Il y a 61 ans, jour pour jour, se déroulait la grande bataille de Vougarfen, dans le versant Ouest d’Aït Yahia Moussa, actuel chef-lieu communal. Ce jour du 6 janvier 1959 fut particulièrement long dans cette région qui a vu naître le colonel Krim Belkacem, le premier maquisard de la révolution algérienne. Cette bataille est l’une des plus importantes de l’histoire de l’Algérie post indépendante. Le carré des 385 Chouhada tombés au champ d’honneur, sis d’Ighil Naâli Ouramdane, prouve à lui seul l’ampleur de la bataille.
Comme chaque année, les survivants de ce jour de géhenne reviennent sur cet événement en livrant des témoignages vivants sur le massacre colonial qui n’a épargné ni civils, ni animaux. En effet, les villages ont été bombardés, les réserves alimentaires incendiées, et, pis, plusieurs personnes ont été brûlées au… Napalm.
Une grande rencontre de révolutionnaires
Avant sa mort, un personnage central de cette bataille, en l’occurrence Aomar Oudni, dit Si Moh Nachid, responsable de la zone 4 de la wilaya 3 historique, avait témoigné à ce sujet : «J’étais lieutenant et responsable de la zone 4. Le 4 janvier 1959, plusieurs officiers de la wilaya 3 et, à leur tête, le colonel Si M’Hamed et le commandant Si Ahcène Mahiouz rentraient d’une réunion tenue à Taher (Jijel). Ils devaient rencontrer les commandants Azzedine et Omar Oussedik ainsi que d’autres officiers à la frontière entre les wilayas 3 et 4.
Cette importante réunion fut programmée à Tizra Aïssa, dans la maison familiale de Krim Belkacem. Le 5 janvier, j’étais donc chargé d’accompagner les hôtes d’Aït Yahia Moussa au lieu du rendez-vous, où nous attendait Krim Belkacem. Il y avait tout un bataillon de Moudjahidine de la wilaya 4. Dans la nuit, nous apprîmes qu’il y avait du renfort de tous les côtés et qu’un grand ratissage allait être opéré par l’occupant. Il fallait donc exfiltrer coûte que coûte nos hôtes. C’était ce que nous avons fait en les conduisant au Djurdjura». Selon d’autres témoignages, l’armée française a eu vent de cette rencontre et décida, en conséquence, de tout mobiliser pour la mater, d’autant plus que plusieurs officiers allaient y prendre part.
L’armée française en action
«Peu avant le lever du soleil, j’étais à Imzoughène quand j’entendis des bruits de moteurs sur la route de Draâ El-Mizan. Il y avait plus d’une vingtaine de camions militaires chargés et des blindés qui les escortaient. Nous avions convenu d’un code. Je donnai le signal avec ma lampe de poche et mes camarades, installés sur les pics des montagnes de la région, en firent autant», se souvient un octogénaire, chargé à l’époque du renseignement. D’autres renforts prirent la route de Boghni et de Maâtkas ainsi que de l’ex-Mirabeau.
A l’aube du 6 janvier, raconte-t-on, les accrochages commencèrent avec une violence inouïe. Au fur et à mesure que la bataille gagnait en intensité, les avions militaires entrèrent en opération. Des morts tombaient des deux côtés. D’heure en heure, les généraux de l’armée coloniale changèrent de plan d’attaque parce que les Moudjahidine réussirent à donner du fil à retordre aux soldats français. Selon plusieurs sources, l’armée française avait engagé 32 000 hommes et 32 avions de guerre face à… 3 000 Moudjahidine.
Le capitaine Grazziani et le lieutenant Chassin capturés
Au moment où le commandement militaire français apprit que deux de ses officiers (le capitaine Grazziani et le lieutenant Chassin) avaient été capturés, il s’acharna sur les populations civiles. «Les hélicoptères larguèrent des bombes sur les villages. Les maisons ont été détruites, nos bêtes tuées et toutes nos provisions alimentaires anéanties. Ce fut alors l’évacuation dans l’horreur et la confusion de tous les hameaux environnants. Sauve qui peut !», a raconté Aâmi Ali, un octogénaire brûlé au visage.
