I - Introduction
Au mois d'août de l'année 46 av. J.-C, la ville de Rome célébrait le Triomphe de César. La procession accompagnait, le long de la Via Sacra et du Forum jusqu'au temple de Jupiter au Capitole, les généraux romains qui avaient remporté une victoire sur des peuples étrangers 2. Procession solennelle, événement politique et militaire à l'occasion duquel défilaient en fin de cortège les légions qui avaient combattu, le Triomphe était aussi une fête populaire accompagnée de chants (les cartnina triumphalia). Dans les cortèges, après les chars et portoirs chargés des objets les plus précieux du butin de guerre et après le défilé des emblèmes, enseignes, armes et étendards pris aux ennemis, marchaient les vaincus. Rois, princes, princesses et notables amenés captifs à Rome, avec leurs familles et suivis de captifs de rang mineur, marchaient, enchaînés, devant le quadrige du vainqueur dont on célébrait le Triomphe 3.
En cette année 46, la ville de Rome célébrait les victoires militaires de César contre la Gaule, l'Egypte, le Pont et, surtout, sa cam- pagne africaine contre le roi numide Juba I et les Pompéiens. La victoire avait rapporté aux trésors de Rome une richesse considérable 4. ^y* ^ . . ^L l^ ^ j -. Dans le butin de guerre du cortège triomphal, ne manquèrent ni les 1 1 I&U I w ICU 1 1 v/ éléphants, ni les panthères ni même, pour la curiosité des Romains, une girafe. Mais le Triomphe de César vantait un plus précieux ÛT butin.
"Devant son char marchait un petit enfant" (Appien, Bellum Civile, II, 101 ; Plutarque, Caesar, LV).
Ce petit enfant était Juba II, fils du roi vaincu Juba I.
Après sa défaite à Thapsus 5 devant les forces de César, Juba I s'était donné la mort 6. César ramenait captif en Italie son héritier, un enfant d'environ cinq ans 7, issu d'une remarquable lignée de rois nord-africains. À Rome, environ 58 ans auparavant, Jugurtha avait marché enchaîné, le long de la même Via Sacra, exposé au public lors du Triomphe du général Gaius Marius. Jeté avec ses deux fils dans un fossé de la sinistre prison Tulliana, Jugurtha y fut tué. Selon Eutrope (Breviarium, IV, 27) il y aurait été étranglé sur ordre de Marius ; selon Plutarque {Marius, VII, 12), on l'aurait laissé mourir de faim. Salluste {Bellum Jugurthinum, CXTV) ne dit rien quant aux cir- TOIll constances exactes de sa mort. La majorité des historiens s'accordent
sur la mort par étranglement. Des deux fils, Oxin- te aurait été mentionné encore vivant en Italie au temps de la Guerre Sociale (91- 88 av. J.-C.) et d'une révolte des légions numides 8. L'enfant captif qui marchait devant le char de Julius César aura un destin meilleur. L'expansion romaine se consolidait dans la Méditerranée suivant le double chemin de la brutale conquête militaire et de la stratégie des alliances. Aux dires de Plutarque (Caesar, LV) le jeune Juba "par les études qu'il poursuivit en captivité, devint un des hommes de Lettres les plus savants des grecs".
II - Aperçu historique
Juba II était fils de Juba I, roi massyle de Numidie et Gétulie 9, fils de Hiempsal II de la lignée de Massinissa, et de Jugurtha. La capitale de Juba I était la puissante ville de Zama 10. "(Juba I) apparaît pour la première fois dans les chroniques romaines lors d'une mission à Rome en l'année 63 av. J.-C. et sa mission reçut un très favorable accueil" n. Lors des rivalités entre Rome et Carthage pour le contrôle de la Méditerranée occidentale, le rôle des monarques, et chefs, berbères avait été décisif 12. Au moment de la lutte pour le pouvoir qui opposa César et Pompée - et, par la suite, Octave et Marc Antoine - le conflit s'étendit à toute la Méditerranée. Impliqués par Rome dans la stratégie des alliances, chefs et monarques berbères prirent des positions différentes. Les rois maurétaniens Bocchus II et Bogud 13 soutinrent la faction de César. Sollicité par le Sénat romain (alors opposé à la politique autoritaire de César) Juba I prit parti pour le Sénat et les Pompéiens. Il lutta, avec succès, contre l'envoyé de César, Curion, qu'il considérait comme un ennemi personnel puisque "en tant que tribun de la plèbe Curion avait proposé d'englober le règne de Juba I dans l'état romain" (César, De Bello Civili, II, 25, 4). Tout comme Massinissa, que Cicéron (De Republi-
ca, VI, 9) considérait amicissimus de Rome, Juba I se considérait 'ami du peuple romain', mais un ami indépendant. Après la victoire sur Curion, Juba I avait été proclamé par le Sénat sodus atque amicus populi Romani 14. Mais César, qui poursuivait ses batailles en Méditerranée orientale, avait éliminé Pompée (assassiné en Egypte) et débarqua avec ses légions en Afrique pour lutter contre ses adversaires : Juba I et ceux qui avaient soutenu Pompée (parmi eux il y avait Caton d'Utique). Juba I réunit une armée et lutta courageusement pour la défense de son royaume. Vaincu avec les Pompéiens par les forces de César dans la dévastatrice bataille de Thapsus - on a parlé de 50 000 morts 15 - Juba I s'était donné la mort, comme Caton d'ailleurs. César n'avait pas manqué de reconnaître, dans le passé, la vaillance de son adversaire (De Bello Civili, II, 36, 3). En commentant, au 1er siècle, ces tragiques événements, Sénèque le Jeune déplorait la fin des idéaux de la République causée par les luttes de Rome pour le pouvoir dans la Méditerranée et écrivait : "la malheureuse République (romaine) ne put même pas s'écrouler d'une seule fois. Il y eut des événements de tout genre : (dans sa guerre de résistance) la connaissance stratégique de ses propres terres ne furent pas de secours à Juba (le premier) ni la très courageuse valeur (popularium virtus obstinatissima) d'un peuple en défense de son roi". (Sénèque, Epistulae Morales ad Luciliutn, Vin, 71).
Tel fut le destin de Juba I, père de Juba IL Amené prisonnier à Rome, Juba II y sera élevé et instruit pendant un moment crucial de son histoire. César sera assassiné en l'année 44 av. J.-C., deux ans après son triomphe, et d'autres luttes éclateront pour le contrôle de l'Empire naissant. Juba II avait été entre-temps confié à Octavie. Nièce de César, mariée en deuxièmes noces à Marc Antoine, Octavie était la sœur du jeune Octave, nommé héritier par César et devenu par la suite - après avoir éliminé Marc Antoine - empe-
reur des Romains avec le titre de Caesar Augustus. Juba II sera élevé dans l'entourage d'une femme qui, au milieu de troubles et de disputes, demeura respectée par tous comme modèle de sage noblesse. En suivant Octave dans ses campagnes (au proche Orient et en Espagne), Juba II, qui s'était distingué dans ses études, avait su faire apprécier aussi ses qualités sur le terrain. Avec le droit de cité romain, il reçut le nom de Gains Iulius 16. Après la réorganisation de l'Empire et de ses frontières en l'année 27 environ, Octave avait délibéré de rendre à Juba II une partie des terres des rois Maurétaniens Bocchus II et Bogud 17 (Maroc/ Algérie occidentale), restées provisoirement "sans investiture" (Mommsen, III, 745, n.5) en y annexant aussi des parties de la Gétulie.
En l'année 25 av. J.-C. (année 729 de l'ère romaine), Juba II rentra ainsi en possession d'un royaume - la Mauritania - qui ne constituait vraiment pas une 'récupération' de ses terres ances- trales ; les parties les plus fertiles de l'ancienne et plus vaste Numidie avaient été déjà annexées par Rome qui avait même ramené sous sa tutelle certaines villes maurétaniennes (Tanger, Banasa, p.e.). Juba II choisit comme capitale loi 18, qui avait été la ville du roi maurétanien Bocchus II (Solin, XXV, 16) et qu'il nomma Caesarea en l'honneur d'Octave (Caesar Augustus) et dota - comme d'autres villes de son royaume, dont Volubilis (Maroc) - de monuments et d'oeuvres d'art. À une date sur laquelle les historiens ne s'accordent pas (Mommsen, ibid.), Juba II s'unit en mariage avec Cléopâtre Séléné, fille de Marc Antoine et de Cléo- pâtre VII, reine d'Egypte. Après leur mort, Cléopâtre Séléné, née vers 40 av. J.-C. (Gsell, VIII, 217), avait été amenée jeune fille à Rome lors du Triomphe d'Octave en l'année 29 av. J.-C. Elle avait été confiée à Octavie, qui avait été épouse de Marc Antoine. Quoique née de la relation de Marc Antoine avec Cléopâtre, Octavie avait reçu Cléopâtre Séléné comme une fille. "Arrivés tous deux comme prisonniers et enfants de rois, et montrés
au public romain (...), un destin singulier voulut qu'ils (Juba II et Cléopâtre Séléné) quittent libres Rome en tant que roi et reine du plus important état féudataire de l'Empire" (Mommsen, III, 717). Beaucoup de choses ont été écrites sur les rapports de ce prétendu 'état féudataire' (Mommsen) ou 'régime de protectorat' (Gsell) avec Rome et son 'contrôle indirect' (A. Laroui). Juba II fut-il plus un 'client de Rome' qu'un 'véritable prince autonome'19 ? Confronté à une superpuissance cynique, avide, bien rodée et en pleine expansion militaire et coloniale, quelles marges d'autonomie avait-il - ou pouvait-il avoir ? Il reste encore beaucoup à fouiller, à comprendre et à se documenter sur cette période. On pourrait en effet poser pour Juba II la même question que Laroui, dans son Histoire du Maghreb, pose pour Massinissa : a-t-il servi Rome ou s'en est-il servi ? Il est injustifié, étant donné aussi ce qui reste encore à mieux connaître sur cette époque, de considérer Juba II comme un 'traître', ainsi qu'une certaine historiographie l'a soutenu. En faisant référence à l'Histoire de l'Algérie d'Al Moubarak al Mili publié en 1929 et à une opinion alors diffuse, Jean Déjeux écrivait en toute bonne fois en 1963 : "opposés à toute domination, sauf celle des Arabes, les Berbères résistèrent aux Romains. (...) Les occupants trouvèrent dans le pays de vils collaborateurs, tels que Juba II, 'pont qui servit aux sauterelles romaines pour passer en Afrique' (Al Mili), ou encore Micipsa qui ne s'occupa que d'embellir et de fortifier Cirtha. Par contre, le véritable héros du Maghreb fut Jugurtha"20. En accusant d'infamie Juba II on oublie que, quand il pris possession de la Mauritania, Rome avait déjà accaparé - en les 'administrant directement' (A. Laroui) les meilleures terres d'Afrique du nord (entres autres celles défendues par Juba I), et divisé les chefs berbères. Le destin du Nord-afrique et la politique coloniale romaine s'étaient joués bien avant Juba II, à Rome ; lors des conspirations contre la République, et, une fois Carthage éliminée, lors des
luttes pour le pouvoir et des stratégies adoptées par le Sénat romain pour affaiblir les puissants domaines de Massinissa et de Micipsa - deux souverains, comme a écrit Gabriel Camps, qui avaient consolidé l'importance des Royaumes Berbères - afin de "bloquer le mouvement naturel d'unification" (A. Laroui) de ces mêmes royaumes. Dans le conflit qui l'opposa aux héritiers de Massinissa et Micipsa, Jugurtha avait eu gain de cause contre eux au Sénat romain (Salluste, Bellum Jugurthinum, XIX), dont il fut lui aussi à un moment donné 'ami et allié', pour être enfin éliminé une fois l'unité berbère affaiblie, à cause de disputes et d'intrigues. Lors de ces événements, Juba II n'était pas né.
