En Algérie, une guerre de cent ans contre la colonisation
Un contre-manuel accessible, critique et exigeant, conçu par une équipe d’universitaires, de journalistes et de professeurs d’histoire-géographie. Elle y retrace l’évolution du monde de la révolution industrielle à nos jours : grands événements, transformations sociales, débats intellectuels, découvertes scientifiques…
Cet ouvrage s’adresse aux enseignants, aux lycéens, aux étudiants. Et surtout à tous ceux qui veulent que l’histoire ne soit pas le musée de l’ordre, mais la science du changement.
Au programme d’histoire de première et de terminale.
Jusqu’aux années 1990, la fermeture des archives, en particulier militaires et policières, freinait les travaux scientifiques sur la guerre d’Algérie. Les témoignages (de rapatriés, d’anciens combattants, etc.), les œuvres des cinéastes et les textes d’intellectuels n’en donnaient qu’une vision parcellaire. Depuis, la torture, les « camps de regroupement » et les autres exactions de l’armée française apparaissent au grand jour.
Si l’on en croit bien des livres d’histoire, la guerre d’Algérie débute le 1er novembre 1954, lorsque sont échangés les premiers coups de feu et qu’apparaît un groupe inconnu auparavant : le Front de libération nationale (FLN).
En réalité, la résistance du peuple algérien commence… dès le début de la colonisation française, lors du débarquement de 1830. La « pacification » ne s’achève qu’en décembre 1847, avec la reddition d’Abd El-Kader – l’unificateur des forces algériennes contre la conquête, proclamé « émir des croyants ». Depuis cette date, les insurrections, locales ou régionales, n’ont plus cessé. Une des dernières manifestations pour l’indépendance, à Sétif en mai 1945, est réprimée dans le sang, laissant dans la société algérienne une cicatrice jamais refermée.
Constat d’échec pour les solutions pacifiques et les soulèvements sporadiques.
Ces insurrections furent-elles toutes menées au nom de la nation algérienne ? Pour la phase initiale, au XIXe siècle, les historiens en débattent encore. Ce qui est certain, c’est que le sentiment patriotique algérien s’affirme progressivement face à l’occupation étrangère. En témoignent la naissance de l’Etoile nord-africaine (1926), puis celle du Parti populaire algérien (1937), deux organisations marquées par la forte personnalité de Messali Hadj – lequel sera écarté par ses camarades plus jeunes lors du déclenchement de l’insurrection de novembre 1954, qui débouchera sur la guerre d’indépendance.
A ce moment, le mouvement nationaliste parvient à la conclusion que, les solutions pacifiques et les soulèvements sporadiques ayant échoué, un mouvement de révolte structuré, centralisé, est devenu nécessaire. D’autant que, quelques mois plus tôt, à l’autre bout du monde, la victoire vietnamienne de Dien Bien Phu (mai 1954) a éveillé d’immenses espoirs chez tous les colonisés (lire p. 118).
Les gouvernants ne comprennent pas ce qui est en train de se passer. Les formules « L’Algérie, c’est la France. Des Flandres au Congo, une seule nation, un Parlement » et « Pas de négociation » (François Mitterrand, ministre de l’intérieur) emplissent les discours. Pour ces officiels, la réplique va de soi : « la fermeté », c’est-à-dire la violence, « la guerre » (Mitterrand).
La quasi-totalité du monde politique et journalistique préconise les mêmes « solutions ». Seules quelques voix protestent : Charles-André Julien, François Mauriac, André Mandouze, Francis Jeanson chez les intellectuels ; Témoignage chrétien, L’Humanité et France-Observateur dans la presse. Les communistes, unique force politique nationale à s’élever contre la répression et à affirmer le caractère spécifique de la question algérienne, ne vont pas pourtant jusqu’à l’affirmation du droit à l’indépendance de l’Algérie.
Guerre ? Le mot n’apparaîtra jamais dans le vocabulaire officiel de 1954 à 1962. Il ne sera adopté qu’en… octobre 1999, après une décision de l’Assemblée nationale !
C’est pourtant bel et bien une guerre coloniale qui commence en 1954. Dès ce moment sont mis en place des moyens proprement inhumains pour terroriser non seulement les combattants, mais toute la population, considérée comme complice, donc coupable : ratissages, arrestations, usage de la torture, évacuations de villages entiers et regroupements par la force des populations civiles, bombardements au moyen parfois du
Le désastre de Guy Mollet
Les mois passent, la guerre s’installe. Durant cette première phase, les dirigeants français, endormis par plus d’un siècle de certitudes coloniales (« Nous sommes porteurs de la civilisation… les indigènes nous sont reconnaissants… »), ne comprennent pas les enjeux. Les gouvernements de la IVe République qui se succèdent (Pierre Mendès France, Edgar Faure, Guy Mollet…) adoptent, avec des nuances, la même politique.
Le pire survient avec le gouvernement Mollet, dit de « front républicain » : élu en 1956 sur un programme de prise de contacts avec le FLN, soutenu par des communistes qui regretteront, mais bien tard, leur vote, il s’engage en fait vers une aggravation de la guerre. C’est ce gouvernement qui couvre les exactions de la féroce chasse à l’homme pudiquement appelée bataille d’Alger (début 1957).
