Photo du film : Oran, un massacre oublié
Il est des sujets tabous et des secrets nationaux que l’ouverture des archives et l’opiniâtreté des historiens, tôt ou tard, dévoilent, jetant sur l’état et sa raison une lumière impitoyable. C’est le cas du massacre de quelque 500 Européens et 100 Algériens, perpétré à Oran le 5 juillet 1962 alors que l’Indépendance se fête dans les rues ensoleillées de la deuxième ville d’Algérie.
Jean-Charles Deniau et Georges-Marc Benamou ont présenté au Primed dans la catégorie Mémoire de la Méditerranée : Oran, le massacre oublié. Un film né d’une longue investigation : puiser dans les archives d’une armée réticente, y capter à la dérobée un cliché ou un nom, recueillir les témoignages au bord des larmes de ceux qui n’étaient que des enfants alors, collecter des photos de famille, interroger d’anciens militaires, donner la parole à des écrivains français et algériens. Oran apparaît alors à nos yeux…
La ville avant l’Indépendance, surnommée la Radieuse, ne l’était pas forcément pour tous ses habitants. Coloniale, elle concentrait les populations blanches en son centre, rejetant Juifs et Musulmans à sa périphérie. Rattrapée tardivement par la guerre, Oran devient en 62 un bastion de l’OAS qui multiplie les attentats et un enjeu pour les nouveaux chefs de l’Algérie qui se disputent un pouvoir tout neuf. Au sein du FLN, certains désirent que tous les Européens sans exception, quittent le pays. D’autres pensent qu’ils pourraient peut-être rester sous de nouveaux statuts. Si la plupart ont déjà quitté Oran, pratiquant la politique de la terre brûlée, détruisant ce qu’ils n’ont pas pu emporter, des instituteurs, des petits commerçants, des gens modestes sont encore là. Par optimisme, nécessité ou amour du pays. Beaucoup sont dans la rue avec les Algériens ce 5 juillet. On ne saura jamais qui a commencé à tirer ni s’il y a eu préméditation, mais bientôt, la célébration de la Victoire des Algériens tourne au cauchemar : une partie de la foule, des supplétifs de l’Armée, des éléments « incontrôlés » égorgent, fusillent, lynchent les Européens. L’armée sous la responsabilité du Général Katz, refuse d’intervenir sur ordre de Paris qui n’ignore pourtant rien de cette tuerie. Poursuivies, des victimes frappent aux portes des casernes qui ne s’ouvriront pas. Les corps disparaissent, ensevelis dans des charniers dont les autorités nieront l’existence.
Les réalisateurs nous font suivre ces événements heure par heure : un direct, 47 ans après ! Puis analysent le déni qui suivra. Se profile alors une convergence entre les pouvoirs français et algériens. Les premiers, parce qu’ils avaient abandonné les Français d’Algérie comme les Harkis dans des conditions indignes, les seconds parce que la Victoire ne devait pas être entachée par cet épisode peu glorieux que même une soif de vengeance n’aurait pu justifier.
Le nouveau gouvernement algérien arrêtera quelques pilleurs pour donner le change. La Grande Muette se fera sourde et aveugle enfouissant l’épisode dans des dossiers secrets. Il y avait le pétrole, les essais nucléaires au Sahara… Il fallait d’un commun accord oublier ces « incidents ».
ELISE PADOVANI
NOVEMBRE 2019
https://www.journalzibeline.fr/critique/raison-detat/
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