Juba II, qui avait connu Rome au moment où brillaient encore, quoique ternis, les idéaux de la République, se faisait-il des illusions sur l'amitié' que Rome lui accordait ? Il mourut en l'année 23 ou 24, sous le règne de Tibère, à l'âge de 74 ans environ. Après 48 ans de règne. Tandis que l'un après l'autre tombaient états et royaumes aux confins de l'Empire romain grandissant, il avait réussi à ne pas succomber. Habilité diplomatique, prestige personnel ou calculs de Rome ? Contrairement à l'opinion de Al Mili, on pourrait dire aussi bien que Juba II "retarda " l'annexion par Rome de la Mauritanie. Il ne vécut pas assez pour voir son fils Ptolémée assassiné en l'année 40 21 sur ordre de l'empereur Gaius Caligula, et son royaume, partagé en Mauritania Tingitana et Mauritania Caesariensis, réduit en province romaine. Et pourtant, quelques années auparavant "un sénateur avait été expressément envoyé à (la cour de) Ptolémée pour lui consigner un sceptre en ivoire et une toga picta (ou manteau orné royal), comme dons traditionnels du Sénat et pour le saluer comme roi, allié et ami" (Tacite, Annales, TV, 26). Mais à ce stade de l'histoire de l'Empire que valaient le Sénat romain et son amitié ? Un soulèvement, guidé par l'affranchi Aedémon éclata en Maurétanie nord-occidentale (Tanger) après
l'assassinat de Ptolémée et l'annexion de son royaume à Rome. La lutte, qui s'étendit à toute la Mauritanie d'alors (Maroc et Algérie centre/occidentale) fut 'âpre' (Mommsen). Les populations de l'Atlas y participèrent. Même si les historiens ne s'accordent pas sur l'ampleur de cette résistance, on sait que les forces de Rome mirent plusieurs années pour la dompter et, d'ailleurs, qu'elles ne purent jamais contrôler l'entier territoire. Malgré les révoltes des Gétules et la guerre de Tacfarinas causées par la constante et ravageuse pression socio/politique et économique de l'expansionnisme romain et son "expropriation des terrains de parcours" (A. Laroui) - Juba II et son fils Ptolémée semblent avoir représenté pour leurs sujets un symbole d'unité et leur avoir donné une autonomie vivement regrettée. Comme Massinissa et d'autres chefs berbères - et selon une coutume citée par Tertullien (Apologeticum, 24) et d'autres auteurs ^ - Juba II aurait été adoré comme divinité après sa mort. Une statue trouvée à Sala (Rabat) pourrait être son portrait divinisé 23. Une inscription des environs de Bordj Bou Arréridj (Algérie) prouverait la survivance de son culte au Ille siècle. En l'année 70, un nommé Juba revendiquait encore le trône des ancêtres (Tacite, Historiae, II, 58).
III - Une idée cosmopolite de la méditerranée
Soutenu peut-être en cela par Cléopâtre Séléné et son entourage, probablement aussi par celui de Glafira de Cappadoce, sa deuxième épouse 24, et poussé par ses propres choix, Juba II, devenu roi, évolua dans un univers culturel hellénistique et afro-oriental qui lui convenait beaucoup plus que celui de Rome. Certes, il participa à la culture de son temps - et le temps était marqué par la roma- nité triomphante - mais en donnant prestige à un royaume beaucoup moins latinisé qu'on voudrait le faire croire 25. Monuments, arts, coutumes et
traditions punico-carthaginoises, égyptiennes et nordafricaines s'y mêlaient à celles grecques hellénistiques plus qu'à celles d'une romanité dont Juba II connaissait et appréciait l'histoire mais de laquelle il se distingua au point d'être considéré par les Anciens comme 'un philosophe, érudit et historien grec'. Dans cette volonté de se différencier de l'identité romaine nous reconnaissons les signes d'un parcours singulier. Fils d'un souverain mort pour avoir défendu son royaume contre César, époux d'une jeune femme dont la mère - reine d'un état hellénistique - s'était suicidée pour ne pas se rendre aux Romains et dont le père (Marc Antoine), poursuivi pour avoir soutenu une vision 'orientale' de la politique méditerranéenne, devait à son tour se donner la mort, Juba II épousa en deuxièmes noces la fille du roi de Cappadoce qui avait combattu contre César et qui mourut dépossédé de son royaume (Tacite, Annales, II, 42). Les liens et les choix de Juba II ne furent pas très orthodoxes ! Ami de Rome, dont il respecta les accords, il semble plutôt avoir été marqué par la 'politique méditerranéenne' (G. Camps) qui avait suivi Massinissa. À côté des nombreux affranchis, et des Italiens, il accueillit artistes, acteurs et savants du monde grec, introduisit à Cherchell - mais aussi en d'autres lieux de la Maurétanie - le culte d'Isis, honora Héraklès, adopta (dans le temple de Lixus, par exemple) des formes architecturales d'inspiration punique. Il frappa des monnaies en argent, et - même - en or 26, ce qui témoigne de son prestige. "Les états clients étaient
autorisés à frapper leur propre monnaie, mais en bronze, et seulement occasionnellement en argent, et dans un seul cas, au Bosphore, en or" 27. Certes, sur les monnaies 'Juba Rex' est le plus souvent, avec quelques exceptions en néo-punique, écrit en latin, mais Cléopâtre Séléné est toujours désignée reine en grec (voir note 6°). Au cours de son règne, dans les symboles choisis pour ces monnaies on trouve, entre autre, l'éléphant (qui avait orné les monnaies de Jugurtha), le lion et le crocodile, le palmier, les symboles de la 'Dea Africa', divinités nordafricaines telles Isis (croissant lunaire), Poséidon (trident), Héraklès (dépouilles de lion, massue, arc et flèche).
Dès les débuts du XIXème, de nombreux auteurs 28 s'intéressèrent à la vie et à l'oeuvre de Juba IL Ils découvraient les multiples facettes d'un homme qui fut - comme avait écrit Pline l'Ancien - versatissimus ('très doué, ou doté de grandes qualités'). Ils ne disposaient pas des données archéologiques, épi- graphiques et documentaires aujourd'hui accessibles pour mieux situer Juba II dans le contexte d'une histoire urbaine et culturelle afro-berbère ancienne, encore assez mal connue d'ailleurs. Mais ils furent captés par cette figure singulière, quoique non unique. En effet, le roi Micipsa "était un vieux (...) pacifique (...) dédié à l'étude de la philosophie grecque" (Mommsen, II, 168) et - selon Diodore - entouré de savants grecs (Gsell, VI, 91) ; Hiempsal II aurait écrit des livres en langue carthaginoise (Salluste, XVII) ; Massinissa avait protégé à sa cour les arts et la culture ; son
fils Mastanabal était instruit dans les lettres grecques et avait gagné une victoire aux Panathénées d'Athènes (Gsell, VI, 90). Avec des importantes villes telles Siga, Zama, Vaga, Cirta, loi, Tingi, Lixus et d'autres encore, le Nord-afrique avait participé à l'univers culturel urbanisé de la Méditerranée ancienne alors même que l'expansionnisme romain en conditionnera l'évolution 29. En 1885 l'historien allemand Mommsen écrivait : "(Juba II) était un écrivain grec à la manière de son temps, il compilait dans une suite innombrables de livres les ainsi nommées curiosités d'histoire, de géographie et d'histoire de l'art ; homme mémorable pour son activité laborieuse presque internationale, connaisseur de la littérature phénicienne et assyrienne et intéressé à divulguer auprès des Hellènes la connaissance des coutumes romains et de l'histoire de Rome, il fut aussi un ami passionné de l'art et du théâtre" (III, 717). 'Écrivain grec', à l'érudition 'internationale' Juba II le fut, pour les Anciens, parce qu'il rédigea la plupart de ses traités en grec. Rome elle même avait été profondément influencée par la Grèce et avait été hellénisée tout comme l'ensemble du monde méditerranéen. Mais à l'époque de Juba, et sous Octave Auguste, la nouvelle idéologie 'latine' aimait opposer le culte de la romanité à un hellénisme désormais méprisé comme 'oriental'. L'empereur Octave Auguste "se proclamait sauveur d'une romanité en danger à cause de la revanche de l'hellénisme et de l'Orient" 30. Une raison de plus pour 'lire' le philhellénisme de Juba II et ses liens avec les racines autochtones, l'Orient et l'univers punico/carthaginois comme un signe d'autonomie face à l'idéologie romaine. Autonomie intellectuelle, dira-t-on, et non pas politique ; mais il faut aussi tenir compte des problèmes que connaissait l'Orient face à l'expansion latine et ce que l'hellénisme signifiait alors comme mouvement identitaire aux frontières de l'Empire romain.
