L’historien Fabrice Riceputi est le fondateur et le co-animateur, avec Malika Rahal, du site 1000autres.org, autour des disparus de la « Bataille d’Alger ». Pour son premier article dans Textures du temps, il propose une réflexion autour de deux photographies, rares, représentant la torture d’un prisonnier aux mains de l’armée française durant la Guerre d’Indépendance.
Dans le silence des salles de lecture de centres d’archives, il arrive qu’une découverte fasse entendre une exclamation de surprise, voire un bref sanglot vite retenu, signalant l’émotion incontrôlée d’un lecteur chez qui, sans prévenir, le mort a saisi le vif.
Les deux photographies en noir et blanc reproduites ici ont été prises en Algérie en 1957. Elles sont de cette sorte d’archive dont l’effet de réel historique est si glaçant qu’elles poursuivent longtemps qui les a vues surgir d’un carton sans crier gare.
PHOTO A
On peut lire aujourd’hui de très nombreuses descriptions de la torture perpétrée par l’armée française durant la Guerre d’indépendance algérienne. Mais on ne la voit que très rarement comme c’est le cas sur ces images. De plus, alors que les archives de l’État français relatives à cette pratique sont essentiellement des archives de la dissimulation et du mensonge,1 l’ existence dans des archives publiques de telles preuves directes par l’image de la torture est une d’une incongruité sidérante.
Ces photos sont donc des sources historiques précieuses et leur histoire, depuis leur production en 1957 jusqu’à nos jours, bien que passablement lacunaire et tortueuse, nous a paru mériter d’être retracée et questionnée.
1. Photographie interdite
Dans le corpus des photos prises durant la guerre et ayant été publiées, les images montrant des scènes de torture à proprement parler, quelle qu’en soit l’origine, sont en petit nombre. Comme l’a montré l’historienne Marie Chominot, l’armée française exerça très vite un strict contrôle sur la production et la diffusion des images des « évènements », s’octroyant un monopole qui empêcha notamment l’activité de photographes et de cinéastes non agréés par elle. Elle interdit même l’exportation d’images sur la guerre hors d’Algérie dès la fin de 1957.2 Si la France mena une guerre d’images, ce fut sans images de la guerre telle qu’elle-même la menait réellement, a fortiori sans images de la torture.3 Preuve de l’efficacité de ce verrouillage, la campagne menée en métropole à partir de 1957 contre une « sale guerre » fut largement privée de cette arme de l’image qui se révélerait si efficace plus tard et ailleurs, notamment pour les opposants à celle du Viet-Nam.4
Un certain nombre de photos montrant des humiliations et brutalités, voire des atrocités et des cadavres d’Algériens torturés ou exécutés sommairement, sont pourtant connues. Certains appelés déjouèrent en effet l’interdiction de photographier les réalités honteuses pour la France, destinant leurs images à un usage privé. Dans l’esprit de ceux qui les prirent et les montrèrent, le propos n’était pas toujours de dénoncer ce qu’elles montraient, mais parfois bien plutôt de revendiquer fièrement la domination exercée sur le corps d’un ennemi racisé et déshumanisé par la situation de guerre coloniale. L’armée ne diffusait-elle pas elle-même des images mettant en scène l’écrasement des « rebelles », montrant des alignements de cadavres tués au combat ?5 Il n’est guère surprenant dans ces conditions qu’en dehors du cadre officiel aient été prises, comme des trophées de guerre privés, des images exhibant les mauvais traitements en principe proscrits mais fréquemment infligés aux détenus et prisonniers algériens, ainsi que des mises en scènes exhibant des cadavres et servant à valoriser l’action des soldats. À l’origine, ces photos n’étaient pas destinées à la publication ; quelques unes furent toutefois détournées pour servir à la dénonciation des pratiques qu’elles illustraient. La couverture de La torture dans la République (1972) de Pierre Vidal-Naquet fut par exemple illustrée par ce type d’image.6 Parmi les clichés que le journaliste Jacques Duquesne se vit confier par des appelés en 1960 et qu’il ne publia qu’en 2012, certains relevaient clairement de cette catégorie de photos-trophées.7 D’autres, transgressant un interdit plus grand encore concernant une pratique elle-aussi massive, purent circuler sous le manteau : Jacques Inrep, alors infirmier dans un hôpital psychiatrique, raconte un homme qui, dans les années 1960, exhibait des « photos pornos » : il s’agissait en fait, nous dit-il, de stupéfiantes images de viols de femmes algériennes par des militaires, rapportées d’Algérie par cet ancien appelé.8
Il reste que bien peu de ces images connues exhibant des atrocités représentent l’interrogatoire sous la torture proprement dit. Celles que prit le photographe professionnel Jean-Philippe Charbonnier en Kabylie à l’automne de 1956 constituent une exception notable : on y voit des appelés et un officier suppliciant un Algérien suspendu à une barre par les pieds et les mains. Mais il s’agit là encore de trophées, réalisés à la demande des tortionnaires eux-mêmes, selon Charbonnier qui en interdit la publication avant sa mort.9
2. Des images pour témoigner10
Comme nous allons le voir, l’identité de l’auteur et les conditions de production exactes des ces deux photos ne nous sont pas connues. Mais leur intention est claire. Montrant, comme la photo-trophée, une domination extrême sur le corps de l’ennemi algérien, elles sont toutefois aux antipodes : ici, pas de mise en scène, pas plus que d’intention d’exhiber complaisamment l’atrocité. Elles sont prises parce que leur auteur réprouve une pratique à laquelle il ne participe vraisemblablement pas, tout au moins directement, et qu’il veut dénoncer, n’hésitant pas à prendre un risque important en prenant ces photos, mais aussi en les transmettant pour les faire voir.
Le mur qui cache sur les deux clichés une grande partie de la scène fait partie intégrante du témoignage et ajoute, si l’on peut dire, à leur effet de réel historique : aujourd’hui, ces photos nous parlent non seulement de la torture, mais de l’acte transgressif et périlleux d’essayer alors de la faire voir au delà d’un mur. Ce mur incarne— à nos yeux informés par l’historiographie — celui, symbolique, du secret et de l’arbitraire derrière lequel disparurent corps et âmes et par milliers les Algériens considérés comme suspects.
