Face à l’adversité, il faut s’unir et se tenir debout. C’est ce que font les héroïnes de Papicha, le dernier film éminemment personnel de Mounia Meddour.
Pour son premier long métrage de fiction, Mounia Meddour revient sur sa jeunesse d’étudiante, lors de la guerre civile algérienne, durant la décennie noire qu’a traversée le pays: les années 1990.
Elle y raconte le quotidien d’une papicha – Lyna Khoudri, en nomination aux César dans la catégorie Meilleur espoir féminin pour son rôle –, terme désignant une jeune femme drôle, jolie et libérée.
Une leçon de mémoire et de courage accueillie avec enthousiasme partout. Sauf dans son pays natal, où le long métrage n’a jamais été projeté.
«Mais je sais que la population l’a déjà vu, car le film circule sous le manteau, maintient sa réalisatrice, rencontrée lors des Rendez-vous du cinéma français, à Paris. Les gens se livrent à nous parce que Papicha leur a permis de se libérer d’un poids, d’aborder un sujet qui a été très longtemps tabou.»
En parlant du passé, la cinéaste traite également du présent. Notamment de la montée de l’intégrisme partout sur la planète.
«Évitons de retomber dans cette radicalisation, ouvrons les yeux et essayons d’être assez renseignés sur le monde qui nous entoure», dit-elle à ce propos. Elle évoque aussi l’esprit de sororité entre femmes qui découle de la situation et qui doit être encouragé.
«Par le biais du cinéma, on peut parler du passé et essayer de panser ses blessures. Il faut utiliser l’art de façon constructive. C’est comme ça que je perçois mon rôle de cinéaste et d’auteure: en réalisant des films utiles.» Mounia Meddour, réalisatrice
«Les femmes du monde entier ont besoin de s’émanciper, de trouver du soutien, avance la metteuse en scène. Ce film participe de façon universelle à l’ouverture des modalités sur leurs combats.»
Ressemblant à de véritables montagnes russes, ce récit sur la jeunesse à la croisée des chemins se veut à la fois doux et violent, se nourrissant d’une poésie qui n’est pas sans rappeler les premiers opus d’Alejandro González Iñárritu. Sa lumière s’élève d’ailleurs constamment contre les ténèbres environnantes.
Une façon d’y parvenir réside dans les détails: un séjour salvateur à la plage entre amies, une caméra suivant au plus près les personnages qui ont soif de vivre, et même la présence réconfortante d’une affiche de Roch Voisine.
«Le film est construit en fonction de ce que je gardais comme souvenirs des années 1990, rappelle Mounia Meddour. Pour moi, Roch Voisine était vraiment une idole. Je sais qu’aujourd’hui, c’est un peu moins glamour. Mais beaucoup de jeunes filles écoutaient et chantaient en chœur “Seul sur le sable, les yeux dans l’eau, mon rêve était trop beau.” Il y avait quelque chose de l’ordre de l’adoration. Cet artiste était le symbole d’un pays qui avait une image très fraternelle, très apaisante. Surtout que le Canada a été une terre d’accueil pour pas mal d’Algériens.»
30 janvier 2020
https://journalmetro.com/culture/2416137/papicha-la-bataille-dalger/
Lyna Khoudri, une fougue est née
Pour quelques jours encore, Lyna Khoudri est une jeune actrice prometteuse. Après les César, la sortie de "Qu'un sang impur", avant celle du prochain Wes Anderson, l'héroïne de "Papicha" sera une star. Parole de Grazia !
Elle porte un bonnet gris ciel d'hiver et un pull noir extra-large comme son sourire. Comme Fantômette, elle sait probablement traverser les murailles. Quand on rencontre Lyna Khoudri, on se dit qu'il faut absolument qu'elle profite de ses derniers moments de quiétude et de relatif anonymat avant de muter en star internationale. La jeune révélation de Papicha, de Mounia Meddour, en lice pour le césar du Meilleur Espoir féminin, a un don pour transformer les vicissitudes de l'existence en chance. Lyna Khoudri, de passage à Paris, s'amuse avec une légère distance ironique du tourbillon qui l'entoure. En ce moment, elle habite à Londres, où elle s'exerce à devenir championne de natation. Pour de vrai ? Quasiment.
