Après avoir longtemps hésité, la fille du Nobel de littérature a donné l'autorisation à Gallimard de publier les lettres de son père à sa maîtresse, la comédienne Maria Casarès. 865 missives, qui font découvrir une facette nouvelle de l'écrivain. Et une formidable littérature de la passion.
Jean-Louis Barrault (à gauche), Maria Casarès et Albert Camus lors de la pièce «L'État de siège» (1948). Rene Saint Paul/mention obligatoire©Rene Saint P
La rencontre entre Maria Casarès et Albert Camus a lieu à Paris le 6 juin 1944, jour du débarquement allié en Normandie. Elle a 21 ans. Il en a 30. Il lui confie le rôle de Martha pour la première mise en scène de sa seconde pièce, Le Malentendu, qui se jouera au théâtre des Mathurins. Ils deviennent amants.
Camus est pourtant marié -et le restera- à Francine Faure, alors institutrice à Oran, mère des jumeaux Catherine et Jean Camus. Leur idylle, pas vraiment secrète, durera jusqu'en 1960 et la mort du grand écrivain. Il nous en reste la bagatelle de 865 lettres, publiées pour la première fois ce novembre chez Gallimard sous le titre Correspondance. «Leurs lettres font que le monde est plus vaste, l'espace plus lumineux, l'air plus léger simplement parce qu'ils ont existé», écrit sa fille Catherine, qui a longtemps hésité à dévoiler cette relation épistolaire.
Interrogée au micro de RTL , la fille du prix Nobel de littérature 1957 se souvient de la grande tragédienne d'origine espagnole: «J'ai rencontré Maria après la mort de maman, dans les années 80. Elle était à Nice, elle jouait au théâtre. J'avais très envie de la connaître Maria, évidemment.» Catherine confie également que sa mère n'était pas sans ignorer la liaison entretenue par son mari. «Maman, le savait, et en parlait avec le plus grand respect, et même de l'affection», précise-t-elle, qui a par la suite racheté toutes les lettres à la tragédienne.
Ces dernières rendent compte non seulement d'une magnifique littérature de la passion, le talent de Camus mis au service du sentiment amoureux, mais aussi d'une facette de l'auteur de La Peste assez méconnue.
Je suis bouillante au-dedans, au-dehors. Tout brûle, âme, corps, dessus, dessous, cœur, chair (...) As-tu compris?
Maria Casarès à Albert Camus
Lorsque les deux amants se rencontrent, Francine est à Oran en Algérie. Elle revient à Paris en septembre 1944 et Maria Casarès, déchirée, rompt avec Camus. L'auteur de L'étranger est inconsolable. «De quelque côté que je me tourne, je n'aperçois que la nuit (...). Sans toi, je n'ai plus ma force. Je crois que j'ai envie de mourir», écrit-il à la comédienne. L'absence va durer quatre ans. Mais, le 6 juin 1948, Albert Camus et Maria Casarès se croisent par hasard boulevard Saint-Germain à Paris («Pourquoi le destin nous aurait-il mis l'un en face de l'autre une fois?»). Ils ne se quitteront plus. Leurs échanges sont quasi quotidiens. Ils parlent de leur travail alors que Maria Casarès enchaîne les tournées en France et à l'étranger, partagent des potins. «Simone Signoret a avorté (...). J'ai vu (Yves) Montand bien déçu et bien cafardeux», écrit la comédienne en janvier 1951.
Mais c'est évidemment la passion amoureuse qui emporte tout. Il l'appelle «Mon amour chéri», elle répond «Mon cher amour». Camus écrit à son «petit goéland», sa «truite noire», sa «savoureuse». Les lettres deviennent ardentes. «Je trépigne. Et j'imagine le moment où nous refermerons la porte de ta chambre», écrit Camus. «Je suis bouillante au-dedans, au-dehors. Tout brûle, âme, corps, dessus, dessous, cœur, chair (...) As-tu compris? Bien compris?», lui répond Maria Casarès.
Douze ans de correspondance enflammée
«Cette correspondance, ininterrompue pendant douze ans, montre bien le caractère d'évidence irrésistible de leur amour», écrit Catherine Camus dans l'avant-propos qui ouvre ce livre de plus de 1 300 pages.
Les lettres de Maria Casarès, fille du dernier président du gouvernement de la République espagnole, permettent aussi de découvrir la vie d'une grande actrice, «ses courages et ses défaillances», selon les mots de Catherine Camus, avec son emploi du temps démentiel: enregistrements pour la radio, répétitions, représentations, tournages... La comédienne qui fut pensionnaire de la Comédie-Française puis du Théâtre national populaire de Jean Vilar, joue avec Michel Bouquet, Gérard Philipe... Après Le Malentendu, elle interprète Victoria dans L'État de siège (1984) et Dora dans Les Justes (1949), deux autres pièces de Camus.
Je t'aime irrémédiablement, comme on aime la mer
Maria Casarès
L'amour entre la comédienne et l'homme de lettres semble fusionnel. Lorsqu'elle triomphe lors d'une tournée en Argentine, en octobre 1957, Maria Casarès écrit «les quelques mots de remerciements que j'ai dû dire, je les ai prononcés en pensant à toi». Une semaine plus tard, Camus est couronné par le prix Nobel de littérature. Il envoie un télégramme à son aimée: «Jamais tu ne m'as tant manqué. Ton Alonso.»
L'ultime lettre d'Albert Camus à son grand amour, datée du 30 décembre 1959 -soit quelques jours avant la mort de l'écrivain-, est forcément auréolée d'une émotion particulière. «Dernière lettre», écrit l'écrivain d'une façon prémonitoire. Installé dans sa maison de Lourmarin depuis le mois de novembre, il dit à sa maîtresse qu'il rentrera finalement «par la route» le lundi 4 janvier. «À bientôt, ma superbe. Je suis si content à l'idée de te revoir que je ris en t'écrivant (...). Je t'embrasse, je te serre contre moi jusqu'à mardi, où je recommencerai».
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