IV - Rex litteratissimus
Les auteurs anciens sont unanimes : Juba II - qu'ils appellent Juba de Maurétanie, Juba Maure, Roi Juba, ou Juba tout court (Iuba en latin, 'Iôfias, lobas, en grec) - était un homme passionné de culture, un savant et un érudit. Rex Litteratissimus 31 (Ampelius, 38), Juba II fut considéré aussi - comme on a vu - 'le meilleur historien qu'il y ait jamais eu parmi les rois1 (Plutarque, Sertorius, IX), un érudit que 'l'on comptait parmi les hommes de Lettres les plus savants des Grecs' (Plutarque, Caesar, LV). Dans un poème didactique (Ora Maritima, 270 seq.) où il chante les louanges de Juba II, Fes- tus Avienus, auteur du IVème siècle, écrit "et lite- rarum semper in studio Juba " 32 tandis que l'éru- dit égyptien Athénée (III, 2, 83b) l'appelle 'avôpcc noXv\ia9£OTaxov &. Pour Pline l'Ancien, Juba II fut studiorum claritate memoralibior etiatn quam regno 34. Comme nous verrons plus loin, Juba II fut aussi un géographe et un savant en histoire naturelle. Ses informations, documents et observations, furent amplement utilisés par Pline l'Ancien, qui dans son Naturalis Historia le mentionne environ 38 fois. Ainsi que par de nombreux historiens, géographes, érudits, doxographes et compilateurs de manuels de l'Antiquité tels Cornélius Népos, Plutarque, Ammien Marcellin, Appien, Dion Cassius, Vitruve, Esychius, Pollux, Athénée, Élien, Dioscoride, Photius, Galien, Tatien, Clément d'Alexandrie, Strabon, Philostrate, Solin, Flavius Josèphe, Stéphane de Byzance x et d'autres, sans compter ceux qui en utilisèrent les informations sans le mentionner. Encore aux alentours du Xème siècle, la monumentale compilation encyclopédique byzantine dite de Suda ou Suida/Sudas, cite Juba II comme auteur "qui écrivit énormément" ^. Ses informations et références en géographie, zoologie, botanique firent le tour de la Méditerranée allant enrichir le bagage notionnel du monde antique et ont alimenté cette chaîne de connaissances qui relie l'Antiquité à notre époque.
Le nom (eixjiôppiov, euphorbion) que Juba II donna à une plante médicinale du pays des Autololes 37, dans un petit traité connu par Pline, Dioscoride et Galien (Mùller, F.H.G., III, 473), est encore utilisé aujourd'hui ; il s'agit de l'euphorbe 38. Ses observations sur une grande variété d'animaux - lions, panthères, antilopes, gnous, ânes sauvages et, surtout, éléphants - ont été reprises par de nombreux auteurs de l'Antiquité. Dans ses observations sur les mots et les langues des différents peuples, une poignée de mots, cités par Pline, sont un rare témoignage sur le nord- africain ancien 39 ; on fait référence à Juba aussi pour des questions de philologie grecque et latine. L'exploration et découverte des Iles Canaries - erronément attribuées aux Major- quins, Génois et Ibériques et improprement situées aux débuts du XlVème siècle (mention de l'île de Fuerteventura est faite dans le planisphère de Angelino Dul- cert en 1339) - avaient été le fait d'une expédition organisée par Juba II aux alentours du 1er siècle et sur laquelle il écrivit dans son œuvre AifivKa (en latin Libyca ou De Libya). Le compte-rendu de l'expédition aux Canaries relatée par Pline était connu par Christophe Colomb 40. Les auteurs Anciens puisèrent amplement dans Libyca, qui traitait de l'Afrique alors connue 41 ; ils y trouvèrent maintes informations sur la flore, la faune, les produits, les sites et les habitants du Nord-Afrique appelé "Libye" d'après la tradition grecque qui avait emprunté le terme à l'égyptien Ibwlrbw (Lebu). Passionné par l'étude des peuples (assyriens, mésopotamiens,
phéniciens, libyens, éthiopiens, carthaginois), de leur histoire, coutumes, arts et cultures, Juba II écrivit aussi 'Apapiica (en latin Arabica ou De Ara- bia) un ample ouvrage d'histoire naturelle et de géographie sur l'Arabie, les Arabes et les terres autour du Golfe Persique et de l'Egypte ; on peut en trouver les fragments réunis dans l'œuvre de Carol Mùller (voir après, paragraphe IX). Le monde antique, qui découvrait des peuples au delà des limites connues, s'intéressa avec passion aux questions 'ethnographiques'. Juba II rédigea une Histoire de Rome et des Romains qui mit à la disposition des auteurs grecs une foule d'informations historiques de première main. Il rédigea aussi une histoire du théâtre et des traités sur les langues et littératures grecque et latine, et sur des questions lexicales. Connaisseur et amateur d'architecture, sculpture et peinture, il écrivit des traités sur les peintres et la peinture, et sur le monuments de Rome et d'Assyrie. Il fut un collectionneur de livres et d'œuvres d'art ; il s'intéressa à la philosophie. Une sculpture avait été érigée en son honneur à Athènes où il reçut les honneurs "en tant que roi qui gardait un place élevée parmi les historiens et les philosophes" a. Juba II fut aussi un bâtisseur et un mécène. Il dota de monuments (temples, palais, aqueducs, théâtres ou amphithéâtres, etc.) de nombreuses villes - dont Volubilis, Sala et Lixus -, il y réalisa des œuvres d'utilité publique (à Caesa- rea, à Lixus, aux îles Purpurariae à proximité d'Essaouira) « et embellit et valorisa Iol/Caesarea (Cherchell, Algérie) en y aménageant le port, doté
de phare, et des termes, aqueducs, remparts, palais et temples. En commissionnant et en achetant de nombreuses œuvres d'art il allait doter les musées du futur Maghreb - malgré les pertes causées par les guerres, l'incurie, le temps et les pillages (anciens, du moyen âge, coloniaux et récents) - d'un patrimoine de très haute qualité artistique 44. Un héritage muséographique qui enrichit l'histoire ancienne de la Méditerranée. On a pu écrire que nulle part en Afrique ont été découvertes autant de statues antiques à la valeur artistique aussi exceptionnelle, choisies avec un goût de "fin connaisseur" (Gsell, VIII, 246). Bien qu'il y ait aussi - à Cherchell par exemple - des oeuvres d'art égyptien, la majeure partie est d'origine, ou d'inspiration (parfois d'après copies romaines), grecque. Un Apollon attribué à Phidias, une Vénus et des éphèbes attribués à l'école de Praxitèle, des belles copies de sculptures de Praxitèle, Myron et Phidias, et d'autres statues encore (Vénus, Hesculape, Hercule, Bacchus, Athéna, Neptune etc.) font parties des collections du temps de Juba II conservées surtout en Algérie et au Maroc. D'autre part, par les explorations, les enquêtes érudites, les initiatives commerciales Juba II s'intéressa à mieux connaître les terres africaines, et à valoriser l'économie et le commerce de son royaume. Le garum était exporté dans le monde romain ; et tissus et teintures, ou vestis Afra (Mommsen, III, 751), étaient - comme rappelle F. Heichelheim dans son histoire économique du monde ancien - appréciés et recherchés. Le poète latin Horace (mort quand Juba II régnait en Maurétanie) a énuméré parmi les objets les plus précieux les vestes Gaetulo murice tinctas, 'tissus teints avec la purpre gétule' (Epistulae, II, 2, v.181).
Le port de Cherchell, rappelle Pietro Romanel- li 45, était second en importance seulement après celui de Carthage. Enfin, héritier, par son grand- père Hiempsal II (ou Jempsale) des livres "des bibliothèques de Carthage" (Pline, XVIII, 22), il
continua à en enrichir la collection tout en consultant ces librorum punicorum (Ammien Marcellin XXII, 15, 8) que Scipion avait donné à Micipsa et, puis, Hiempsal II laissés à Juba IL L'identification du monument, erronément appelé autrefois 'tombeau de la chrétienne' (cjbor er-rumiyya), avec le tombeau de Juba II et Cléopâtre Séléné, reste controversée. Situé entre Bou Ismaïl et Tipasa (Algérie), ce grandiose mausolée fut, selon Pom- ponius Mêla (1er siècle) monumentum commune regiae gentis, "monument funèbre de l'ensemble de la famille royale" (I, 31) ; avec Romanelli, qui n'excluait pas l'utilisation par la famille de Juba II, on lui reconnaît aujourd'hui une fondation antérieure, peut-être du V/IVème siècle av.J.-C. De Juba de Maurétanie - qui envoya des missions dans l'Atlas, aux Iles Fortunées, le long des côtes atlantiques et, peut-être, pour son enquête sur les sources du Nil, vers les régions sub/sahariennes - l'Afrique garde le nom d'un cap, le Cap Juby sur la côte atlantique, et d'une fleuve, le Juba en Somalie. Il existe aussi, en botanique, un "genre monotypique de plantes de la famille des palmes (...) appelé Jubaea d'après Juba II roi de Maurétanie" (Enciclopedia Treccani, Vol. XX, 13).
V - Un touche-à-tout excentrique ou un savant à la maniere de son temps ?