Dès mercredi, on pourra voir Lyna Khoudri dans Qu'un sang impur... d'Abdel Raouf Dafri. Et toujours en 2020, on la découvrira dans le très attendu The French Dispatch de Wes Anderson. Ou comment une très jeune actrice franco- algérienne mène déjà une carrière internationale. Rencontre au saut de l'Eurostar, juste avant le dîner des révélations des César, devant un jus à base de fenouil et un petit pot ultra-protéiné.
De Papicha, film féministe, à Qu'un sang impur, qui traite de la colonisation, la plupart de vos rôles témoignent d'un réel engagement. Hasard, chance ou choix ?
Lyna Khoudri : Je passe des castings, j'en rate, et ceux que je réussis correspondent très souvent à des personnages engagés. Ce serait flatteur de penser que je suscite ce genre de scénarios chez les cinéastes... Mais je crois surtout que ces rôles féminins sont dans l'air du temps, peut-être aussi parce qu'il y a plus de femmes cinéastes. Il y a des surprises étonnantes.
Avoir grandi à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis, ndlr), est-ce une force ?
Pour moi, oui ! La chance d'être d'Aubervilliers, c'est qu'on baigne dans toutes les communautés possibles. Dans l'immeuble de dix-sept étages où je vivais avec mes parents, il y avait toute l'Afrique et toute l'Europe ! C'est extraordinaire. Pas pour mes parents, qui ont tout perdu quand ils ont dû quitter l'Algérie pendant la guerre civile qui a ravagé le pays de 1991 à 2002. Mon père était menacé de mort par les intégristes. J'étais bébé à notre arrivée en France. Je n'ai pas connu leur sentiment de déclassement. Dans ma famille, il y avait une demande intense pour tout ce qui est culturel. On lisait, on écoutait beaucoup de musique, on débattait, on allait au cinéma et au musée. Cette attirance faisait partie de ma vie à Aubervilliers. Pourtant, ma mère, violoniste à Alger, est devenue caissière. Il fallait payer le loyer, se nourrir, et elle a bossé constamment, accepté tous les boulots possibles pour que sa famille s'épanouisse. Mon père, qui présentait les journaux télévisés, a ouvert des taxiphones, des cybercafés, des sandwicheries. Pendant une dizaine d'années, il a tenté de continuer d'être journaliste, puis il a dû lâcher...
Pourquoi ça ne marchait pas ?
Parce que les médias français ne cherchaient pas de journalistes arabophones, ou en tout cas pas à des postes auxquels mon père prétendait. Il refusait la précarité et exigeait qu'on le respecte pour son courage et tout ce qu'il avait accompli. On a vécu aussi en Allemagne, où il a trouvé un travail à sa hauteur. En France, il y avait une relative indifférence ou de l'ignorance par rapport à ce qui se passait en Algérie.
Comment est née l'envie d'être comédienne ?
Au lycée, j'avais pris les options histoire de l'art et théâtre. Une fois étudiante, je voulais rester au contact des œuvres. Renoncer à jouer aurait provoqué un terrible manque. Ce qui est bien à la fac, c'est qu'on rencontre des gens. J'y ai appris qu'il existait des écoles de théâtre nationales gratuites. Je n'en revenais pas ! C'était l'époque où les metteurs en scène cherchaient à faire monter la "diversité" sur les planches, en recrutant des comédiens pas forcément blancs. J'ai participé à un stage au théâtre de la la Colline organisé par Stanislas Nordey et, pendant un an à la fac, j'ai bossé pour passer le concours de l'Ecole du théâtre national de Strasbourg, qu'il dirige. J'ai été prise ! J'étais ravie, c'était vraiment l'école que je voulais intégrer. Mais dès que je suis arrivée à Strasbourg, on m'a proposé de tourner un long métrage. Ça a été un déchirement de démissionner.
Qu'est-ce que vous attendez du cinéma que le théâtre ne vous apporte pas ?
