plus tard [3][3]Secrétaire général du MJCF de 1965 à 1970. mais qui était durant la guerre la cheville ouvrière du journal clandestin Soldat de France, édité par le PCF à destination des jeunes soldats du contingent. À la date de la réunion, François Hilsum avait cessé depuis longtemps toute activité militante, mais au cours de la soirée il révéla pour la première fois publiquement la nature et la teneur de son travail de l’époque, alors que son ex-camarade Henri Martin, jadis condamné et héroïsé pour sa dénonciation de la guerre d’Indochine [4][4]Emprisonné de mars 1950 à août 1953, Henri Martin fut alors…, avait présenté la vulgate de la politique de son parti pendant les années algériennes.
4Après les discours et témoignages des intervenants programmés, la parole est passée au public qui remplissait les travées. Plusieurs vétérans, jeunes militants anonymes de la fin des années 1950, s’adressèrent alors à leurs ex-dirigeants avec amertume, encore meurtris par les épreuves et les indécisions qu’ils avaient vécues. Ils leur reprochaient de n’avoir pas formulé de consignes précises à l’époque de leur service militaire alors qu’ils étaient envoyés combattre au sud de la Méditerranée, ni dans le sens de l’insoumission, ni pour les guider dans leur « action de masse » auprès de leurs camarades de régiment. Un témoin par exemple regrettait : « Quand j’ai dû partir en 1957, je n’avais pas idée de quoi faire » ; un autre, incorporé la même année, affirmait qu’il n’avait pas entendu parler de l’insoumission politique [5][5]Notes personnelles prises au cours de la soirée. ; beaucoup ignoraient l’existence de Soldat de France [6][6]C’est le cas notamment de Serge Magnien, militant et cadre…. Deux militants de la même génération, mais à la notoriété mieux établie, ont été aussi invités à s’exprimer. Alban Liechti, assistant habituel des colloques ou journées d’études sur les thèmes touchant à l’Algérie ou aux années 1950-1960, mais rarement invité aux tribunes, avait été le premier insoumis communiste, dès juillet 1956, et emprisonné durant quatre ans au total suite à deux condamnations successives ; il relata sa solitude pendant sa première année de déboires judiciaires et carcéraux [7][7]Alban Liechti a témoigné de son expérience dans un livre, Le…. Pierre Guyot, fils d’un des principaux dirigeants communistes de l’époque, appelé à témoigner sur son refus de septembre 1958 et ses deux années de détention consécutives, opta finalement pour le silence. Il était pourtant censé exprimer la « ligne du parti » et ses inflexions pendant le déroulement du conflit, d’autant que son père Raymond Guyot en était alors, avec Léon Feix [8][8]Lui aussi membre du bureau politique et responsable de la…, l’un des principaux promoteurs [9][9]M. Giovaninetti, « Cinquante ans au cœur du système….
5Tentons donc ici de saisir cette « ligne » et de comprendre ses inflexions, en recoupant les témoignages des militants impliqués à l’époque dans les questions militaires et en les confrontant avec les articles de journaux et les archives du PCF, notamment celles du fonds Raymond Guyot [10][10]Archives du PCF déposées aux Archives départementales de la…, le dirigeant du PCF qui « suivait » les questions militaires dans les années 1950.
Raymond Guyot, responsable aux questions militaires du PCF
6Membre du bureau politique du PCF depuis 1945, mais y siégeant ès qualité depuis 1930, Raymond Guyot était alors l’un des plus sûrs piliers de la direction thorézienne. Il collait au plus près aux attentes du secrétaire général depuis que celui-ci avait été propulsé au poste suprême par l’Internationale communiste, en 1930-1931. Il était lui-même un « homme de Moscou », où il avait travaillé plusieurs années dans l’ombre de Dimitrov et Manouilsky. Sa compétence en matière d’affaires militaires remontait pratiquement à ses premières responsabilités militantes, lorsqu’il avait été le « technique » de l’antimilitarisme communiste, dès 1926, aux côtés de Maurice Thorez pour le PCF et d’Henri Barbé pour les Jeunes communistes (JC). Promu à la tête des JC français, puis de l’Internationale communiste des Jeunes, il les avait dirigés aussi bien lorsqu’ils prônaient l’antimilitarisme, jusqu’en 1935, que quand ils l’abandonnèrent en vue du rassemblement du Front populaire. En 1946, Guyot fut nommé premier secrétaire de la très puissante fédération parisienne du PCF. Il le resta jusqu’en avril 1957. Quand il passa la main, il cumulait depuis plus de deux ans cette fonction avec celle de responsable de la section de politique extérieure du comité central, qu’il conserva jusqu’en 1972.
7Depuis 1950, supplantant André Marty, le rival déjà disgracié de Thorez, Guyot était aussi le porte-parole habituel de son groupe parlementaire pour tout ce qui touchait à l’armée et aux guerres coloniales – d’abord à l’Assemblée nationale, où il était député de Paris, puis au Sénat après l’avènement de la Ve République. Parallèlement, et de façon tout à fait clandestine, il maintenait le contact avec les quelques dizaines d’« officiers républicains », c’est-à-dire communistes, pour la plupart issus de la Résistance, qui restaient accrochés à leur carrière militaire, à l’instar du plus renommé d’entre eux, Henri Rol-Tanguy, héros de la Libération de Paris. Surtout, c’est Guyot qui avait constitué et supervisait à partir de 1950 une petite équipe de militants discrets et dévoués, dont la tâche consistait à recueillir les échos des casernes fournis par des appelés sympathisants, à rédiger des éditoriaux et articles dénonçant la politique militaire de la France et à publier ainsi le journal de quatre pages Soldat de France, diffusé tant bien que mal et non sans risques dans les casernes ou parmi les permissionnaires. Ce cadre supérieur expérimenté et éprouvé, à la cinquantaine élégante et bien sonnée, apparaissait donc comme un apparatchik aussi parfaitement en cour à Moscou qu’à Paris, bien connecté aux strates dirigeantes en même temps que respecté par la base militante, rompu aux déclarations publiques comme aux actions conspiratrices.
8À partir de 1955, en parallèle de ses démarches auprès des « partis frères » dont certains commencent à tirer à hue et à dia à l’Est comme à l’Ouest, une des tâches essentielles de Guyot consiste donc à s’occuper du problème des soldats français envoyés combattre en Algérie [11][11]Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57 : y sont conservés trois…. Jusque-là, la propagande ne prêtait pas à hésitation : seuls les soldats de métier étaient envoyés combattre outre-mer et le combat mené par les nationalistes, en Indochine particulièrement, ne souffrait pas de réticences puisque leurs cadres sortaient du sérail communiste. Les quelques « officiers républicains » d’active s’accommodaient comme ils pouvaient avec leur conscience, et étaient d’ailleurs dans leur grande majorité privés de commandement opérationnel [12][12]M. Chervel (et un collectif d’anciens officiers), De la….
9Quand le contingent est à son tour envoyé combattre en Algérie, puis à sa suite les « libérés » – ceux qui avaient déjà accompli leur service militaire, rappelés à partir du mois d’août 1955 –, les communistes ne manquent pas de dénoncer l’escalade militaire et l’utilisation de soldats contraints à risquer leur vie pour une cause inique. L’équipe de militants supervisée par Guyot joue alors un rôle important dans les manifestations contre le départ des rappelés, qui culminent avec la mutinerie de la caserne Richepanse à Rouen en octobre [13][13]Entretien avec Julien Lauprêtre, avril 2006 ; C. Grenier, « La…. Mais tout en condamnant la politique belliciste du gouvernement d’Edgar Faure, la vulgate léniniste, qui imposait aux communistes de subir les mêmes contraintes que leurs camarades mobilisés, restait de règle. Et cela d’autant plus qu’à partir de janvier 1956, le PCF soutient le gouvernement de Guy Mollet issu d’élections qui donnent la majorité à la gauche. Les chefs communistes y voient l’espoir d’un nouveau Front populaire qui les ramènerait au gouvernement, et leurs députés, dociles, votent par solidarité les « pouvoirs spéciaux » demandés par le président du Conseil le 12 mars, malgré le mécontentement refoulé de nombre d’entre eux – et c’est encore à Guyot que revient la mission ingrate de justifier à la tribune du Palais-Bourbon ce choix discuté. Mais il apparut bien vite que non seulement le leader de la SFIO n’avait aucune intention d’associer ses soutiens communistes au pouvoir, mais qu’il utilisait leurs voix pour renforcer l’escalade guerrière. L’impopularité de celle-ci ne fit que croître après l’embuscade de Palestro, le 18 mai, qui, en provoquant la mort de dix-neuf rappelés, émut particulièrement l’opinion française [14][14]T. Quemeneur, « Réfractaires français dans la guerre d’Algérie….
Alban Liechti, précurseur de l’insoumission communiste
10La question de la propagande communiste se présente sous un nouvel angle avec l’action spontanée, a priori contraire à la ligne « léniniste », d’un jeune militant de l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF) [15][15]L’UJRF remplace les Jeunesses communistes de 1945 à 1956. de Sèvres appelé sous les drapeaux, Alban Liechti. Mobilisé en mars 1956, il apprend en juin que son régiment est destiné à partir sous peu en Algérie. Il réussit alors un « travail de masse » méritoire en faisant signer par trente-et-un garçons de son régiment une pétition au président du Conseil, avant d’envoyer lui-même une lettre personnelle au président de la République notifiant son refus de « prendre les armes contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance ». Envoyé néanmoins outre-Méditerranée, il confirme sur place son refus et, après des stages dans diverses prisons régimentaires au gré d’affectations changeantes, il est condamné le 19 novembre par le tribunal militaire d’Alger à deux ans de prison ferme pour refus d’obéissance.
