64ème ANNIVERSAIRE DE L'UGEMA - La voix des hommes libres...
Nos universités sont en confinement. Le Covid-19 est une occasion pour que nos blouses blanches, le corps médical médecins et tous les praticiens de la santé se trouvent être en première ligne pour soulager et aider les citoyens contaminés par le coronavirus.
Nombreux sont ceux qui comparent l'engagement des pratiquants de la santé aux étudiants qui ont rejoint le maquis durant la guerre de Libération nationale. Le 19 Mai 1956 l'Appel lancé par la section d'Alger de l'UGEMA :
«Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! A quoi bon serviraient-ils ces diplômes qu´on continue à nous offrir pendant que notre peuple lutte héroïquement, pendant que nos mères, nos épouses, nos sœurs sont violées, pendant que nos enfants, nos vieillards tombent sous la mitraillette, les bombes, le napalm... Et nous les cadres de demain, on nous offre d´encadrer quoi? D´encadrer qui?...».
En me référant aux sources et aux témoignages, la vérité historique sort de la bouche des acteurs et leurs positions dans la détermination des faits et l'interprétation de l'Appel de l'UGEMA du 19 Mai 1956 dans sa dimension historique lorsque la participation de l'élite intellectuelle est d'être aux premières lignes du combat libérateur?
La grève des étudiants déclenchée fut largement suivie par les étudiants, lycéens et un grand nombre parmi eux rejoindra les rangs du FLN/ALN. Il va sans dire que le mouvement des étudiants existait bien avant le déclenchement de la Révolution de Novembre 1954. Notre militantisme au sein de la jeunesse estudiantine après l'indépendance jusqu'à la création de l'UNJA, le 19 Mai 1975, du vivant du Président Boumediene, Mohamed Seddik Benyahia et Mohamed Cherif Messaadia, nous a permis de revisiter l'histoire du mouvement national estudiantin et de livrer cette chronologie des faits.
Dès 1919, l´Association des étudiants musulmans de l´Afrique du Nord (AEMAN) fut créée à Alger et l´Association des Etudiants musulmans nord-africains (AEMNA) créée en 1927 à Paris regroupant les étudiants maghrébins en France et dont le siège se trouvait au 115 bd Saint-Michel, Paris.
L´UGEMA est née à la faveur d´une Motion votée à l´unanimité, le 27 Février 1955, par les étudiants de l´AEMAN. Cette nouvelle organisation va permettre aux étudiants de rejoindre la guerre de Libération nationale. Le Congrès constitutif de l´UGEMA a eu lieu du 08 au 14 Juillet 1955 à la salle de la Mutualité, après une réunion préparatoire tenue à Paris du 04 au 07 Avril.
Le choix de la lettre «M» (Musulman) n´était pas fortuit. Est-ce une façon de revendiquer l´appartenance du Mouvement aux valeurs arabo-islamiques ou répondait-il à une interprétation de nature idéologique? Selon Mohamed Harbi, un Congrès parallèle a été organisé à la Maison des Lettres, rue Feron, par des étudiants communistes et nationalistes de gauche visant à créer l´Union générale des étudiants algériens (UGEA). Cette tentative a été avortée.
FIDELITE AU MESSAGE DU 1er NOVEMBRE 1954
L´action de l´UGEMA qui avait une ligne strictement syndicale, s´oriente vers des objectifs politiques. La répression n´a pas tardé à s´abattre sur ses membres et plusieurs connaîtront les interpellations, les perquisitions et les arrestations au cours de l´année 1955. Le 20 Janvier 1956, les étudiants algériens en France organiseront une grève de la faim pour protester contre les mesures répressives.
A partir de la date du 19 Mai 1956, la grève illimitée des cours et des examens est déclenchée, en accord avec la direction du FLN. En 1953, il y a eu idée à créer une Union musulmane des étudiants maghrébins qui n´a pas marché du fait que les Tunisiens avaient créé leur propre union, l´UGET.
Mais pour revenir aux conditions de création de l´UGEMA, c´est à la suite d´une correspondance entre Abdeslam Bélaïd et Lamine Khène à partir de 1955, que les militants du courant nationaliste prenaient le contrôle de l´AEMAN dans la coalition Communiste-UDMA.
Le Président de l´AEMAN était Mohamed Baghli entouré de Mohamed Seddik Benyahia, Allaoua Benbaâtouche, Lamine Khène d´autres...