Un film s'inscrit dans le temps, contrairement à une représentation théâtrale forcément éphémère. Mais surtout, l'image, le cinéma sont liés à mon enfance. Rien qu'en se baladant dans la rue, mon père m'expliquait le fonctionnement des images, l'harmonie des couleurs, l'arrière-plan. A 8 ans, je savais ce qu'était un plan américain. Devant un tableau, j'aime regarder les détails, pourquoi il y a un chat qui passe, une boucle de cheveux, d'où vient la lumière. Je trouve le cinéma mille fois plus beau que n'importe quelle série ! Hier, j'en discutais avec Marion Cotillard, ma marraine pour les César, que j'admire beaucoup et qui n'est pas d'accord avec moi.
Vous avez été découverte dans Papicha, de Mounia Meddour, qui se passe pendant les années de plomb en Algérie...
Je connaissais bien cette période par mes parents, mais je n'avais pas imaginé ce qu'ils avaient vécu dans leur chair avant de venir en France. La peur, la colère, la révolte, surtout de la part de mon père qui a gardé un besoin viscéral d'être en Algérie. Ce film a été un voyage sur les traces de mes parents. Pour moi, c'est aussi une manière de leur rendre hommage. La blessure restera à vie. Quand on te coupe tes racines, on ne peut pas te replanter.
Suivez-vous les manifestations en Algérie en faveur d'une refonte du système politique en place ?
Aujourd'hui, j'avoue, j'ai un peu peur pour l'avenir du pays. Mais les Algériens qui manifestent sont remplis d'espoirs ! Quand je parle avec mes amis, ils me disent : "Tu ne te rends pas compte, Lyna ! Les gens apprennent à militer, à être solidaires." Je suis hyperfière que cette révolution, qu'on appelle la Révolution du sourire, soit complètement pacifique, sans débordement de la part du peuple et pleine d'humour... Les slogans sont à mourir de rire !
Aimez-vous jouer à l'actrice, mettre de jolies robes, être en représentation, etc. ?
C'est cool d'être habillée par de grandes marques, d'avoir le privilège d'approcher ce monde du luxe et, en même temps, je ne comprendrai jamais le lien entre le métier d'actrice et le fait de porter de belles robes. Il me semblerait sain de le remettre en question aujourd'hui. On garde l'image de Marilyn Monroe dans ses chambres d'hôtel sans fin, mais elle est morte très jeune, elle a beaucoup souffert du système hollywoodien qui fabriquait le corps des femmes.
Avez-vous une ou un cinéaste de prédilection, dont vous regardez tous les films ?
Je suis une inconditionnelle de Kechiche (Abdellatif, ndlr) ! C'est la vie qui transperce l'écran. Personne d'autre que lui ne sait faire ça. Je ne vois que du féminisme dans ses films. Les scènes trash sont acceptées quand elles sont signées par Pasolini ou d'autres, mais quand il s'agit de Kechiche, les polémiques sont constantes.
Aujourd'hui, la question qu'on se pose est celle de la responsabilité du ou de la cinéaste après la sortie du film. Les réalisateurs sont-ils responsables des effets de leur film sur les acteurs et actrices ?
Je crois qu'un metteur en scène ne doit pas se poser cette question car on ne peut pas prévoir ce qu'un objet d'art va provoquer. Faire un film, ce n'est pas penser à ce qui va suivre. Quand on tourne, on est dans le sujet, dans son histoire, pas dans la stratégie ou l'anticipation.
Pourriez-vous tout faire devant une caméra ?
La pudeur m'impose des limites, et je les connais. J'ai des limites au niveau des sujets aussi. On m'a déjà demandé de les outrepasser et j'ai pu refuser. Dans le film de Wes Anderson, j'ai un peu transgressé mes frontières, parce que c'était lui, et qu'il m'a mise en confiance. Et je considère qu'il n'a pas à s'en soucier à partir du moment où j'ai accepté d'entrer dans son monde.
Qu'un sang impur... d'Abdel Raouf Dafri (1 h 49). En salle.
Photos : Jette Stolte - Réalisation : Charlotte Renard ; assistante styliste : Elyse Arnould Derosier ; maquillage : Yazid Mallek ; coiffure : Paolo Ferreira avec les produits Leonor Greyl.
https://www.grazia.fr/culture/cinema/cinema-lyna-khoudri-actrice-949095
Les commentaires récents