Un groupe de jeunes supporters algériens. (Romain Laurendeau)
Romain Laurendeau, qui a passé cinq ans en Algérie, a remporté le premier prix du World Press Photo dans la catégorie Reportage photo de l'année, avec sa série d'images en noir et blanc sur la jeunesse algérienne. Le photographe répond aux questions de franceinfo Afrique.
Franceinfo Afrique : c'est quoi une photo, ou une série de photos, réussie ?
Romain Laurendeau : je ne sais pas. Certainement une photo ou une série qui touche comme elle a touché celui qui en est l'auteur. Pour moi, la photographie est mon médium et mon rapport au monde. Il est aujourd'hui très facile de faire des photos formellement maîtrisées. Mais cela ne suffira jamais pour lui donner une âme. Incarner ce que l'on fait peut alors être une piste.
La Révolution du sourire, ou le Hirak, est-elle une belle opportunité pour un photographe ?
Mon travail en Algérie ne porte pas sur la révolution en elle-même. Je suis arrivé pour la première fois en Algérie en 2014, juste après la dernière élection de Bouteflika. Par la suite, j'ai commencé à partager et photographier le quotidien de cette jeunesse des quartiers populaires décrite comme perdue. Cela a duré plusieurs années. J'ai été alors extrêmement touché par ce déficit de rêves, de projection dans l'avenir qu'ils (ces jeunes, NDLR) semblaient incarner. A l'époque, personne ne comprenait vraiment pourquoi je passais mon temps avec eux. Pourtant, pour moi, il s'y jouait quelque chose de fondamental qui avait à voir avec la tragédie humaine. A ce moment-là, personne ne pouvait imaginer la Révolution du sourire. Pourtant, tous ces jeunes qui n'intéressaient personne l'ont rendue possible en défiant les autorités, par leur nombre et leur courage. Bien sûr, quand j'ai appris qu'à Alger, et partout en Algérie, des millions de personnes manifestaient dans les rues, il était impossible que je n'assiste pas à cela. Mais ces manifestations représentent une sorte de magnifique épilogue de l'histoire photographique que je voulais raconter.
Pourquoi avez-vous choisi le noir et blanc ?
J'ai une grande histoire avec le noir et blanc. Je suis arrivé à la photographie par le noir et blanc. Et pendant pratiquement dix ans, je n'ai fait que cela. Il me permettait à l'époque la plus grande des libertés. De bobiner moi-même mes pellicules, au tirage sous l'agrandisseur. Mais plus que ça, le noir et blanc me permettait plus facilement de transmettre une vérité de l'émotion. Une vérité de l'émotion atténuée en couleur qui, elle, s'attachait à l'époque à vouloir restituer une vérité formelle. Mais avec l'avènement du numérique, tout a changé. On est désormais beaucoup plus libre d’interpréter la couleur. J'avais d'ailleurs commencé cette série en couleur, voulant garder cette force de l'émotion tout en jouant avec l'information couleur. Mais chaque prise était tellement compliquée et les couleurs des vêtements souvent flashy parasitaient tellement, que je me suis résigné à ce que je savais faire le mieux, le noir et blanc. Cela dit, Kho, la genèse d'une révolte présentée au World Press emprunte en réalité à quatre séries distinctes sur les jeunes, et l'une d'entre elle est en couleur.
"Kho", frère, quel est votre concept ?
Kho, c'est peut être le premier mot que j'ai appris à mon arrivé. Kho, qui veut dire frère, est pour moi une connexion. Cela veut dire "il n'y a pas d'embrouille, on est ensemble". Finalement, avec les gars des quartiers, j'ai pu être le témoin de ce concept, chaque jour. La vie était dure, mais ils étaient ensemble.
Qu’évoque l’Algérie pour vous ?
L'Algérie, après cinq ans passés avec ses enfants, fait partie désormais de moi. J'y vois le pire, j'y vois le meilleur. J'y vois des murs décrépis, des sourires, le regard bleu d'un pêcheur qui regarde la mer, le soleil, les blagues, des larmes, des grandes gueules joviales et des timides. J'y vois tellement de potentiel et tellement de dogmes aussi. Finalement, j'y vois des gosses qui se retrouvent au milieu de tout ça et qui font comme ils peuvent...
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