Difficile à saisir en dehors de cette perspective globale, la figure de Juba II a été souvent mal comprise. En 1928, dans son Histoire ancienne de l'Afrique du Nord (tome VIII) - tout en utilisant l'ample travail d'érudition accompli par les historiographes du XIXème siècle et ne pouvant pas nier l'intérêt du personnage - Stéphane Gsell réussit à en amoindrir la personnalité et l'œuvre. Si une relecture de cette période de l'Antiquité s'impose pour mieux comprendre Juba II, une lecture critique de l'interprétation faite par Gsell en
pleine période coloniale est aussi souhaitable. Car elle a pesée, et pèse encore, sur l'image de Juba II dans l'historiographie française et nord-africaine. Les 'épaves' - ainsi Gsell appelle les fragments qui restent de l'œuvre du Rex Litteratissimus - sont par lui analysées sur un ton de dérision. Gsell minimise et, par moments ridiculise, l'œuvre de Juba II. Il en souligne les erreurs d'appréciation, voir les inévitables ingénuités. Dans l'analyse d'une œuvre parvenue en fragments dispersés, il accentue cet aspect de 'recollection de curiosités' qui était, en fait, une caractéristique de l'Antiquité, comme l'œuvre de Pline l'Ancien, et de la tradition doxographique, peuvent en témoigner. Quand il critique les théories de Juba II sur la source du Nil - par Juba située en aval des Monts de l'Atlas vers le fleuve 'Nigris' (Juba a écrit : nigri fluvio eadetn natura que Nilo) **>, Gsell oublie que les sources du Nil (comme celles du Niger d'ailleurs) sont restées méconnues jusqu'à la fin du XIXème siècle et que les Anciens - et avec eux les géographes du Moyen Âge - croyaient à l'existence de liens souterrains entre le Nil et les fleuves de l'Afrique occidentale. On ne voit pas pourquoi ridiculiser Juba et non pas Pline, qui considère la théorie 'vraisemblable', ou Strabon, ou l'Atlas Catalan (XlVème siècle) et Johanes de Viladestes (1413 environ) qui, en reprenant les mêmes vieilles légendes, parlent d'un Nil qui affleure et disparaît souterrain en branches occidentales (fleuves Niger et Sénégal) et orientales (Nil) à travers l'Afrique intérieure ou soudanaise. La Bible (Genèse, II, 13) en parlant du fleuve Ghéon qui cir- cumit omnem terrant Aethiopiae avait alimenté cette légende, encore vivante dans les cartes géographiques du XVème siècle 47. C'est un petit détail significatif. Comme les critiques de Gsell sur les observations de Juba II au sujet de l'intelligence, la mémoire, la longévité et la sensibilité des éléphants, observations que parfois préfigurent l'éthologie moderne et qui furent, en tout cas, reprises par plusieurs auteurs anciens. Hormis
quelques erreurs et fantaisies dignes, en effet, du goût du merveilleux des Anciens (mais les gens du Cirque et les dompteurs n'affirment-ils pas aussi que les éléphants sont sensibles à la beauté féminine ?), Juba semble bien connaître le sujet. Depuis longtemps Numides et Carthaginois avaient intégré les éléphants dans leurs armées ; les Romains en demandèrent à Massinissa pour leurs campagnes militaire en Espagne ; l'armée de Juba I en possédait un important contingent (César, De Bello Civili, II, 40,1). Chez tous les auteurs anciens qui ont parlé de l'Afrique "l'éléphant tient une place d'honneur" (E. Mveng). On doit relever aussi le peu d'intérêt accordé par Gsell à l'expédition organisée par Juba II aux Iles Fortunées (qui seront après lui appelées Iles Canaries) et aux travaux qu'il accomplit pour la compilation des traités Libyca et Arabica. Gsell oublie ce que Mommsen avait précisé : Juba II avait été un historien et érudit 'à la manière de son temps'. Sur Pline l'Ancien on a écrit : "il est l'un des hommes qui nous permettent d'entrer dans la mentalité de son temps, avec ce qu'elle avait de scientifique, de superstitieux, d'encyclopédique, de manque d'esprit critique, de sens d'observation, d'ouverture et d'accueil au monde" 48. Pourquoi admettre aussi joliment les limites de Pline l'Ancien (23/79 ap. J.-C.) et ridiculiser celles de Juba II ? Plus grave encore est l'affirmation de Gsell (VIII, 264) selon laquelle, étant donné la nature des fragments qui nous sont parvenus de Juba II, on n'aurait pas perdu grand chose en ne retrouvant pas son ouvrage Libyca sur l'Afrique. Qu'un historien se félicite d'avoir perdu des documents - quelle que en soit la valeur - est surprenant. Sous la plume de Gsell, Juba II devint un souverain 'touche-à-tout', bizarre, 'acculturé' et ingénu qui se piquait de culture en collectionnant une quantité hétéroclite de curiosités ridicules. En 1936, le britannique W. Tarn voulut à son tour ridiculiser Juba II 49. D'une opinion différente était l'historien italien Mario Segre qui, en 1927, dans une recherche sur Juba II
et les Iles Canaries écrivait à propos de Libyca : "il est vraiment assez triste (doloroso) que presque toute l'oeuvre soit perdue, car nous savons que Juba n'avait pas seulement recueilli et diffusé ce que lui offraient les sources carthaginoises, mais il s'était lui même appliqué à poursuivre des recherches et des explorations" 50.
VI - Une œuvre en fragments
Si la nature de la documentation de Juba II, citations et fragments choisis par les différents auteurs Anciens suivant leurs intérêts et conservés au hasard des circonstances, donne l'impression d'une mosaïque de références éparpillées, voir parfois extravagantes, il faudrait interroger le goût encyclopédique des Anciens qui les ont extraites du contexte, et choisies. Pourquoi, de l'Histoire du Théâtre de Juba II, p.e., ont-ils extrait les curieux dialogues sur l'art de la cuisine, et de ses épi- grammes celui, assez amusant en effet, sur l'ivresse d'un acteur (Mùller, F.G.H., fr. 82, 83) ? Il semblerait que, par un graduel processus de déformation, les auteurs plus proches citent de Juba les documents les plus sérieux et certains parmi les auteurs plus tardifs les 'curiosités'. Qu'en serait-il d'Apulée s'il ne nous restait de ses écrits que des fragments, son 'Ode au dentifrice', par exemple, extraite de l'œuvre poétique Ludicra (aujourd'hui perdue) ? 51 D'ailleurs, Apulée aussi, cet autre savant numide /gétule nord-africain, était un 'touche-à-tout'. Il écrivit sur un vaste nombre de sujets. Sa production (dont une partie disparut) comportait des traités d'histoire, botanique, astronomie, musique, médecine, magie, philosophie, poésie et, enfin, un traité sur les poissons, un Traité de Physiognomonia, des Carmina Amatoria et un dialogue 'à contenu hermétique' (R. Merkelbach). Tous les doxographes anciens collectionnèrent documents, informations, citations et innombrables curiosités puisés - parfois plagiés - en
consultant une vaste gamme d'ouvrages et en compilant des traités sur un grand nombre de sujets. Comme Gsell dut l'admettre, Juba II avait, quant à lui, sérieusement essayé de se procurer des observations concrètes, récoltées sur place et avec des témoignages directes ou, à défaut, de source honorable. Contrairement à maints auteurs anciens, Juba II ne manqua pas de les citer. Ainsi, on a pu écrire : "l'usage de donner la référence sur différentes historiae et opinions est documenté chez Varron, Verrius Flaccus et Juba" 52. Pour son ouvrage sur l'Arabie, Juba II avait, très judicieuse ment, utilisé les informations fournies "par des compagnons et historiens d'Alexandre. Les listes de ces écrivains, qui figurent dans le répertoire des sources de Pline (...) pourraient provenir de Juba" admet Gsell (VIII, 270). Pour son traité sur l'Assyrie Juba II précisa qu'il prenait 'comme guide' l'œuvre Babylonica du savant chaldéen Bérose (IVème siècle av. J.-C). Pour l'exploration des Iles Fortunées, il consulta les textes carthaginois et probablement, comme le fit au Xllème siècle le voyageur arabe Ibn Fâtima, les témoignages des marins et pêcheurs de la côte atlantique. Dans sa jeunesse d'étudiant à Rome, Juba II put consulter chroniques, annales et auteurs latins respectés tel Varron, dont il étudia les Disciplina- runt libri 53, et l'histoire des origines de Rome par Quintus Fabius. La grande amitié des Scipions envers ses ancêtres (dont Massinissa), et les échos de leur 'cercle littéraire' philhellène et 'orientaliste' de Rome qui prônait une ouverture culturelle et politique envers les peuples non latins, comptèrent peut-être aussi dans sa formation. Si des auteurs grecs tel Plutarque citent Juba II comme référence sûre sur l'histoire de Rome, c'est que Juba II avait disposé de sources latines peu accessibles aux Grecs M lesquels souvent ne connaissaient pas le latin. En écrivant en leur langue il les mit à leur disposition. Ampolo et Manfredini écrivent, "le matériel varronien est parvenu à Plutarque (...) par les citations de Dionyse d'Halicar-
nasse et de Juba (le doctissime roi de Maurétanie) (...) qui peut avoir fait connaître aussi à Plutarque les matériaux documentaires provenant de Ver- rius". Les auteurs anciens tenaient en grande considération les traités de Juba H, réputés source crédible et sérieuse de documentation. Des auteurs de tout respect comme Vitruve, Dioscori- de et Galien (Mùller, F.H.G., III, 473) le citent. Plutarque utilise avec grande considération les informations de Juba (Romulus, 14,7 ; 15,4 ; 17,5 ; Numa 7,11 ; 13,9 ; Sertorius, 9 ; Sylla, 16 ; Marcelîus et Pelo- pidas). Dans sa 'Comparaison entre Pélopidas et Marcel', il affirme qu'il ne croit pas dans l'exactitude des faits donnés (sur Hannibal) par Polybe ; "nous croyons par contre - écrit-il - à ce qu'affirment Tite Live, César, Népos et, parmi les écrivains grecs, le roi Juba".
La période d'influence latine de Juba semble se situer essentiellement dans ses années d'études à Rome, quand il se dota d'un bagage de connaissance aux sources des archives de l'histoire romaine. Par la suite, il s'est surtout intéressé à l'Afrique, à l'univers hellénistique et à l'Orient.
VII - Langues et horizons
"L'érudition littéraire ne se borne pas à une seule langue." 55 Cette inscription épigraphique sur une statue du Forum de Thamugadi (Timgad, Algérie) pourrait être la devise du Nord-afrique qui a toujours connu le long de son histoire un bilinguisme, voir un trilinguisme, certain. Arrivé en captivité à Rome avec des membres de sa famille, des dignitaires et des esclaves de sa terre natale, on peut supposer que Juba II - parfaitement formé en latin - avait gardé les liens culturels avec la Numidie tout au long de sa jeunesse romaine. On a écrit, que, à l'époque de Juba II la latinisation du Nord- Afrique était encore timide 5e. Devenu roi, et ayant repris le nom de son père, Juba de Maurétanie ne manqua pas d'honorer la
mémoire de ses ancêtres (en leur dédiant aussi des monuments) et de s'intéresser aux gens et traditions des terres du Nord de l'Afrique, de la Mer Rouge à l'Atlantique. Comme ses prédécesseurs il connaissait le carthaginois. La lignée était polyglotte. Juba II fut d'ailleurs considéré - on l'a vu - comme un 'connaisseur de littérature phénicienne'.
