Du Congrès de la Soummam au hirak du 22 février
Une partie des congressistes de la Soummam en août 1956
État civil et non militaire !» Depuis des mois, on entend ce slogan résonner dans les rues des différentes villes du pays.
Scandé tous les vendredis par les manifestants exigeant un changement radical du système politique depuis le 22 février dernier, ce slogan repose la question, toujours d’actualité, de la primauté du politique sur le militaire.
Un principe cher au défunt Abane Ramdane, l’un des architectes de la guerre de Libération nationale, qui a voulu protéger la Révolution de toute confiscation après l’indépendance à travers le Congrès de la Soummam.
Ainsi donc, outre la gestion des deniers publics, la corruption, les passe-droits, les atteintes aux libertés et l’injustice, le mouvement populaire du 22 Février a ainsi fait de ce principe «soummamien» un élément central de la nouvelle Algérie qu’il réclame.
Cette exigence historique, à cause de laquelle Abane Ramdane a été assassiné pendant la guerre de Libération, est à la faveur de ce hirak devenue une revendication populaire, dans un nouveau contexte politique né de la disparition de celui qui s’enorgueillissait des années durant d’avoir repris le dessus sur les militaires qui l’avaient coopté à la tête de l’Etat en 1999.
De nombreux acteurs de la vie politique réclament depuis des lustres une redéfinition des liens entre les militaires et les civils, sachant que l’armée a toujours été un puissant acteur du jeu politique depuis l’indépendance. «Le mouvement de protestation populaire, dit hirak, veut démilitariser la politique et dépolitiser le grade de général. C’est sur ce socle que repose la vie sociale moderne.
La militarisation de la vie politique a été imposée par l’histoire. Et comme dit Bourdieu, ce que l’histoire fait, l’histoire le défait. En 1954, les Algériens sont passés du politique au militaire ; en 2019, ils veulent passer du militaire au politique», écrivait en octobre dernier Lahouari Addi, sociologue.
Les principes soummamiens, plaçant le militaire sous l’autorité du politique, ont été défendus par d’autres partis et personnalités politiques.
Dans son nouveau livre Révolution du 22 février, un miracle algérien, Saïd Sadi est revenu sur ce principe de la primauté du politique sur le militaire dans le sillage du hirak.
Un principe arrêté au Congrès de la Soummam par les délégués des forces combattantes de l’intérieur. «Ce sont les aspirations réprimées 62 ans durant qui animent la rue algérienne.
Justice immanente dont il fallait se faire l’écho avant que les rumeurs d’une société toujours dominée par l’oralité et les fureurs d’un régime népotique agonisant mais encore toxique ne viennent en altérer l’acuité et la pertinence», relevait le Dr Sadi.
Dans une nouvelle tribune publiée hier sur sa page Facebook, le fondateur et ancien président du RCD a estimé qu’«il a fallu attendre la révolution du 22 février pour que le peuple, allant à contre-courant d’élites aliénées ou clientélisées par le pouvoir, se réapproprie le message de la Soummam à travers des slogans qui ne souffrent aucune ambiguïté quant à la nature des contraintes qui bloquent la perspective démocratique en Algérie et les solutions que celle-ci appelle». «Les mots d’ordre les plus fréquents, les plus pérennes et les plus répandus dans la rue sont des concentrés de la Plateforme d’août 1956 : pour un Etat civil et non militaire, la République n’est pas une caserne, pour une Algérie démocratique et sociale… rythment les marches rassemblant des millions de citoyens depuis plus de dix mois», a-t-il encore souligné, se réjouissant que l’Algérien renoue, miraculeusement, avec le projet de Abane. «Il lui reste à concrétiser l’autre leçon majeure de la Soummam : c’est l’adaptation de ses luttes et l’organisation de ses énergies et de ses intelligences qui ont permis au peuple de faire passer son combat du stade de révolte à celui de révolution», a ajouté Saïd Sadi.
Le militant politique Djamel Zenati a lui aussi, dans de récentes contributions, bien évoqué cette question qui demeure centrale dans une Algérie en quête de démocratie. Selon lui, le pays est mis, dès l’indépendance, «sous contrôle de l’armée, institution à partir de laquelle tout découle et ruisselle et autour de laquelle tout s’ordonne. Elle n’est pas la colonne vertébrale de l’Etat, mais elle est l’Etat».
Ce principe soummamien a également été défendu par le FFS du défunt Hocine Aït Ahmed. «Le sursaut populaire du 22 février qui n’a rien à envier aux dates historiques du 1er Novembre 1954 et du 20 Août 1956, de par l’implication record du peuple algérien dans ses manifestations et par ses revendications légitimes qui aspirent au changement radical du système et à l’autodétermination.
Nous sommes en train de vivre un autre moment déterminant et historique», estimait ce plus vieux parti de l’opposition qui a toujours considéré que le but fondamental du statu quo politique dans le pays est de «maintenir la prééminence d’une institution de l’Etat sur les autres, tout en décrédibilisant et en délégitimant ces dernières».
Ainsi donc, pour de nombreux acteurs et analystes politiques, sans la consécration de ce principe soummamien, il est difficile de croire à la construction d’une nouvelle Algérie démocratique et stable. Et le hirak semble en avoir bien saisi l’importance.
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