11Jusque-là, en France, seul le Secours populaire, une de ces « organisations de masse » contrôlées par le Parti communiste, s’était un tant soit peu mobilisé en sa faveur, en lui fournissant notamment un avocat [16][16]A. Brodiez, Le Secours populaire français, 1945-2000 : du…. Il est vrai que la vieille officine de soutien aux militants ouvriers victimes de la répression, passablement sclérosée, venait d’être reprise en main par Julien Lauprêtre, un jeune militant qui avait précédemment assisté Raymond Guyot comme secrétaire politique et avait joué un rôle déterminant dans le travail en direction des conscrits [17][17]Julien Lauprêtre est, aujourd’hui encore, président de…. Quant au Parti communiste lui-même, flanqué de son organisation de jeunesse, non seulement il resta d’abord silencieux, mais il se démarqua même de son militant. Paul Laurent, le secrétaire général des JC, se serait fait tancer par Thorez pour avoir salué Liechti quelques semaines après son insoumission dans un discours au congrès du Havre du PCF [18][18]Entretien avec Alban Liechti, juin 2011.. Au cours de ce même été 1956, au moins deux rappelés communistes, Claude Caillaut, alias le chanteur Claude Vinci, et Louis Orhant, désertent respectivement en août et en septembre, horrifiés par ce qu’ils ont vu lors d’opérations de « nettoyage » de douars ou d’interrogatoires de prisonniers. Rentrés clandestinement l’un en France, l’autre en Suisse, ils sont exclus de leur parti dès que leur cellule apprend leur désertion [19][19]C. Vinci, Les Portes de Fer. ‘Ma’ guerre d’Algérie et ‘ma’….
12Cependant, la position du Parti communiste devait se clarifier suite à une « conversation » entre Raymond Guyot, Paul Laurent et Henri Martin, ce dernier secrétaire-adjoint des JC. Il y est décidé de soutenir Liechti [20][20]Henri Martin, entretiens de novembre 2003 et d’avril 2009 ; il…, et le PCF s’inscrit alors dans ce deuxième temps que Tramor Quemeneur distingue parmi les trois temps des mouvements d’insoumission durant la guerre d’Algérie, celui « du témoignage » [21][21]T. Quemeneur, « Ils ont dit ‘non’ à la guerre sans nom »,…. Il est vrai aussi que le PCF, sorti de sa phase de soutien au gouvernement à partir du mois de juin 1956, s’inscrivait dans une opposition de plus en plus frontale [22][22]Vanessa Codaccioni souligne cette concomitance des évolutions….
13Ainsi, parmi les toutes premières mentions du jeune insoumis dans le quotidien communiste L’Humanité, Raymond Guyot, seul du bureau politique, se prononce assez rapidement en sa faveur, dans son traditionnel article de fin d’année sur le « Nouvel An du Soldat » [23][23]R. Guyot, « Nouvel An du Soldat », L’Humanité, 31 décembre…. Cette réactivité toute relative – l’insubordination de Liechti commence en juillet – du cacique du PCF ne surprend pas. Plus que sa fonction de responsable aux questions militaires, son propre passé d’emprisonné pour insoumission à l’autorité militaire a dû résonner. Au tournant des années 1930, alors qu’il militait dans la clandestinité comme secrétaire général des Jeunesses communistes, il avait en effet manqué les périodes de réserve auxquelles étaient alors astreints les citoyens français. Arrêté en juin 1932, il avait après jugement purgé une peine d’un an dans la prison militaire du Cherche-Midi [24][24]Située à l’emplacement de l’actuelle Maison des sciences de…, de sinistre réputation, et cet épisode avait marqué le début de sa renommée parmi les siens [25][25]Marc Giovaninetti, « Cinquante ans au cœur du système….
14Le 9 avril 1957, le bureau politique entérine le soutien à Liechti lors de sa réunion hebdomadaire au siège du carrefour de Châteaudun, en même temps qu’il lance une campagne contre la torture [26][26]Archives du PCF, bureau politique (BP) du 9 avril 1957.. L’Humanité consacre alors une pleine page au sort du jeune homme, qui n’avait jusqu’à présent eu droit qu’à quelques annotations et un petit article [27][27]L’Humanité, 24 avril 1957, p. 6 ; Ibid., 9 mars 1957.. Quant au Secours populaire de Julien Lauprêtre, il peut à partir de cette date engager en sa faveur une active campagne publique [28][28]A. Brodiez, « Le Secours populaire dans la guerre d’Algérie.….
15De fait, Liechti commence à faire des émules. Chez les JC, nombreux sans doute étaient ceux qui pensaient comme lui et étaient prêts à encourir les risques qui s’ensuivaient en passant outre au dogmatisme de la conception léniniste, datée et dont l’application n’était pas non plus exempte de dangers dans le climat politique tendu de l’époque. Un des premiers jeunes communistes à refuser comme Liechti de combattre les indépendantistes algériens est un de ses amis de Chaville, Fernand Marin, qui envoie sa lettre au président en septembre 1957 et est aussitôt arrêté [29][29]Entretien avec Alban Liechti, juin 2011.. Un militant chevronné, un peu plus âgé, l’instituteur Claude Despretz, rappelé comme les autres de sa classe, l’a précédé de deux mois, avec les mêmes conséquences. En même temps ou presque, la campagne atteint les strates supérieures du Parti communiste, avec le refus de Léandre Letoquart, fils d’une personnalité homonyme du Parti, député du Pas-de-Calais et membre du comité central. Mobilisé en mars, il écrit sa lettre de refus en septembre, est aussitôt incarcéré et condamné en janvier 1958 à la peine maximale, deux ans, comme la plupart de ses camarades. Citons encore Jean Clavel, un ouvrier parisien qui, après avoir lu la lettre de Letoquart dans L’Humanité au cours d’une permission, suit aussitôt son exemple, pensant que si un tel militant agissait de la sorte, c’était que « notre position devait avoir évolué » [30][30]Jean Clavel, intervention publiée dans les actes du cycle de… ; ou Émile Lauransot, d’une famille de Gitans, qui est condamné une première fois au cours de ce même mois de septembre [31][31]Sur Despretz, Letoquart et Clavel, voir leur notice…. Vers la fin 1957, ils sont une poignée de jeunes communistes à avoir déclaré leur refus de porter les armes contre les patriotes algériens, après en avoir discuté dans leur cellule ou avec d’autres organisations de base qui les soutiennent pleinement, fières de leur héroïsme. Parfois durement maltraités au sein même de leur régiment, condamnés le plus souvent à deux ans par un tribunal militaire, leur décision ne relève encore que de leur propre initiative.
Thorez et les instances du PCF prennent position
16À la session de septembre 1957 du comité central à Ivry, Guyot pousse Henri Martin, l’ancien héros condamné et emprisonné pour sa lutte contre la guerre d’Indochine, à intervenir dans le sens du soutien à l’insoumission de tous les hommes du contingent [32][32]Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009.. Guyot lui-même, après le discours mitigé d’un autre membre de l’instance, prononce depuis sa place une forte argumentation en faveur de Liechti. Mais il prend soin, par précaution, de l’associer à une autre campagne de refus d’obéissance d’appelés communistes, celle des jeunes fils de fusillés de la Résistance mobilisés pour leur service militaire sous les ordres du général allemand Speidel, en vertu des accords de l’OTAN [33][33]L’un d’eux, Jean-Claude Faipeur, a écrit un livre de… :
Il faut exalter l’action de Liechti […]. Il semblerait que de-ci de-là on trouve que l’acte de Liechti, et l’acte des fils de fusillés, n’est pas conforme à la notion léniniste sur l’affectation, sur l’attitude d’un parti ouvrier, du parti communiste envers l’armée […]. La campagne pour leur libération n’est pas menée avec l’ardeur, l’enthousiasme, la force nécessaires […]. Il faut dire que l’action des soldats de la section de Liechti est absolument conforme à la ligne politique menée à l’intérieur de l’armée par les jeunes communistes […]. Ces jeunes, blessés moralement, […] vraiment, nous devons les soutenir avec plus d’énergie, dans le cadre général de notre politique de masse contre la guerre d’Algérie et pour l’indépendance nationale [34][34]Archives du PCF, enregistrements sonores des sessions du comité….
18Ne faisons pas ici de contresens sur l’indépendance nationale prônée par le bépiste. Il ne s’agit pas en l’occurrence de celle du peuple algérien, alors mise sous le boisseau par la propagande communiste, mais de celle de la France, bafouée par ce commandement confié à un général allemand. Après une autre réplique mitigée du membre du comité central précédemment pris à partie, Maurice Thorez se prononce à son tour. Il donne clairement tort à ceux qui désapprouvent ces actions « avant-gardistes » : « Ceux-là, la vie passe à côté d’eux […]. C’est du dogmatisme […]. Tous les communistes doivent aller à l’armée […] mais dans des conditions concrètes, ils doivent déterminer leur attitude ». Dénonçant « notre attitude, nos appels […] pleurnichards, pacifistes », il assène : « Nous ne sommes pas des pleurnicheurs, nous sommes des combattants ». Et le secrétaire général termine modestement en approuvant Guyot : « J’interviens comme ça à la suite de Raymond » [35][35]Ibid.. Son intervention soulève une tempête d’applaudissements du reste de l’assemblée qui attendait la sentence du chef pour se manifester. Cependant, aucune résolution ne clôt le débat, et le revirement, entériné par une décision du secrétariat du comité central de créer un « comité » pour la libération de Liechti et des autres, ne prend pas la forme d’un appel public [36][36]Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009 ;….
19Soutien ne veut pas dire imitation, en effet, et moins encore campagne de masse. Certes, tous ceux qui au PCF, mais surtout parmi ses organisations satellites, ont à cœur de soutenir l’action des réfractaires se sentent désormais le champ libre. Après les lettres de soutien individuelles ou collectives qu’Alban Liechti, puis les autres, reçoivent par dizaines, l’heure est aux meetings. Josette Liechti, la mère d’Alban, elle-même militante d’un grand charisme, « brûle les planches », avec à son actif quelques cent-quatre-vingt réunions publiques en deux ans. D’éminentes personnalités la côtoient aux tribunes : Eugénie Cotton, présidente des Femmes de France, l’organisation féminine du Parti communiste ; l’abbé Boulier, l’un des plus dynamiques « compagnons de route » du PCF, très actif au Mouvement de la paix et au Secours rouge ; le pasteur Bosc, Francis Jourdain, Mathilde Péri, Julien Lauprêtre, les dirigeants des JC ou encore ceux de l’Union des jeunes filles de France… [37][37]Témoignages et archives personnelles d’Alban et Yolande Liechti.