Si pour les appelés parler de la torture était « un acte difficile et risqué »,11 la photographier pour en témoigner hors d’un cercle privé l’était encore davantage. Cet acte nécessitait une préparation et des précautions pour ne pas se faire prendre, pendant l’acte mais aussi après lui. L’appelé Jacques Inrep, qui photographia, quant à lui, des documents secrets attestant de l’existence d’ordres de torturer, raconte ainsi comment il procéda :
« J’envisageais de photographier les documents […]. Mon choix se porta sur l’achat d’un Foca-Sport II. […] Fin juillet, après avoir acheté plusieurs pellicules noir et blanc, j’étais prêt. […] Je pris la décision d’opérer un dimanche après-midi, seul moment de la semaine où je pensais pouvoir rester seul dans le baraquement sans éveiller l’attention […]. Avant de photographier les documents secrets, j’avais prévu l’endroit où je camouflerais les pellicules.12 »
Comme celles de Jacques Inrep, ces photos résultent d’un acte de désobéissance réfléchi et calculé, certainement pas d’une découverte faite par hasard. Les lieux de torture étaient dissimulés autant que possible, mais leur existence n’était pas ignorée aux alentours immédiats par ceux qui n’y avaient pas part. Les cris et hurlements les signalaient, très souvent entendus par les appelés cantonnés à proximité et par les habitants éventuels. Ainsi, l’appelé Lechiguerro et ses camarades entendaient nettement des cris de suppliciés qui provenaient de caves sous la salle de spectacle de la caserne du 19e Génie d’ Alger, à Hussein Dey. Il parvint à se faire décrire « l’équipement » ce centre de torture très actif tenu par des parachutistes.13 Stanislas Hutin rapporte que la « gégène faisait vraiment hurler les gens ». Il entendit toute une nuit les hurlements d’un berger de quatorze ans torturé sous une tente.14
Ici, la torture a lieu dans un espace à ciel ouvert, vraisemblablement une cour intérieure. Il apparait que l’auteur anonyme des deux photos se rendit par deux fois au moins sur un lieu le surplombant repéré à l’avance. En effet, les deux clichés sont pris sous deux angles légèrement différents mais exactement du même endroit, comme le montre leur superposition. Ils sont pris à deux moments distincts, les changements intervenus le prouvent : méthodes de suspension du torturé différentes, changement dans les éléments du décor et lumière elle-aussi différente. L’une est prise aux alentours de midi, sous un soleil au zénith, l’autre, beaucoup plus ombrée, le matin ou en fin d’après-midi. Rien n’indique qu’elles soient prises le même jour, ni que ce soit le même prisonnier.
L’examen de la photo B montre que le sol de la cour intérieure se trouve environ 2, 5 mètres plus bas que le rebord du mur, auquel l’objectif du photographe est presque collé.15 Pour parvenir à voir la scène de torture, le photographe est monté sur un toit en terrasse immédiatement adjacent et s’est accroupi ou couché derrière un parapet pour prendre ses clichés. Ou bien il a, par un moyen quelconque, hissé très haut son appareil au dessus d’un simple mur bordant la cour.
Quoiqu’il en soit, pour voir et nous faire voir au delà du mur, il a dû prendre garde à ne pas être vu. Sur l’une des deux photos, ce risque a été plus grand : l’objectif a été hissé plus haut. La présence dans la cour d’autres personnes, donc de tortionnaires, ne peut être écartée. Elle supposerait l’usage d’un appareil à obturateur très peu bruyant tel qu’il en existe en 1957.
C’est une scène de torture ordinaire en 1957 en Algérie qui est photographiée, dans un lieu dédié au moins provisoirement à cet usage, comme beaucoup d’autres. Cet espace peut se trouver à l’intérieur d’une enceinte militaire ou encore d’une de ces fermes coloniales qui servirent souvent de lieux de détention et d’interrogatoire.
Dans l’angle gauche de cette cour nous voyons, sur les deux photos, un homme suspendu, très près d’une porte. Le point d’attache supérieur des cordes, qui pourrait être une poulie permettant de hisser le corps, est hors cadre. Sur la photo A, la partie supérieure du corps est bien visible. Il est pendu à une corde par les bras. Eux-mêmes sont pliés et attachés dans le dos par deux entraves enserrant les avant-bras. On peut distinguer le bas du corps du torturé, bien qu’il soit confondu dans l’ombre avec les planches de la porte. Celui-ci est pendant, à quelques centimètres au dessus du sol. Et l’homme est entièrement nu : on distingue une zone sombre au niveau de son pubis.
Sont également visibles des signes d’un certain savoir-faire tortionnaire, comme en mettaient en œuvre certains militaires, soldats et gendarmes, de même que la police d’Algérie :16 un dispositif complexe de nœuds, de liens et d’entraves, une pièce de tissu couvrant bras et dos ; un double crochet métallique, dont l’extrémité, masquée par un gant de toilette ou une chaussette en laine suspendu au fil à linge, est très proche du bras gauche ; un tuyau à eau enroulé sur le mur de gauche, ainsi que sur le mur de droite un objet accroché qui semble être un casque ou un récipient. Sur la photo B, la technique employée n’est pas exactement la même. Nous ne voyons, outre les bras retournés, qu’une partie d’un dos, vivement éclairée et probablement brûlée par le soleil. Et l’homme est toujours suspendu dans la même position, mais cette fois par les poignets et par deux cordes. S’agit-il du même homme ? Impossible de le dire. Le fait que le premier ait la tête dressée, peut-être sous l’effet de la douleur, indique qu’il est vivant et conscient. Sur la seconde photo, sa tête est pendante. Il peut être endormi, inconscient ou mort. La seconde photo peut être vue comme un moment plus avancé de la torture : les membres sont d’avantage étirés, l’élongation est plus grande, les dégâts physiques semblent plus grands.
