«Si nous observons les hommes politiques, nous observons que les plus misérables d’entre eux sont obnubilés par le pouvoir.» Stéphane Hessel
On l’a presque oublié. Pourtant il était encore au pouvoir il y a à peine une année. La période de Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’Algérie restera la période la plus noire de notre pays. En 20 ans de présidence, tel Attila, il a laissé sciemment un pays sinistré.
Pourtant, l’Algérie lui a tout donné. Elle a fait de lui l’enfant gâté du système, au point qu’à 21 ans, moins d’une année après l’Indépendance, il était ministre de la Jeunesse avant de devenir deux plus tard un chargé du portefeuille des Affaires étrangères, après l’assassinat de Mohamed Khemisti, devenant de ce fait le plus jeune ministre au monde. L’ascenseur ne s’arrête pas là.
En 1965, il est membre du tout-puissant Conseil la révolution qui a pris le pouvoir après la destitution d’Ahmed Ben Bella par Houari Boumediène.
Cet enfant d’Oujda, né le 2 mars 1937, n’avait jamais imaginé qu’il aurait un destin singulier. Sa rencontre avec Boumediène, durant la Guerre de Libération, a sans doute pesé pour longtemps au point qu’il semblait vouloir prendre une revanche sur l’histoire.
Le parcours de son père a, apparemment, joué un grand rôle dans sa vie. Sa mère a été une troisième épouse avant qu’il ne l’a délaisse pour prendre une quatrième femme avec laquelle il s’installe à Aïn Témouchent. Le père l’a beaucoup perturbé, au point qu’il n’a jamais évoqué son existence.
Durant la Guerre de Libération, les services marocains informent l’ALN que le père en question est un agent des services français qui a infiltré le mouvement nationaliste. Arrêté et jugé, il sera exécuté. Est-ce à partir de ce moment que Abdelaziz a développé une haine contre les Algériens ?
Cela ne l’a pas empêché de profiter au maximum de cette Algérie. Exploitant l’aura de la Révolution algérienne, il se fait un nom sur la scène internationale, alors qu’il n’était pas connu pour être un foudre de guerre en matière de travail.
Il était cependant connu pour être un grand intrigant, au point qu’il a réussi à convaincre Boumediène de se débarrasser de son dauphin Cherif Belkacem, pensant ainsi préparer le terrain pour succéder au président du Conseil de la révolution sur lequel il avait, en apparence, un grand ascendant.
Cela se vérifiera en 1975. Après la mort du général Franco la même année, le Maroc décide d’investir le Sahara occidental, alors qu’il s’était entendu depuis 1966 avec l’Algérie et la Mauritanie pour que ce territoire jouisse du droit à l’autodétermination et à l’indépendance, conformément aux résolution de l’ONU concernant ce pays.
Contre toute attente, Bouteflika prend fait et cause pour les thèses colonialistes de Rabat. Et en signe de protestation contre la position algérienne, il prend sa valise et s’installe pour deux mois au Maroc, chez une journaliste marocaine avant de se mettre à vadrouiller entre la Suisse, la France et les pays du Golfe. Il retourne 6 mois plus tard en Algérie, et bizarrement, il retrouve son ministère comme si de rien n’était.
Boumediène décède en décembre 1978, Bouteflika croit que son heure est arrivée. Mais les autres membres du Conseil de la révolution, connaissant sans doute son étrange passé, lui barrent le chemin et choisissent Chadli Bendjedid, «le plus ancien dans le grade le plus élevé». Une pilule amère que refuse d’avaler le fils d’Oujda et qui contribuera à développer davantage sa rancœur contre l’Algérie.
Une enquête de la Cour des comptes révélera plus tard que l’homme est un malhonnête qui s’est servi dans les caisses du ministère des Affaires étrangères. Le nouveau chef de l’Etat bloque les poursuites judiciaires et le laisse partir.
Il faut attendre 1994 pour qu’on entende à nouveau parler de lui. A l’époque, le mandat du HCE (Haut Comité d’Etat), qui gérait le pays depuis la démission de Chadli en janvier 1992, et qui était une structure provisoire, devait laisser sa place. Une conférence nationale a eu lieu à Club des Pins. Bizarrement, il est fait appel à Bouteflika pour présider aux destinées du pays.