20Mais les organisations communistes ne prônent pas l’insoumission auprès de tous leurs jeunes militants mobilisés, loin s’en faut. Certains parmi les mieux formés politiquement restent résolument partisans de l’option « léniniste » : répondre à l’appel de l’armée, partir quoiqu’il en coûte. Parmi eux, Serge Magnien, le fils de Marius, second de Guyot à la section de politique extérieure : l’ex-premier secrétaire de l’Union des étudiants communistes nouvellement créée est mobilisé en janvier 1957. Stimulé par l’exemple de Liechti, il réussit à faire signer une lettre collective au président de la République par la quasi-totalité des hommes de son régiment, cent-soixante-dix-sept exactement, lors d’une manœuvre dans l’est de la France en février 1958. À la faveur d’une dernière permission parisienne, il raconte sa rencontre avec Jean Gajer, le responsable des JC parisiens, attablé à une terrasse de café. Ce proche de Raymond Guyot l’interpelle joyeusement en lui demandant d’un air entendu : « Alors ? Tu refuses ? ». Mais Magnien lui répond assez froidement que non, qu’il a l’intention de partir.
21Cependant, aussitôt rentré de permission, il est mis aux arrêts comme instigateur de la lettre. Transféré en Algérie, affecté à d’autres régiments et bien que toujours aux arrêts, il doit participer à des opérations de patrouille, et convaincu que sa notoriété l’expose plus que d’autres à des règlements de comptes expéditifs, adresse au président de la République une lettre, individuelle cette fois, où il s’appuie sur la réalité qui lui est apparue pour refuser de continuer. Au moment de l’effervescence des événements de mai 1958, il est transféré à Alger, jugé par le tribunal militaire, défendu lui aussi par un avocat du Secours populaire et condamné à deux ans comme les autres. De Paris, il affirme n’avoir reçu des nouvelles que par son père, qui l’avait informé que Laurent Casanova, un autre membre éminent du bureau politique avec lequel il avait conversé, lui recommandait de « ne pas jouer au Don Quichotte » [38][38]Entretien avec Serge Magnien, juin 2011 ; R. Bourderon,…. Et pourtant, ce responsable de la section des intellectuels, à laquelle Magnien avait naguère appartenu, passait d’après Vanessa Codaccioni pour « un des dirigeants les plus favorables à la lutte anticoloniale » [39][39]V. Codaccioni, Punir les opposants, op. cit., p. 281..
22Cependant le 17 avril 1958, le secrétariat du Parti décide d’« accepter les propositions de Raymond Guyot concernant les jeunes soldats qui sont emprisonnés ». Il s’agit de publier des extraits du rapport présenté par Jacques Duclos, numéro deux du parti, à un meeting du Secours populaire, « [demandant] à Raymond Guyot s’il peut préparer une étude historique dans France nouvelle rappelant la lutte du mouvement ouvrier contre les Bat’ d’Af’ », d’activer la lutte de l’Union des étudiants communistes en faveur de Serge Magnien, et celle des femmes « à l’occasion de la fête des mères ». Trois dirigeants, Gaston Viens, Léon Feix et Raymond Guyot sont alors chargés de « suivre les procès des jeunes poursuivis pour leur refus de faire la guerre d’Algérie » [40][40]Archives du PCF, secrétariats du 17 avril, décision 10, et du….
23En août, le bureau politique demande d’« impulser la campagne de solidarité et de soutien avec les jeunes soldats emprisonnés » [41][41]Archives du PCF, BP du 5 août 1958, décision 6. (trois passent devant le Conseil de guerre au cours de ce mois). Cela se fait encore à l’instigation de Guyot, sans aucun doute, d’autant qu’est venu en mai 1958 le tour de son fils Pierre d’être mobilisé, peu avant la tempête politique qui s’abat sur la France sous le coup du putsch militaire à Alger, de la crise gouvernementale à Paris, de la menace de guerre civile avec débarquement de « paras » en France métropolitaine, et du rappel en catastrophe au pouvoir du vieil exilé de Colombey-les-Deux-Églises que les communistes assimilent à un coup de force fasciste. Appelé à partir en Algérie en septembre, Pierre Guyot envoie au préalable sa lettre au président de la République René Coty, encore en fonction pour trois mois, avant d’être aussitôt incarcéré dans son régiment, puis en Algérie après son transfert [42][42]Entretien avec Pierre Guyot, novembre 2002..
Des risques difficiles à évaluer
24Raymond Guyot a-t-il encouragé son fils ? Henri Martin reconnaît que plusieurs jeunes ont été « sollicités » en faveur de l’insoumission [43][43]Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009.…. Henri Alleg, le plus connu des militants communistes d’Algérie, se montre encore plus péremptoire en affirmant qu’« ils ont été choisis par le PC » [44][44]Entretien avec Henri Alleg, février 2006.. Mais Pierre Guyot soutient qu’il a pris seul sa décision et écrit seul sa lettre au cours d’une permission, avant d’en aviser son père et sa mère qui l’ont approuvé [45][45]Entretien avec Pierre Guyot, novembre 2002. Henri Alleg, Henri…. Cependant, Guyot père évoquait l’année suivante dans une lettre personnelle « le soin que nous apportions à la rédaction des lettres au président de la République » [46][46]Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 81, lettre de Guyot à…. Et en effet la lettre de Pierre, longue, argumentée et de belle facture, bientôt diffusée sous forme de tract, est d’une tout autre teneur que celle d’Alban Liechti aux formulations plus sommaires [47][47]Tract reproduisant la lettre de Pierre Guyot ; lettre d’Alban…. Autant l’une n’étonne pas sous la plume d’un jeune ouvrier jardinier qui a poussé ses études jusqu’au niveau secondaire, autant l’autre se conçoit difficilement comme rédigée par un garçon qui a tôt opté pour une formation d’ajusteur.
25Voilà en tout cas les parents Guyot tenaillés de motifs personnels de souci, ce dont témoignent plusieurs militants et surtout les lettres angoissées qu’ils envoient à leur fils [48][48]Pierre Juquin, notamment, indique l’avoir vu « angoissé » sur…. La tournure des événements politiques en France avec l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle n’avait rien de rassurant, en effet – pas plus que le fait d’imaginer le fils d’un dirigeant communiste important à la merci d’un autre coup de force de militaires ou de paras, ou d’extrémistes pieds-noirs, qui avaient clairement démontré leur caractère « factieux ». Ne risquait-il pas d’être soumis au même traitement que Maurice Audin, Henri Alleg, Alfred Gerson [49][49]Maurice Audin et Henri Alleg étaient l’un militant, l’autre… et tant d’autres militants communistes arrêtés en Algérie l’année précédente – la torture [50][50]H. Alleg, La Question, Paris, Les Éditions de Minuit, 1958., achevée en exécution sommaire pour le premier ?
26Plusieurs des insoumis communistes ont d’ailleurs été maltraités, surtout ceux qui n’ont pas connu les honneurs d’un tribunal militaire. Cinq malheureux ont été expédiés directement, par l’effet d’une sanction de leur régiment, au terrible bagne militaire de Timfouchi, en plein désert du Sahara : Jean Clavel, Voltaire Develey [51][51]Voltaire Develay a également témoigné : Soldat du refus en…, Paul Lefebvre, Lucien Fontenel et Marc Sagnier. Cela leur a sans doute épargné deux années de misère supplémentaires, celles qui furent comptées en plus de leur temps de détention à leurs camarades condamnés, mais ils en sont rentrés la santé et le moral sérieusement délabrés. Lucien Fontenel, notamment, témoignait avoir été à plusieurs reprises sauvagement matraqué et en portait en effet des séquelles [52][52]Témoignage de Claude Depretz, publié dans L’Humanité, 17….
27Ces craintes n’empêchent pas Raymond Guyot de se charger lui-même d’envoyer une seconde lettre de son fils Pierre au président de la République. Transmise nominalement par la mère, pour en augmenter sans doute la charge affective, elle confirme la décision de Pierre après son premier contact avec la réalité coloniale algérienne. Le colonel du 9e régiment de zouaves où est affecté et emprisonné le soldat Guyot à son arrivée à Alger s’emploie cependant à tranquilliser les parents, en ironisant sur le fait qu’il va inciter leur fils, dont ils sont restés sans nouvelles pendant une ou deux semaines, à leur écrire plus souvent, plutôt qu’au président : « Votre fils ne manque de rien et en particulier de papier à lettres » [53][53]Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 70.. Pierre, comme ses camarades, est condamné à deux ans en janvier 1959 [54][54]Un sous-dossier consacré aux démêlés de Pierre Guyot avec…. Cette inquiétude pour la sécurité de leur fils, autant que la débauche d’énergie fournie par Guyot après la campagne référendaire et à l’ouverture de la campagne législative ou dans l’action en faveur des soldats, expliquent aisément l’impression d’épuisement qu’il donne aux militants qui le côtoient alors [55][55]Lorsque par exemple Raymond Guyot s’était rendu à Lyon pour…. Fernande Guyot, la mère de Pierre, elle aussi militante d’un dévouement à toute épreuve, prend sur elle pour vaincre sa timidité et sa réserve et participer à des réunions publiques d’information et de soutien.
28Finalement, on n’a compté que trente-sept « soldats du refus » parmi les jeunes communistes mobilisés. De ceux-là, seuls Guyot et Letoquart étaient des fils de dirigeants de quelque renom, et seuls Liechti et Magnien pouvaient se prévaloir d’une « action de masse » exemplaire – encore ce dernier récuse-t-il la qualification de « soldat du refus ». Citons encore les noms de François Michel, René Boyer, Francis Renda, Jacques Alexandre, Raphaël Grégoire (ce dernier, fils du maire de Montreuil, peut aussi être compté parmi les « fils de »), Jean Vendart, Jean-Marie Samson, Claude Lavie, Claude Voisin, Étienne Boulanger, Jean Dauvergne, Michel Ré, Pierre Michau, Gilbert Bleiveis et Edgar Nehou – la plupart condamnés à la même peine de deux ans entre janvier 1958 et février 1959 [56][56]Jean Clavel, Raphaël Grégoire et Jean Vendart ont témoigné lors….
29En fait, seuls des militants chevronnés et convaincus, avertis des risques encourus et entourés d’un fort réseau de proches également politisés, ont été incités à adopter l’insoumission [57][57]Vanessa Codaccioni publie un autre témoignage à l’appui de…, alors que beaucoup d’adhérents ou de sympathisants, on l’a vu, n’étaient pas même informés de cette possibilité.