Même si les princes berbères s'opposaient à la politique expansionniste de Carthage et entrèrent en plusieurs occasions en guerre avec elle, des liens d'amitié, d'alliance politique et culturelle, voire de parenté, les avaient unis aux gens de Carthage. Le roi des Massaesyles Syphax "qui en Afrique possédait un vaste et puissant royaume" (Salluste) et qui "ceignait son front d'un diadème comme les rois hellénistiques et, comme eux, frappa les monnaies avec la propre effigie" 57 avait épousé - racontent Tite Live et Dion Cassius - la noble et belle carthaginoise Sophonisbe (Saphon- ba'al), fille d'Asdrubal. Dans un long poème d'amour et de mort, sur imitation de Virgile et en préfigurant Shakespeare, Pétrarque a immortalisé (en latin) en 1341 la rivalité entre les rois berbères Massinissa et Syphax, leurs tragique destin, leur amour pour la carthaginoise Sophonisbe et le suicide de celle-ci (Pétrarque, Africa, V, 1/773). Traduisons, par curiosité, les vers initiaux du Livre V de Pétrarque : "II rentre dans l'enceinte des murailles de Cirta, dont les habitants sont saisis de crainte, le magnanime vainqueur (Massinissa) et contemple heureux les dieux protecteurs et les demeures des ancêtres, bien-aimé berceau de sa race". Il y a là une prégnance d'images qui ravivent l'histoire. La langue et certains éléments socio /politiques et culturels des Carthaginois avaient été adoptés dans les royaumes berbères "et ne furent jamais vraiment supplantés par la colonisation romaine" (P.-A. Février). On a pu écrire à ce propos que "la permanence des structures politiques et sociales de Carthage punique constitue un aspect de la romanisation" (A. Bes-
chaouch). À côté du lybico\berbère, il y eut par la suite, le néo-punique. Encore à une époque tardive on a écrit de l'empereur romain Septime Sévère (Ilème/IIIème siècle), originaire de Leptis Magna (Libye), qu'il était "latinis litteris sufficienter instructus, Graecis sertnonibus eruditus, punica eloquentia protnptior, quippe genitus apud Lep- tim" ('suffisamment instruit dans les lettres latines, érudit dans l'art oratoire des Grecs et le plus habile dans l'éloquence punique quoique originaire de Leptis') 58. En récupérant ses racines africaines, Juba II se donna comme ancêtre mythique Héraklès 59 "que les indigènes (d'Égyp- te) disent né dans leur pays à une époque très lointaine" (Tacite, Annales, II, 60). Diodore de Sicile (I, 17 et 24, III, 73) affirme qu'il y avaient plusieurs héros du même nom et que le premier Her- cule/Héraklès avait été égyptien, s'appelait Som/Chom et vécut deux mille ans avant les Grecs. Vairon en avait, quant à lui, compté 44 ! , dont un égyptien, un phénicien (Melkart) et un libyen. À propos de la généalogie de Juba II, Plu- tarque (Sertorius, IX) raconte que Héraklès, arrivé en terre nord-africaine avec une armée de Grecs, Mycéniens et Olbiens, y épousa Tinge, veuve d'Antée, et de leur mariage naquit le roi Syphax fondateur d'une ville en l'honneur de sa mère (Tingis /Tanger) et ancêtre de Juba II. Ainsi Juba II aurait choisit une généalogie qui n'excluait pas, à côté des origines nordafricaines, celles mythiques, orientale et méditerranéenne (mais non pas latine). Ce mélange d'identités avait nourri l'épopée d'Alexandre le Grand qui prônait une politique de fusion des peuples d'Orient et d'Occident ; il avait voyagé jusqu'au sanctuaire de la divinité libyque Airanon dans l'oasis de Siwah (et l'oracle confirma qu'il était fils d'Ammon), tout comme l'avait fait - selon les légendes - Héraklès. Un genre de statue est dite Heraklammon (N. Tom- maseo, Dizionario, III, 1861). Juba II aussi, semble- t-il, associa son image à la divinité libyco /berbère Ammon (Gsell, VIII, 219, n.8). Enfin, on l'a vu,
Juba II connaissait le grec si bien que de nombreux auteurs anciens le qualifiaient d'auteur grec. Cléo- pâtre Séléné - que Juba II associa, selon une tradition orientale, à la régence de son règne - et qui descendait d'une lignée réellement originaire de Macédoine, dans le revers de nombreuses monnaies s'ornait du titre de KAEOnATFIA BA «>en grec. La classe aristocratique romaine elle-même était depuis longtemps instruite en langue, histoire et culture grecques ; "(pour Rome) le moment décisif dans le processus d'assimilation de la culture grecque fut la période des deux premières guerres puniques" 61. Période qui semble avoir été importante aussi pour les royaumes berbères du Nord-afrique, alors même qu'il ne s'agissait pas pour eux 'd'assimilation' mais - le péril grec écarté - de 'participation' à l'univers méditerranéen. Ce n'est pas un souverain 'collaborateur' de la romanité et 'aliéné' par la culture latine que semble avoir été Juba II, mais l'épigone d'une pensée et d'un univers que Rome allait condamner.
VIII - Sur les traces des iles légendaires : 'une très grande précision géographique'
Dans "les bibliothèques" héritées de Carthage, Juba II put lire les œuvres des Phéniciens (qu'il avait consulté pour ses recherches de la source du Nil) et le récit du voyage d'Hannon (Pline, XVIII, 22 ; Ammien Marcellin, XXII, 15, 8). Eut-il connaissance de l'existence des Iles Canaries grâce à certains parmi ces travaux ? On estime généralement que les Phéniciens ont repéré et occupé les îles au cours de leurs voyages. D'autre part, une riche littérature antique situait des îles merveilleuses aux limites occidentales du monde alors connu, au large de l'Océan et des Colonnes d'Hercule. Dans Critias (113b, seq.) et Timée (25a, seq.), Platon avait fait allusion aux îles des Atlantides liées dans l'histoire reculée aux Égyptiens et aux Libyens.
"Pour toute l'antiquité classique, fascinée par le mythe d'une terre sans malheur, Hespérie bienheureuse cachée au cœur de l'océan, celui-ci se peuplait de sites légendaires, les Champs Elysées d'Homère (...), les Iles Fortunées d'Hésiode (...), le royaume paisible de Kronos/Saturne, les Gorgones (...), les Iles des Morts ou les Iles Blanches" 62. Elles captèrent l'imagination des poètes : Pinda- re a écrit : "(...) l'âme s'achemine vers le château de Kronos / où, autour des îles des Bienheureux / de l'Océan soufflent les vents.." (Olymp., II, 58 seq.), et Hésiode : "(les héros) habitent (...) dans l'île des Bienheureux auprès de l'Océan aux tourbillons profonds /(...) et leur roi est Kronos" (Les travaux et les jours, 170 seq.). Euripide (Hippolyte, 732 seq.), Hésiode [Théogonie, 275 seq.), ainsi que le latin Cicéron, situait le Jardin des Hespérides dans une de ces heureuses îles de l'Océan ; une autre tradition le voulait sur le sol ferme de la Maurétanie (Maroc). Avant les Grecs et les Romains, les Egyptiens plaçaient déjà à l'extrême partie occidentale du Nord-afrique, Amentit, les Champs Élysés ou Sekht-Ianru/Iaru, 'Règne souverain des Vents' et 'Règne de la Paix' (Livre des Morts, CIX/CX). Les Anciens situaient aussi aux limites occidentales de la côte atlantique des voyages initiatiques et mythiques (Ulysse, Hercule et Persée) 63, ainsi que des périples dont l'histoire garde des témoignages certains M. Nous trouvons un écho de ce défi de l'inconnu dans le voyage d'Ulysse au delà des Colonnes d'Hercule imaginé par Dante (Enfer, XXVI, 52 seq.). Plu- tarque, en citant des marins "récemment retournés de deux îles de l'Atlantique" mentionne, en les confondant peut-être avec les îles de Madère et Porto-Santo, des însulae Fortunatorum (Iles Fortunées) au large des côtes africaines en affirmant que 'les barbares' croyaient y situer les légendaires Champs Elysées (Sertorius, VIII). Un siècle après, les îles vooi Mccrapcov ou Iles Bienheureuses ou Fortunées, sont mentionnées par le géographe égyptien Ptolémée (IV, 6, 33 seq.) qui se
rapporte au récit de Juba. L'expédition de Juba II se situe avant Plutarque et Ptolémée et ses indications "ne présentent rien de légendaire, mais bien au contraire une très grande précision géographique" 65. Pline (Naturalis Historia, VI, 201 seq.), qui cite le texte de Juba II, affirme que son expédition avait exploré les Iles Fortunées ("Iuba de For- tunatis ita inquisivit") et était parti des îles pur- puraires en aval du pays des Autololes (Maroc), là où Juba avait installé les ateliers de production de la pourpre gétule ("in quibus Gaetulicatn purpu- ram tingere instituerai") et qui avaient déjà été par lui découvertes ("a Iuba repertas"). On sait aujourd'hui qu'il s'agit des îlots de la baie d'Essaouira. Dans son exploration vers l'océan, l'expédition de Juba II était partie vers d'autres îles : les Iles Fortunées.
L'itinéraire de l'expédition, en prenant la direction vers l'ouest avant de se tourner vers le sud-est (Pline, 203), utilisa les vents alizés et le courant chaud du nord (Gsell, VIII, 256). Les Majorquins, les Génois et puis les Ibériques - partis à la recherche des "illes de Fortuna novellament trobades " (ainsi appelées par une expédition majorquine de 1342) - semblent avoir suivi, entre autres, cette judicieuse route exploitant le régime des vents et des courants. Environ 14 siècles après Juba II, quand "le Moyen Âge avait perdu la connaissance (de l'exploration des îles)" (A. Mori), les indications de l'itinéraire se révélaient pertinentes. La relation de Juba II nomme Ontbrion, Junonia (nom de deux îles voisines), Capraria, Ninguaria et Canaria. À part Ontbrion (en grec 'pluvieux'), les autres noms sont en latin. En donnant le texte de l'expédition Pline a probablement consulté une version latine de la relation de Juba II 66. Dans Ontbrion furent découverts des arbres assez étranges. Dans l'île de Junonia, ('dédiée à Junon') furent trouvées des habitations ("aedicu- lam lapide exstructam") ; Capraia était 'le lieu des chèvres' et Ninguaria (ou Nivaria, in Sebosus) 'le lieu de la neige' ; dans la dernière île l'expédition
