Vers la mi-juin 1956, un groupe de douze soldats de l’Armée de libération nationale, partis des monts de Blida, fit son entrée dans la région montagneuse de Cherchell. L’état-major de la zone du centre algérois (Blida-Médéa) dont le P.C était à Sebaghnia, au sud de Bouinan, dans les Beni Micera, avait confié, à ce groupe « éclaireur », la mission de porter la lutte armée dans cette partie algéroise du Dahra et réaliser, par-là, la jonction avec le maquis du sud de Beni Haoua, actif depuis un moment. Les deux chefs de l’escouade, nés tous deux à Cherchell, Ahmed Ghebalou, un jeune lycéen du lycée franco-musulman de Ben Aknoun, et Ahmed Noufi, coiffeur, ancien joueur de l’équipe de football du Mouloudia de Cherchell, qui venait de terminer son service militaire, s’étaient rencontrés à Chréa. Cette avant-garde militante avait été rassemblée dans les Beni Micera. Elle était constituée de jeunes de condition modeste, originaires de différentes régions du pays : Mokrane, de Kabylie, Rachid d’Alger, Abdallah d’Oran, Ahmed de Chebli, Belkacem de Soumaa, Medihoum de Bouinan, Omar de Bir Ghebalou, Hadj d’Affreville, Hamid et Soufi. Dans l’escouade, Hamid et Soufi, qui avaient fait la guerre d’Indochine dans le corps expéditionnaire français, faisaient figure d’adjoints d’Ahmed Noufi, désigné chef militaire de cette unité d’élite par Amar Ouamrane, chef politico-militaire de la zone Blida-Médéa. Rachid et Abdallah étaient des déserteurs de l’armée française. Hadj, ancien militant du PPA-MTLD, avait dirigé le groupe des Scouts musulmans algériens de sa ville natale.
Désigné chef politique du groupe, Ahmed Ghebalou, avait quitté les bancs du lycée franco-musulman de Ben Aknoun quelques jours après la grève de la faim observée, au mois de mars 1956, par les élèves de ce lycée, suite à une intoxication alimentaire. Membre d’une cellule FLN à la Casbah d’Alger, il rejoignit le PC de l’ALN dans les monts de Béni Micera, au douar Ouzana, où arrivèrent d’autres lycéens suite à la grève lancée le 19 mai 1956. Pour implanter les premiers jalons de l’ALN dans la partie ouest du Dahra oriental et assurer la jonction avec le maquis de Ténès, Ahmed Ghebalou, que nous appellerons désormais de son nom de guerre « H’Mimed », fixa son choix sur le douar de Adouiya à partir duquel l’extension de la lutte put se faire.
Inscrite sur la carte des tribus comme fraction du douar Beni Mileuk, Adouiya est située à plus de 50 km au sud-ouest de Cherchell, loin des casernes militaires françaises implantées dans les centres de colonisation de Zurich et de Marceau. Les conditions naturelles que présente le lieu choisi sont favorables. Du pic dénudé, on observe aussi bien la côte méditerranéenne que les hauts plateaux de l’arrière-pays. Adouiya est à mi-chemin de Dupleix, au nord, et de Carnot, au sud. Sid Ahmed, l’imam du douar, avait préparé le terrain. Venu d’Affreville, il avait une ascendance sur la population.
Le maquis naissant collait aux djebels Hanngout et Sidi Bernous, au sud-est de Ténès. L’organisation du douar fut confiée à Mustapha Saadoun, vieux dirigeant du Parti communiste algérien (PCA), qui venait d’arriver après sa sortie miraculeuse de l’encerclement du maquis de Beni Boudouane où ses camarades des Combattants de la libération [1], Henri Maillot, Djillali Moussaoui, Abdelkader Zelmatt, Maurice Laban et Belkacem Hannoun, tombèrent au champ d’honneur. Pour Mustapha Saadoun, qui connaissait bien la région [2], tout était à faire : expliquer l’objectif de la lutte armée, recruter des moussebiline, organiser le ravitaillement, aménager les caches, construire des abris, mettre en place le réseau des liaisons et renseignements. C’est de ces lieux escarpés que va se réaliser la jonction avec le maquis de Ténès où le travail mené patiemment par un groupe de militants communistes dont Gaston Donnat, directeur d’école, et le docteur Jean Massebœuf, dirigés par Abdallah Mokarnia et Rabah Benhamou dit Ali, portait ses fruits. Mustapha Saadoun avait déjà rencontrés ses camarades de Parti, le 1er novembre, pour voir avec eux les possibilités d’organiser la lutte armée dans la région ouvrière des mines de Bréira et de Beni Akil.
LES PAYSANS DANS LA LUTTE
La lutte s’étendit rapidement grâce à l’appui de paysans politisés, éclairés, comme les militants des kasma rurales clandestines du MTLD, Abdelkader Bouridje, Hadj Larbi Mokhtari, Djelloul Bélaidi, Mohamed Hamdine, M’Hamed Mokhtari, Larbi Charef et Mohamed Mechenech qui, avec l’aide de leurs proches, préparèrent les premiers refuges indispensables au repli des sections du commando en constants déplacements. Ils mirent en place les relais et assurèrent les caches pour le ravitaillement. Les contacts avec la population se firent par leur intermédiaire.
