Le 13 février 1960, l’armée française fait exploser une bombe nucléaire au-dessus du Sahara algérien. Aujourd’hui, la région en subit encore les impacts, mais les conséquences ont été peu documentées.
Comme chaque vendredi, depuis février 2019, les manifestants tentent de se frayer un passage vers la rue Didouche Mourad, dans le centre de la capitale algérienne. Ce vendredi 24 janvier 2020, certains manifestants brandissent des pancartes contre l’exploitation du gaz de schiste. Sur l’une d’entre elles, il est écrit : « Les habitants du Sahara ne sont pas des cobayes. Non au gaz de schiste. Vous n’êtes pas différents de la France et ce qu’elle a commis à Reggane. »
L’Algérie est toujours une colonie française lorsque le 13 février 1960, l’armée française effectue un essai nucléaire au-dessus du Sahara. Une bombe de 70 kilotonnes explose dans l’atmosphère, l’équivalent de quatre fois celle d'Hiroshima. L’opération est appelée « Gerboise bleue ». Trois autres essais auront lieu au-dessus du désert algérien en une année. Mais le Sahara n’est pas vide. Selon les études françaises, 40 000 habitants au moins sont touchés par les radiations entre 1960 et 1966.
Besoin de sensibilisation
Chaque année, la date anniversaire des essais nucléaires donne lieu à des colloques officiels, ou des rencontres scientifiques. Mais guère plus. En 2018, le vice-président de l'association « Taourirt », qui défend les victimes de ces essais, Abdelkrim Touhami, a demandé à ce que le 13 février devienne la journée nationale des victimes des essais nucléaires. Le coordinateur national des victimes des essais nucléaires français en Algérie, Mohamed Mahmoudi, a souhaité que ces essais soient introduits dans les programmes scolaires. Le besoin de sensibilisation est important.
« J’ai été surpris, lors de mes rencontres avec le public, que beaucoup d’Algériens n’aient pas de grande connaissance de ce qu’il s’était passé », raconte Djamel Mati, auteur du roman Sentiments irradiés, une histoire d’amour impossible entre un Algérien et un Française à l’époque de ces essais nucléaires. Cet ingénieur en géo-physique de 69 ans explique avoir compris l’ampleur du drame, lorsqu’il se rend sur le site. « Rien ne pousse et rien ne poussera probablement jamais », décrit-il. Le secteur de la culture s’est peu emparé de cette question. Un film documentaire, At(H)ome, a été réalisé en 2013 par Elisabeth Leuvrey avec le photographe Bruno Hadjih. En 2019, le travail d’un photographe français, Gregory Dargent, a été exposé par le ministère de la Culture.
Le nombre de cancer en augmentation
Parallèlement, la recherche en Algérie a peu avancé sur cette question. En 2018, Mustapha Khiati, président du Conseil national d'évaluation de la recherche scientifique et du développement technologique, déclarait aux journalistes : « Il est temps pour l'Algérie d’effectuer des études nécessaires sur les effets des essais nucléaires français dans le sud de l'Algérie. » Dans la région administrative de Adrar, dont dépend le ville de Reggane, les autorités ont bien mis en place, comme dans le reste du pays, un « registre du cancer ».
En 2019, 183 nouveaux cas de cancer ont été enregistrés par les services de santé de la région, selon les autorités. Un nombre en augmentation chaque année depuis 2016, mais inférieur à la moyenne nationale de 103,3 nouveaux cas pour 100 000 habitants. Cependant, ces chiffres sont à prendre avec précaution, selon les professionnels de la santé. Cette région de 452 000 habitants n’échappent pas aux difficultés structurelles du système de santé. Le manque de médecins spécialistes ( Il y en a un pour 6 722 habitants dans la région), le manque de structures, le manque de moyens, à Adrar, comme dans la plupart des régions du sud du pays, poussent les patients à se faire soigner dans des structures de santé plus au nord. Et il n’y a pas encore de coordination entre les hôpitaux qui permette de connaître précisément l’ampleur des cas de cancer des habitants de Reggane.
Lors de ses recherches pour son roman, Djamel Mati n’a pas non plus trouvé d’étude officielle sur ces essais nucléaires et leurs conséquences : « Ce qui pourrait expliquer le manque d’études côté algérien, c’est peut-être que les explosions ont continué jusqu’en 1966. Or nous étions indépendants depuis quatre ans. La France est responsable des explosions, du drame humanitaire provoqué par la volonté d’entrer dans le cercle des grandes puissances de l’époque. Mais aujourd’hui, à propos de la situation actuelle, les torts sont partagés. »
Publié le :
ttp://www.rfi.fr/fr/afrique/20200213-soixante-ans-gerboise-bleue-alg%C3%A9rie-m%C3%A9moire-essais-nucl%C3%A9aires
Pourquoi alors la France ne reconnaît-elle pas officiellement ces horribles crimes contre l'humanité? Il faut souligner, néanmoins, que des parties françaises sont allées plus loin que les Algériens, eux-mêmes, pour faire exploser la vérité sur les crimes des essais nucléaires à Reggane, où l'exposition aux radiations ionisantes provoque encore plus de vingt types de cancer selon les médecins, et où plus rien ne pousse alors qu'on y cultivait avant cette triste époque des céréales et des dattes.