30Une certaine publicité fut pourtant accordée, surtout au cas de Pierre Guyot, par la diffusion de tracts de quatre pages imprimées reproduisant sa première lettre au président puis, sous la même forme, d’extraits de ses échanges avec les autorités politiques et militaires et avec ses parents. En janvier 1959 paraît une brochure, préfacée par Jacques Duclos, sous le titre Des jeunes qui servent l’intérêt de la France, avec photos et lettres d’une trentaine de jeunes insoumis communistes [58][58]Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57 et 70 ; la brochure est…. La deuxième partie de l’année 1958 est également marquée au sceau d’un incontestable effort de la petite équipe qui publie et diffuse Soldat de France sous la responsabilité de Guyot, puisque paraissent alors trois nouveaux titres, distribués de façon tout aussi clandestine, dont un spécialement à destination des soldats d’Algérie à partir du mois de juillet, Secteur postal Algérie [59][59]E. Mignot, « Soldat de France et l’intervention du PCF auprès….
31Mais Juliette Liechti, tout comme Fernande Guyot et quelques autres mères ou compagnes, soutenues par la campagne des JC dirigée à Paris par Jean Gajer, entourées de personnalités du Secours rouge ou de Femmes de France, ont beau donner de la voix en animant notamment des meetings locaux en faveur de l’un ou l’autre de ces insoumis, recevoir des lettres de soutien et de félicitation, y compris de quelques sommités du PCF, la quasi-totalité des jeunes communistes partent accomplir leurs deux ans réglementaires [60][60]Entretien avec Jean Gajer, 24 mars 2011 ; AN (Fontainebleau),….
Soutien aux insoumis, mais pas davantage
32À la lecture des documents, en effet, la campagne n’incitait qu’à soutenir les condamnés et non à suivre leur exemple. Henri Martin le justifie par un manque d’enthousiasme de l’opinion : dès 1956, les manifestations de rappelés régressent, « les gars n’y croyaient plus » [61][61]Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009.. Raymond Guyot, avant même le départ de Pierre, envoie en février 1958 au secrétariat du PCF une lettre de rappel au ton fort mesuré :
Chers Camarades,
En ce qui concerne notre travail en direction de la jeunesse, je voudrais vous faire quelques observations et plusieurs propositions. […]
Dans cette situation [en Algérie] il y a lieu de renforcer notre lutte pour mettre la jeunesse aux côtés du peuple, en particulier les soldats et d’une façon plus générale l’armée. Il y a une amélioration dans ce sens de la part de nombreuses organisations du parti [suivent deux exemples seulement].
Il y a lieu de renforcer notre lutte de solidarité à l’égard des soldats et pour la libération des emprisonnés [il détaille l’action de Magnien et signale la condamnation de Letoquart].
Maintenant quelques suggestions :
[…] Veuillez recevoir, chers camarades, mes bien fraternelles salutations [62][62]Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 70, note de Raymond Guyot….
- Il est nécessaire de développer la campagne pour le soutien et la libération des soldats ; de ce point de vue, les décisions du Comité central n’ont pas été pleinement appliquées […]. Il ne semble pas que cette question ait été réellement prise en mains par les camarades qui ont à organiser les tournées de meetings, etc.
- [éditer des tracts]
- En liaison avec le débat parlementaire qui va commencer […] sur les crédits militaires, il est nécessaire d’évoquer la situation des soldats et leur lutte. Il faudrait voir avec le bureau du Groupe.
- Naturellement poursuivre le travail parmi les démobilisés et commencer le travail parmi les conscrits. À notre connaissance deux fédérations [seulement] Paris et Seine-Est réunissent les conscrits pour examiner le travail de masse et le devoir à l’armée.
- Tenant compte du trouble qui a gagné les officiers […] il serait nécessaire de réaliser ce qui a été envisagé avec un ou plusieurs cadres.
34Le moyen utilisé pour s’adresser à une instance où il a habituellement ses entrées, et la forme excessivement convenue, ne permettent-ils pas de soupçonner déjà certaines dissensions ? Le secrétariat ne réagit à ce courrier que le 17 avril 1958, et après septembre, il ne se prononce plus sur l’insoumission.
35Guyot, selon certains, se serait « accroché » plus tard avec certains « membres responsables » dont les fils n’avaient pas agi comme le sien [63][63]Henri Martin ne cite pas de noms ; Jean Gajer, plus explicite,…. Thorez, au moment où Pierre écrit sa lettre au président, le désigne en privé avec quelques autres parmi les « nombreux émules de Liechti », ce qui semble pour le moins manquer d’enthousiasme [64][64]AN (Paris), fonds Thorez, 626 AP 229, transcription de son…. Pourtant, lorsque Serge Magnien, alors emprisonné à Fresnes, décide, en accord avec sa fiancée Brigitte Dresch, de se marier au début du mois de mai 1959 avec l’idée de relancer la campagne contre la guerre, Thorez et Jeannette Vermeersch, comme Jacques Duclos et d’autres sommités du PCF, assistent avec entrain à l’événement, que L’Humanité n’hésite pas à présenter en une, photo à l’appui.
36Le même Duclos, très proche de la famille Magnien, qui semble avoir été avec Guyot un sincère partisan de l’insoumission au bureau politique [65][65]De tous les membres du bureau politique, Duclos, qui n’a pas…, soutient encore vigoureusement Liechti lorsque celui-ci, sa première peine de deux ans purgée mais menacé d’un renvoi en Algérie, réitère son refus par une deuxième lettre au président en mars 1959. Le jour même, Duclos, Guyot, Georges Marchais et quelques autres animent un meeting de masse au Vél’ d’Hiv’ pour rendre compte du 21e congrès du PC de l’URSS auxquels ils étaient délégués. Thorez, Casanova, Waldeck Rochet, Benoît Frachon, le bureau politique presque au complet les entourent à la tribune. Après son exposé qui salue l’édification du communisme dans sa patrie d’Europe de l’Est, Duclos « s’écrie avec émotion » en « exaltant le drame de conscience […] de nombreux jeunes soldats » :
Certain d’exprimer vos sentiments, j’adresse de cette tribune un salut chaleureux à tous ces jeunes qui sont trop nombreux pour que je puisse les citer.
Je veux cependant vous parler de la situation de l’un d’entre eux, Alban Liechti, qui a été emprisonné durant 22 mois pour avoir refusé de faire la guerre d’Algérie.
Soldat à Barcelonnette depuis sa sortie de prison, le gouvernement a décidé de le renvoyer de nouveau en Algérie.
Mais Alban Liechti n’a pas changé d’idée. Nous apprenons à l’instant qu’il a adressé une lettre au chef de l’État pour lui exprimer sa détermination de ne pas faire la guerre au peuple algérien ;
il y a quelques instants, ce jeune soldat a rejoint la caserne de Versailles, accompagné de nombreux amis de toutes tendances, venus le saluer et l’assurer de leur entière solidarité.
Nous aussi, nous nous déclarons solidaires d’Alban Liechti et de tous ses camarades.
Leur exemple nous fait un devoir d’intensifier nos efforts pour imposer la paix en Algérie par la négociation.
38Et le journaliste conclut son encart d’une phrase : « Une rafale d’applaudissements salue ses dernières paroles, et la foule est très émue… » [66][66]L’Humanité, 4 mars 1959, p. 4, encart à côté du discours de… . Une émotion confirmée par les larmes qu’aurait versées un jeune communiste ami de Liechti, présent au meeting mais qui avait été dissuadé, lui, de réitérer son refus [67][67]Entretien avec Alban Liechti, juin 2011..
Le revirement de Thorez
39Les dirigeants du Parti semblent bel et bien partagés. Et fin mai 1959, Thorez décide de constater l’insuccès de l’action.
40Il choisit à cette fin la tribune de la conférence de la fédération de Paris, celle qui fut si longtemps dirigée par Guyot – qui restait membre de son bureau. Julien Lauprêtre, parmi les délégués, croit bien faire en « exaltant », comme Guyot naguère, l’exemple de Liechti et des autres. À la pause, Thorez, toujours soucieux de ménager la susceptibilité de ses camarades, le prévient en aparté qu’il s’apprête à le contredire [68][68]Entretien avec Julien Lauprêtre, avril 2006.. Et en effet, dans son discours de clôture, il commande d’arrêter, rappelant la position léniniste et expliquant qu’il est inutile d’exposer davantage les JC à la répression [69][69]Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009.. Certes, il rend hommage à Liechti et Magnien, mais il omet de citer les autres, Pierre Guyot notamment, et son discours ne peut sonner que comme un pénible désaveu pour son vieux compagnon dont le fils est alors en prison. Le discours du secrétaire général est publié in extenso dans L’Humanité :
Les communistes et l’armée
Je voudrais aussi dire un mot sur une question qui a été controversée, une question assez importante. Il s’agit des problèmes de l’armée.
Le camarade Lauprêtre a dit toutes les raisons de lutter pour la défense des emprisonnés, de tous les emprisonnés, et en particulier des jeunes soldats emprisonnés. Mais je crois qu’une formule erronée, exagérée, s’est glissée dans son intervention, quand il a parlé d’exaltation. Il faut dire que le geste d’Alban Liechti, le geste de Serge Magnien et de leurs camarades est un acte de courage, que le Parti, que le Comité central, apprécient, et avec lequel le Parti a manifesté et continuera à manifester une solidarité active : il continuera à lutter et à demander qu’on lutte pour la libération de ces jeunes.
Mais il est nécessaire de répéter ici ce que nous avons déjà dit au Comité central : cette solidarité ne peut pas mettre en cause l’attitude fondamentale des communistes sur les problèmes de l’armée et de la guerre.
Un camarade a dit justement qu’il est possible et nécessaire de lutter dans l’armée même en Algérie, et il a ajouté qu’on y lutte. C’est une chose absolument vraie.
La tâche principale des communistes est de lutter au sein de l’armée. Le camarade a dit aussi qu’il ne faut pas laisser les jeunes entre les mains des cadres fascistes, de ceux qui mènent l’« action psychologique ». Il avait absolument raison. Mais ne pas laisser nos jeunes soldats dans de telles mains, cela veut dire d’abord être avec eux. Cela veut dire ne pas courir le risque d’isoler les meilleurs.
Sans doute, certains des camarades emprisonnés avaient été soutenus par une action de masse : leur geste n’était pas individuel. Il est exact que Liechti avait vu sa lettre contresignée, approuvée par de nombreux soldats de son unité. Il est exact que Serge Magnien avait été appuyé par une centaine de camarades de sa formation. Mais il reste que nous devons non seulement penser à ces camarades, mais penser à l’ensemble des soldats, et ne pas revenir, c’est notre avis, sur les principes définis par Lénine : le soldat communiste part à toutes les guerres, même à une guerre réactionnaire, pour y poursuivre la lutte contre la guerre. Il travaille là où il est placé. S’il en était autrement, nous aurions une situation telle que nous prendrions position sur des bases purement morales, d’après le caractère de l’action menée par l’armée, au détriment de la liaison avec les masses.