C´est Mohamed Seddik Benyahia qui, au cours des vacances de Pâques, devait entreprendre une tournée à travers les universités de France pour convaincre les étudiants de diverses sensibilités à se rallier aux thèses de l´UGEMA. Rédha Malek fera de même pour la région parisienne. Bélaïd Abdeslam dit avoir été rassuré par Benyahia, en l´accueillant à la gare de Lyon.
Ce dernier lui lançant l´idée restée célèbre que «Paris est encerclée par la Province». Ahmed Taleb El Ibrahimi soutient le courant Ugémiste. Tout cela se passait durant l´année 1955 où les actions étaient conformes à la ligne du FLN qui n´était que la continuité du Mouvement nationaliste PPA/MTLD. Il faut dire qu´au niveau estudiantin, la même démarche a été suivie comme celle de l´Association des Amis du Manifeste et de la Liberté, en 1944 et celle des Communistes où ils ont créé parallèlement le «Manifeste des Amis de la Démocratie».
L'UGEMA DANS LA LIGNE DE MIRE DU COLONIALISME
Les étudiants d´obédience PPA/MTLD tels Rédha Malek, Abdelmalek Benhabylès, Mohamed Amir, Mohamed Mahdi, Mohamed Harbi, Messaoud Aït Chaâlal, Mouloud Balahouane, Tahar Hamdi, Hachmi Bounedjar, Mohamed Rezoug, Mohamed Kellou, Mohamed Khemisti, Ali Lakhdar, Ahmed Ounoughi, Mohamed Ouddahi, Mohamed Oucif, Chérif Faïdi, Mahmoud Mentouri, Mahmoud Benhabylès, Mohamed Abada, Saïd Chibane, Mohamed Toumi, Mustapha Laliam, Rachid et Tahar Maïza, Mohamed Radjam, Djelloul Baghli, Nordine Delci, Chaïb Taleb. Il faut dire que l´apport de ces étudiants était déterminant pour le lancement et la constitution de l´UGEMA auxquels d´autres étudiants y arrivèrent à Paris tels que Lakhdar Brahimi, Abdelkader Belarbi avec l´idée d´une Conférence nationale préparatoire pour organiser le Congrès constitutif de l´UGEMA en prenant appui sur les étudiants d´Alger.
Le Congrès constitutif de l´UGEMA, tenu en Juillet 1955 à Paris, réunissait les représentants des communautés universitaires de France, d´Europe, d´Alger, de la Zaïtouna de Tunis, des Qarawiyne de Fès. Le siège du Comité exécutif était à Paris. Mohamed Harbi, nous dit Belaïd Abdeslam, avait opté pour l´UGEA dont il a été un militant actif, alors qu´il fut un des plus méritants au sein du PPA/MTLD. Il était même, dira encore Bélaïd Abdeslam, informé des préparatifs du Congrès de l´UGEMA et connaissait tous nos contacts.
Le 1er Comité exécutif de l´UGEMA était en majorité Ouléma-UDMA dont le discours d´ouverture fut prononcé par Ahmed Taleb El Ibrahimi. Dans ce Comité exécutif il y avait Layachi Yaker, Abderahmane Chériet et bien-sûr, les membres fondateurs en l´occurrence: Bélaïd Abdeslam, Mouloud Balahouane, Abdelmalek Benhabylès, Mohamed Seddik Benyahia, Lamine Khène, Rédha Malek, Messaoud Aït Chaâlal, Ali Abdellah, Aoufi Mahfoud, Belarbi Abdelkader, Mokhtar Bouabdellah, Tahar Boutamjit, Lakhdar Brahimi, Nordine Brahimi, Tahar Hamdi, Djamel Houhou, Mohamed Kellou Messaoud, Mohamed Khémisti, Lakhdar Ali, Mansour Benali, Momamed Mokrane, Bachir Ould Rouis, Mohamed Raffas, Mohamed Rezoug, Taleb Chouieb, Sid Ali Tiar, Zeghouche Derradji.
Tous ont fait partie du Comité exécutif de Juillet 1955 à Septembre 1962. Les autres membres du Comité directeur de Juillet 1955 à Décembre 1957 tels que Brahim Nordine, Saïd Belhacine, Benyahia Mohamed, Berrah Ghalem, Boudiaf Aïssa, Boudjellab Amar, Faydi Chérif, Ferdjioui Abdelhamid, Ghazali Méziane, Harmouche Arezki, Khellaf Maâmar, Krim Rachid, Larbi Mohamed, Rédha Malek, Mokdad Allaoua, Mentouri Mahmoud, Sahnoun Mohamed, Sisbane Chérif...