La torture par pendaison ou suspension prolongée, éventuellement en plein soleil, est une méthode de torture classique, de celles qui furent privilégiées parce qu’elles laissent peu de marques visibles à l’œil nu sur le corps du torturé. L’historienne Claire Mauss-Copeaux confirme qu’elle était un supplice banal : celui qui a été par exemple « subi par [son] interlocutrice Hadjira, à la ferme Ameziane à Constantine en 1958.17 » Souvent mentionnée en effet durant la guerre d’Algérie, la technique utilisée sur la photo A a été massivement utilisée plus tard et sur d’autres théâtres de répression et elle est aujourd’hui répertoriée dans le Protocole d’Istanbul sous le nom de « suspension palestinienne » par les médecins spécialistes des soins aux torturés.18 Le croquis illustrant cette technique dans ce protocole correspond point par point à ce que montre la photo A. Ce traité thérapeutique indique qu’elle provoque de graves atteintes du système musculo-squelettique, notamment aux articulations des épaules et au plexus.19 S’en suit au plan psychique, selon Françoise Sironi, un trauma particulier, induisant culpabilité et auto-destruction, du fait d’un sentiment de s’être longuement auto-torturé car les blessures sont causées par le poids de son propre corps et de ses propres organes.20
La pendaison par les bras ou les poignets est assez souvent mentionnée, dans les plaintes pour torture et dans les témoignages provenant d’Algérie, comme étant couplée ou alternée avec les coups et blessures divers, les décharges électriques ou l’ingestion forcée de liquides. La présence d’un tuyau et du double crochet métallique laisse supposer que c’est aussi le cas dans ce lieu de torture.
3. Dans le coffre-fort de la commission
Le négatif de ces photos pour le moins éloquentes fut envoyé, sans doute au printemps de 1957, à Robert Delavignette, alors membre de la Commission de Sauvegarde des Droits et Libertés Individuels instituée par Guy Mollet le 10 mai de la même année, officiellement pour enquêter sur les exactions commises en Algérie. Destinées à témoigner et alerter en métropole, elles n’atteignirent cependant jamais leur but. Essayons de comprendre pourquoi.
Le gouvernement de Guy Mollet est, au printemps 1957, l’objet depuis plusieurs mois de nombreuses accusations de torturer en Algérie comme jadis la Gestapo en France, selon une comparaison devenue courante dans une partie de la presse. Plusieurs récits de victimes et témoignages d’appelés sont en effet parvenus, malgré la censure et les saisies judiciaires de publications, à faire connaître cette pratique officiellement réprouvée et niée par le pouvoir. En mars 1957, le « suicide » de l’avocat Ali Boumendjel entre les mains des parachutistes à Alger a été vivement mis en doute.21 Au sein même de l’appareil d’État, la démission du secrétaire général à la police de la préfecture d’Alger, Paul Teitgen, bien que non rendue publique et différée, et celle, spectaculaire, du général Bollardière, sont des signes inquiétants pour le pouvoir. Les Églises et l’aile gauche de la SFIO elle-même se sont indignées. Guy Mollet, également préoccupé par la mise en cause de la France à l’ONU, a été contraint pour tenter de calmer l’indignation d’annoncer en avril 1957 la création de cette commission qui commença ses travaux en mai.22
Ancien gouverneur du Cameroun français et directeur de l’École Nationale de la France d’Outre-Mer, Delavignette est l’un des douze membres qui ont accepté cette lourde charge, sous la direction de Pierre Béteille, un éminent magistrat, conseiller à la Cour de cassation, spécialiste des affaires d’État hautement sensibles (il instruisit contre Pétain et Laval en 1945). Cet « humaniste colonial » représente le courant, souvent d’obédience chrétienne, résolument partisan de la présence française en Algérie mais convaincu de la possibilité de lutter contre la torture de l’intérieur-même de l’État.
L’installation d’une commission gouvernementale d’enquête officiellement désireuse de faire la lumière sur la torture suscita d’abord l’inquiétude du commandement militaire en Algérie, mais aussi, chez ceux qui en Algérie étaient moralement indignés, un réel espoir de voir les exactions dont ils étaient témoins reconnues et sanctionnées. Elle semblait offrir une voie moyenne entre la passivité complice et la désobéissance ou la désertion. En s’adressant à elle, on pouvait alerter en métropole sans pour autant alimenter la propagande du FLN.
Dès le mois de mai 1957, comme d’autres membres de la commission, Delavignette reçut, indépendamment de l’enquête pour laquelle il était officiellement mandaté en Algérie, un certain nombre de témoignages spontanés. Les deux photographies lui parvinrent par le réseau dit chrétien progressiste, mouvance dont il était une figure connue et active. C’est un prêtre libéral, curé de Bedeau (Ras El-Ma) dans le Sud Oranais, le père Delacommune, qui lui envoya ces documents.23 Ils « complétaient », selon Raphaëlle Branche, le témoignage daté du 14 mai 1957, d’un séminariste appelé, maréchal des logis au 9e Hussards, dont le PC se trouvait alors non loin de Bedeau.24
Cet appelé, Jean Suaud, y déclarait avoir été témoin, dans l’exercice de ses fonctions d’infirmier, de tortures, notamment à l’électricité, et de deux décès des suites immédiates de la torture.25 Les archives privées de Delavignette, de même que celles de l’armée, conservent également le témoignage de l’appelé au 8e RCA Michel Rezeau, un ancien de ses élèves, pour lequel c’est l’islamologue Louis Massignon qui servit d’intermédiaire.26 Delavignette adressa ce témoignage, ainsi sans doute que celui de Jean Suaud, au ministre de la Défense nationale, lui demandant une enquête. Quant aux négatifs des deux photos de torture reçus, il les adressa seulement au président de la commission, lui demandant de lui en faire des tirages.
