En moins d’une année, Algériens, Irakiens, Soudanais, Égyptiens et Libanais se sont soulevés contre les pouvoirs en place.
L’année 2019 aura été celle de la seconde vague des révoltes arabes. Celle qui a emporté sur son passage de nombreuses certitudes nées des lendemains des printemps arabes de 2011 : non, l’aspiration à la démocratie et aux libertés individuelles ne s’est pas essoufflée ; non, les régimes contre-révolutionnaires n’ont pas remporté ce long bras de fer ; non, les révoltes dans cette région du monde ne mènent pas nécessairement à la guerre et au chaos.
Au lieu de dissuader les populations de la région de se rebeller contre « la stabilité », les printemps arabes ont ouvert une brèche inédite qui n’est clairement pas encore refermée. Mieux, la seconde vague a appris des erreurs de la première et ne tombe pas dans les pièges de la violence ou des partis islamistes, ce qui la rend plus difficile à contrer pour les régimes en place. En moins d’une année, Algériens, Irakiens, Soudanais, Égyptiens et Libanais se sont soulevés contre les pouvoirs en place. Chaque révolte a ses propres causes et ses propres dynamiques, mais on observe partout une forte colère contre la classe dirigeante et une volonté de vivre dans des conditions dignes de ce nom. Signe de l’impact des révolutions de 2011 dans les esprits, le slogan phare de l’époque « Le peuple veut la chute du régime ! » a été repris dans l’ensemble des manifestations de cette année.
Manque d’infrastructures, d’accès à l’eau et à l’électricité, taux de chômage et de pauvreté élevés, forte corruption : de nombreux facteurs socio-économiques qui se retrouvent dans l’ensemble de la région permettent d’expliquer l’explosion des contestations en l’espace de quelques mois seulement. Si toutes les tranches générationnelles et sociales sont représentées dans ces soulèvements, les jeunes et les femmes ont été à l’avant-garde des mouvements de cette année. Trop jeunes pour avoir activement participé aux contestations de 2011 et n’ayant pas subi les désillusions qui s’en sont suivies, de nombreux jeunes de moins de 20 ans se sont lancés la tête la première cette année, malgré les campagnes de répression menées par les régimes autoritaires.
Ces derniers semblent, malgré l’expérience de 2011, avoir plus de mal à gérer ce type de mouvements. Face aux pressions de la rue, les présidents soudanais Omar al-Bachir et algérien Abdelaziz Bouteflika ont fini par présenter leurs démissions en avril. Khartoum a opté pour la mise en place d’un Conseil souverain chargé de la période de transition vers un pouvoir civil. En Algérie, l’élection présidentielle controversée de décembre a porté Abdelmadjid Tebboune, ex-figure de l’ancien régime, au pouvoir. Seul le gouvernement égyptien de Abdel Fattah al-Sissi aura réussi à tuer la contestation dans l’œuf en intensifiant sa surveillance en ligne et en multipliant les arrestations d’anciens activistes engagés dans la contestation en 2011 ou de toute personne considérée comme une menace potentielle.
La contre-révolution iranienne
Huit ans après les printemps arabes, la question des interférences extérieures est toujours aussi déterminante dans certains cas. Les pétromonarchies sunnites du Golfe, Arabie saoudite en tête, ne jouent pas cette fois-ci un rôle de premier plan. De l’Irak au Liban, c’est l’Iran qui occupe la place de principale force contre-révolutionnaire, voyant derrière ces événements un complot contre son influence dans la région. En Irak, la contestation reste cantonnée à la capitale et au sud du pays où se trouve une majorité de chiites, dénonçant ouvertement l’ingérence de l’Iran dans les affaires de Bagdad. Le commandant de la force d’élite al-Qods, Kassem Soleimani, est notamment intervenu pour aider le gouvernement du Premier ministre irakien, Adel Abdel Mahdi, à mater les manifestations. Ce dernier a toutefois fini par céder en annonçant sa démission à la fin du mois de novembre, et ce malgré l’intervention de Téhéran un mois plus tôt pour empêcher son renversement.
En Algérie, l’armée mise sur un retour à la normale après l’élection du nouveau président et sur la lassitude du mouvement. Les premières manifestations post-élection semblent toutefois indiquer que le Hirak n’est pas près de s’essouffler.
En Irak, malgré au moins 460 morts, les manifestations se poursuivent face à un pouvoir qui ne veut pas céder d’un pouce. Au Liban, les contradictions au sein même de la classe politique et la résistance de celle-ci dans un contexte de forte pression populaire rendent la formation d’un gouvernement répondant aux attentes de la rue des plus difficiles. Dans ces trois cas, le risque est que l’impasse débouche sur une cristallisation des tensions et une augmentation de la violence. Les compromis apparaissent délicats entre un pouvoir qui a les moyens de rester en place et une rue déterminée à l’en faire partir.
Les mouvements peuvent-ils tenir à long terme face à la résistance des pouvoirs en place ? Comment ces révoltes vont-elles réussir à se réinventer tout en restant pacifiques ? La probable détérioration des conditions économiques et sécuritaires va-t-elle jouer en faveur des révolutionnaires ou de la classe dirigeante ? Toutes ces questions devraient être au cœur de l’année à venir.
Julie KEBBI | OLJ30/12/2019
https://www.lorientlejour.com/article/1200273/le-retour-du-printemps-arabe.html
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