L'UGEMA PARTENAIRE CREDIBLE
L´UGEMA est devenue un partenaire crédible dans les milieux estudiantins internationaux dans les diverses organisations d´étudiants et de jeunesse. Se rapprochant d'Abane Ramdane, elle s´est prononcée pour le FLN. La section UGEMA d´Alger qui a lancé l´idée de la grève illimitée des cours et des examens rencontra Belaïd Abdeslam, notamment Lamine Khène, Allaoua Benbaâtouche, Hachem Malek frère de Rédha Malek et membre fondateur de l´UGEMA qui sera arrêté en 1957 jusqu´à l´Indépendance, Saddek Karamane et Brahim Chergui. Ahmed Taleb El Ibrahimi 1er Président de l´UGEMA.
Lakhdar Brahimi le disait dans l´ouvrage de Clément Moore Henry : « L'UGEMA 1955-1962 Témoignages » qu´il « fut élu dès son arrivée à l´université vice-président de l´AEMAN. Il y avait une AEMAN à Alger et l´AEMNA à Paris. Il avait reçu la lettre de Belaïd Abdeslam pour créer l´UGEMA par le biais de Lamine Khène, alors que Rédha Malek présidait l´Union des étudiants algériens à Paris» et qu´il était surpris d´avoir été élu membre du Comité directeur et vice-président du Comité exécutif de l´UGEMA alors qu´il participait au Festival mondial des étudiants et de la jeunesse à Varsovie.
C´était Ahmed Taleb Ibrahimi qui devenait le Président de l´UGEMA. Il venait de terminer sa dernière année de médecine. Le mot d´ordre pour l´élection de Ahmed Taleb, disait encore Lakhdar Brahimi, venait du FLN. Ce que ne démentit pas Ahmed Taleb, dans l´entretien avec Clément Moore Henry, Yaker Layachi, vice-président, Mouloud Balahouane secrétaire général et directeur de la publication « L´Etudiant algérien ».
LE MEMORANDUM DE L'UGEMA AU SG DE L'ONU
Il a été signataire en tant que Président de l´UGEMA « d´un Mémorandum adressé au SG de l´ONU pour l´inscription de la question algérienne dans l´ordre du jour de la session (voir Le Monde du 9 Février 1957)». Abderahmane Chériet fut secrétaire général adjoint et Mansour trésorier. Mais devant quitter l´UGEMA pour le Comité fédéral FLN, c´est Mouloud Balahouane qui le remplaça à la présidence de l´UGEMA pour préparer le 2ème Congrès en mars 1956. Taleb fut arrêté en février 1957.
C´est Bélaïd Abdeslam en vérité qui a été l´artisan infatigable pour rapprocher les différentes visions et à ce titre, l´honneur de la présidence de l´UGEMA lui revenait. Il a voulu que l´UGEMA intègre les sensibilités Udma et Oulemistes et qu´il devenait nécessaire de faire participer les étudiants se trouvant à Tunis, Fès, Le Caire, Damas, Baghdad, etc. dont certains ont participé au Congrès. Parmi eux Belkacem Zeddour qui fut un martyr de la Révolution, Brahim Mezhoud, Adda Benguettat, Aboul Kassem Saadallah, Malek Benabi, Mohamed Ksouri, Rabah Torki, Abdelkader Benkaci, Yahia Bouaziz, Abou Aliouche, Mohamed Meftah, Nor Abdelkader, Youcef Rouissi qui ont fait les universités du Moyen-Orient.
Beaucoup de lycéens et des Instituts Ibn Badis et El Katania de Constantine et d´autres régions du pays rejoignent le mot d´ordre de grève alors que Belaïd Abdeslam rencontrait Benkhedda en présence de Lamine Khène et Benbaâtouche. Ces derniers rejoignirent le maquis et Benbaâtouche est tombé au Champ d´honneur
LE 19 MAI 1956 ET L'EVEIL DE L'ELITE UNIVERSITAIRE
Le 19 Mai 1956 s´inscrivait en droite ligne de la stratégie de lutte menée par le FLN et c´est au CEE du FLN que revenait la décision d´ordonner le 03 Octobre 1957, la fin de la grève à l´ouverture de la rentrée universitaire 1957/58.