Il faut, comme on l’a dit ici, montrer la signification du geste des soldats qui ont refusé de faire la guerre d’Algérie ; il faut souligner dans tous les cas que cela n’a pas été seulement un geste individuel, mais un geste appuyé, approuvé, soutenu par leurs camarades dans leurs unités. Mais il faut aussi comprendre que les auteurs de ce geste ne sont qu’une infime minorité et que nous ne pouvons pas proposer cet exemple à l’ensemble des soldats, puisque nous savons bien que l’ensemble des soldats ne le suivra pas.
Lutter pour la libération des emprisonnés, c’est une chose. Et mener coûte que coûte le travail communiste à l’armée, c’est une autre chose. Je crois, camarades, cette précision nécessaire pour que chacun voie bien comment nous devons agir dans ce domaine. [70][70]Extrait du discours de Maurice Thorez à la Conférence fédérale…
42Tel journal d’extrême droite exagère sans doute en évoquant une « bataille des chefs communistes », mais évoque un climat délétère pour le moins concevable :
Cette prise de position provoque une émotion considérable dans le Parti communiste. En effet, ces jeunes ont agi sur l’ordre du Parti et ces jeunes sont aujourd’hui en prison. Quelques chefs ont mal pris la chose et notamment Raymond Guyot [qui] a dit ce qu’il en pensait. Raymond Guyot se trouve en pleine disgrâce, mais de nombreux militants du Parti pensent comme lui [71][71]Juvénal, 12 juin 1959, Archives de la Préfecture de Police, G7….
44Confirmant l’impression d’une émotion certaine, « Raymond » prépare dès le soir de ce discours une lettre à « Maurice ». Mais contrairement à ce qu’on en attendrait, il lui exprime sa totale approbation :
Dimanche soir 31 mai 59
Mon cher Maurice,
Je reviens heureux de la Conférence fédérale, bonne conférence et expression d’un excellent état de santé du Parti, et en conclusion de laquelle tu as prononcé un excellent discours qui a porté à fond et a fait un immense plaisir aux militants parisiens. Je suis certain que tu l’as ressenti et malgré le surcroît de fatigue que cela t’a apporté, tu es, j’en suis sûr, content d’avoir suivi cette conférence […]. Tu m’as demandé à l’issue de ton discours ce que je pensais sur la partie concernant l’armée, je t’ai dit que j’étais d’accord, et je le suis profondément. Je voudrais te dire ici comment je vois les choses sur quelques points.
Tout d’abord sur le fond. Il existait une contradiction que nous n’arrivions pas à surmonter. Malgré le nombre limité de cas auxquels nous nous sommes tenus en vue de diffuser ouvertement nos idées par des soldats eux-mêmes, et le soin que nous apportions à la rédaction des lettres au président de la République et à placer ces actes dans le cadre général de notre lutte, une contradiction pouvait effectivement apparaître entre la directive que nous donnions et que nous n’avons jamais cessé de donner à l’ensemble des jeunes communistes conscrits et soldats y compris en Algérie. La façon juste dont tu as posé la question à la fois à l’égard d’Alban Liechti et la portée de son combat et à l’égard de ce qui est la tâche principale et d’ensemble, aidera à surmonter cette contradiction.
Dans l’argumentation que tu as développée, tu t’es référé à Lénine qui indiquait, en lui fixant son devoir, que le communiste part dans une guerre, même réactionnaire. Je t’ai dit d’un mot qu’il serait bien de compléter en indiquant à peu près ceci : pour lutter contre cette guerre avec tout le peuple, pour la paix et la négociation. C’est nécessaire de toute façon. Mais aussi pour que les précisions que nous donnons ne soient pas comprises comme un abandon de la lutte des soldats mais au contraire comme un appel à renforcer le combat au sein de l’armée dans le sens du travail de masse. Je le vois car j’ai entendu des camarades disant qu’il ne fallait plus refuser pour ne plus aller en prison. C’est un peu vrai, mais la tâche juste proposée ne nous donne, c’est évident, aucune garantie.
[…]
Peut-être c’est assez pour ce soir, mais tu comprendras certainement que l’on a parfois besoin de s’ouvrir aux communistes que l’on aime bien.
Bien à toi, R. [72][72]Il ne s’agit là que d’un brouillon manuscrit remis dans les…
46La « contradiction » pointée par Guyot est indéniable. Mais là n’est pas l’essentiel. Tous les jeunes gens qu’il a soutenus, à commencer par son fils, sont certes honorés mais clairement désapprouvés par Thorez. Et lui-même ne rajoute que quelques points de détail sans grande portée, n’évoque pas non plus son fils et n’ergote que sur la confusion entre « l’objection de conscience chrétienne et l’objection de conscience communiste ». Encore se dit-il prêt à se rétracter : « Tu m’excuses, je n’ai pas ton texte mais il m’a semblé que… ». Le plus frappant de ce courrier, plus que son caractère inhabituel, réside dans cette confondante déférence à l’égard de celui dont Guyot était pourtant un des plus anciens compagnons au bureau politique, à qui l’on pourrait s’imaginer qu’il « s’ouvre » avec franchise, voire en l’occurrence un peu de rudesse [73][73]Il est clair, à la lecture du cahier-journal de Thorez, que….
47La réaction de Magnien est moins surprenante. Lui qui a toujours refusé d’être assimilé aux « soldats du refus » écrit de sa cellule une très longue lettre d’approbation et de satisfaction à son secrétaire général, où il récapitule sa situation et explicite ce qui lui semble pouvoir être entrepris dans l’armée en Algérie, en application de la conception léniniste. Il plaint aussi, pour mieux s’en démarquer, « les camarades […] qu’on a fait agir parfois de manière un peu trop précipitée […]. Car il y a eu, et il faut bien l’analyser si l’on veut améliorer notre travail, une manière de course à la statistique [souligné par lui] fin 57, et en 58 encore je crois, à la fédération de Paris des Jeunesses » [74][74]Annexe à l’entretien de Roger Bourderon avec Serge et Brigitte….
48Désormais, plus de doute au bureau politique : « Suggérer aux jeunes soldats qui sont emprisonnés pour avoir refusé de faire la guerre au peuple d’Algérie de ne pas renouveler leur acte », déclare Léon Feix dans son rapport du 3 septembre [75][75]Archives du PCF, BP du 3 septembre 1959.. Pour enfoncer le clou, Thorez réitère sa position l’année suivante, dans un discours à Saint-Denis à l’occasion du quarantième anniversaire du Parti :
Déserter, quitter l’armée, cela signifie laisser la masse des soldats […] aux mains des officiers parfois fascistes, aux mains des ultras […]. Le devoir, c’est de travailler, c’est de faire le travail difficile, le travail pénible, le travail qui exige des sacrifices qui coûtent parfois des années de prison aux jeunes soldats. [76][76]Discours rapporté par P. Durand, Cette mystérieuse Section…
50La trentaine de jeunes communistes qui sont encore en prison pour avoir refusé de servir en Algérie à l’incitation de leur parti ont dû apprécier, s’ils ont eu connaissance de cette déclaration ! Ne sont-ils pas implicitement accusés d’avoir joué la facilité, de s’être détournés du travail militant ?
51Jean Gajer, chargé d’animer la campagne chez les Jeunes communistes parisiens, et en bons termes avec Guyot, se fait l’écho de la désillusion du haut responsable : « Quand la direction a désavoué les refus, j’ai été sommé d’appliquer les nouvelles directives. Je m’en suis ouvert à Guyot. Il m’a dit d’obtempérer » [77][77]Entretien avec Jean Gajer, 24 mars 2011. Marcel Rozental, autre….
Les relégués
52Pour les jeunes communistes mobilisés après cette date, la situation change donc radicalement. Beaucoup ont regretté que leur parti les ait dissuadés de suivre l’exemple de leurs aînés. C’est le cas du Dijonnais Marcel Ianelli (ou Yanelli), né en 1938, parti en février 1960, qui vécut avec horreur et désillusion les opérations militaires et les exactions de ses compagnons d’arme qui s’avilissaient à torturer, violer, exécuter sommairement leurs prisonniers, autant d’abominations qu’il note dans un journal tenu au jour le jour ; il y écrit qu’il aurait préféré, si son parti n’en avait décidé autrement, suivre l’exemple d’insoumission de son frère aîné Jean qui a été détenu plusieurs mois en 1958 : « Chapeau pour son refus de partir en Algérie […]. C’était aussi mon intention, mais au PC, nous avons convenu que maintenant la place des communistes était là-bas » [78][78]M. Yanelli, Mes Carnets d’Algérie, 2005, p. 13,….
53Au même moment, à quelques jours près, Jean Vendart est libéré après ses deux ans de détention, à Nîmes principalement. Pour lui, dit-il, la question ne se pose plus après le discours de Thorez ; il lui restait encore près de deux ans à écouler, il accepta de les faire en Algérie, dont quelques mois à l’hôpital pour blessure, en se rassurant de constater que les soldats étaient de moins en moins enclins à combattre pour une guerre qu’ils sentaient vaine.
54Quelques mois avant lui, Raphaël Grégoire a trouvé un compromis personnel. Condamné « seulement » à dix-huit mois, il est renvoyé en Algérie à la mi-1959. Il s’arrange entre son refus passé et le revirement de son parti : grâce à un capitaine indulgent, il porte son arme déchargée pendant toutes les opérations auxquelles on le fait participer pendant le reste de son temps.
55Les autres soldats communistes encore incarcérés apprécient diversement. Plusieurs, par fidélité, approuvent bon an mal an le revirement et s’efforcent de le justifier en gardant leur confiance – à l’instar de Marc Sagnier, un des détenus de Timfouchi, dont les lettres ont été attentivement dépouillées par l’un de ses camarades de parti. Sa seule réticence, dans ses nombreux courriers, tient en une phrase, écrite le 22 octobre 1959 : « Il est vrai que je m’attendais à ce qu’il y ait beaucoup plus de jeunes qui refusent » [79][79]Bernard Deschamps, citant Marc Sagnier, Agir contre le….