Puis, au mois de septembre 1957, Robert Delavignette démissionna avec fracas.27 S’il avait cru qu’il s’agissait avec cette commission « de connaître coûte que coûte la vérité et de faire respecter coûte que coûte les Droits de l’homme »,28 il avait en effet amèrement déchanté face à la toute-puissance d’une armée bien peu désireuse, selon le mot du général Massu, de « sauvegarder les droits des terroristes ».29
Son enquête en Algérie lui avait certes permis d’obtenir des sanctions contre certains responsables dans ce qui fut l’affaire la plus grave mise au jour par la commission : la mort par asphyxie de plusieurs dizaines d’Algériens détenus par l’armée dans des cuves à vins.30 Mais, dans plusieurs cas signalés par lui, le déclenchement d’une enquête interne à l’armée avait abouti non à la sanction des coupables, mais à exposer ses témoins à des représailles. Delavignette expliqua en effet en octobre 1957 sa démission par l’absence « de pouvoirs » de la commission : « pouvoirs d’être entendu du gouvernement », mais aussi « pouvoir de protéger les témoins entendus » par lui, ajoutait-il. Il notait encore : « certains témoins ont été empêchés de déposer » et « un témoin a été surveillé par la police pour avoir déposé devant moi ».31
Les archives nous permettent de retracer l’histoire du témoignage de son ancien élève Michel Rezeau, auquel pensait sans doute Delavignette en évoquant la protection de ses témoins. Elle mérite qu’on s’y arrête. Cas d’école d’étouffement d’un témoignage par la mise en cause du témoin lui-même, elle nous éclaire aussi le sort qui fut réservé aux deux photos de torture.
Cet appelé du contingent écrivit à Delavignette en juillet 1957 un long récit comportant notamment la description précise de tortures, de massacres en représailles collectives de villageois et d’autres exécutions sommaires perpétrés dans la région de Tenès. Delavignette communiqua aussitôt ce rapport au ministre de la Défense nationale, en prenant soin de l’anonymer. Une enquête fut demandée au général Salan. Le commandement militaire parvint alors sans peine et rapidement à identifier son auteur et s’employa aussitôt à démolir sa crédibilité. Une enquête disciplinaire fut diligentée à l’encontre de Michel Rezeau. Son rapport affirma n’avoir pu trouver aucun des témoins prétendus des supposés crimes évoqués par Rezeau et conclut à l’affabulation d’un « jeune intellectuel […] intoxiqué par certaines campagnes de presse ».32 Rezeau fut sermonné, sorti des effectifs combattants et s’estima heureux d’être affecté comme infirmier. Dans un courrier à Delavignette, Louis Massignon avait tenu à l’informer dès le mois d’août du fait que Michel Rezeau pourrait bientôt, du fait de son témoignage, être « en danger ».33 L’affaire, semble-t-il, s’arrêta là.
Les deux photos de torture auraient dû faire l’objet d’une enquête, comme tous les témoignages reçus. Or, ni Delavignette, ni le président Béteille ne les transmirent aux autorités compétentes. Delavignette attendait-il la réception des tirages demandés et un feu vert de Béteille ? Ignorait-il leur secteur de provenance exact ? Ou, échaudé par l’affaire Rezeau , hésita-t-il à exposer leur auteur à des sanctions? Nous ne le savons pas. Mais rien ne fut fait avant sa démission fin septembre 1957. Et une fois celle-ci actée, plus rien n’était possible.
C’est tout au moins ce qu’en octobre 1957, Pierre Béteille répondait à Delavignette. Le 14 octobre, ce dernier, démissionnaire depuis un mois, lui réclame immédiatement après avoir déploré son impuissance à protéger ses témoins « les deux photos qui sont dans le coffre où vous les avez déposées ».34 Le 24 octobre, Béteille lui fait répondre par son secrétariat, dans un courrier alambiqué et teinté d’une certaine ironie : « Le Président Béteille a fait le nécessaire pour le développement des photos que vous lui avez confiées, dans des conditions de discrétion qu’il vous a fait connaître, m’a-t-il dit. Il n’a pu entendre les témoins qui vous les avaient remises ; il ignorait en effet leur nom et adresse et il aurait jugé discourtois […] d’entendre des témoins qui vous avaient été signalés à titre personnel ; il craignait de paraître vouloir contrôler votre enquête. Aussi bien s’attendait-il à ce que vous continuiez votre participation aux travaux de la Commission ». Béteille, lui rendant les photos, justifiait sans peine le fait de n’en avoir rien fait, sinon les avoir tirées et mises sous clef : Delavignette ne pouvait s’en prendre pour cela qu’à sa décision de démissionner. Que faire en effet de ces photos dont on ignorait à peu près tout ? « En définitive, concluait le secrétaire, le président serait désireux de savoir l’utilisation éventuelle de ces photos et s’il doit en faire état en une quelconque occasion ».35
Il n’y eut aucune occasion et ces photos furent enterrées, les unes dans le coffre-fort de la commission de Sauvegarde, les autres dans les archives privées de Robert Delavignette. Seuls ce dernier et Pierre Béteille semblent les avoir vues durant la guerre.
On peut imaginer que rendus publics, à l’étranger ou dans des publications clandestines en métropole, ces clichés exceptionnels et glaçants auraient contribué, même modestement, à la difficile mobilisation de l’opinion française contre la « sale guerre ». Le réalisateur André Gazut ne nous dit-il pas combien fut forte son émotion à la vue de telles images à la fin de 1956 ? C’est elle qui le décida, se souvient-il, à refuser de porter les armes en Algérie.36 Mais ces photos ne témoignèrent jamais. Robert Delavignette continua pourtant après sa démission à s’engager contre la torture. Il communiqua notamment à Pierre Vidal-Naquet les rapports officiels tenus secrets de Jean Mairey, qui établissaient dès 1955 un usage routinier de la torture dans la police d’Algérie. Il écrivit même en 1958 une préface à L’Affaire d’Audin, finalement non publiée.37 Mais faire « fuiter » ces images, reçues dans le cadre d’un mandat officiel qu’il n’exerçait plus, eût été une déshonorante trahison pour le loyal grand commis de l’État qu’il était.38 N’auraient-elles pas nécessairement fini dans une brochure de propagande des « rebelles » FLN ou des communistes ?
