De l’Irak au Chili, en passant par le Soudan, l’Iran, l’Algérie et le Liban, les citoyennes et citoyens sont en pleine révolution. Depuis plusieurs mois, les peuples se font entendre aux quatre coins du globe. Parmi les manifestants, dans les rues, sur les places, face aux hommes d’armes, des femmes plus nombreuses que jamais. La révolution par elles. Etat des lieux de cette année 2019 aux échos bouleversants.
Les contextes, les éléments déclencheurs et les régimes sont différents selon les pays mais les images diffusées sur les réseaux sociaux ont donné aux mouvements un air de globalité. Les revendications des manifestant·e·s sont sociales et politiques, contre la hausse de taxes ici, contre des pouvoirs corrompus ailleurs et contre le patriarcat partout, ou presque. Sur tous les continents, les femmes descendent dans les rues et prennent part aux révoltes. Une première pour nombre d’entre elles. Elles ont le poing levé, le regard fier, la sororité dans les veines. Jamais le slogan "solidarité avec les femmes du monde entier" n’a résonné aussi fort avec la réalité.
En Irak
Depuis le 1er octobre, chaque jour, à Bagdad, sur la place Tahrir, des milliers de jeunes se rassemblent pour faire tomber le gouvernement, revendiquer leur identité nationale et prendre en mains leur destin au-delà du sectarisme et des divisions. Beaucoup de femmes se sont engagées dans la contestation. Phénomène exceptionnel dans ce pays conservateur et patriarcal, où elles ont été marginalisées par les islamistes pendant de nombreuses années. En première ligne, les militantes apportent aux manifestant·e·s de la nourriture, des couvertures, ou des casques lacrymo. Comme les hommes, elles sont en danger car elles s’opposent au régime. A la différence qu'en plus de leurs homologues masculins, elles courent le risque de subir des violences liées à leur genre. Saba Al Mahdawi est infirmière bénévole et défenseuse des droits humains, elle participait aux manifestations et s’est fait enlever par un groupe armé avant d’être relâchée 11 jours plus tard. Son enlèvement a été perçu comme un procédé d’intimidation des femmes révolutionnaires. Certaines filles ont déclaré qu'elles recevaient des menaces, d’autres ont subi des tentatives d’enlèvement. Mais les femmes tiennent bon. Sur les murs de la capitale, la fresque de la révolution met à l’honneur la place qu’elles prennent dans ce mouvement réprimé dans la violence par le gouvernement. On compte déjà plus de 460 morts et 25.000 blessés. Amnesty International a appelé à plusieurs reprises les autorités irakiennes à mettre fin à la campagne d’intimidation incessante des manifestant·e·s menée dans le pays depuis octobre.
En Iran
Du 15 au 18 novembre, les Iraniennes et les Iraniennes sont descendus dans les rue suite à l’annonce de l’augmentation du prix de l’essence. La population étouffe sous le régime autoritaire et la crise économique due aux sanctions. Il suffisait d’une étincelle, pour que la jeunesse se soulève. Selon Reuters, en quelques jours seulement, environ 1500 personnes ont été tuées. Parmi les victimes, près d’un tiers de femmes. Ce serait la répression la plus sanglante contre les manifestants depuis la révolution islamique de 1979. Le mouvement d’émancipation des femmes est également menacé par le pouvoir. Elles sont nombreuses à lutter pour le droit des femmes à l’intérieur et en dehors du pays. Lancé par la journaliste et militante iranienne vivant à Londres, Massih Alinejad, le mouvement contre le port du hijab obligatoire “My Stealthy Freedom” a pris une ampleur très massive. La brillante avocate Nasrin Sotoudeh a consacré sa vie à la défense des droits humains, notamment ceux des femmes qui manifestent pacifiquement contre le port du hijab en Iran. Elle s’est fait condamnée en mars 2019, à la plus lourde peine prononcée à l’égard d’un·e défenseur·e des droits humains en Iran ces dernières années selon Amnesty International. L'anthropologue franco-iranienne Fariba Adelkhah, et la chercheuse Australienne Kylie Moore-Gilbert sont détenues par les autorités iraniennes à la prison d’Evin à Téhéran. Ce 24 décembre, les deux femmes ont annoncé avoir commencé une grève de la faim et de la soif. Narges Mohammadi, militante iranienne des droits humains, est aussi emprisonnée à Evin depuis 4 ans. C’est depuis sa cellule, qu’elle a écrit et réussit à faire passer une lettre-témoignage du cauchemar que vivent les personnes interpellées pendant les manifestations de novembre.