Dans une lettre signée par Abdelhamid Mehri, à partir de Tunis, datée du 12 Mai 1961 adressée au Comité exécutif de l´UGEMA, alors ministre des Affaires sociales et culturelles du GPRA, déclare la dissolution des sections de Lausanne et de Genève.
Une résolution finale du Comité directeur de l´UGEMA adoptée à l´unanimité à Bir el Bey à Tunis, allait dans le même ordre d´idées, la dissolution des sections de l´UGEMA et de demander au GPRA de désigner une commission d´enquête et de réorganisation de l´UGEMA. Un Appel aux étudiants algériens fut également adressé par Krim Belkacem, le 23 Décembre 1961 depuis Tunis dans lequel il demande à dépasser la crise au sein de l´UGEMA et propose de les aider à réunir « un Congrès extraordinaire dans la libre expression des opinions et le respect des principes fondamentaux de notre Révolution.»
«Le redressement de votre mouvement ne saurait se faire, devait-il dire, s´il n´est pas l´expression de votre propre volonté et le couronnement de vos efforts». Certains par leurs propres moyens rejoignent l´ALN tels que Mustapha Laliam, Mohamed Gueddi, les frères Belhocine meurent au maquis, Ahmed Chérif Mentouri dit Mahmoud, frère du moudjahid Bachir Mentouri, rejoint l´ALN aux frontières et meurt en 1957. «L´UGEMA était l´incarnation vivante de la Révolution algérienne, pas uniquement pour les étudiants algériens, mais aussi pour tous les étudiants admiratifs de par le monde», témoignait Clément Moore Henry l´auteur du livre «L´UGEMA».
On peut dire que la grève des étudiants fut un tournant dans l´engagement du Mouvement estudiantin et de l´Intelligentsia dans les rangs de la Révolution. Ce sont ces élites formées qui prendront les postes de responsabilité dans l´Algérie post- indépendance, notamment dans la diplomatie, l´économie, les rouages de l´Administration et l´ANP.
L´UNEA succède vers le 15 Août lors des travaux du Ve Congrès de l´UGEMA qui cesse de porter ce sigle. Au lendemain de l´Indépendance, le Mouvement Estudiantin vivra les différents conflits et débats d´idées tout au long des décennies suivantes. Soixante-quatre ans après, le Mouvement Estudiantin se retrouve avec plusieurs organisations syndicales qui se disputent le leadership dans la Communauté universitaire.
L'ELITE ET LES ENJEUX DU XXIe SIECLE
Chaque génération d´étudiants a sa part de responsabilité dans le développement des idées, pour peu qu´elle s´insère dans l´unité, dans la diversité des opinions pour faire avancer la Démocratie dans la voie du Progrès social et du Bien-être du Peuple. L'esprit du changement ne peut venir que des élites politiques et intellectuelles avec pour fondement la mesure et la raison d'honnêtes gens.
Toutes les idées les plus innovantes ne peuvent aussi venir que par une Gouvernance dont l'alternance fera émerger des femmes et hommes d'envergure et de talent qui impulsera un réel développement humain et politique. L'intelligentsia se doit de déconstruire en éveillant l'esprit critique pour relever les défis des décennies prochaines face aux grands enjeux et la géopolitique du XXIe siècle.
A y méditer de près, le mouvement estudiantin a été de tous les temps le précurseur des idées neuves et se trouve être avec la paysannerie et le monde du travail à l'avant-garde du combat pour la liberté et les idéaux du message du 1er Novembre 1954. Lorsque les étudiants entonnaient le chant de la Liberté marquant un lien historique du Hirak estudiantin avec « Nahnou Toullabou El Djazaïr Nahnou Lilmajdi Bounat- Nahnou Amalou El Djazaïr- Fi Layali Al Harikat », l'UGEMA demeurera dans les annales de notre Histoire, une des pages éclatantes de la communion Peuple/Etudiants.
Notre devoir est d'évoquer la mémoire de tous ceux des étudiants et lycéens qui sont morts, les armes à la main, pour que l'Algérie vive libre et indépendante. Le soixante-quatrième anniversaire de l'UGEMA constitue une page glorieuse de notre jeunesse qui a su adhérer à l'appel du 19 Mai 1956 dans le combat anti-colonial et faire preuve de courage et de sacrifice.