A chacun de ses passages dans les douars, Ahmed Noufi, appelé Abdelhak, renforçait l’unité de combat par le recrutement de paysans du terroir. Les habitants de Sidi Semiane, Beni Berri, Beni Bouaich furent les premiers à être représentés au commando. Le premier armement, rudimentaire, s’était enrichi d’armes provenant du lot détourné le 4 avril 1956 par Henri Maillot, ramenées avec lui par Mustapha Saadoun, ainsi que d’armes lourdes pris sur l’ennemi lors des premières embuscades des 18 et 31 juillet 1956 et de fusils de chasse cédés par les paysans. Dans chaque douar, devenu secteur dans l’organigramme de la région, les moussebiline étaient choisis et recrutés par les membres du « comité des trois » élu conformément aux directives du Congrès de la Soummam, tenu au mois d’août 1956 à Ifri, en Kabylie. Ils avaient pour mission d’organiser le réseau de renseignements. Ils montraient ainsi aux bergers comment observer les mouvements de l’ennemi. Sans le travail plein d’abnégation de ces paysans sans arme, l’ALN n’aurait pas réussi sa progression. Ils procédaient également à la constitution de groupes de fidas pour commettre des sabotages.
L’ARMEE COLONIALE
C’est ce commando de l’ALN, doté d’armes hétéroclites, qui eut à faire face au 3e bataillon du 22e régiment d’infanterie de l’armée française, venu de l’extérieur avec une haine terrible pour les autochtones. Arrivé dans la région à la mi-juin 1956, ce régiment eut pour mission, selon la cartographie établie par les officiers de renseignements, de quadriller le secteur englobant toute la commune-mixte de Cherchell avec ses sept douars. Le travail cartographique avait précédé son arrivée : le territoire, organisé en deux quartiers, Cherchell et Gouraya, découpé en plusieurs sous-secteurs avec des postes militaires aux postes névralgiques.
Les soldats du contingent avaient accompli leur service militaire en Métropole, en 1952. La troupe était composée d’ouvriers, paysans, employés. Ils avaient appris à l’école que « la race la plus parfaite – leur race – est la race blanche ». On leur inculquait le complexe de supériorité dès l’enfance.
La terre qui s’étendait devant eux leur était totalement inconnue. Ils se rendirent vite compte que la population autochtone dont ils venaient envahir le territoire leur était hostile.
Dès son arrivée, le 3e bataillon s’installa dans les riches centres de colonisation de Zurich et de Marceau, une zone favorable à la vie humaine : sol argileux favorable à la culture des céréales, bonnes terres à vigne, possibilité d’irrigation, circulation aisée.
En foulant le sol algérien, que comprenaient-ils de l’Algérie ces soldats français appelés par leur gouvernement à faire la guerre aux gens qui luttaient pour briser les chaînes de la servitude ? A l’école, on leur enseigna certes que ce pays constituait trois départements intégrés à leur pays, la Métropole. Que leur avait-t-on dit de la situation de ces gens des montagnes vivant « dans les ténèbres, sans les ressources de base nécessaires, soumis à l’arbitraire de l’administrateur civil et de son assistant servile, le caïd. Que leur avait-t-on dit de ces montagnards abandonnés dans la pauvreté terrible par l’Administration coloniale préoccupée uniquement par la collecte des impôts : pas d’école, pas de médecin ni de dispensaire, pas d’électricité, pas de route sauf celle réservée au garde-champêtre » comme témoigne Mohamed Younès, moudjahid de cette région de ses ancêtres.
Que connaissent-ils de ces gens du douar Zatima, par exemple, qui « vivent, comme le souligne le commissaire politique de l’ALN, Mustapha Saadoun, dans une misère noire, dans le dénuement le plus complet. A Sidi Ouechkène, par exemple, la famine tue en hiver. Pour s’abriter des rafales de vent, les gens vivent sous terre ». Que sont-ils venus faire en Algérie ? « Pour défendre les intérêts des colons cupides », témoignent les ouvriers vendangeurs exploités.
LE PREMIER ACCROCHAGE
Fraîchement installée à Gouraya, dans la résidence d’été du gouverneur général transformée en caserne, la 6e compagnie du 2e bataillon venue en renfort au 3e bataillon, connut le 18 juillet 1956 ses premières pertes. Partie pour une opération de ratissage, au douar Aghbal, dans les monts de Gouraya, elle tomba, à Saadouna, dans une embuscade bien préparée par Abdelhak. La compagnie, surprise, perdit, pour sa première intervention, une cinquantaine de soldats. En fait, précise Mustapha Saadoun, ils s’étaient entre-tués sous les tirs de l’aviation venue à leur secours ».
En ces années 1956 et 1957, l’initiative était à l’ALN.
Mohamed Rebah
.
Toponymie :
- Zurich : Sidi Amar
- Marceau : Menacer
- Dupleix : Damous
- Carnot : El Abadia
- Affreville : Khemis-Miliana
[1] Les groupes armés qui ont pris le nom de Combattants de la Libération (CDL) avaient étés créés au mois de juin 1955 par le PCA. Ces groupes ont intégré l’ALN suite aux accords FLN-PCA intervenus au mois de juin 1956
[2] Des habitants des douars de la région, particulièrement ceux qui travaillaient dans les Ponts et Chaussées, militaient à la section du PCA de Cherchell dont les réunions se déroulaient à la ferme Saadoun. Des articles sur les conditions de vie dans les douars étaient publiés régulièrement par l’hebdomadaire Liberté (cf. collection à la bibliothèque municipale d’Alger).
Les commentaires récents