Sommes-nous dans l’incapacité de réconcilier La Casbah avec l’espace colonial d’une part, et le reste de la ville, d’autre part, pour faire d’Alger une capitale fière de son histoire et résolument tournée vers l’avenir ?
La réponse est a priori oui ! En tous cas, si l’on se réfère à la dernière polémique née de l’annonce, il y a déjà un an, par l’ancien wali d’Alger, Abdekader Zoukh, de la mission de «revitalisation» de La Casbah d’Alger confiée à l’architecte français Jean Nouvel, dans le cadre du partenariat avec la région Île-de-France, plus récemment encore, l’annonce de la prise en charge par l’Agence française de développement (AFD) de l’intervention opérationnelle dans La Casbah d’Alger de l’Agence (française) nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), cela a tout l’air d’un aveu d’échec de toutes les tentatives menées en ce sens depuis l’indépendance, et semble témoigner d’une incapacité à s’approprier non seulement ce «butin de guerre», pour reprendre les propos de Kateb Yacine à propos de la langue française, mais aussi de regarder en face la réalité du territoire algérois tel qu’il est aujourd’hui. Cela, malgré l’identification, dès les premières années de l’indépendance, des priorités sur le devenir d’Alger et la mise en place de structures et de moyens humains et matériels pour y répondre.
On peut citer à ce titre :
• La création en 1968 du Comedor, comité ministériel placé sous la tutelle de la présidence de la République, qui avait pour mission de proposer une vision nouvelle d’Alger. Pour ce faire, il fit appel à la fine fleur de l’architecture et de l’urbanisme de cette époque, dont Oscar Niemeyer qui aboutira à l’élaboration du Plan d’orientation générale (POG) dont les projets phares étaient le centre gouvernemental sur le front de mer et la mosquée flottant telle une île au centre de la baie ;
• La création en 1968 de l’Atelier Casbah dont la mission était d’élaborer un plan d’intervention sur le tissu de la médina avec la collaboration de l’Unesco. Il a mené à la mise en place de l’Office d’intervention et de restructuration de La Casbah (Ofirac).
Nous pouvons citer également :
• l’Office d’aménagement et de restructuration de la zone du Hamma (Ofares) ;
• le Grand Projet Urbain (GPU) avec son parcours du millénaire, sous le Gouvernorat du Grand Alger (1997-2000).
Ainsi que les derniers en date :
• Le dernier Plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) de la ville d’Alger, approuvé en mai 2016 ;
• le concours international pour l’aménagement de la baie d’Alger, remporté par le bureau parisien ARTE Charpentier ;
• enfin, le plan stratégique d’Alger 2030, qui établit la synthèse de ces deux projets en leur définissant une stratégie d’action.
De toutes ces initiatives, aucune n’a été finalisée, mais des bribes de certaines sont apparentes : les projets de la pêcherie, la Bibliothèque nationale et l’hôtel Sofitel, ou encore le Bastion 23 qui s’est concrétisé malgré les polémiques nées de l’utilisation de matériaux modernes et portée par les «puristes» du patrimoine. Le Bastion, dénommé le « Titanic », dénote par son isolement spatial le manque de cohérence des opérations et les remises en cause successives de différents projets.
Le problème n’est donc ni dans la volonté politique ni dans les moyens alloués, il s’agit encore moins d’un problème d’idées, il réside vraisemblablement dans notre incapacité à construire un projet commun. Nos divergences sont-elles si profondes que toute initiative d’un groupe est annihilée par l’autre, telles que ce fut le cas à la veille du déclenchement de Novembre ?
Réconcilier La Casbah, l’espace colonial et le reste de la ville pour projeter Alger parmi les capitales prestigieuses n’est-il pas à notre portée politique, intellectuelle, culturelle, technique et financière ? Faut-il attendre que les descendants des auteurs de l’architecture du vainqueur (terme donné à l’architecture haussmannienne produite en Algérie et au Maroc) et de l’architecture du protecteur (qualifiant l’architecture néo-mauresque produite également dans ces pays dans les années 1930)(1) puissent nous amener l’architecture et l’urbanisme de la réconciliation pour régler nos contradictions sur l’avenir d’une capitale fière de son passé et à laquelle tous les Algériens s’identifieront ?Entre temps, la ville s’écroule ! Victime de l’ego de chacun, d’absence de continuité, de légitimité et de représentativité…
Alors, on butine autour avec des opérations intitulées Plan stratégique !La stratégie aurait voulu que les citoyens puissent accéder aux commodités et à leur travail dans des meilleures conditions, que l’on rapproche les lieux de vies des lieux d’emploi et que l’on se réapproprie le patrimoine foncier auquel personne n’ose toucher. Plus précisément, on parle de plus de 700 hectares autour de la baie, avec une concentration au niveau du Hamma.
De plus, la moindre bâtisse qui s’écroule est transformée en espace « public » (plutôt tahtaha), sans logique d’implantation et de programmation, et comme si les dynamiques et logiques foncières et du marché étaient exclues et repoussées vers la «périphérie». Pendant ce temps, on avance l’idée de gagner du terrain sur la mer avec des îles flottantes.
En parlant d’exclusion, il y a même des voix qui se sont élevées et qui s’élèvent encore pour contester le mérite d’habiter Alger pour une grande partie de la population et à plus forte raison de mener un projet pour cette ville.
Cette idée est immortalisée par la chanson de Meskoud, qui a fait le buzz à partir de 1989. Le sort d’Alger a-t-il été scellé par cette chanson mythique ? Applaudie par la vox populi, la sentence était tombée à cette époque et le responsable a été désigné : ezehf errifi (l’exode rural), et rien d’autre !
Cela était si facile qu’il ne semblait pas y avoir de solution possible sans le règlement de ce problème. Ainsi, des opérations de transfert des populations, des bidonvilles vers leurs lieux d’origine ont été menées dans les années 1980. Comme si toutes les grandes villes du monde n’ont pas connu ce phénomène.
Entre temps, de par le monde, des villes entières sont nées du désert, d’autres se sont transformées radicalement, alors que nous nous enfermons dans des débats stériles qui nous déresponsabilisent d’une chose dont nous sommes tous responsables.
Aujourd’hui, se débarrasser des clichés qui inhibent toutes nos capacités de réflexion est la principale action à entreprendre pour construire ce projet commun «Alger».
Par Mouloud Mezoued , Architecte, urbaniste. Docteur en art de bâtir et urbanisme
Note et référence :
(1) Béguin François (1983). Arabisances. Décor architectural et tracé urbain en Afrique du Nord, 1830-1950. Paris : Dunod.
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