3. La région du Télagh ?
La commission de Sauvegarde n’ayant pas diligenté d’enquête, nous ne connaîtrons donc probablement jamais l’auteur de ces photos, ni l’emplacement exact de la scène de torture qu’elles nous montrent. Nous ne saurons pas non plus qui était torturé, ni par qui, à moins que leur publication ne fasse miraculeusement parler un témoin direct survivant. Ce que nous savons de l’histoire de leur provenance permet malgré tout quelques fragiles hypothèses à ce sujet.
On voit trop peu le ou les torturé(s) pour qu’une identification soit possible. Seule indication, le supplicié de la photo A est un homme à la calvitie déjà avancée. S’agit-il d’un combattant pris les armes à la main, d’un collecteur de fonds, d’un hébergeant, d’un proche d’individu recherché ou de n’importe quel habitant « pris au hasard », comme le préconisait en 1957 le général Salan, dans un secteur où le FLN était actif, et susceptible de ce seul fait d’avoir des informations ? Nous n’en saurons sans doute jamais rien.39
Les circonstances de la transmission de ces photos permettent cependant d’émettre des hypothèses sur la localisation de ces scènes de torture. Nous l’avons vu, les négatifs furent envoyés à Robert Delavignette par le père Delacommune, curé de Bedeau (Ras El-Ma), petite commune du Sud Oranais, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Sidi Bel-Abbès. Le séminariste appelé, auteur du témoignage écrit, Jean Suaud, était lui aussi cantonné dans cette région du Télagh, à Crampel, tout près de Bedeau.
Interrogé dans les années 1990 par Raphaëlle Branche, Jean Suaud affirme ne pas être l’auteur de ces deux photos, dont il a néanmoins connaissance, disant aussi « avoir une idée » sur leur auteur, sans en dire plus.41 L’historienne émet l’hypothèse qu’il pourrait s’agir du père Delacommune.42
Quoiqu’il en soit, ces photos pourraient avoir été prises au mois de mai 1957, dans cette région du Télagh où était implanté le 9e Hussards. Les archives militaires et judiciaires dépouillées par Raphaëlle Branche en attestent, la répression y était particulièrement intense dans cette période. L’armée française y fit un usage important de la torture et des exécutions sommaires, au point que le ministère de la justice lui-même en eut connaissance. Le procureur de la République de Sidi Bel-Abbès a été informé d’un nombre particulièrement élevé d’individus « abattus sur le territoire du canton judiciaire du Télagh […], et dont le décès avait été constaté par les gendarmerie de Bedeau et Slissen notamment (plus de 150 semble-t-il) » entre mai 1957 et le début de l’année 1958. Le procureur général mentionne quant à lui en 1958 un « procès verbal de la gendarmerie de Bedeau constatant […] quatre décès par blessures qui en d’autres temps (sic) eussent été suspectes ». Il juge que « de très graves exactions ont été commises », découvrant, écrit l’historienne, que « des dizaines de prisonniers gardés dans les centre de transit situés dans les cantonnements militaires », avaient été « tués, souvent après avoir été torturés ».43 Cette région abritait en effet plusieurs camps. À Bedeau se trouvait déjà un camp pour soldats juifs durant la Seconde guerre mondiale. A quelques kilomètres de là, à Magenta (El-Hacaïba), se trouvait dès 1955 un « centre de tri » où étaient provisoirement internés des suspects.44 Un autre camp, « d’hébergement » celui-là, concentrait en 1957 des centaines d’assignés à résidence, non loin de là, à Bossuet. Les photos furent-elles prises dans le PC du 9e Hussard à Crampel, où était affecté Jean Suaud ? Ou dans l’enceinte de la gendarmerie de Bedeau, cette paroisse où officiait le père Delacommune ? Dans l’un de ces camps dits « de transit » improvisés dans différents locaux et où se pratiquait la torture ? Quelle issue eut cette séance de torture pour la ou les victime(s) ? La commission de Sauvegarde n’a alors pas cherché à le savoir et seuls des témoins encore vivants, en particulier d’anciens militaires, pourraient aujourd’hui nous le dire.
4. Une furtive réapparition
Dès le 22 mars 1962, l’amnistie de tous les crimes et délits en rapport avec « le maintien de l’ordre » en Algérie mit fin aux quelques instructions judiciaires en cours pour faits de torture et de disparitions forcées. Ces deux photos perdirent alors tout caractère de preuve judiciaire potentielle.
Après la dissolution de la seconde Commission de sauvegarde (1958-1962) qui semble en avoir hérité, sans rien en faire elle non plus, les deux tirages photographiques intégrèrent un fonds d’archives aux Archives Nationales où ils figurent dans une chemise cartonnée indiquant « Secret. Photographies remises par M. Delavignette ».45 Le négatif et les doubles des tirages dûment rendus à Delavignette furent ensuite versés aux ANOM, parmi ses archives privées.46
Ces images furent donc invisibilisées dans les archives, difficilement consultables et sans doute jamais consultées, durant des décennies. Leur sort étant indexé sur le cours de l’histoire historiographique et mémorielle française de la guerre d’Algérie, elles ne revinrent en effet dans l’espace public que très tardivement.
C’est l’historienne Raphaëlle Branche qui, en l’an 2000, fut à l’origine de leur résurrection. Dans sa thèse sur La torture et l’armée française, les photos Delavignette étaient en effet mentionnées pour la première fois et brièvement commentées. Étouffés en 1957, ces témoignages photographiques devenaient ainsi des sources historiques, contribuant, avec beaucoup d’autres, à établir le caractère systémique de la pratique de la torture par l’armée française et à en faire connaître avec une grande précision les modalités. Leur consultation aux archives restait toutefois soumise à l’acceptation d’une demande de dérogation.
La soutenance de cette thèse intervenait alors que dans le débat public français, le scandale de 1957 sur la torture en Algérie était en quelque sorte rejoué un demi-siècle plus tard, avec une explosion de ce qu’un observateur étranger qualifie de « French memory’s bombe à retardement », comme il s’en était déjà produit en 1997 avec la redécouverte du massacre du 17 octobre 1961.47 Le surgissement d’une profusion de nouveaux témoignages de victimes de torture, de témoins et aussi d’anciens tortionnaires mettait fin à une longue période d’amnésie collective plus ou moins volontaire sur la question.48
Souvent décrite dans toute son horreur, la torture fut cependant bien peu montrée en 2000. Il fallut attendre encore douze ans et la commémoration française du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie pour que ces photos soient publiquement et largement vues, avec quelques autres, pour la première fois. Quelle fut leur réception ?