Mais, coup de théâtre, il accepte mais se ravise rapidement sur conseil, dit-on, de Larbi Belkhir. Le fardeau était trop lourd à porter. Les caisses de l’Etat étaient vides et le terrorisme islamiste avait mis à genoux l’Algérie. Des défis que Bouteflika était incapable de relever. Il s’enfuit pratiquement à Genève et on n’entendra plus parler de lui.
L’Algérie entre en enfer
Mais une surprise attend les Algériens et sourit à Bouteflika. Liamine Zeroual, triomphalement élu à la tête de l’Etat en 1996, annonce en août 1998 qu’il rend son tablier. Il donne une nouvelle chance à Bouteflika. Larbi Belkhir, encore lui, utilise ses liens pour l’imposer au pays. Des élections truquées et les jeux sont faits.
En mai 1999, Bouteflika prête serment. Il trouve un pays pacifié, la politique de fermeté de Zeroual et la détermination de l’ANP ont eu raison des maquis terroristes.
La chance du nouveau Président ne s’arrête pas là. Le prix du pétrole grimpe sensiblement. Même la pluie est au rendez-vous, alors que la sécheresse sévissait depuis plusieurs années. Mû par une ambition sans limite, désireux d’accaparer tous les pouvoirs, il annonce qu’il ne veut pas être un «trois quarts de Président».
Devenu arrogant, il ose même insulter le peuple algérien en déclarant qu’il est prêt à le «laisser dans sa médiocrité» et à «rentrer» chez lui (?!) Il développe un discours de haine, opposant l’Est à l’Ouest, le Nord au Sud, insultant les Kabyles qu’il croyait être des «lions alors qu’ils sont des chats», leur demandant même «d’aller à Tlemcen pour apprendre à faire la cuisine».
Des déclarations de guerre aux Algériens qui n’ont pas échappé aux observateurs perspicaces. Il avait réussi à inoculer le venin de la lâcheté à tous les décideurs et à tous les politiciens qui gravitaient dans les sphères de l’Etat. Pour atteindre ses objectifs, il avait une arme redoutable : la corruption.
C’est une arme qu’il avait ramenée du Maroc. Hassan II était son modèle. Il considérait que si ce dernier avait réussi à se maintenir au pouvoir contre vents et marées, c’est parce que toute sa politique était basée sur l’achat des âmes des hommes et la perversion des esprits.
Il fallait gangrener la société du sommet à la base et éliminer toutes les barrières entre le licite et l’illicite. Et surtout, et c’était là aussi le rêve de Hassan II, mettre l’Algérie à genoux, lui faire perdre son âme, la renvoyer au Moyen-âge, la détruire totalement en quelque sorte.
Cette politique criminelle, accompagnée de l’affaiblissement total de toutes les institutions, a vu l’apparition, du jour au lendemain, de fortunes faramineuses, d’hommes d’affaires arrogants et sans pitié. La course était à celui qui ramassait le plus d’argent en un temps record.
La rapine est devenue une affaire de famille, comme on le voit avec les Hamel et les Ould Abbès pour ne citer que ceux-là qui se retrouvent, hommes, femmes et enfants, poursuivis et condamnés par la justice, à croire qu’il les a nommés pour piller les caisses de l’Etat.
Un Hamel, par exemple, impliqué dans un trafic de drogue quand il était à la gendarmerie, en a été extirpé avec pour récompense le grade de général et sa nomination à la tête de la DGSN. Dès son arrivée à la tête de cette institution, il n’a pas trouvé mieux que de se faire verser sur son compte 3 millions de dinars du fonds social de la police.
On n’a pas entendu qu’il est poursuivi pour ce délit. La liste des corrompus est si longue que les experts mettent des années pour en arriver à bout. Bouteflika et ses amis, son frère Saïd, géraient le pays comme si c’était leur bien privé. Ils détruisaient ceux qu’ils voulaient et enrichissaient sans retenue les larbins zélés. C’est un miracle qu’ils n’aient pas réussi à monter une milice à leur solde pour liquider ceux qui leur déplaisaient.
Bien entendu, cette politique de la terre brûlée a provoqué un dramatique appauvrissement de l’Algérie. L’investissement productif était prohibé et remplacé par des dépenses somptuaires, derrière lesquelles se cachaient la gabegie et les grosses commissions sur les marchés.
