Né en Algérie en 1966, arrivé en France deux ans plus tard, Rabah Ameur Zaïmeche s'est fait un nom dans le cinéma en parlant de ses origines. C'est à la cité des Bosquets de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, où il a grandi, qu'il avait situé son premier film, « Wesh wesh, qu'est-ce ce qui se passe » (prix Louis Delluc 2002), où il interprétait lui-même Kamel, un jeune beur tout juste revenu après cinq ans de prison et deux ans d'exil en Algérie, incapable de décrocher un emploi dans sa banlieue sous tension. Et c'est dans son village natal qu'il était allé tourner « Bled number one », très remarqué quatre ans plus tard dans la section « Un Certain Regard » du festival de Cannes, où l'on voyait le même Kamel, tout juste expulsé de France, débarquer en étranger dans une Algérie où, déjà le désarroi ambiant laissait deviner une crispation nationaliste et, même, une menace islamiste. Après trois autres films sélectionnés dans différents festivals, « Terminal Sud », lui-même en compétition cet été à Locarno, revient aujourd'hui, sinon en Algérie, du moins dans un pays déchiré qui lui ressemble beaucoup mais pourrait aussi se situer, plus largement, « quelque part autour de la Méditerranée ». Un pays où, après un passé de campagnes coloniales et de guerre d'indépendance, une gouvernance dictatoriale alimente une guerre civile armée, sur fond de grande misère économique. Un pays délabré, en proie à une violence quotidienne qui, souvent, fait des morts. Un pays à l‘agonie mais auquel s'accroche obstinément le héros, un médecin, cette fois, qui, malgré l'insécurité grandissante, tente désespérément de ne pas prendre parti et de continuer à vivre « normalement ». C'est-à-dire soigner, sans parti-pris, quiconque se présente dans son hôpital. Il tiendra contre vents et marées, malgré l'assassinat de son beau-frère, un journaliste, et la désertion de son épouse, qui préfère rentrer en France. Jusqu'au jour où, accusé à tort de trahison, arrêté et torturé, il finit par choisir de fuir lui aussi. Clandestinement. Et dans des conditions dramatiques.
Terriblement pessimiste, ce récit d'une véritable descente aux enfers d'un homme au-dessus de tous soupçons conjugue tous les maux d'une société hélas très proche de celles de nombreuses régions dans le monde d'aujourd'hui. Une société où la violence sévit à l'aveugle, où les intégristes imposent leur loi par la force, où la liberté d‘expression n'a plus cours, où la liberté tout court n'existe plus. Pas gai…
MON AVIS
Un tableau très sombre d'un pays plus ou moins imaginaire où l'on retrouve des échos aussi bien de l'Algérie des années 1990 que de la France d'aujourd'hui. Le film, inégal, mais avec des moments très forts, est souvent déroutant. Mais il a un mérite : il nous fait réfléchir aux dangers qui nous guettent…
«TERMINAL SUD», LES GUERRES D’ALGÉRIE ENTRE LES LIGNES
Sans situer avec précision son récit dans l’espace ou dans le temps, Rabah Ameur-Zaïmeche filme un Ramzy Bédia très touchant en médecin esseulé, à la fois candide et digne.
L’époque et le lieu du dernier film de Rabah Ameur-Zaïmeche ne sont pas précisés, même si le réalisateur ne cache pas que le point de départ de Terminal Sud était son désir de se confronter aux années noires qu’a connues l’Algérie dans les années 90 et dont il a été témoin depuis la France. Ce pays écrasé par l’insécurité, la peur, une police ultra brutale, la torture, une guerre fratricide, c’est donc à la fois cette Algérie-là et tous les pays qui ont été, qui sont, qui pourraient être dans une situation de violence et d’oppression comparables.
Angoisse
On retrouve dans cette géographie méditerranéenne et ce temps incertain quelque chose des torsions temporelles que se permettait déjà Rabah Ameur-Zaïmeche par sa façon de représenter l’histoire dans ses deux précédents films, en suivant la quête des compagnons du contrebandier Mandrin (les Chants de Mandrin) ou en offrant sa version des Evangiles (Histoire de Judas) à travers des corps et des phrasés d’aujourd’hui. Pour lui, l’histoire n’existe vraiment qu’au présent, et pour le présent. Ainsi, faire un film à partir d’une période déterminée de l’histoire algérienne n’a de sens que si l’on en dépasse les circonstances précises pour l’appréhender comme une terreur plus vaste et toujours vivace.
Cette vision plus élargie et abstraite du fait historique s’accompagne d’une incertitude maintenue tout du long, un flou qui peut parfois être ressenti comme un manque de matière narrative. Mais ces lacunes reflètent surtout la confusion que traverse le personnage principal, un médecin (joué par Ramzy Bédia) tentant de continuer à exercer son métier, à sauver des vies, quelles qu’elles soient, là où règnent la division et la mort.
L’angoisse dans laquelle il est de plus en plus cruellement plongé réside dans la difficulté à distinguer militaires et terroristes, policiers et malfrats, alliés et ennemis. Le film s’éloigne alors de tout discours et de tout conflit simplificateurs pour s’approcher au plus près du chaos politique et moral d’une société en proie à la guerre civile. La violence physique est laissée hors-champ mais on la ressent à travers l’épuisement des corps, leurs blessures plus ou moins visibles, leur accablement.
Incrédulité
Ramzy Bédia se révèle ici très émouvant. Rabah Ameur-Zaïmeche parvient à transformer l’immaturité attachée à sa figure comique en une candeur pleine de dignité. Son déplacement dans un cinéma dont il n’est pas coutumier semble avoir nourri le sentiment d’incompréhension et d’incrédulité qui définit son personnage. Ne pas comprendre est une forme tragique de lucidité, de refus de l’inacceptable. Celle-ci laisse les hommes dans une solitude à laquelle cinéma très collectif d’Ameur-Zaïmeche ne nous avait pas habitués. C’est ce qui fait de Terminal Sud son film le plus âpre, comme s’il se laissait contaminer par l’état du monde qu’il décrit. Là réside aussi son honnêteté.
https://next.liberation.fr/cinema/2019/11/19/terminal-sud-les-guerres-d-algerie-entre-les-lignes_1764372
Cinéma Wesh Wesh
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