Au Soudan
En décembre 2018, des protestations contre des mesures d’austérité et l’augmentation du prix du pain ont éclaté. Le pays était alors dirigé par Omar Al-Bachir depuis 1989, les manifestant·e·s ont renversé le régime le 11 avril 2019. Les femmes ont joué un rôle clé dans le combat pour la liberté, la justice et la paix. L’image de Alaa Salah vêtue de blanc, chantant au milieu d’une foule, est devenue l’icône du mouvement mené par les Soudanaises. Malgré les arrestations, la torture, les agressions sexuelles, l’usage des gaz lacrymogènes et de balles réelles, les manifestantes ont lutté. Elles se sont battues contre les lois oppressives et contraires à la dignité des femmes. Les féministes se mobilisaient depuis longtemps déjà pour l’égalité des sexes. Différentes associations politiques et groupes de la société civile de femmes se sont formées en coalition à travers la Mansam qui faisait partie des signataires, le 1er janvier 2019, de la Déclaration de la liberté et du changement, qui réclamait la fin du règne de Bachir. La Mansam lutte aujourd’hui pour une plus grande représentation des femmes dans les organes officiels en transition et une reconnaissance pour le droit des femmes. Un combat qui porte ces fruits, le 28 novembre, le gouvernement soudanais a abrogé une loi sur “l’ordre moral et public”. Une grande victoire pour les Soudanaises, sept mois après la chute du régime. Al Monitor cite Nahid Jabrallah, militante des droits humains et directrice du Centre Sima pour la formation et la protection des droits des femmes et des enfants : “J'espère que le gouvernement ira plus loin avec de nouveaux amendements aux lois qui violent les droits des femmes et alignera les lois locales sur les lois internationales.” Elle souligne également “la nécessité de modifier la loi sur le statut personnel, qui autorise le mariage des mineurs et ne criminalise pas les mutilations des organes génitaux féminins.”
Au Liban
Une lourde crise économique s’abat sur le Liban depuis plusieurs mois. Face aux échecs du gouvernement et l’annonce d’une nouvelle taxe WhatsApp, les Libanais·es ont surpris le monde entier en descendant dans la rue, leur révolution a un nom la “Thawra”. Depuis le 17 octobre dernier, début des manifestations qui secouent le pays, les femmes s’imposent comme les figures de la contestation. L’image du coup de pied dans l'entrejambe d'un garde du corps du ministre de l'Education nationale, armé de sa mitraillette par la jeune Malak Alaywe Herz est devenue un symbole de la révolte. Treize jours après le début du mouvement, le président du Conseil des ministres Saad Hariri a annoncé sa démission et celle de son gouvernement. Le peuple ne s’arrête pas pour autant et continue de lutter pour la mise en place de réels changements. Les manifestant·e·s se rassemblent tous les jours sur la place des Martyrs, épicentre de la contestation. Des milliers de femmes de tous les âges, de toutes les classes sociales et de toutes les appartenances religieuses ont rejoint les rangs de la contestation. Leurs revendications : l’adoption d’une loi permettant à la femme libanaise de transmettre sa nationalité à ses enfants et à son mari étranger, le vote d’une loi unifiée sur le statut personnel pour une égalité hommes-femmes en matière d’héritage, de divorce ou de garde des enfants, ou encore le mariage civil. La cohésion est au cœur du mouvement, comme l’explique l’Orient-le-Jour, suite à des incidents violents, des femmes issues de différentes confessions ont défilé ensemble à Beyrouth. Ces mères ont affirmé la nécessité d’unité du pays, toujours profondément marqué par la guerre civile qui s’est déroulée de 1975 à 1990. Autre grande première, le 7 décembre, des centaines de Libanaises ont marché contre le harcèlement sexuel.