Le Président Abdelmadjid Tebboune depuis son investiture n'a pas manqué de mettre les problèmes de la Jeunesse au centre de ses préoccupations, tant au plan de l'éducation que de l'innovation technologique par la création de ministères autour des start-up, dans sa vision d'une Algérie nouvelle et solidaire.
*Docteur - Membre fondateur UNJA/CNJ - 19/Mai 1975 - Chercheur Universitaire - Ancien ministre
Notes Bibliographiques
1-Mahfoud Bennoune et Ali El Kenz: « Le Hasard et l´Histoire» entretiens avec Belaïd Abdeslam T1-La lutte des étudiants et la formation de l´Ugema, p 89, Enag Alger 1990.
2-Guy Pervillié: «Les étudiants algériens de l´Université française (1880-1962)» Editions Cnrs Paris 1984.
3-Slimane Cheikh: « L´Algérie en armes » OPU Alger. 1981. PP 251/253.
4-Clément Moore Henry: «UGEMA (1955-1962) Témoignages», Casbah Editions. Alger 2010.
5-Amar Bahloul: Revue Athakafa, n°92 Avril 1986. Activités des étudiants algériens au Moyen-Orient.
par Boudjemâa Haichour
*Docteur - Membre fondateur UNJA/CNJ - 19/Mai 1975 - Chercheur Universitaire - Ancien ministre
Un témoignage sur l'histoire de l'UGEMA
Chers amis !
C'est un grand honneur pour moi de participer à cette cérémonie du 50ème anniversaire de la création de l'UGEMA.
Le jour ou j'ai rencontré pour la première fois dans le petit café parisien du quartier Latin, les fondateurs de l'UGEMA, il y a déjà un demi-siècle, je n'imaginais pas les conséquences que cela allait avoir sur ma vie. Le plus important pour moi, ce sont les liens d'amitié très profonds et durables, entre les dirigeants de ce mouvement estudiantin et moi-même. Amitié et solidarité qui se sont consolidées dans le combat pour la liberté et la justice. Je n'avais jamais cru que je serais en vie un demi-siècle plus tard et d'avoir le plaisir de rencontrer tous ces amis, qui, comme moi les cheveux blancs et la taille courbée, s'unissent et se rencontrent aujourd'hui. Merci camarades de nous fournir cette opportunité dans les meilleures conditions.
Quand mon ancien et cher ami M. Jamal Houhou m'a parlé de cet anniversaire et m'invita à y assister, en l'acceptant avec plaisir, je passais en revue ce demi-siècle de relation et me rappelais mes souvenirs. Parmi eux les circonstances de mon premier contact avec l'UGEMA qui méritent d'être rappelées.
A cette époque, je représentais l'Union des étudiants de l'université de Téhéran au sein de l'Union internationale des étudiants, dont le siège se trouvait à Prague. J'étais chef du département anticolonialisme qui avait été créé sur mon initiative.
Le congrès de l'UIE s'approchait. J'avais pour mission de me rendre à Paris pour contacter les organisations des étudiants des pays colonisés, les choisir et les inviter à assister au prochain congrès de l'UIE qui allait avoir lieu en septembre 1956 à Prague. Avant mon départ pour Paris, M. Serge Dépaquit, le représentant des étudiants communistes au sein du secrétariat de l'UIE m'a donné les coordonnées du défunt monsieur Inal. Inal était à ce moment-là, militant de la Jeunesse communiste algérienne et avait fondé l'Union générale des étudiants algériens ! Nous avions eu au secrétariat de l'UIE quelques informations ambiguës sur les étudiants musulmans algériens qui avaient fondé leur propre organisation. Ma mission était de les rencontrer aussi et de fournir un rapport sur la situation des étudiants algériens. Il faut rappeler qu'à cette époque-là, le mouvement de libération du peuple algérien était peu connu dans le monde. On était au début de l'insurrection du peuple algérien.
A Paris, Inal m'a présenté son organisation comme étant démocratique et ouverte à toutes les tendances politiques et les croyances religieuses. En apprenant mes intentions de rencontrer l'UGEMA, Inal parla de l'UGEMA en la définissant comme une organisation sectaire, se limitant aux étudiants de confession musulmane ! tandis qu'il décrivait son organisation l'UGEA comme étant ouverte à tous les étudiants sans discrimination. Inal argumenta qu'à la faculté d'Alger, les étudiants catholiques, musulmans et juifs cohabitaient ensemble, et que son organisation correspondait à cette réalité. D'après lui, l'UGEMA allait diviser les étudiants tandis que ce dont le mouvement avait besoin c'était l'unité ! À première vue, son raisonnement et son approche du problème semblaient logiques. Mais j'avais envie d'écouter les dirigeants de l'UGEMA.