56Au pénitencier agricole de Casabianda, en Corse, Pierre Guyot retrouve Alban Liechti et une dizaine d’autres insoumis communistes [80][80]Il s’agit de Jacques Alexandre, Gilbert Bleiveis, Jean…. L’ambiance de « colonie de vacances » [81][81]Confirmée aussi bien par Pierre Guyot que par Alban Liechti :… n’est pas telle qu’on n’y applique le règlement de façon stricte. Déjà sa mère Fernande s’est vu refuser le droit d’aller à Alger pour assister au procès de son fils [82][82]Entretien avec Fernande Guyot, mai 2002. ; là, Pierre n’est pas autorisé à assister aux obsèques de son grand-père, ni au mariage de sa sœur, malgré les interventions de son père et de Julien Lauprêtre auprès du garde des Sceaux, Edmond Michelet, qui avait promis qu’« un accueil bienveillant [serait] réservé à la requête » [83][83]Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57..
57Mais Guyot père peut faire au moins deux visites à son fils en Corse. Les gardiens briquaient le camp en vue de l’arrivée du sénateur, et sont très nerveux de le voir accompagné d’une petite troupe de militants corses armés de fusils de chasse ! Pour Liechti, ce sont les seules occasions d’avoir quelques échanges avec le responsable aux questions militaires du Parti. Il le trouve plutôt « mal à l’aise », peut-être déçu du revirement touchant les soldats du refus [84][84]Entretiens avec Alban Liechti, avril 2009 et juin 2011.. Mais il s’avère surtout, à la lecture des lettres envoyées par Pierre et un de ses camarades de détention à son père en vue de la première visite, en novembre 1959, que les relations étaient difficiles entre d’un côté Liechti, qui influence la majorité de ses codétenus et de l’autre le jeune Guyot et deux de ses amis :
Pierre Guyot : Papa, […] politiquement la situation reste la même et l’influence d’Alban est très néfaste envers des questions très importantes de la politique du Parti. On essaie de la démolir mais cela est dur car la majorité prend sa défense aveuglément. Vivement que tu viennes pour remettre tout en place. […] Je te quitte. Grosses bises, ton fiston.
Gilbert Bleiveis : Depuis l’arrivée aux Baumettes [prison de Marseille, où ils étaient avant Casabianda] d’Alban Liechti, un climat défavorable au travail est né dans notre groupe. Cette ambiance se cristallise en de nombreuses « prises de bec » à propos de riens. Ainsi deux « clans » existent : d’un côté Pierrot et moi, et depuis peu J.-M. Samson, et de l’autre côté tous les autres camarades. Politiquement tous se sont réunis autour d’Alban qui est en désaccord avec la position du Parti concernant le travail des jeunes communistes à l’armée. Alban a influencé, et continue à influencer les camarades. D’autre part, ceux-ci, sous l’impulsion d’Alban, ont été amenés à critiquer en de nombreuses occasions et devant des non-membres du Parti l’attitude et le travail du Parti dans le domaine de la guerre d’Algérie […]. Le plus regrettable de tout cela est que nous apparaissons désunis. […] Les griefs les plus mesquins sont prétextes à toutes ces « salades ». Nous pensons qu’en définitive Alban et les autres camarades ont saisi cette perche pour cacher les divergences politiques qui nous opposent.
Mon cher Raymond, […], nous attendons ta visite d’un moment à l’autre et nous aimerions que tu sois préparé et non choqué lors de ta visite. Nous tenons à te signaler qu’à deux reprises au cours de réunions nous avons essayé de régler ces affaires, […] mais nous croyons qu’avec tout ce qui s’est passé depuis le début, la situation sera difficile à redresser […]. Amicalement […] [85][85]Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 70..
59La visite de Guyot n’a probablement pas été aussi gratifiante qu’il l’aurait lui-même souhaité, car il fut en somme obligé de soutenir auprès de ces jeunes, qui avaient pris des risques indiscutables et se sentaient maintenant abandonnés, une position qui n’était pas la sienne. Cependant, d’après Liechti, la mésentente n’était pas telle qu’elle empêchait la camaraderie, même si lui ne ménageait pas ses critiques au parti qu’il accusait de les avoir laissé tomber. Guyot père, d’ailleurs, ne lui aurait adressé aucune remontrance et lui aurait très peu parlé, confirmant en cette occasion sa relative indulgence vis-à-vis des opposants à la stricte observance de la ligne, ou plus simplement un abattement compréhensible.
60Tous les soldats insoumis vont « tirer » leurs deux ans de prison en totalité, avec encore deux ans de service militaire à venir, soit quatre années perdues pour Pierre Guyot et la plupart, et six pour Liechti qui s’était insoumis deux fois, une fois sous Coty et une sous de Gaulle, ce qui explique sa présence en Corse parmi de plus jeunes camarades des classes suivantes.
61Cependant après leur libération de prison, en octobre 1959 pour Letoquart, en mai 1960 pour Magnien, en septembre 1960 pour Guyot [86][86]Toutes les libérations sont saluées par L’Humanité, souvent en…, aucun de ces communistes de quelque renommée ne fut renvoyé en Algérie pour terminer son temps de service militaire, ce qui leur évita tout cas de conscience.
62Liechti ne fut libéré qu’en mars 1961 ; lui, comme d’autres auparavant, fut renvoyé pour près d’un an dans le pays encore en guerre ; il réussit aussi à y terminer son service avec un fusil non chargé. Le dernier à être relâché de Casabianda fut Jean-Louis Moritz, qui abandonna ensuite toute activité militante et sombra dans une sorte de clochardisation [87][87]Entretien avec Alban Liechti, avril 2009.. La plupart de ces hommes restèrent déchus de leurs droits civiques, dans une totale indifférence, jusqu’en 1968 ou 1969.
Épilogue
63Après la libération de tous ses militants, le PCF organisa bien une réception en leur honneur au siège du comité central, mais aucune publicité ne fut faite à cette forme de « vin d’honneur » où Waldeck Rochet et Raymond Guyot représentèrent le bureau politique [88][88]Témoignages et photos d’Alban Liechti et Serge Magnien..
64Par la suite, parmi cette quarantaine de jeunes réfractaires communistes, plusieurs se sont détournés de la politique. Mais Alban Liechti, Léandre Letoquart, Pierre Guyot, Claude Despretz, René Boyer, Jean Clavel, Raphaël Grégoire, Étienne Boulanger, Jean Vendart, les frères Ianelli et quelques autres sont restés de fidèles militants du PCF, quoique sans jamais exercer de hautes responsabilités au sein de l’appareil ; Serge Magnien aussi, pendant longtemps, tout en se consacrant davantage à ses travaux d’architecte. Lui prit toujours soin de se démarquer de ses ex-camarades, en récusant pour ce qui le concerne le qualificatif de « soldats du refus » qui les désigne.
65Du fait de leur manque d’homogénéité, de leur déception et de ce que beaucoup ont ressenti comme un lâchage par leur parti, aucune amicale d’anciens insoumis n’a pu se constituer, en dépit des quelques efforts d’Alban Liechti ou de Claude Despretz en ce sens [89][89]Entretien avec Alban Liechti, avril 2009.. Ce dernier écrivit bien à Guyot père en 1964 pour lui proposer « d’organiser un voyage en Algérie [désormais indépendante, sous la présidence de Ben Bella] de tous ceux qui ont été poursuivis ou emprisonnés pour leur lutte en faveur de la paix en Algérie » [90][90]Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57, lettre de Claude…, mais l’initiative ne fut pas suivie d’effet [91][91]Le Festival mondial de la jeunesse de la Fédération mondiale de…. Et Alban Liechti est le seul des anciens « soldats du refus » à venir régulièrement témoigner, toujours d’une façon critique, dans les conférences anniversaires consacrées à cet épisode délicat de l’histoire du PCF [92][92]Il conserve également chez lui une pleine malle d’archives….
66Quant à Raymond Guyot, il ne connut aucune disgrâce, contrairement à l’affirmation des journaux de droite qui faisaient leurs choux gras de ce genre de rumeur. Il continua à superviser le travail militaire du PCF en tant que porte-parole de son parti au Sénat et la diffusion de journaux dénonçant la guerre, jusqu’à la fin de celle d’Algérie et encore très au-delà [93][93]Soldat de France continua à paraître jusqu’en 1969.. Un de ses principaux collaborateurs à la section de politique extérieure, Élie Mignot, revendiqua encore sans restriction, au nom du PCF, « l’acte d’Alban Liechti, Serge Magnien, Pierre Guyot, René Boyer, Léandre Letoquart » et les autres, dans un article polémique daté de septembre 1980 [94][94]É. Mignot, « La politique et l’action du PCF pendant la guerre….
67Pourtant, s’il est avéré que le Parti communiste s’est montré solidaire des soldats issus de ses rangs emprisonnés pour leur insoumission – quoique plusieurs mois après l’action du premier d’entre eux, entreprise en dehors de tout soutien partisan –, ses appels à refuser de participer à la guerre coloniale sont beaucoup plus sujets à caution. Indiscutables chez quelques jeunes cadres comme Julien Lauprêtre ou Jean Gajer, très encouragés par quelques dirigeants au plus haut niveau (Raymond Guyot qui supervise le travail et Jacques Duclos qui le relaie), ils suscitent un engouement plus mitigé de la part de beaucoup d’autres militants actifs, comme Henri Martin, Paul Laurent ou François Hilsum, et d’évidentes réticences chez d’autres membres influents du bureau politique. Au demeurant, l’incitation à l’insoumission n’a touché que quelques militants extrêmement motivés et impliqués, et non la grande masse des sympathisants communistes.