MANUEL SCOLAIRE ALGÉRIEN
Depuis l’indépendance,le gouvernement algérien alimente l’hostilité de la populationà l’égard des harkis. En témoigne ce manuel de neuvième, rédigé au début des années 2000.
Des groupes de personnes ont préféré se vendre à l’ennemi et combattre leurs propres frères, déjà lors des premières révoltes au XIXe siècle, en échange d’argent, de biens, de titres. Ces groupes de harkis ont été responsables des pires répressions contre les civils algériens. Ce sont eux qui ont été chargés de brûler les villages, des interrogatoires, de la torture, soit de la sale besogne de l’armée française.
Cité dans Benjamin Stora, « Guerre d’Algérie et manuels algériens de langue arabe », Outre- Terre, n° 12, 2005.
Alain Ruscio
La guerre a commencé depuis quatre ans quand Charles de Gaulle est porté au pouvoir par les réseaux de la mouvance Algérie française. Selon plusieurs manuels scolaires français, le Général est alors « hésitant » au sujet de l’indépendance algérienne. Pourtant, sa stratégie ne fait guère de doute. Pendant les dix-huit premiers mois de son mandat, de Gaulle cède sur les apparences pour préserver l’essentiel : la domination française.
Commencée dans une indifférence quasi générale en 1954, la guerre d’Algérie finit par miner le régime. Devant les piétinements de gouvernements de plus en plus discrédités, un homme, silencieux depuis quatre ans, attend son heure : le général Charles de Gaulle. En 1958, les réseaux plus ou moins occultes de la mouvance Algérie française, qu’il couvre de son autorité, s’agitent ; le 13 mai, profitant d’une nouvelle crise gouvernementale, ils participent au coup de force qui permet à de Gaulle de revenir au pouvoir. Si le héros de la Résistance préserve les apparences de la légalité, ce sont bel et bien les factieux qui lui permettent de reprendre les commandes de l’Etat.
Nombre d’historiens se sont interrogés pour connaître sa pensée profonde à ce moment-là : était-il favorable à l’Algérie française ou bien s’est-il servi de ses réseaux pour prendre la tête du pays et élaborer un plan de sortie de guerre ? En fait, durant les dix-huit premiers mois de son pouvoir, le Général fait tout pour détruire la résistance du Front de libération nationale (FLN). Simultanément, il lance un plan, d’une ampleur inédite, dit « de Constantine », de mise en valeur de l’Algérie au sein, évidemment, du système français. Son calcul consiste à céder sur certaines apparences – comme l’acceptation d’un vrai suffrage universel (une première, en Algérie) ou l’association de certains Algériens à la nouvelle politique (ce qui a pour effet de diviser le FLN) – afin de préserver l’essentiel. Cette politique porte un nom : le néocolonialisme. Elle a également une logique : elle ne peut être appliquée qu’avec un minimum de coopération des populations colonisées, ou tout au moins de leurs élites sociales et politiques.
Or de Gaulle n’a jamais pu obtenir ce minimum. Tous ses entretiens en Algérie, tous les rapports parviennent à la même conclusion : la France contrôle (difficilement) le terrain, mais la population, en campagne et en ville, lui échappe. La guerre, militairement gagnable, ne peut aboutir à une véritable solution politique. La clairvoyance de de Gaulle est d’accepter cette situation, bravant ainsi la colère de ses anciens soutiens. « La décolonisation est notre intérêt et, par conséquent, notre », explique-t-il en avril 1961.
La résistance, fondée sur une fierté nationale retrouvée, du peuple algérien (immigration en France incluse) constitue incontestablement la première cause de la défaite du colonialisme. Mais un autre facteur entre en jeu : l’opinion française. Après un temps inévitable de désarroi et d’incompréhension, elle prend progressivement conscience de l’inéluctabilité de l’accès de l’Algérie à l’indépendance, et l’accepte.
En France, les « porteurs de valises » fournissent des faux papiers aux agents du FLN.
Les premières manifestations, à l’automne 1955, sont, selon tous les témoins, maigrelettes. Progressivement, les partisans de la paix marquent des points, conquièrent des consciences et organisent la protestation, sous des formes publiques (manifestations, dont celle des Algériens d’octobre 1961, qui fit des centaines de morts, puis de Charonne en février 1962, qui fit huit morts) ou clandestines (action des « porteurs de valises », un réseau d’aide directe au FLN). Cette guerre est par ailleurs marquée par une intervention active des intellectuels de gauche, l’historien Pierre Vidal-Naquet, le philosophe Jean-Paul Sartre, le mathématicien Laurent Schwartz. Certains signeront la « Déclaration sur le droit à l’insoumission » – c’est-à-dire le droit de refuser de faire son service militaire en Algérie –, dit « Manifeste des 121 », en septembre 1960.
Le 18 mars 1962 sont signés les accords d’Evian. Le bilan est très lourd : des dizaines de milliers de morts et de blessés côté français, des centaines de milliers côté algérien, dont une immense majorité de civils.
Alain Ruscio
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