découvrit des vestiges d'architecture (vestigia aedificiorum) et une grande quantité de chiens de grosse taille dont deux furent ramenés sur le continent (Pline, VI, 205). C'est pourquoi l'île sera nommée Canaria (du latin canis) ; même en grec, Ptolémée la nomme Kavapia 67. Les îles ainsi décrites par leurs noms donnent, avec les détails sur l'itinéraire, des observations confirmant la véridicité de l'exploration. Avec Ninguaria/Niva- ria on pense à Tenerife dont le Pic de Teyde (3 716 mètres de hauteur) "toujours couvert de neige" (Segre) peut être aperçu de très loin ; Capraia (comme l'île italienne de Capri) fait allusion aux chèvres {capra en latin), et l'ethnologie nous dit que, aux Canaries, terre autrefois de pasteurs et riche en chèvres sauvages, "d'après un texte portugais du XVIème siècle, la chèvre y était considérée une bête sacrée, peut-être un totem" 68. Et Junonia ? Pourquoi cette consécration d'une île 69 à Junon ? Avançons nos hypothèses : Grande Déesse Mère (dont l'animal sacré des fêtes Juno- niae était la chèvre) 70, Junon fut dans l'Antiquité assimilée à la grecque Héra qui était fille de Kro- nos et épouse de Zeus (lui aussi fils de Kronos) ; Kronos siégeait sur le trône des Iles des Bienheureux ; lors de son mariage avec Zeus, Héra avait reçu en don l'arbre des pommes d'or gardé dans le Jardin des Hespérides 71. Dans le texte donné par Ptolémée, l'île de Junonia est en effet nommée en grec 'île de Héra' (vt|gos 'Hpas). Le nom Ombrion (gén. masc. de Ombrios) - traduit 'la pluvieuse' par Segre et 'île de la pluie' par Gsell - serait par eux identifiée avec Lanzarote (Gsell) ou Fuerteventura (Segre) ; ces îles sont pourtant situées sur le versant oriental et aride des Canaries alors "que (les îles) reçoivent de pluie seulement à mesure que l'on procède vers l'ouest" (G. Negri). Les premiers voyageurs vers les Amériques l'avaient identifiée, plus à propos, avec l'île la plus occidentale des Canaries, l'île de Hierro (Fer), qui sera au XVIIème siècle utilisée, avant Greenwich, comme point méridien. Mais pour nous il est
tout intéressant de relever que le nom Ombrios, - on rappelle un des épithètes les plus connus de Zeus : Ombrios ('celui qui fait pleuvoir'). S'il est vrai, comme a écrit Gsell, que Juba dû consulter une version en grec du récit carthaginois de Han- non, il ne manquent pas d'autres correspondances logiques ; non seulement "(dans certains textes grecs) des divinités du panthéon carthaginois portaient aussi des noms grecs tels Zeus, Héra etc." 71 mais "la Tanit et le Ba'al Hammon Carthaginois correspondaient, dans l'épigraphie latine d'Afrique, à Junon {Juno Caelestis) et Saturne (le Kronos des Grecs)" (G. Levi Délia Vida) et Ba'al Hammom était "identifié avec Kronos/Saturne". Saturne "vieille divinité indigène - appelée Ba'al à l'époque punique - et transposée en dieu latin" 73, sous son aspect de divinité de la pluie était appelé Ba'al Haddad (Seigneur de la Pluie dont, par ailleurs, le symbole - par association à la foudre - était le fer, bien qu'il y ait eu aussi Ba'al Reshif, Seigneur des tonnerres).Ce synchrétisme symbolique nous rappelle que les noms, malgré les traductions, ne semblent pas avoir été attribués au hasard. Dans le récit jubéen tout se tient : les observations empiriques (pluie, neige, chèvres, chiens (?), faune, flore, etc.) ainsi que le respect pour les dévotes consécrations, puniques ou gréco-romaines quelles qu'elles furent. Si le récit est parfois obscur c'est qu'il nous est parvenu en versions et interprétations qui ont pu en trahir le sens originel. Juba II ne prétendit pas découvrir des îles inconnues et sans vestiges, ni y trouver des fabuleux trésors. Il lui revient cependant le mérite de les avoir explorées et redécouvertes en les réinsérant concrètement dans la géographie du monde ancien. Les îles étaient riches en animaux, tels que oiseaux (certains seront par la suite appelés 'canaris', de l'espagnol canario, d'après le nouveau nom que les îles assumeront avec le temps) 74. L'expédition donna aussi des informations précises sur la flore 75. Mais que dire des arbres à tige ou canne de l'île de Ombrion suintant des eaux
douces et amères ? Ces arbres ont par la suite donné naissance - à cause aussi de l'élaboration fantastique de commentateurs tels que Pomponius Mêla - à une moisson de légendes sur l'Arbre de l'eau de la Vie et de la Mort qui ont irrité les historiens modernes mais qui ont fait rêver les explorateurs du Nouveau Monde. "Tous les historiens de la découverte des Amériques ont eu présent à l'esprit les informations de Juba (Gonzal D'Ovie- do, Las Casas, Ramusio, Benzoni) et l'histoire de l'arbre d'Ombrion ; des historiens, les fables sur les Canaries et sur l'arbre de l'île de Fer ruisselant d'eau (...) passèrent aux poètes de l'épopée colombienne" 76. En réalité le récit jubéen, tel qu'il est sobrement cité par Pline, ne prétendait nullement éveiller des légendes si fabuleuses ! Le texte dit que, sur les hauteurs, dans des étangs ou eaux dormantes il y avait des arbres semblables aux roseaux ou cannes (ferulae) desquels on extrait (exprintatur) une eau {aqua) acre ou amère - des cannes sombres ou noires (e nigris atnara) - et une eau suave ou agréable - des cannes les plus blanches (ex candidioribus jucunda). Comment expliquer cette information ? Une fabulation d'après des légendes puniques, comme propose Segre ? Une réminiscence de ce qu'avait écrit Platon sur les "deux sources, douce et amère, des îles de l'Atlantide" (Critias, 113e) ? De plantes qui donnent, de leurs tiges ou écorces, des latex, sucs et jus sont connues. De quelles plantes s'agit-il ici ? De l'arbre des Canaries dit 'arbre du dragon' (dracaena draco en latin). Peut-on penser à la canne à sucre ? Sa solution interne aqueuse était autrefois extraite par torsion ou pression de la canna indica (aux différentes couleurs) que le monde gréco-romain semble avoir connu par Alexandre le Grand et que Dioscoride dit contenir une substance mielleuse 'dans les cannes' (epi ton kala- mon) en Inde et en Arabie. Bien qu'à une époque tardive la canne à sucre soit attestée aux Canaries, et sur la côte marocaine ^ , il serait hasardeux de l'identifier aux ferulae d'Ombrion, d'autant plus
qu'il faudrait expliquer pourquoi il y avait des cannes foncées à l'eau amère. Mais avant de reléguer les données de Juba dans le domaine de la fabulation, il faudrait faire un effort pour trouver les indices d'un fait réel. Juba même avait affirmé - in De Libya (Mùller, F.H.G., frag. 24) - que les mythiques Pommes d'Or étaient des citrons que les Libyens ou Afris appelaient (en traduction latine) Hesperium malum. Contrairement à Gsell - et malgré les subséquentes interprétations fabuleuses dont le récit fut objet - Segre estime que, précise et pionnière, connue en versions grecques et latines, elle joua un rôle important. Utilisée directement ou indirectement (d'après les citations, entre autres, de Pline, Sebosus, Ptolémée et Solin) le fragment du texte de Juba II fit aussi rêver tous ceux qui désiraient atteindre les confins du monde ou voulaient en franchir les limites connues. "Très grande a été l'influence (du fragment de la relation de Juba sur les Canaries) au moment des grandes découvertes - écrit encore Mario Segre - et, même sur l'esprit de Cristophe Colomb. (...) Colomb put en avoir connaissance par Pline et Plutarque, auteurs sur lesquels il avait formé sa culture (géographique) (...). À côté du passage de l'Imago Mundi de Pierre d'Ailly (chap. 41), qui décrit la position des îles Fortunées, Colomb avait noté de sa main De situ Fortunate insuie, nunc dicitur Canarie (emplacement des îles Fortunées, qui sont à présent appelées Canaries) en utilisant les mêmes termes donnés par Pline (...) et dérivant, en dernière analyse, de Juba". Plutarque, Pline, Sebosus, Solin, Ptolémée... Juba II fut le maillon d'une long chaîne et il faudrait lui rendre justice. Sa renommée de souverain extravagant ne facilite pas les choses. Et pourtant, pour son expédition aux Canaries, comme fera Ibn Fâti- ma au Xllème siècle 78 (Lewicki) et comme il avait lui-même fait en d'autres cas avec des informateurs locaux, Juba II a sans doute enquêté auprès des marins de la côte atlantique ; depuis des temps reculés ils devaient savoir de choses inté
ressantes sur les îles de l'Atlantique. En 1946, Théodore Monod, dans son texte sur 'l'Océan Ténébreux' (qui ignore Juba et son exploration), en ridiculisant les théories sur les traversées atlantiques pré-colombiennes, cite ahuri un livre "de 455 pages, intitulé 'Les Berbères en Amérique" ^ ! Thor Heyderhall n'avait pas encore traversé l'océan en partant des côtes marocaines sur le bateau 'Ra' pour confirmer les indices d'une longue histoire méconnue cantonnée dans la légende.
IX - Les œuvres de Juba II
Quelles sont ses œuvres connues ? Nous en donnons une liste d'après les études de Carol Mùller et Félix Jacoby. Les titres en grec sont suivis de la transcription phonétique, du titre en latin et de sa traduction en français.
(I) - PœfiaiKi] Iompia {Romaiké Istoria, Historiae Romanae, Histoires de Rome), environ 2 livres, sur l'histoire de Rome, ses origines et traditions.
(II) - 'AoovpiaKâ (Assuriakâ, Historia Assiriorum, Histoire des Assyriens), en 2 livres, sur l'histoire et les antiquités assyriennes.
(III) - Xifium (Lybukâ, Libyca ou De Libya, Sur la Libye) ; consistait, semble-t-il, au moins en trois livres. Ils traitaient de géographie, histoire naturelle (faune, flore, pierres, ecc), mythologie (dont les légende d'Héraklès et Diomède), sites, coutumes, peuples. Ils décrivaient les montagnes de l'Atlas, l'expédition aux îles Canaries, les explorations dans l'Atlas et le long des côtes atlantiques, la quête des sources du Nil, les observations sur des nombreux animaux dont les panthères, les lions, les ânes sauvages etc., et, surtout, les éléphants. C'est le traité qui a été le plus consulté par Pline et les Anciens.
(IV) - Apa^im (Arabikâ, Arabica ou De Arabia et vicinis regionibus, Sur l'Arabie et les régions avoi- sinantes), en plusieurs livres, dédié à Gaius César
fils adoptif d'Auguste ; il traitait d'une foule d'informations sur la faune, la flore, les pierres précieuses, les gens, les villes et les données géographiques d'une vaste région comprenant l'Arabie du Nord et l'Orient, par le Golfe Persique (jusqu'à l'Inde), la Mer Rouge et l'Egypte méridionale.
(V) - Tlepi Evçopfftov {Peu Euphorbion, De Euphor- bia Erba, Sur l'Euphorbe), petit traité médicinal sur l'Euphorbe, plante du pays des Autololes (Maroc) - "par Juba trouvée dans les monts de l'Atlas" dit Pline (XXV, 28) - et ses caractéristiques thérapeutiques. Un autre petit traité, mentionné par Galien, est signalé par Mûller : flepi Okou (Péri Opou, De Opio, Sur l'Opium).
(VI) - Flepî ypa,(piKt]s Koà nepï ÇGJypâqxov (Péri gra- phikés kai péri zhographon, De Pictura et pictoribus, Autour de la peinture et des peintres), en 8 livres.
(VII) - Oearpiiai Iompia (Theatriké istoria, Historiae Scenicae ou De Rébus Scenicis, Histoire du théâtre) en 17 livres.
(VIII) - OnoiÔTt]T£s (Omoiôtetes, De Similitudini- bus, Similitudes), environ 15 livres, dont s'inspira Plutarque pour les 'Questions grecques' et 'Questions romaines', avec réflexions sur les langues grecque et latine, dissertations littéraires, de grammaire et philologie. Mùller cite aussi un recueil d'épigrammes et Physiologica.
(IX) - nepi <|>0opas XeÇeœs (Peu phthoras lexéos, De Dictionis Corruptione, Sur la corruption des mots), en 2 livres.