68L’attitude louvoyante de Maurice Thorez est à cet égard déterminante. S’il semble un temps encourager l’insoumission, en justifiant cette entorse au principe léniniste ressassé jusque-là, il ne se prononce jamais publiquement sur le sujet et siffle la fin de la partie au bout de quelques mois. Attendait-il de voir si le mouvement ferait de lui-même tache d’huile, d’abord parmi les jeunes gens politisés puis dans la masse des mobilisés ? A-t-il ensuite craint d’exposer excessivement et inutilement ses jeunes camarades, voire ses propres fils, lorsque les événements de l’année 1958 portèrent au pouvoir un régime dont le Parti s’exagérait le caractère répressif et factieux, avec en Algérie même des risques évidents de soulèvements extrémistes qui auraient pu coûter cher à ceux qui affichaient leur obédience communiste ? L’angoisse des parents Guyot pour leur fils accrédite cette interprétation. Par ailleurs, quitte à passer outre les risques immédiats, l’insoumission ne risquait-elle pas de nuire à l’avenir politique ou citoyen de ces jeunes, surtout aux yeux d’un Thorez qui avait lui-même souffert d’avoir à se justifier de sa désertion de 1939 ? Ce précédent montrait en outre que le Parti communiste, s’il avait ouvertement prôné l’insoumission, aurait été menacé d’interdiction, avec la poursuite pour trahison nationale de ses dirigeants et parlementaires, lesquels avaient déjà eu à affronter ce risque quelques années auparavant [95][95]Une demande de levée de l’immunité parlementaire touchant six…. Ils n’étaient évidemment pas disposés à se lancer dans une telle éprouve de force, alors même qu’avec la victoire électorale de la gauche en janvier 1956 ils avaient un temps espéré réitérer l’union de la Libération, tandis qu’une fois de Gaulle revenu au pouvoir ils se trouvaient notoirement affaiblis et acculés à la défensive. Cependant, à l’inverse, Vanessa Codaccioni ne manque pas de signaler que le discours de Thorez qui marque son revirement, en mai 1959, intervient juste après un redressement rassurant des positions électorales du PCF. Les relatifs succès aux municipales de mars puis aux sénatoriales d’avril pouvaient justifier que les dirigeants communistes cherchent à « réinvestir l’arène publique légaliste » [96][96]V. Codaccioni, Punir les opposants, op. cit., p. 292., en vue peut-être, à terme, d’une nouvelle alliance avec la gauche non communiste.
69Quelles que soient cependant les motivations stratégiques ou tactiques du groupe dirigeant, ou ses désaccords internes, à lire ou entendre les témoignages et réactions des militants de l’époque, ou des hommes âgés qu’ils sont devenus, on peut penser qu’ils auraient certainement été bien plus qu’une petite quarantaine à accepter d’affronter les dangers de l’insoumission pour se conformer à leur refus de combattre dans le mauvais camp d’une guerre honnie, si leur parti les y avait résolument encouragés.
Notes
- [1]
T. Quemeneur, « Une guerre sans ‘non’ ? Insoumission, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie », thèse de doctorat d’histoire, Université Paris 8, 2007.
- [2]
Secrétaire général de l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF) puis du Mouvement de la jeunesse communiste de France (MJCF) de 1955 à 1962, membre du bureau politique du PCF de 1964 à sa mort en 1990.
- [3]
Secrétaire général du MJCF de 1965 à 1970.
- [4]
Emprisonné de mars 1950 à août 1953, Henri Martin fut alors l’objet d’une très active campagne de soutien du PCF.
- [5]
Notes personnelles prises au cours de la soirée.
- [6]
C’est le cas notamment de Serge Magnien, militant et cadre étudiant déjà éprouvé à l’époque, qui fut l’un des soldats communistes les plus médiatisés à partir de 1957 (témoignage de l’intéressé, juin 2011).
- [7]
Alban Liechti a témoigné de son expérience dans un livre, Le Refus, Pantin, Le Temps des Cerises, 2005.
- [8]
Lui aussi membre du bureau politique et responsable de la « section coloniale » du PCF.
- [9]
M. Giovaninetti, « Cinquante ans au cœur du système communiste : Raymond Guyot, un dirigeant du PCF », thèse de doctorat d’histoire, Université Paris 13, 2009.
- [10]
Archives du PCF déposées aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, fonds Raymond Guyot, 283 J 1 à 81.
- [11]
Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57 : y sont conservés trois cahiers où sont collés tous les articles de la rubrique « Le Coin du Soldat » de L’Humanité entre 1955 et 1960.
- [12]
M. Chervel (et un collectif d’anciens officiers), De la Résistance aux guerres coloniales : des officiers républicains témoignent, Paris, L’Harmattan, 2001 ; I. Sommier et J. Brugié, Officier et communiste dans les guerres coloniales, Paris, Flammarion, 2005.
- [13]
Entretien avec Julien Lauprêtre, avril 2006 ; C. Grenier, « La protestation des rappelés en 1955, un mouvement d’indiscipline dans la guerre d’Algérie », Le Mouvement social, n° 218, 2007, p. 45-61.
- [14]
T. Quemeneur, « Réfractaires français dans la guerre d’Algérie (1954-1962). Refus d’obéissance, insoumissions, désertions », in J.-C. Jauffret et M. Vaïsse (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001, p. 118 ; Raphaëlle Branche, L’embuscade de Palestro. Algérie 1956, Paris, Armand Colin, 2010.
- [15]
L’UJRF remplace les Jeunesses communistes de 1945 à 1956.
- [16]
A. Brodiez, Le Secours populaire français, 1945-2000 : du communisme à l’humanitaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2006.
- [17]
Julien Lauprêtre est, aujourd’hui encore, président de l’organisation humanitaire. En octobre 1955, notamment, il a joué un rôle déterminant dans la mutinerie de la caserne Richepanse à Rouen (entretien avec Julien Lauprêtre, avril 2006).
- [18]
Entretien avec Alban Liechti, juin 2011.
- [19]
C. Vinci, Les Portes de Fer. ‘Ma’ guerre d’Algérie et ‘ma’ désertion, Pantin, Le Temps des cerises, 2003. Vinci ne devait être réintégré au PCF qu’en 1962. Notons que l’armée française, peu regardante dans son cas, ni ne le rechercha, ni ne le poursuivit. Louis Orhant fut au contraire arrêté à Paris en 1961 et condamné à deux ans de prison, après avoir participé à la fondation de l’organisation d’insoumis Jeune Résistance (T. Quemeneur, « Une guerre sans ‘non’… », op. cit., p. 121).
- [20]
Henri Martin, entretiens de novembre 2003 et d’avril 2009 ; il y affirme que les trois hommes étaient d’accord sur cette position. Pierre Guyot (entretien de novembre 2002) considère au contraire que Paul Laurent était hostile à l’insoumission. Il est certain, et Alban Liechti le confirme (entretien de juin 2011), que les dirigeants communistes étaient divisés sur la question ; des désaccords, comme toujours au PCF, exprimés mezzo voce, et tus dès que le secrétaire général a exprimé son avis.
- [21]
T. Quemeneur, « Ils ont dit ‘non’ à la guerre sans nom », article en ligne, http://www.ldh-toulon.net, 2008, consulté le 5 mars 2015.
- [22]
Vanessa Codaccioni souligne cette concomitance des évolutions du PCF dans le livre tiré de sa thèse de science politique, Punir les opposants. PCF et procès politiques, 1947-1962, Paris, CNRS Éditions, 2013, p. 281.
- [23]
R. Guyot, « Nouvel An du Soldat », L’Humanité, 31 décembre 1956. Liechti lui-même indique que la première référence à son cas paraît dans l’édition du 15 novembre 1956.
- [24]
Située à l’emplacement de l’actuelle Maison des sciences de l’homme, boulevard Raspail, Paris vie.
- [25]
Marc Giovaninetti, « Cinquante ans au cœur du système communiste… », op. cit.
- [26]
Archives du PCF, bureau politique (BP) du 9 avril 1957.
- [27]
L’Humanité, 24 avril 1957, p. 6 ; Ibid., 9 mars 1957.
- [28]
A. Brodiez, « Le Secours populaire dans la guerre d’Algérie. Mobilisation communiste et tournant identitaire d’une organisation de masse », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 90, 2006, p. 47-59.
- [29]
Entretien avec Alban Liechti, juin 2011.
- [30]
Jean Clavel, intervention publiée dans les actes du cycle de conférences-débats de l’université populaire de Montreuil, novembre 2009, Les soldats du refus pendant la guerre d’Algérie. Appelés réfractaires et journalistes combattants, Noisy-le-Sec, Éditions de l’Épervier, 2012.
- [31]
Sur Despretz, Letoquart et Clavel, voir leur notice biographique dans Le Maitron. Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social. De 1940 à mai 1968 (en ligne) ; sur les mêmes et sur Lauransot, nous nous référons aux témoignage et archives personnelles d’Alban Liechti. Ces insoumis sont également mentionnés dans leurs thèses respectives par Tramor Quemeneur et Vanessa Codaccioni.
- [32]
Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009.
- [33]
L’un d’eux, Jean-Claude Faipeur, a écrit un livre de témoignage, Crime de fidélité. Speidel, l’affront fait à la France (1957-1958), Cause de Clérans, J.-C. Faipeur, 2008. Parmi sa vingtaine de camarades, citons encore Claude Marty, Guy Fauré, Claude Sourdeau, Daniel Sissou, Bernard Alpert et Henri-Gratien Samson.
- [34]
Archives du PCF, enregistrements sonores des sessions du comité central (CC), 1 AV/ 7063, CC d’Ivry, 16-17 septembre 1957.
- [35]
Ibid.
- [36]
Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009 ; Archives du PCF, secrétariat du 20 septembre 1957 ; Axelle Brodiez ne date le début de la campagne du PCF en faveur des insoumis que de janvier 1958, « Le Secours populaire dans la guerre d’Algérie… », art. cité.
- [37]
Témoignages et archives personnelles d’Alban et Yolande Liechti.
- [38]
Entretien avec Serge Magnien, juin 2011 ; R. Bourderon, « Entretien avec Serge et Brigitte Magnien », Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 50, hiver 1992-1993, p. 33-56.
- [39]
V. Codaccioni, Punir les opposants, op. cit., p. 281.
- [40]
Archives du PCF, secrétariats du 17 avril, décision 10, et du 26 avril 1958, décision 8. Gaston Viens, alors secrétaire général de l’Union de la Jeunesse agricole et rurale de France (UJARF), ancien membre du secrétariat du CC, futur maire d’Orly et président du conseil général du Val-de-Marne, ne conserve pas de souvenir de cette commission, dont on peut penser qu’elle ne s’est pas montrée très active (entretien de juin 2012).
- [41]
Archives du PCF, BP du 5 août 1958, décision 6.
- [42]
Entretien avec Pierre Guyot, novembre 2002.
- [43]
Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009. Henri Martin a également publié des mémoires : Quelques souvenirs du siècle passé, Pantin, Le Temps des cerises, 2009.
- [44]
Entretien avec Henri Alleg, février 2006.
- [45]
Entretien avec Pierre Guyot, novembre 2002. Henri Alleg, Henri Martin, Julien Lauprêtre et Alban Liechti se prononcent diversement sur l’autonomie de la décision de Pierre lors de leurs entretiens respectifs ; il est certain qu’elle s’inscrivait parmi d’autres du même type.