Avec l'aide des responsables de l'organisation des étudiants d'Afrique du Nord, j'ai pris rendez-vous avec l'UGEMA. C'était notre sacré Réda Malek qui était au rendez-vous, en tant que secrétaire général de l'organisation.
Vous le connaissez mieux que moi. Malek, avec son allure imposante, sa voix puissante et vive et surtout sa forte logique dans son raisonnement, m'a fait réaliser l'essence de la problématique. Le mot «musulman», argumenta Malek, n'est pas motivé par un sectarisme religieux. Et n'est absolument pas une attitude de discrimination, vis-à-vis des autres. Il m'expliqua que dans la lutte de la libération nationale, l'islam est l'élément le plus important de l'identité nationale dans la lutte contre les colonialistes français catholiques. Et c'est un langage simple pour faire mobiliser les fellagas. Il a souligné que les portes de l'UGEMA sont ouvertes à tout le monde sans discrimination. J'ai eu une deuxième conversation avec Ait Chalaal. Les mêmes argumentations et raisonnements, mais un style différent. Un discours raffiné, nuancé avec calme, un langage diplomatique, qui a profondément pénétré dans mon cœur.
Pour moi, originaire d'un pays musulman, et qui venais de sortir d'un grand mouvement de libération d'un autre pays, le discours de Malek a résonné en moi. Ma décision fut prise sur le coup. J'ai senti comme une obligation morale de supporter ce mouvement étant engagé dans une lutte juste mais terriblement inégale. Mais je devais convaincre le secrétariat de l'UIE, tout le monde y étant communiste, représentant soit les organisations des étudiants des pays socialistes ou autres et étant a priori favorable à l'organisation fondée par M. Inal ! À cette époque, j'étais moi-même membre du parti Toudeh d'Iran, aussi communiste ! Que faire ? Je me retournais vers M. Inal avec l'espoir de le convaincre, de rejoindre l'UGEMA et de se mettre au service du mouvement de libération nationale. Mais en vain et sans résultat sur le moment !
J'ai appris quelques mois plus tard, que M. Inal rejoignit le FLN, sans consentement de son parti, et qu'il était devenu commissaire politique de la région d'Oran et qu'il est mort, arme à la main dans le champ de bataille, comme martyr de la révolution algérienne !
Mon rapport à l'UIE a fait l'effet d'une explosion ! Car je raisonnais et demandais que l'on n'invite que l'UGEMA, en tant que seul représentant des étudiants algériens au congrès de l'UIE ! Il n'y avait vraiment pas de mauvaise volonté chez les membres du secrétariat. L'insurrection du 1er Novembre n'était pas encore suffisamment connue et reconnue dans le monde. On en était encore à l'époque de l'Algérie française.
La réunion du secrétariat a été tendue, et suspendue par la suite. J'ai mis sur la balance tout mon poids de chef du département anticolonial, mais surtout c'était grâce à l'aide efficace de l'inoubliable défunt Jiri Pelikan, notre président, que j'ai pu faire accepter par le secrétariat ma conclusion. Pelikan était un homme prévoyant, remarquable, intelligent, ouvert, l'homme des compromis. Sa place est vraiment vide aujourd'hui parmi nous.
La présence de la délégation de l'UGEMA au congrès de l'UIE à Prague était, dans le mouvement mondial des étudiants, un évènement très important. Il ne faut pas oublier que l'UIE était la première organisation mondiale qui a reconnu l'UGEMA à une échelle mondiale. À ce congrès participait une délégation de l'UNEF pour la première fois, après plusieurs années de rupture de sa relation avec l'UIE. Je me rappelle la tension de l'instant quand la délégation de l'UGEMA monta à la tribune et prit la parole ! Au milieu de l'ovation des congressistes, la délégation de l'UNEF quitta la salle. Heureusement, leurs relations se sont améliorées par la suite. La présence de plusieurs anciens dirigeants de l'UNEF dans cette cérémonie du 50e anniversaire en est le témoin.