On cite aussi de Juba un traité philosophique avec recueil d'écrits pythagoriciens (Jacoby, op. cit., 317). Que reste-t-il de ces écrits ? Le goût amer du fragment. L'absence d'une œuvre complète. A moins que de nouvelles découvertes ne mettent à jour des documents inédits, il ne restent aujourd'hui de Juba de Maurétanie que des fragments plus ou moins longs et des citations chez nombreux auteurs anciens, dont certains ont été ci-dessus mentionnés. Ces fragments ont été repérés et recueillis par Carol Mùller
(Carolus rus)
in Fragmenta Historicum Graecorm, A.F.Didot, Paris 1848, Tome III, p.465 ; Juba Mau- ritanus. L'œuvre de Juba II a été aussi étudiée (en plus des nombreux auteurs dont certains ont été mentionnés à la note 28), par Félix Jacoby assez exhaustivement in Die Fragmente des Griechi- schen Historiker dont il existe une édition récente chez J. Brill, Leiden 1964, p.217, n.275 : Juba von Mauretanien.
Picot), ce portrait montre un être pensif et tourmenté. Une des âmes d'un Nord-afrique qui donna à l'Antiquité érudits, penseurs et écrivains, et qui a forgé un Maghreb de haute mémoire. Si la Méditerranée vit en nous aujourd'hui comme pensée circulaire, c'est grâce aussi à des figures comme Juba de Maurétanie.
Conclusion
II est regrettable que la destruction et le silence aient relégué la figure de Juba de Maurétanie dans l'oubli. Un roi 'vil collaborateur' et 'acculturé' ? Nous espérons que les donnés ici présentées puissent contribuer à corriger cette opinion. Dans certains livres d'histoire on aime définir Juba II - quand on se souvient de lui - comme un souverain 'excentrique', un roi 'un peu dilettante'. Et pourtant les élites maures et numides (Massinissa, Micipsa, Bocchus, Hiempsal II, etc.) avaient tous démontré, avant lui, un intérêt pour les arts et la connaissance à l'échelle méditerranéenne. Juba ne fut pas aussi excentrique que cela. Certes, Juba fut spécial ; il ne faudrait toutefois pas l'aliéner de sa terre et de son époque. En matière d'art, la qualité de son goût ne fut pas celle d'un parvenu acultu- ré. Il a marqué une époque, évité un certain solide mauvais goût de l'art romain et laissé un important héritage. Par ses traités, il a participé à la diffusion de la connaissance dans le monde ancien. Son expédition aux îles Canaries représente un jalon important dans l'histoire des explorations atlantiques. Par sa passion pour les lettres et le théâtre, par son travail d'érudit et ses multiples intérêts, il a exprimé une âme inquiète, en quête de savoir. Son beau portrait (ou présumé tel), est aujourd'hui conservé au Musée archéologique de Rabat. Coiffé du bandeau royal et stylistiquement appartenant à la 'tradition hellénistique1 (C. Boube-
Notes :
1. 'Qui se souviennent des usages, ou histoires, du passé', vers 17, fragment 82, trad. Mûller, dans Fragmenta historicum Graeco- rum, Didot, Paris 1848, Tome III, p.483. Nous ferons référence à l'ouvrage de Muller par le sigle F.H.G.
2. Pour qu'il y ait Triomphe - décerné seulement pour les guerres contre des peuples étrangers - il fallait qu'il y ait eu victoire décisive avec non moins de 5.000 ennemis tués en une seule bataille. De Sanctis, G., 'Il Trionfo', Encidopedia Treccani, XXXII, Milan 1930, p.356.
Z.lbid.
4. Plutarque, Caesar, LV "César (...) s'était rendu maître d'une contrée qui, tous les ans, rapportait à l'État 200.000 medimnes attiques de blé - soit quelques 105.000 hectolitres — et 3 millions de livres d'huile", dans Février,P.-A., Approches du Maghreb romain, El Kalam/Publisud, Rabat/ Aix en-Provence, 1989, Tome I, p. 99.
5. Ville au sud de Leptis Minus, sur la côte de la Tunisie actuelle, entre Sousse et Monastir.
6. En se faisant "décapiter par un sicaire par lui payé", selon Orose, Historiarum adversus paganos, 16, 4 .
7. L'année 50 av. J.-C. est généralement considérée la date probable de sa naissance.
8. De Sanctis, G., 'Giugurta', Encidopedia Treccani, Vol. XVII, Milanol930,p.319.
9. Dans l'historiographie gréco-romaine, ces termes géographiques ont désigné des régions - plus ou moins étendues selon les phases historiques - aux frontières souvent modifiées ; avant la conquête romaine, on entendait par Numi- dia les terres comprises entre Cirta (Costantine) et Carthage et, même, au delà ; la Getulia s'étendait dans les régions méridionales (et sud- occidentales) jusqu'aux abords du désert.
10. Située au sud-est de Carthage, dans la Tunisie actuelle ; son emplacement exact est controversé, il y aurait eu deux villes nommées Zama, sinon trois.
11. Levi, M.A., 'Giuba I', Encidopedia Treccani, Vol. XVII, Mila- no 1930, p.294.
12. Syphax avait lutté à côté de Carthage contre Rome ; Massi- nissa - par contre - en 202 Av. J.-C avait soutenu les Romains dans l'écrasante victoire contre Carthage à Zama/Naraggara ; comme le rappelle A. Laroui (Histoire du Maghreb, Maspero, Paris 1970, pp.60/62), la politique des alliances des chefs nord-africains, souvent amenés à lutter entre eux, fut dictée au cours des siècles par leurs stratégies d'autonomie face aux politiques expansionnistes de Carthage et, puis, de Rome.
13. Chefs des royaumes de la Maurétanie occidentale et de la Maurétanie orientale qui s'étendaient l'un entre la côte atlantique et la Moulouya et l'autre, vers l'est, jusqu'aux abords de l'Ampsaga (Cirta/Costantine). Comme pour la Numidie, les frontières et l'étendue de la Mauritania (ou pays des Maurusii, Maures) ont variés au cours de l'histoire politique de l'Antiquité.
14. En janvier 49 Av. J.-C., au Sénat romain qui cherchait des alliés pour renforcer le parti Pompéien (opposé à Caésar), il "avait été proposé que le roi Juba {premier} soit proclamé ami et allié" (Caesar, De Bello dvili, I, VI, 4) ; en même temps on avait délibéré "qu'on envoie le propréteur Faustus Silla en Maurétanie" pour essayer de convaincre les rois Bocchus et Bogud à ne pas soutenir César (Caesar, ibid., I, VI, 3).
15. Mommsen, T., Storia di Roma Antica, Sansoni, Firenze 1965, Tome II, p.1086.
16. Gsell, S., Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, Hachette, Paris 1928, Tome VIII, p.207.
17. Tacite (Annales, IV, 5) a écrit, "le roi Juba (II) avait reçu en don du peuple romain la Maurétanie" ; comme précisé Dion Cas- sius (Historia, LUI, 26) "à Juba furent décernés les règnes qui avaient été de Bocchus et de Bogud avec une partie de la Gétulie".
18. Ex colonie phénicienne, loi avait été ville/capitale de Bocchus II ; il s'agit de l'actuelle ville de Cherchell (Algérie)
19. A. Laroui, A., op. cit., p.35.
20. La poésie algérienne de 1830 à nos jours, n.e. Ed. Publisud, Paris 1982, p.42.
21. En l'année 40 (ap. J.-C.), à Lyon ou Rome (selon différentes versions), où il avait été convoqué par Gaius Caligula ; Ptolé- mée était parent de Caligola par Marc Antoine (père de Cléo- pâtre Séléné).
22. Mommsen, op. cit., Tome III, p. 744, n.3 ; Mûller, F.H.G., p.466 ; Gsell, S., op. cit., Tome VI, p. 130 "Tertulliemn, Minucius Félix, Saint Cyprien, Lactanze affirment que les Maures adoraient leurs rois, entre autre Juba".
23. El Khatib Boujibar, N., 'Les Royaumes Berbères', dans Mémorial du Maroc, Rabat, p.151.
24. Juba II aurait épousé Glafira après la mort de Cléopâtre Séléné, mais la date est controversée. Glafira était la fille d'Archelaus, rois de Cappadoce (cf. Flavius Josèphe, Bellum Judaicum, I, 7) ; Archelaus avait combattu contre Octave Auguste à côté de Marc Antoine ; après un long règne, il avait été conduit, sur ordre de l'empereur Tibère, en captivité à Rome où il mourut en l'année 17 (Ap.J.-C.) et la Cappadoce fut réduite province romaine.
25. Même si une récente étude de P. Pensabene citée par P.-A. Février (op. cit., Tome I, p. 109) sur les monuments de 'loi /Cherchell montre - chose normale d'ailleurs - que "la ville dépendit étroitement des importations des marbres italiens et des ateliers de Rome", le style grec-hellénistique y est dominant, si bien qu'on a pu écrire, dans le' Guide Bleu d'Algérie' : "Cherchell est en quelques sorte un coin de la Grèce en Algérie" !
26. Cabinet des Médailles, Bibliothèque Nationale, Paris, inv. 870/916/917/927 ; Musée numismatique de la Banque du Maroc, Casablanca, aureus de Juba II, inv. 331 et Collection Mareshal, Musée Archéologique, Rabat.
27. Grant,M., Gli Imperatori romani, Newton & Compton, Roma 1996, p. 15.
28. Abbé Sevin, Paris 1820 ca ; Hulleman, Utrecht 1845 ; Plag- ge, W., Mùster 1849 ; Gôrlitz, A., Breslavia 1849/1862 ; Peter, H., Meissen 1879 ; Susemihl, F., Leipzig 1902 ; Funaioli, G., Iipsiae 1907 ; Jacoby, F., Berlin 1923 ; Gsell, S., Paris 1928 et d'autres encore dont les travaux particulièrement importants de Carol Mûller et Félix Jacoby que nous mentionnons au paragraphe IX.
29. Laroui, A., op. cit., p.61.
30. Malcovati, E., 'Octave Auguste', Enciclopedia Treccani, Vol. V,Milanol930,p.348.
31. 'Souverain très érudit' ou 'souverain très cultivé en Lettres et réthorique', selon ce que implique le terme litteratus
32. 'Juba, toujours très absorbé par l'étude des Lettres' ; Mùl- ler, F.G.H., Vol. III, p.466.
33. 'Homme très docte en nombreuses disciplines' ; Mûller, F.H.G., Vol. m, p.467.
34. Ibid., p. 467 ; '(Juba) le plus mémorable pour l'éclat des œuvres comme pour le règne'.
35. Il s'agit d'auteurs d'époques différentes, en allant des contemporains de Juba jusqu'aux auteurs du Ve siècle environ, hormis la Souda, qui date des environs du Xème siècle.