- [46]
Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 81, lettre de Guyot à Thorez, 31 mai 1959.
- [47]
Tract reproduisant la lettre de Pierre Guyot ; lettre d’Alban Liechti dans son livre, Le Refus, op. cit.
- [48]
Pierre Juquin, notamment, indique l’avoir vu « angoissé » sur le sort de son fils (entretien de novembre 2005) ; Jean Piel l’a vu « blêmir », à la fin d’une réunion en petit comité d’étudiants dans le bureau de Guyot, quand Philippe Robrieux lui demanda des nouvelles de son fils (entretien de novembre 2006). Voir Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 70, pour les lettres échangées à l’intérieur de la famille et celles de soutien reçues de l’extérieur, toutes remises par Fernande Guyot après le décès de son mari.
- [49]
Maurice Audin et Henri Alleg étaient l’un militant, l’autre dirigeant du Parti communiste algérien (PCA) ; Alfred Gerson, militant du PCF et membre de l’équipe qui faisait paraître Soldat de France, avait été envoyé en Algérie en juillet 1955, sous la supervision de Léon Feix, pour aider à la parution d’un journal clandestin du PCA en direction des militaires français. Il fut arrêté en mars 1957, torturé, jugé et condamné à 18 mois de prison sans que son rôle précis ait été démontré au cours de la procédure (entretien de février 2008, témoignage dans plusieurs revues et ouvrages).
- [50]
H. Alleg, La Question, Paris, Les Éditions de Minuit, 1958.
- [51]
Voltaire Develay a également témoigné : Soldat du refus en Algérie, de la citadelle de Lille au bagne de Timfouchi, Association raismoise de la culture, 2004.
- [52]
Témoignage de Claude Depretz, publié dans L’Humanité, 17 novembre 2000. Lucien Fontenel était alors décédé.
- [53]
Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 70.
- [54]
Un sous-dossier consacré aux démêlés de Pierre Guyot avec l’armée et la justice, constitué d’articles de presse et de rapports de police (il contient aussi des comptes rendus de conférences où Fernande Guyot s’exprime sur son fils), est inclus dans le « dossier individuel de Raymond Guyot » aux Archives nationales (Fontainebleau), 19890464, article n° 1, dossier 446. De nombreuses lettres échangées entre militants et proches, ou avec les autorités, sont conservées : Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57 et 283 J 70.
- [55]
Lorsque par exemple Raymond Guyot s’était rendu à Lyon pour représenter le BP aux obsèques de Jean Cagne (témoignage de Roger Pestourie, octobre 2003).
- [56]
Jean Clavel, Raphaël Grégoire et Jean Vendart ont témoigné lors d’une table ronde dont rend compte L’Humanité du 2 mars 2012 (avec Alfred Gerson et François Hilsum, pour les deux premiers) ; et avec Henri Alleg, Alban et Yolande Liechti, Alfred Gerson et William Sportisse, dans l’ouvrage collectif Les Soldats du refus pendant la guerre d’Algérie, op. cit. ; Michel Ré a apporté son témoignage dans le livre d’Hélène Bracco, Pour avoir dit non, Actes de refus dans la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, Paris-Méditerranée, 2003, et dans Id., « Michel Ré. Soldat du refus », Gavroche, n° 160, 2009, p. 12-21.
- [57]
Vanessa Codaccioni publie un autre témoignage à l’appui de cette sélection opérée par les cadres du PCF dans Punir les opposants, op. cit., p. 285-286.
- [58]
Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57 et 70 ; la brochure est prévue par le BP le 2 septembre 1958 (décision 3) et sort donc avec un retard certain. C’est la dernière décision du secrétariat ou du BP concernant le soutien aux soldats insoumis.
- [59]
E. Mignot, « Soldat de France et l’intervention du PCF auprès des soldats du contingent », Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 8, 1982, p. 49-62. Des collections assez complètes de ces journaux sont conservées dans le fonds Guyot, 283 J 57.
- [60]
Entretien avec Jean Gajer, 24 mars 2011 ; AN (Fontainebleau), 19890464, article n° 1, dossier 446, rapport du 6 février 1959 annonçant un meeting à Saint-Nazaire pour le 11 avec Mme Fernande Guyot ; discours de Mme Guyot à ce meeting, fonds Guyot, 283 J 83 ; lettres très affectueuses de Gilberte Duclos, de Juliette et Gaston Plissonnier, fonds Guyot, 283 J 70 ; Archives de la Préfecture de Police, BA 2294, tract appelant à un meeting rue Ordener à Paris le 29 janvier 1958 avec Raymond Guyot, Jean Gajer et d’autres orateurs ; J.-Cl. Faipeur signale également plusieurs meetings dirigés par Guyot pour les fils de fusillés, Crime de fidélité…, op. cit., p. 31 et 81.
- [61]
Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009.
- [62]
Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 70, note de Raymond Guyot au secrétariat du Parti, 25 février 1958.
- [63]
Henri Martin ne cite pas de noms ; Jean Gajer, plus explicite, cite ceux de Thorez et de Rochet. Jean et Paul Thorez, nés en 1936 et 1940, étaient sursitaires car étudiants ; Paul ne fit son service qu’en 1964. Serge Rochet, né en 1935, fut réformé, mais Guy Rochet, de la classe 1956, mobilisé de décembre 1956 à janvier 1959, d’abord anonyme en Allemagne, fut envoyé en Algérie quand sa filiation fut révélée. Il y resta, servant dans les transmissions sans être trop inquiété, pendant toute l’année 1958. Son éventuelle insoumission ne fut jamais discutée, ni avec son père ni avec d’autres (précisions fournies par Guy Rochet, septembre 2012).
- [64]
AN (Paris), fonds Thorez, 626 AP 229, transcription de son troisième cahier-journal, le 8 septembre 1958, p. 119.
- [65]
De tous les membres du bureau politique, Duclos, qui n’a pas d’enfant, est le seul à avoir manifesté soutien et félicitations au couple Guyot, par l’intermédiaire de sa femme Gilberte (Archives du PCF, 283 J 70).
- [66]
L’Humanité, 4 mars 1959, p. 4, encart à côté du discours de Duclos « Le salut du Vél’ d’Hiv’ aux bâtisseurs du communisme ».
- [67]
Entretien avec Alban Liechti, juin 2011.
- [68]
Entretien avec Julien Lauprêtre, avril 2006.
- [69]
Entretiens avec Henri Martin, novembre 2003 et avril 2009.
- [70]
Extrait du discours de Maurice Thorez à la Conférence fédérale de Paris, L’Humanité, 3 juin 1959.
- [71]
Juvénal, 12 juin 1959, Archives de la Préfecture de Police, G7 53.112.
- [72]
Il ne s’agit là que d’un brouillon manuscrit remis dans les archives complémentaires du fonds Guyot des Archives du PCF par son secrétaire Georges Cukierman, 283 J 81.
- [73]
Il est clair, à la lecture du cahier-journal de Thorez, que Guyot ne compte plus parmi ses proches à ce moment-là, au contraire de Casanova, Duclos, Servin ou Cogniot (Archives nationales, 626 AP 229).
- [74]
Annexe à l’entretien de Roger Bourderon avec Serge et Brigitte Magnien, Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 50, hiver 1992-1993, p. 73-83.
- [75]
Archives du PCF, BP du 3 septembre 1959.
- [76]
Discours rapporté par P. Durand, Cette mystérieuse Section coloniale. Le PCF et les colonies (1920-1962), Paris, Messidor, 1986, p. 296-297.
- [77]
Entretien avec Jean Gajer, 24 mars 2011. Marcel Rozental, autre militant communiste, témoigne aussi du désappointement des parents Guyot désavoués, entretien de mars 2004.
- [78]
M. Yanelli, Mes Carnets d’Algérie, 2005, p. 13, http://www.youscribe.com/catalogue/livres/savoirs/sciences-humaines-et-sociales/mes-carnets-d-algerie-614389, consulté le 5 mars 2015.
- [79]
Bernard Deschamps, citant Marc Sagnier, Agir contre le colonialisme aujourd’hui, Association des Combattants de la cause anticoloniale, 2006, http://www.acca.free.fr/soldats_refus.html, consulté le 5 mars 2015.
- [80]
Il s’agit de Jacques Alexandre, Gilbert Bleiveis, Jean Dauvergne, Pierre Michau, François Michel, Jean-Louis Moritz, Edgar Nehou, Michel Ré, Francis Renda et Jean-Marie Samson.
- [81]
Confirmée aussi bien par Pierre Guyot que par Alban Liechti : pas de barrières, la plage…
- [82]
Entretien avec Fernande Guyot, mai 2002.
- [83]
Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57.
- [84]
Entretiens avec Alban Liechti, avril 2009 et juin 2011.
- [85]
Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 70.
- [86]
Toutes les libérations sont saluées par L’Humanité, souvent en première page, par exemple celle d’Edgar Nehou le 5 octobre 1960.
- [87]
Entretien avec Alban Liechti, avril 2009.
- [88]
Témoignages et photos d’Alban Liechti et Serge Magnien.
- [89]
Entretien avec Alban Liechti, avril 2009.
- [90]
Archives du PCF, fonds Guyot, 283 J 57, lettre de Claude Despretz à Raymond Guyot, 5 janvier 1964.
- [91]
Le Festival mondial de la jeunesse de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, dont les précédentes manifestations s’étaient essentiellement tenues dans des capitales est-européennes (et à Vienne et Helsinki, pour les dernières), était prévu à Alger pour l’été 1965, mais il fut annulé à cause du coup d’État de Boumédiène au mois de juin.
- [92]
Il conserve également chez lui une pleine malle d’archives relatives à cet épisode important de sa vie militante.
- [93]
Soldat de France continua à paraître jusqu’en 1969.
- [94]
- É. Mignot, « La politique et l’action du PCF pendant la guerre d’Algérie », Cahiers du communisme, n° 9, 1980, p. 101.
- [95]
Une demande de levée de l’immunité parlementaire touchant six d’entre eux, Duclos, Fajon, Billoux, Guyot, Marty et Feix, avait été déposée en octobre 1952, pour n’être finalement rejetée par la majorité de l’Assemblée nationale qu’en novembre 1953.
- [96]
V. Codaccioni, Punir les opposants, op. cit., p. 292.
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