En 2012, les deux photos remises à Delavignette furent toutes deux reproduites en pleine page dans un numéro hors-série du journal Le Monde intitulé « Guerres d’Algérie, mémoires parallèles ». Leur très courte légende disait : « ces deux photographies représentant des scènes de supplice infligés à des prisonniers algériens ont été prises à la dérobée par un appelé. Il les a ensuite fait parvenir à la commission de sauvegarde des droits et libertés individuels (archives datant de 1957). » Elles accompagnaient un article montrant que les Français d’alors avaient été largement informés de la pratique de la torture mais qu’ils étaient tout aussi largement restés « indifférents ».49
À l’occasion de la même commémoration, au printemps 2012, trois des clichés de Jean-Philippe Charbonnier qui avaient tant marqué le jeune André Gazut furent exposés et pour la première fois au musée de l’Armée à Paris.
Cette exposition fit grand-bruit et suscita de violentes critiques au sein de l’armée et du ministère de la Défense, où Gérard Longuet s’opposa à son ouverture. Il fallu son départ pour que l’exposition puisse ouvrir, le jour même de l’intronisation d’un nouveau président de la République, François Hollande, le 16 mai 2012, mais elle fut donc écourtée. Son livre d’or recueillit les vives critiques d’une partie des visiteurs.50
Rappelons que ces clichés réalisés en quelque sorte sur commande par J.-P. Charbonnier montrent ce qu’on ne voit pas sur les deux photos remises à Delavignette : les tortionnaires, des soldats français et leur officier du 7e BCA posant, visage visible, en train d’infliger eux-mêmes une souffrance physique à un homme dont on voit très bien les traits.
L’exposition de ces clichés fut remarquée, mais moins pour ce qu’ils montraient et qui aurait dû en toute logique soulever des questions — localisation exacte, identité des tortionnaires et du torturé, etc. — qu’en raison de « l’audace » dont aurait fait preuve, selon la presse, l’institution militaire française en osant les montrer. Autrement dit, ce qui intéressa, du reste non sans raison, fut que le point de vue de l’armée française sur la torture en Algérie semblait avoir évolué. Le journal Libération écrivit ainsi « Tout y est […]. Et, bien sûr, la torture. Le sujet à l’aune duquel les organisateurs, ils le savaient, seraient jugés […]. Trois photos prises par Jean-Philippe Charbonnier dans l’Oranais [sic]. Le seul témoignage visuel disponible sur les actes de torture perpétrés par une partie de l’armée française en Algérie. »51 Étrangement, le visage de l’Algérien torturé était « flouté », selon le journaliste.
C’est dans cette optique que l’hebdomadaire Paris-Match publia durant l’exposition, dans un numéro lui-aussi consacré au cinquantenaire, l’un de ces clichés de Charbonnier, sous le titre : « Tortures, « corvées de bois », disparitions : des méthodes qui sapent la grandeur de l’armée ». Le texte d’accompagnement du cliché parlait de soldats qui « battent un suspect sans défense », évitant le mot torture, par une euphémisation pour ainsi dire classique. De plus, les visages des tortionnaires et celui du torturé, pourtant bien visibles sur les clichés originaux archivés à la BnF, étaient occultés par des rectangles noirs. Mais ceux-ci étaient d’une taille si réduite qu’ils n’anonymaient pas vraiment la scène. Comme s’il restait quelque chose de la crainte de Charbonnier à publier ces images, il y avait donc encore en 2012 une difficulté à montrer vraiment et intégralement cette scène de torture dans un hebdomadaire à grand tirage.
La publication de ces clichés ne suscita aucun témoignage d’éventuels acteurs survivants de ces scènes. En dépit de leur caractère exceptionnel et des questions qu’elles posaient, ni les photos Delavignette ni celles de Charbonnier n’ont étonnamment jamais été reproduites ensuite dans les publications pourtant très nombreuses ces dernières années sur la guerre d’Algérie52, qu’il s’agisse de media grand-public ou de publications à usage scolaire ou universitaire. Si les photos produites et diffusées à des fins de propagande par l’armée, montrant par exemple l’œuvre éducative des SAS, servent toujours inévitablement d’illustrations dans ces publications, on n’y trouve que très rarement de photos de la torture qui fut pourtant le complément de ladite œuvre dans la « pacification » en Algérie.
Dans les manuels scolaires, la torture en Algérie est aujourd’hui presque toujours évoquée, mais peu illustrée par des images la montrant réellement.53 Le thème, jugé trop sensible, est ainsi « refroidi » et la torture réduite à une abstraction.54
Or, comme on vient de le voir, de telles photos existent. Elles sont « dures », mais des images d’archive montrant des scènes parfois insoutenables, relatives par exemple à la Seconde guerre mondiale, sont pourtant fréquemment publiées dans ces manuels et l’on n’occulte jamais les visages sur des documents historiques. La raison de l’absence de représentation de l’horreur de la répression française en Algérie est bien sûr autre. Elle procède de ce qu’Ann Laura Stoler nomme « l’aphasie coloniale française » :55 une difficulté persistante à dire, et plus encore, selon l’expression consacrée, à « regarder en face » ce qu’on sait.
« Certaines choses ne devraient pas exister. Mais puisqu’elles existent il n’est peut-être pas plus obscène de prendre en compte leur réalité que de la nier. Ou pour le dire autrement : ces photos sont obscènes, c’est vrai, d’une obscénité telle que rien ne peut la racheter ; et c’est pour cela qu’il faut les montrer. »
Jérôme Ferrari et Olivier Rohe, À fendre le cœur le plus dur, Inculte, 2015.