Selon d’autres rescapés de cette grande bataille, les combats s’achevèrent au corps à corps dans les oliveraies et les maquis, surtout après que le sinistre capitaine Grazziani, tortionnaire de Louisette Ighil Ahriz et de la regrettée Djamila Bouhired, et le lieutenant Chassin furent tués. «On ne pouvait pas compter nos mor ts. Toutes les oliver aies étaient transformées en champs de bataille. Les avions militaires évacuèrent leurs morts et blessés par hélicoptères à l’hôpital de Tizi Ouzou et vers les casernes militaires les plus proches.
C’était un spectacle d’épouvante», raconte un autre survivant avec vive émotion. D’autres témoins attestent que le nombre des soldats français tombés ce jour-là n’est pas connu. «Aucune information ne filtra au sujet du nombre des militaires tombés. Une chose est sûre : du côté de l’ALN, quelques jours après ce massacre, on a creusé plusieurs tombes communes pour enterrer jusqu’à vingt corps par tombe. Certains étaient entièrement décomposés», a poursuivi un autre survivant.
Aït Yahia Moussa déclarée zone rouge
Après cette grande bataille, de nombreux points de contrôle militaires de surveillance avaient été installés non seulement sur les crêtes mais aussi sur les gr ands axes routiers (RN25 et CW128). D’ailleurs, il était interdit aux habitants de sortir de chez eux sans un laissez-passer délivré par la SAS (Section Administrative Spéciale). Trois mois après ce carnage, soit le 4 mars, une autre bataille a eu lieu, à Tachtiouine, dans le versant Est quand la compagnie du Djurdjura voulait y transiter pour se rendre à Sidi Ali Bounab.
On parle alors de 36 maquisards tombés. La pression coloniale s’exerça davantage sur cette région rebelle. Le 10 octobre de la même année, le commandant Ali Bennour, dit Ali Moh Naâli, et son infirmier, Oukil Ramdane, avaient été blessés dans un abri à Ighil El Vir, après un autre combat mené contre les soldats français. Arrêtés, les deux blessés furent torturés à mort à la caserne de Draâ ElMizan. Leurs corps, deux jours après leur assassinat, ont été jetés au lieu-dit Ighzer N’Souk. On raconte qu’à l’indépendance, c’est cette commune qui compta le plus grand nombre de veuves ; pas moins de sept cents combattants sont tombés durant la guerre de l’indépendance.
Le carré des martyrs de la Bataille du 6 janvier 1958, un repère
En 1985, la direction des Moudjahdine et les autorités locales ont procédé à l’exhumation des ossements avant de les inhumer dans des sépultures dans un carré à Ighil Naâli Ouramdane qu’on baptisa «Bataille du 6 janvier 1959». Selon le nombre des pierres tombales, ils sont 385 maquisards à sa sacrifier pour le recouvrement de l’indépendance. Seulement, il est toujours attendu que les tombes des quatre Chouhada, enterrés sur les abords de la RN25, plus précisément en face des poulaillers communaux, soient déplacées vers un carré des martyrs.
Cette date du 6 janvier est indubitablement gravée dans l’histoire de l’Algérie révolutionnaire. Hélas, se désole la population locale, notamment les témoins de cette bataille, cette dernière n’est pas enseignée comme l’exige son ampleur à l’école. En attendant, à chaque anniversaire, la population d’Ath Yahia Moussa commémore cette date et notamment les martyrs qui se sont sacrifiés ce jour-là pour l’Algérie, dont certains étaient venus d’ailleurs. «Quel que soit l’hommage qu’on leur rendra, il n’égalera jamais leur sacrifice indéfectible pour la patrie», souligne, pour conclure, un habitant de la région.
Amar Ouramdane 6 janvier 2020
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