Sans doute la fondation de l'UGEMA et son entrée au sein du mouvement international des étudiants et son combat, dans les multiples rencontres internationales en défendant la cause du peuple algérien pour l'indépendance, et aussi pour celles de tous les autres pays opprimés, contribua à la prise de conscience des étudiants du monde entier, et tout particulièrement politisa les étudiants français et l'UNEF. Mon amitié avec les militants algériens commença ainsi et fut consolidée au fil du temps, dans notre combat commun pour l'indépendance de l'Algérie et la liberté de tous les peuples opprimés de l'Asie et de l'Afrique. Avec le temps, nos relations ont surpassé le stade de relation officielle d'un dirigeant d'une organisation internationale avec les dirigeants d'une organisation nationale. On devint amis, intimes, avec beaucoup d'affection et aussi de complicité pour résoudre les problèmes surgis dans les congrès et multiples rencontres internationales.
A titre d'exemple, cela s'est produit peu après à la Conférence des étudiants afro-asiatiques à Bandung ! Avec l'inoubliable défunt Ben Yahia, notre complicité s'est formée autour d'un problème crucial et très important pour nous, de faire passer une résolution condamnant le colonialisme ! Cela peut vous étonner. Mais c'était la délégation chinoise qui voulait l'éviter ! Leur raisonnement était simple. S'il y a opposition, même venant de la délégation d'un seul pays, il faut renoncer à la résolution. Car d'après les camarades chinois, le fait même de cette première rencontre des étudiants d'Asie et d'Afrique et l'expression de leur unité semblait être le plus important.
C'est en 1959 que j'ai eu le plaisir de rencontrer mon charmant ami M. Belaïd Abdessalam à Prague qui souhaitait mon aide pour résoudre certains problèmes importants des boursiers algériens dans les pays de l'Est. Mon attachement à la cause du peuple algérien et mon engagement à l'égard de l'UGEMA au sein du secrétariat de l'UIE était tel qu'un jour, M. Pélikan en rigolant me demanda : es-tu représentant de l'UIE auprès de l'UGEMA ou bien celui de l'UGEMA au sein du secrétariat de l'UIE ?
Me rappeler et raconter mes souvenirs avec d'autres dirigeants valeureux de l'UGEMA tels que Ait Chaalal, Jamal Houhou, Taleb, le défunt Khémisti, Abdelaoui, Hamdi et beaucoup d'autres, qui sont présents ici, serait long.
Mais je fais une petite halte sur quelques évènements surgis après l'indépendance de l'Algérie ! En 1963, je me trouvais à Moscou avec Ben Yahia ! Mais cette fois-ci, lui était ambassadeur et moi étudiant ! Il m'a aidé à faire expatrier vers l'Algérie une trentaine de mes compatriotes iraniens spécialistes dans les différents domaines, émigrés politiques sans papiers, qui ne supportaient plus de vivre dans ce soi-disant «paradis terrestre».
Il est à rappeler que Ben Yahia donna plus tard sa vite, tellement valeureuse, dans une mission de paix pour mon pays.
L'été 1964, je me trouvais en Algérie indépendante avec un faux passeport, car mon passeport iranien était confisqué par l'ambassade d'Iran en Tunisie; j'étais honoré par M. Jamal Houhou qui m'a procuré un passeport national algérien.
En 1969, après la tragédie du printemps de Prague, je n'arrivais plus à respirer l'air des pays «socialistes». Je voulais quitter la RDA pour m'installer à l'Ouest. Mon handicap, entre autres, était le piège tendu par la SAVAK en manipulant un dossier par l'Interpol, forgé de toute pièce, pour m'arrêter et me rendre aux autorités iraniennes ! J'ai pris le risque en prenant l'avion à destination de Paris ! Réda Malek, ambassadeur de son pays à Paris, en apprenant la nouvelle, vint accompagné de mon avocat, jusqu'au pied de l'avion avec l'intention d'intervenir au cas où l'on m'aurait arrêté à ma descente d'avion !
Au cours de mon procès à Paris, Réda Malek, en tant qu'ambassadeur de son pays, a écrit une excellente lettre, témoignant en ma faveur. Le même geste d'amitié et solidarité a été fait par Ait chaalal, lui aussi ambassadeur en Italie ! Je n'oublierais jamais ce geste de fidélité dans l'amitié et la signification de leur solidarité à un moment difficile de ma vie.
Chers amis ! Je vous remercie encore de m'honorer en m'ayant invité à assister à cet anniversaire si important et en me donnant l'opportunité de faire ce témoignage.
Merci et félicitations.
par Babak Amir Khosorovi*
(Ancien membre du secrétariat de l'Union internationale des étudiants-UIE)
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