- Sur « l’histoire au second degré » des exactions qu’il faut produire sur de telles archives, voir Sylvie Thénault, « Dérogation générale et déclassification des archives contemporaines. Le cas d’Audin et des disparus de la Guerre d’Indépendance algérienne », à paraître dans la revue Annales. Histoire, sciences sociales. [↩]
- Par un arrêté du 23 octobre 1957, Journal officiel de l’Algérie du 3 décembre 1957, p.2590 cité par J.-Ch. Jauffret, Soldats en Algérie, p.292. [↩]
- Marie Chominot, Guerre des images, guerre sans image ? : pratiques et usages de la photographie pendant la guerre d’indépendance algérienne : 1954-1962, thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de Benjamin Stora, Université Paris VIII, 2008. [↩]
- Par exemple, l’éditeur anticolonialiste Nils Andersson ne se souvient pas avoir vu de telles images durant la guerre d’Algérie. Le réalisateur André Gazut confirme leur extrême rareté. Entretiens avec l’auteur, avril 2020. [↩]
- Quelques exemples de ces photos de propagande sont analysées par Marie Chominot dans sa présentation de l’exposition « Des images pour l’histoire. Algérie 1954-1962 », présentée au Forum des Images, du 24 janvier au 3 février 2012. [↩]
- Pierre Vidal-Naquet, La torture dans la République, Paris, Minuit, 1972: un appelé exhibe en souriant un Algérien attaché par les poignets. [↩]
- Jacques Duquesne, Carnets secrets de la guerre d’Algérie, Paris, Bayard, 2012, p. 194-197. [↩]
- Jacques Inrep, Soldat peut-être… tortionnaire jamais !, Scripta, 2003, p225-228. Jacques Inrep dit avoir exigé la destruction de ces photos. [↩]
- Elles furent prises lors d’un reportage de Charbonnier en Kabylie dont les photos jugées « publiables » ont été publiées dans le mensuel Réalités de janvier 1957, p. 12-19. Le réalisateur André Gazut obtint cependant à grand peine la possibilité d’insérer plusieurs de ces photos de torture en 1974 dans son film Hommage au général Bollardière, puis l’une d’entre elles dans son film Pacification en Algérie, Article Z- Arte France, 2002 (entretien, avril 2020). Sur ces images déposées à la BnF, voir Raphaëlle Branche, La torture et l’armée française pendant la guerre d’Algérie 1954-1962, Paris, Gallimard, nouvelle édition revue, 2016, p. 448 et 741, ainsi qu’ici même, infra. [↩]
- Je remercie François Demerliac, Didier Folléas et Léa Riceputi pour leurs observations de spécialistes de l’image qui m’ont été très utiles. [↩]
- Raphaëlle Branche, La torture et l’armée… , op.cit., p. 99 [↩]
- Jacques Inrep, Soldat…, op.cit., p.190. [↩]
- Témoignage daté du 25 avril 1957, parvenu à l’avocat membre de la commission de Sauvegarde Maurice Garçon en mai 1957 par l’intermédiaire de René Capitant. AN, fonds de la commission de Sauvegarde, F/60/3125. [↩]
- Raphaëlle Branche, La torture et l’armée…., op.cit., p. 87. Stanislas Hutin, séminariste rappelé en 1955, est l’un des premiers auteurs de témoignages sur la torture. [↩]
- Observation de François Demerliac : « Sur la photo ensoleillée, l’ombre du mur converge avec le mur à peu près à 50cm au-dessus de la porte, ce qui indique une hauteur de mur, s’il s’agit d’une porte de 2m, d’environ 2,5m » (Communication personnelle, avril 2020.) [↩]
- Sur cette question l’ouvrage de référence est Raphaëlle Branche, La torture …, op.cit. [↩]
- Communication personnelle. Voir Claire Mauss-Copeaux, « Résistantes ? Terroristes ? Hadjira et Doukha, deux femmes parmi d’autres dans un monde dominé par les hommes. Algérie 1954-1962« . [↩]
- Voir Protocole d’Istanbul, Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme : https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=50c83f6d2 Nous n’avons pu trouver l’origine de cette appellation. [↩]
- Voir le guide pratique de ce protocole : L’examen médical physique des victimes de tortures présumées : https://irct.org/assets/uploads/pdf_20161120162905.pdf [↩]
- Françoise Sironi et Raphaëlle Branche, « La torture aux frontières de l’humain », in ERES. Revue Internationale des sciences sociales, 2002/4 n°174, p. 591-600. [↩]
- Malika Rahal, Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne, Belles Lettres 2010, Barzakh, 2011. [↩]
- Sur cette première Commission de Sauvegarde à laquelle succédera une seconde en 1958, ainsi que sur son contexte et son bilan, voir Pierre Vidal-Naquet, La torture dans la République, op.cit. p.84-90 et Raphaëlle Branche, « La commission de sauvegarde pendant la guerre d’Algérie : chronique d’un échec annoncé », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1999/1, n°61, p. 14-29. [↩]
- Le père Delacommune comptait parmi les « amis des Algériens et militants des droits de l’homme » et était membre du Comité chrétien d’entente France-Islam dont Louis Massignon, proche de Delavignette, était l’animateur. Voir Maurice Borrmans, Louis Massignon et le comité d’Entente France-Islam (1947-1962), Karthala, Paris, 2014 ; il était également le cousin d’Alain Savary, qui avait démissionné en octobre 1956 du gouvernement Mollet pour protester contre l’arraisonnement de l’avion des chefs du FLN. [↩]
- Raphaëlle Branche, La torture et l’armée, op. cit., p.100-101. [↩]
- « Ce que j’ai vu en Afrique », lettre du 14 mai 1957 de Jean Suaud à Robert Delavignette, ANOM, Archives Delavignette, 19PA /9 [↩]
- Lettre du 28 juillet 1957 de Michel Rezeau à Robert Delavignette, Archives départementales de la Côte-d’Or, fonds Robert Delavignette, 166 J 16 . [↩]
- Sa démission fut suivie par celles de deux autres membres : l’avocat Maurice Garçon et Emile Pierret-Girard, président de l’Union des Anciens Combattants. [↩]