En France on n'a pas réussi à enterrer ce dossier, certainement parce que des Français figuraient parmi les victimes de ces essais. Cela a, ainsi, poussé le Conseil constitutionnel français à envisager des indemnisations pour les civils algériens ayant subi des dommages physiques du fait de violences durant l'occupation coloniale, et Reggane peut s'inscrire sur ce registre des indemnisations possibles des populations touchées à l'époque.
En Algérie, hormis les revendications des associations des droits de l'homme et de certains avocats, on n'est jamais allé plus loin, sur le plan officiel, que l'organisation des rencontres officielles à la date anniversaire de l'explosion de la première bombe nucléaire, le 13 février. Est-ce par crainte de remuer le secret d'Etat qui a permis à la France de poursuivre ses expérimentations nucléaires après l'indépendance, jusqu'au démantèlement du site en 1965 ? En tout cas, le crime est pesant dans les relations entre les deux pays, et l'on va peu à peu vers cette exigence de sa reconnaissance.
En Algérie, pour la première fois, on fait officiellement un préalable du règlement de ce dossier pour établir des relatons normales avec la France. C'est le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, qui l'a affirmé jeudi dernier à partir de Reggane où s'est tenu un colloque dans le cadre de la commémoration du 60ème anniversaire des explosions nucléaires menées par la France coloniale dans la région de Hamoudia à Reggane.
Un changement significatif, d'autant que le dossier des explosions nucléaires françaises dans la région de Reggane et les séquelles des radiations qui font encore des victimes « fait partie de quatre dossiers retenus au plan du gouvernement dans son volet lié à la mémoire nationale, ouvert entre l'Algérie et la France », selon M. Zitouni. Il faut juste avoir le courage d'aller jusqu'au bout dans le règlement définitif de ces dossiers qui empoisonnent les relations entre les deux pays.
Essais nucléaires français en Algérie: la carte du nuage radioactif
Un document choc a été publié ce vendredi 14 février dans le journal Le Parisien. Il s'agit d'une carte relative aux essais nucléaires français, réalisés dans les années 1960 en Algérie. Jusqu'ici classée « secret défense » sur décision de l'armée, cette carte a été déclassifiée le 4 avril 2013, dans le cadre d'une enquête pénale déclenchée par des vétérans. Elle montre l'étendue des retombées radioactives du premier essai nucléaire aérien effectué dans le Sahara.
Gerboise bleue, c'est le nom de code qui avait été donné au tout premier essai nucléaire aérien effectué dans le Sahara le 13 février 1960 sur ordre du général de Gaulle.
Cette explosion, quatre fois plus importante que celle d'Hiroshima, avait permis à la France de devenir une puissance nucléaire.
Suivront Gerboise blanche, puis rouge, puis verte. Puis 13 autres essais, souterrains cette fois-ci. En tout, la France procèdera à 17 essais nucléaires dans le Sahara jusq'uen 1966.
L'Afrique subsaharienne est touchée
Aujourd'hui, le grand public commence à découvrir l'étendue exacte des retombées nucléaires dans la région, à partir d'une simple carte, classée « secret défense » jusqu'en avril dernier par l'armée.
Que voit-on sur ce document ? De vastes zones de contamination, allant bien au-delà du Sahara, observées jusqu'à deux semaines après le premier tir aérien de février 1960.
Des retombées radioactives au Mali, en Mauritanie, en Côte d'Ivoire, au Sénégal, au Niger, en Centrafrique, au Tchad, au Ghana.
Quel impact pour la santé humaine ?
Le parcours du nuage est connu. Un jour après l'explosion, il traverse le désert, en fonction des vents, et atteint Tamanrasset. En l'espace de 24 heures, l'Afrique subsaharienne est touchée. En Afrique centrale, Ndjamena et Bangui le sont aussi.
Trois jours plus tard, le nuage remonte vers l'Afrique de l'Ouest pour atteindre Bamako, quatre jours après l'explosion. Deux semaines après, toujours chargé de radioactivité, il atteint les côtes méditerranéennes espagnoles, ainsi qu'une bonne moitié de la Sicile.
Reste à savoir, désormais, quel a pu être l'impact du nuage sur la santé des populations. Rien n'est dit concernant ses doses de radioactivité, toujours jugées faibles et sans conséquence par l'armée.
Le mythe de la bombe propre
Les vétérans français des campagnes nucléaires demandent réparation, pour les essais sahariens et polynésiens.
Ce sont eux qui ont permis la déclassification du document du Parisien.
Mais des victimes algériennes ont elles aussi saisi la justice, et réclament des comptes à la France. Pour connaitre la vérité, et mettre fin au mythe de la « bombe propre ».
http://www.rfi.fr/fr/france/20140214-essais-nucleaires-france-algerie-carte-nuage-radioactif
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