36. Mveng, E., Les sources grecques de l'histoire négro-africaine depuis Homère jusqu'à Strabon, Présence Africaine, Paris 1972, p. 52.
37. Habitants de la région atlantique de la Mauritania sud occidentale (Maroc actuel) déjà mentionnés par Polybe, qui les appelle les Gétules Autololes ; voir Pline, V, 1 et 5.
38. Juba II nomma ainsi sa plante d'après le médecin Euphorbe (frère - écrit Gsell {ibid., p.336} - du médecin Antonius Musa) qui en vantait les vertus.
39. Cités par Pline (Gsell, VIII, 252) : lalisio (poulain de l'âne sauvage), addax (espèce d'antilope), zura (semence de ronce), massaris (raisin sauvage), celthis (jujubier).
40. Segre, M., 'Le Cognizioni di Giuba Mauritano sulle Isole Fortunate', in Rivista Geografica Italiana, XXXIV, Fasc. 2, Firenze 1927, p. 79.
41. Sur les limites de l'Afrique connue par les Anciens, et partagée en Libye et Ethiopie, et sur les appellations des gens et peuples, voir Mveng, E., op. cit., Ilème partie, pp.83/143.
42. AA.W., Biografia Universale antica e moderna, Società dei Dotti, G.B.Missiaglia, Venezia 1824, Vol. XXV. P.102.
43. A Lixus, installation des usines de salaison du poisson - le garum -, atelier monétaire ; remparts ; reconstruction des structures sacrées (vaste temple aux réminiscences stylistiques carthaginoises) et profanes (amphithéâtre utilisé comme théâtre) ; mosaïques ; aux îles purpuraires, culture d'une variété de pourpre (purpura haemastoma, dite getulia)q\n donnait une couleur rouge très appréciée dans le monde romain, aménagement du site. Jodin, A., Les établissements du roi Juba II aux îles purpuraires, Geuthner, Tunis/Paris 1968.
44. À Cherchell ont été trouvés, entre autre et parmi de nombreuses sculptures aujourd'hui dispersées dans plusieurs musées au Maghreb et en Europe (Paris, Rome, Madrid...), un Hercule (copie d'un bronze de Myron), un Apollon ('Apollon de Cherchell', attribué à Phidias), une Déméter et une Athéna (considérées répliques d'oeuvres de Phidias ou de son école), un Dyonisus et une Vénus (la 'Vénus de ChercheW) attribués à l'école de Praxitèle, les portraits de Juba II, de Ptolémée et de Cléopâtre Séléné ; à Volubilis ont été trouvé, parmi les nombreuses oeuvres d'art telles les Ephèbes en bronze attribués à l'école de Praxitèle, le très beau portrait (bronze) de Juba II et la remarquable 'Tête de berbère' en marbre, tous deux de "tradi-
tion hellénistique" (C.Boube-Picot).
45. Enq/clopdia of Word Art, McGraw-Hill, New York 1959, p. 110.
46. Juba, dans Jacoby, F., Die Fragmente des Griechischen Histori- ker, J. Brill, Leiden 1964, Vol. 3a, n.275, p.316.
versale Rizzoli, Milano 1987, p.32.
47. Fall, Y.K., L'Afrique à la naissance de la cartographie moderne, 14ème/15ème siècles : les cartes majorquines, Ed. Karthala, Paris 1982. Par Aethiopia il faut entendre l'Afrique méridionale alors connue jusqu'aux abords des zones sub-sahariennes (Libya étant la partie septentrionale, de l'oasis de Siwah à l'Atlantique) ; cf. Mveng, E., op. cit., pp.90/96.
48. Mveng, E., op. cit., p. 56.
49. Tarn, W.W., La Civilisation Hellénistique, Payot, Paris 1936, pp. 270/271 : "Juba II de Mauritanie, qui achetait n'importe quel faux et compilait des grands travaux non critiques sur toute sortes de sujets en se servant impunément de colle et de ciseaux".
50. Segre, M., art. cit., p.72.
51. Merkelbach, R., introduction aux oeuvres d'Apulée, dans Metamorfosi, Biblioteca Universale Rizzoli, Milano 1987, p.32.
52. Ampolo, C. et Manfredini, M., Plutarco : le vite di Teseo e Romolo, Mondadori, Milano 1988, p. LI. 53.JWd.,L/LI,n.l.
54. Momigliano, A., Saggezza straniera : L'ellenismo e le altre culture, Einaudi, Torino 1980, p.24. Momigliano écrit que si le monde romain adopta pendant longtemps le grec comme deuxième langue, les Grecs par contre ne pratiquèrent pas le latin, et il se demande si cette fermeture linguistique, au moment où s'étendait Yoikouméne méditerranéenne, ne fut pas cause de décadence et stagnation pour la culture grecque.
55. Février, P.-A., op. cit., tome II, p. 66 ; inscription en l'honneur de de Publius Flavius Pudens Pomponianus, dit Vocontius.
56. Ibid., pp.119/121 ; Romanelli, P., op. cit., p.68 "à la fin de la période antique les Libyens demeuraient puniques, une révolution culturelle que Rome ne réussit jamais à contrecarrer".
57. De Sanctis, G., 'Siface', Enciclopedia Treccani, Vol. XXXI, Milano 1930, p.733.
58. Mommsen, T., op. cit., tome II, p.730, n.19, citation d'après Sextus Aurelius Victor, historien romain d'Afrique (Pv^ème siècle)
59. Voir une monnaie d'argent de Juba Rex conservée au Cabinet des Médailles, Bibliothèque Nationale, Paris, num. inv. 860, publiée dans Six Mille ans de Civilisation au Maroc, catalogue du patrimoine muséographique marocain, Ed. Le Petit Palais, Paris 1990, p.270.
60. 'Cléopâtre Reine' ; BA. indique en abrégé le titre fiaoûxooa. (basilissa) ou Bacilicca ; cf.aureus, num. inv. 331, Musée Numismatique de la Banque du Maroc, Casablanca.
61. Momigliano, A., op. cit., p.19. Selon d'autres auteurs, l'utilisation romaine du grec pourrait s'expliquer "par la nécessité de joindre, par delà le public romain cultivé, aussi le monde non latin méditerranéen, et cela surtout pour essayer de contraster l'influence d'une certaine historiographie grecque philocarthaginoise", Conte, G.B. et Piannezzolla, E., Storia e testi délia letteratura latina, tome I, Le Monnier, Florence 1990, p.132.
62. Monod, Th., Au bord de l'Océan Ténébreux : Atlantique et Afrique, Institut Français d'Afrique Noire, Saint-Louis 1944, p. 6.
63. Kerényi, K., Gli Dei e gli Eroi délia Grecia, Garzanti, Milano 1976, tomes II, pp. 87.
64. On peut trouver textes et analyse des périples dans E.Mveng, op. cit., H, 6.
65. Segre, M., art.cit., p. 74, n.3.
66 "Que la source soit un auteur latin est prouvé par le fait que les noms de toutes les îles, excepté Ombrion, sont en forme latine, alors que Pline ne traduit généralement pas les noms grecs, et puisque dans ce même texte il cite Sebosus, il doit en être la source", Segre, ibid., n.l
67. Fall, Y.K., op. cit., p.195, à propos de la légende, donnée dans des cartes de l'Afrique des siècles XN et XV, sur les Banu Khaleb/Benicheleb/Banu Caleb etc., il écrit "pour Krestchmer, il faudrait voir la source de ces légendes dans la géographie antique"et cite Strabon, Pline et Solin (qui parle de gens aux têtes de chiens sachant seulement aboyer) ; on pourrait se demander si cette légende ne fut pas alimentée par l'histoire ancienne des chiens de Canaria.
68. Mendes Correa, A.A., 'Canarie : etnologia', Enciclopedia Treccani, vol. VIII, Milano 1930, p.684.
69. Dans la version du récit de Juba II chez Pline (VI, 204) on parle d'une autre île voisine appelée elle aussi Junonia ; mais Sebosus et Ptolémée - qui ne s'accordent pas sur tous les noms et sur le nombre des îles - en mentionnent une seule avec ce nom. Y eut-il aussi confusion avec les renseignements, par d'autres sources, sur le groupe Madera/Porto-Santo ? Ptolémée mentionne, parmi les Fortunées, une île qui aurait été appelée 'jamais visitée ou touchée avant' (aprositos nesos), selon Segre elle serait l'unique qui Juba aurait réellement prétendu avoir découverte.
70. Junon était appelée aussi Junio caprotina ; le Musée du Vatican conserve une statue en marbre de Junon représentée revêtue d'une peau de chèvre ; d'origine étrusco/latine Juno fut assimilée à Héra à laquelle aussi, en Grèce, on immolait des chèvres ; à Sparte on appelait Héra 'dévoratrice de chèvres'. Le nom d'Héraklès signifie 'gloire de Héra', cf. Graves, R., I miti Greci, Longanesi, Milano 1998, p.413, n.l.
71. Kerényi, K., op. cit., tome I, pp.91/92..
72. Fantar, M., Eschatologie phénicienne punique, Ed. INAA, Tunis 1970, p.14.
73. Février, P.-A., op. cit., tome II, p.13.
74. Dans les cartes majorquines du XlVème analysées par Yoro Fall (op. cit.) elles sont appelées encore plus souvent Des Fortunées que Canaries.
75. Segre, M., art. cit., p.76, al
76. ibid., p.79,n.l
77. Fall, Y.K., op.cit., p.218 ; Ibn Fâtima - d'après la citation d'Ibn Sa'd - parle de la culture de la canne à sucre "des Djudla, près du Djebel al-Lamm" ; il s'agit, écrit Fall, des Gozola/Gutzo- la du nord de Cap Bojador des cartes majorquines.
78. ibid., paragraphe sur 'les pêcheurs des côtes sahariennes', pp.158/160. Y.Fall se demande si "les cartographes majorquins ont-ils pu disposer du récit d'Ibn Ftima".
79. Enl981, la revue marocaine Amazigh (n.6) reproduisait l'article "Mille ans avant Colomb des Marocains ont découvert l'Amérique" ; le Prof J. Galager, archéologue à la Fordham Uni- versity, aurait découvert une inscription dans le Connecticut qui témoignerait de l'arrivée vers l'année 480 d'un groupe d'exilés du Nord-afrique ; selon l'auteur ceci confirmerait une autre inscription, trouvée dans la région de Figuig, faisant allusion à des navires partis du port marocain de Teth (Tit ? ) pour traverser l'Atlantique... In the European discovety of America, Oxfort Press, N.Y. 1971, p. 22, Samuel Morrison réfute l'hypothèse de voyages atlantiques pré-colombiens afro-phéniciens tout en citant de nombreuses recherches et publications qui les prouveraient.
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