- Raphaëlle Branche, « La commission de Sauvegarde », art. cit. [↩]
- Jacques Massu, La Vraie bataille d’Alger, Plon, Paris, 1971, p. 8 [↩]
- Raphaëlle Branche, La torture et l’armée, op.cit., p.220-224. 41 « suspects » sont morts en mars près d’Aïn Isser, 16 autres en avril à Mercier-Lacombe ; en juin, 14 nouvelles morts par asphyxie dans des cuves à vin se produiront à Mouzaïville. [↩]
- Lettre du 14 octobre 1957 à Pierre Béteille, Archives départementales de la Côte-d’Or, fonds Robert Delavignette, 166 J 16 [↩]
- Affaire Michel Rezeau, SHD, 1 H 2698. [↩]
- Lettre du 27 août 1957 de Louis Massignon à Robert Delavignette, Archives départementales de la Côte-d’Or, fonds Robert Delavignette, 166 J 16. [↩]
- Lettre du 14 octobre 1957 à Pierre Béteille , op. cit.. [↩]
- Lettre du 24 octobre 1957 de Pierre Béteille, Archives départementales de la Côte-d’Or, fonds Robert Delavignette, 166 J 16. [↩]
- Entretien avril 2020. Il s’agissait des photos prises par Jean-Philippe Charbonnier, alors non publiées. André Gazut dit être allé immédiatement consulter le militant libertaire Louis Lecoin sur le moyen de ne pas participer à cette guerre. [↩]
- L’historien lui rend hommage, de même qu’à Paul Teitgen et à Jean Mairey : Pierre Vidal-Naquet, Mémoires, le trouble et la lumière, 1955-1998, vol. 2, Seuil/La Découverte, Paris, 1998, p. 156 ; dans L’Affaire Audin, Minuit, Paris, 1989, p. 45, il explique que Jérôme Lindon et lui-même renoncèrent à publier cette préface de Delavignette pour ne pas se priver des réseaux de diffusion du PCF. Le texte de la préface se trouve dans un petit fonds Delavignette aux Archives départementales de la Côte d’Or, op. cit. [↩]
- Sur ce loyalisme républicain et ses douloureuses contradictions, voir aussi l’exemple de Paul Teitgen. Fabrice Riceputi, « Paul Teitgen et la torture pendant la guerre d’Algérie. Une trahison républicaine », 20&21. Revue d’Histoire, n° 142, avril-juin 2019, p. 3-17. [↩]
- Le général Salan préconisait en janvier 1957 « l’enlèvement provisoire et par surprise, par action héliportée, de quelques habitants pris au hasard ou repérés comme suspects en vue d’un interrogatoire sur l’organisation rebelle implantée dans le douar», « Directive générale n° 3, 19 janvier 1957 », cité par Raphaëlle Branche, La torture et l’armée, op. cit., p. 158. [↩]
- Extrait de carte publiée dans Benjamin Stora et Tramor Quemeneur, Algérie 1954-1962, lettres, carnets et récits des Français et des Algériens dans la guerre, Paris, Les Arènes, 2010. [↩]
- Entretien de Jean Suaud avec Raphaëlle Branche, le 15 février 2000, SHD, GR 4K 38. Je remercie Raphaëlle Branche de m’en avoir communiqué la transcription. [↩]
- L’historienne Marie Chominot m’indique que ces photos sont associées dans les archives Delavignette, ANOM, op.cit., au témoignage de Michel Rezeau ; mais ni dans le témoignage de ce dernier, ni dans sa correspondance avec Delavignette ou dans son dossier disciplinaire il n’est fait mention de photographies [↩]
- Raphaëlle Branche, La torture et l’armée, op. cit., p. 271-272. [↩]
- Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012, p. 279 [↩]
- AN, fonds de la Commission de Sauvegarde des droits et libertés individuels, F 60 / 3125 [↩]
- ANOM, Archives Delavignette, 19PA /9 [↩]
- La formule est de Richard J. Golsan, « French memory’s bombes à retardement, Maurice Papon crimes against humanity and 17 octobre 1961 », Journal of European Studies, vol. 28, n° 109-110, 1998, p. 153-172 ; voir aussi Fabrice Riceputi, La bataille d’Einaudi, comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République, le Passager clandestin, 2015 ; sur le fracassant retour de la torture en Algérie en 2000, voir notamment Florence Beaugé, Algérie, une guerre sans gloire. Histoire d’une enquête, Paris, Calmann-Lévy, 2005. [↩]
- Mais pas au déni : une large fraction de l’armée réagit alors encore violemment, avec une argumentation de type négationniste paraissant parfois reprise de celle de Guy Mollet lui-même, dans Le Livre Blanc de l’armée française en Algérie, Paris, Contretemps, 2002. En 2018 encore, diverses associations proches de l’armée protestèrent avec le général Bruno Dary contre l’atteinte à l’honneur de l’armée que constituait selon elles la reconnaissance officielle de l’assassinat de Maurice Audin. Voir : https://www.histoirecoloniale.net/Macron-le-passe-colonial-et-des-reactions-inquietantes-dans-l-armee-francaise.html [↩]
- Le Monde Hors Série, février-mars 2012. Une erreur dans leur crédit les attribue à la collection Kouaci. [↩]
- Communication personnelle avec Gilles Manceron. [↩]
- Sous la plume de Thomas Hofnung, Libération, 25 juin 2012. [↩]
- À l’exception d’un billet de blog en 2015. [↩]
- Depuis la publication de l’article, l’historien Pierre-Jean Le Foll-Luciani nous a fait remarquer que l’on trouve la photo A dans le manuel de Terminale STMG Hachette publié en 2013. Merci à lui pour cette précision. [↩]
- Sur l’enseignement scolaire du passé colonial, voir notamment Laurence De Cock, Dans la classe de l’homme blanc. L’enseignement du fait colonial en France des années 1980 à nos jours, Lyon, PUL, 2018. [↩]
- Ann Laura Stoler, « L’aphasie coloniale française : l’histoire mutilée », in Collectif, Ruptures postcoloniales, les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 62-78. [↩]
https://texturesdutemps.hypotheses.org/4027
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