Scandaleuse mosquée
Les exemples à ce sujet foisonnent. Nous ne citerons que l’autoroute Est-Ouest et la Grande Mosquée d’Alger. Dans le premier cas, l’opération était pilotée par Amar Ghoul, ministre des Travaux publics et placé exprès à ce poste par le chef de l’Etat pour organiser le pillage des ressources du pays à une échelle qui ferait pâlir de jalousie le défunt Mobutu Sesse Seko, immense voleur devant l’éternel et qui a transformé son pays, le Zaïre, en grand champ de misère malgré ses scandaleuses richesses, minières notamment.
Ghoul, pourri jusqu’à l’os, a réussi l’exploit de faire payer au pays le kilomètre d’autoroute le plus cher au monde, un record que n’a pu établir la maffia napolitaine dont c’est pourtant la spécialité.
Bouteflika a même cherché à tromper Dieu. Pour se faire pardonner ses crimes contre l’Algérie et s’assurer une place confortable dans l’Au-Delà, il a fait construire une des plus grandes mosquées du monde. Mais voilà ! Il ne l’a pas fait sur sa propre cassette, mais avec l’argent du contribuable.
Elle a coûté au minimum 3 milliards de dollars, et elle n’est pas encore terminée. L’investissement engagé aurait pu être consacré à la construction de 15 hôpitaux haut de gamme, ce qui en cette période de pandémie de coronavirus aurait permis à l’Algérie de faire face à la situation avec une grande aisance.
C’est le discours qu’ont tenu nos seniors pour dénoncer cette gabegie. «Nous n’avons pas besoin d’un tel lieu de culte, mais d’hôpitaux et d’écoles. Un bon musulman n’a pas besoin de luxe pour faire sa prière.»
Depuis 1999, il était mû par la volonté d’assécher les caisses de l’Etat pour appauvrir cette Algérie qui, dans son esprit pervers, ne l’a pas porté au pouvoir après la mort de Boumediène, comme si les Algériens avaient voix au chapitre à l’époque.
Pour atteindre cet objectif, il a même importé des Etats-Unis des spécialistes en corruption, comme Chakib Khelil et Abdelhamid Temmar, eux aussi d’Oujda. Le premier surtout, il lui a donné le pouvoir total sur la principale, sinon l’unique richesse du pays, le pétrole. Chakib Khelil ne s’est pas fait prier.
Selon des chiffres connus, il aurait volé environ 300 millions de dollars. On ne sait pas s’il a partagé avec le «clan», comme il aimait à appeler la bande à Bouteflika et dont il faisait partie avec fierté. L’appétit venant en mangeant et l’impunité garantie, l’ancien ministre de l’Energie, au lieu de se retrouver à El Harrach, a même ambitionné de devenir président de la République avec, bien entendu, la complicité et le concours de son mentor.
Le complot n’a pas réussi grâce à des patriotes algériens et aux Italiens qui ont mis à nu les ravages provoqués par les détournements de l’argent du pétrole.
Pour mettre totalement à genoux l’Algérie, Bouteflika a réhabilité la mouvance islamiste et des chefs terroristes du GIA et de l’AIS notamment. Il leur a donné une seconde vie et même un criminel comme Ali Benhadj tente de profiter de l’occasion pour revenir sur la scène politique. Bouteflika n’hésitait d’ailleurs pas à avouer qu’il était plus proche des islamistes que des démocrates et à comparer un émir à Che Guevara.
Le mal qu’a fait Bouteflika à l’Algérie est très profond et le bilan reste à faire. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il soit jugé pour qu’on connaisse toute la vérité. Son état de santé ne peut être une excuse pour ne pas rendre des comptes. C’est malhonnête de juger une bande de malfaiteurs et d’épargner son chef.
Lors de son premier mandat, El Watan avait écrit que le locataire d’El Mouradia «n’aimait ni l’Algérie ni les Algériens». L’auteur de ces lignes a été interpellé par un diplomate étranger. «Vous exagérez», m’a-t-il dit. Environ trois mois plus tard, je le croisais et ilme dit sans fioriture : «Je crois que vous aviez raison. Il n’aime ni l’Algérie ni les Algériens.»
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