En Algérie
Plusieurs milliers d'Algérien·e·s manifestent tous les vendredis dans les rues d'Alger contre le régime depuis le début du “Hirak”. Ce mouvement populaire et massif, de contestation pacifique contre le régime algérien est né le 22 février. France24 rappelle que ce dernier vendredi de 2019 marquait le 45e vendredi. Ce 27 décembre était aussi le deuxième vendredi de marche anti-régime depuis l'entrée en fonctions du nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, successeur de Abdelaziz Bouteflika, contraint en avril à la démission. Depuis le début, à la suite des appels des collectifs féministes, la mobilisation des femmes est très importante à travers le pays. Chaque vendredi à Alger, les femmes organisent leur propre carré féministe au sein de la manifestation. Elles se sont d’ailleurs faites agressées par des manifestants en mars malgré l’action pacifique du mouvement, rapporte Al Watan. Elles demandent une Algérie libre et démocratique, mais aussi l’égalité et la suppression du Code de la famille. Ce texte, comme le rappelle Geo a été adopté en 1984 puis modifié en 2005. Il autorise notamment la polygamie si un juge donne son accord, ne consacre pas l’égalité entre fils et filles dans l’héritage et retire la garde de l’enfant à une femme divorcée lorsqu’elle se remarie. Il est important de rappeler que les luttes de femmes en Algérie sont ancrées dans l’histoire. Le mouvement féministe a été ébranlé par la " décennie noire ", la guerre civile qui a vu s'opposer islamistes et gouvernement militaire et qui a fait entre 100 000 et 200 000 victimes entre 1991 et 2002. D’ailleurs dans le film Pepicha, la réalisatrice algérienne Mounia Meddour raconte ce conflit du point de vue des femmes.
Au Chili
Depuis la mi-octobre des révoltes massives se déroulent partout au Chili. Dès les premiers jours des manifestations, le Président Piñera a décrété l’état d’urgence. Les militaires ont envahi les rues et le couvre-feu a été imposé. Au cœur du “Chile desperto” (le réveil chilien), des milliers de femmes. Elles sont en première ligne de la répression policière, victimes de violences et d'abus sexuels. L’artiste de rue Daniela Carrasco, surnommée “La Mimo”, et la photojournaliste Albertina Martinez ont été retrouvées mortes. Une troisième femme, Carolina Muñoz Manguello, a quant à elle disparu lors d’une manifestation. L’ONG Human Rights Watch s’est prononcé contre la violence de la répression. Comme l’explique le media argentin Pagina12, l’association des avocates féministes du Chili “Abofem” a dénoncé des actes spécifiques de violation des droits fondamentaux des femmes, des lesbiennes, des travestis et des personnes trans lors d'arrestations illégales dans les rues et également à l'intérieur des postes de police. La lutte contre les féminicides sont au cœur du combat des féministes. Red chilena contra la Violencia hacia las mujeres (le réseau chilien contre les violences faites aux femmes) a dénoncé le manque de ressources pour des campagnes de prévention contre cette violence spécifique et des programmes qui promeuvent des vies sans violence. Le réseau indique que, par exemple, en 2018, 42% des féminicides perpétrés au Chili avaient fait l'objet de plaintes préalables.
Le groupe féministe LasTesis a mobilisé les foules dans les rues des grandes villes du Chili en rappelant que quel que soit le lieu ou la tenue, une femme victime d’une agression, d’un viol ou d’un féminicide n’est JAMAIS coupable. Leur chant et leur chorégraphie ont été traduits et reproduits dans le monde entier. En novembre, à l’occasion des marches contre les violences faîtes aux femmes, des centaines milliers de femmes se sont approprié l’espace public pour dénoncer les violences masculines.
https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_2019-l-annee-des-revolutions-au-feminin-de-l-irak-a-l-algerie-en-passant-par-le-soudan?id=10396945
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