Refuser l'autorité ? Étude des désobéissances de soldats français pendant la guerre d'Algérie (1954-1962)
Étude des désobéissances de soldats français pendant la guerre d'Algérie (1954 -1962)
Environ 12 000 soldats français ont désobéi pendant la guerre d'Algérie, ce qui est nettement plus que toutes les estimations jusqu'ici avancées *. On dénombre plus précisément 10 831 insoumis (les qui ne se présentent pas lors de leur appel sous les drapeaux), 886 déserteurs (les soldats qui quittent illégalement leur unité) et 420 objecteurs de conscience (les soldats qui refusent de porter les armes ou l'uniforme) 2. Ce nombre d'environ 12 000 réfractaires, à 1 200 000 appelés en Algérie, porte la proportion de à environ 1 % des soldats, ce qui reste une proportion très faible mais comparable à d'autres conflits.
L'évolution quantitative des désobéissances montre l'existence de trois périodes de refus, auxquelles on peut faire correspondre trois idéaux-types de rapports à l'autorité. La première, marquée par une diminution ou une stagnation des désobéissances au cours des années 1955-1956, se caractérise par une contestation de l'autorité. La deuxième période, pendant laquelle on observe une légère des désobéissances jusqu'en 1957-1958 puis une baisse jusqu'en 1959-1960, se manifeste par le refus d'un certain type d'autorité. Enfin, la troisième période se distingue par des désobéissances croissantes jusqu'à la fin de la guerre et par le respect d'une autre forme d'autorité.
1. Contester l'autorité (1955-1956)
Les années 1955 et 1956 sont marquées par les manifestations de rappelés. Ces manifestations constituent les fondations sur lesquelles
2. Ces chiffres sont tirés de l'étude quantitative menée pour ma thèse : Tramor Quemeneur, Une guerre sans « non » ? Insoumissions, refus d'obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), thèse de doctorat sous la direction de Benjamin Stora, Université Paris VIII, 2007, 1 396 p.)
des désobéissances vont se produire et sur lesquelles vont naître les mouvements de contestation de la guerre.
Les manifestations de l'année 1955 se caractérisent par une des ordres de rappel et de maintien sous les drapeaux : de ce point de vue, elles montrent une opposition à l'autorité des mesures La manifestation de la gare de Lyon, le 11 septembre, devient un modèle pour les suivantes. La question de la désobéissance émerge ensuite progressivement, d'abord sous l'impulsion des puis sous celle de quelques chrétiens comme le journaliste Robert Barrât. Le 29 septembre 1955, des chrétiens organisent une messe en l'église Saint-Séverin à l'issue de laquelle ils diffusent un texte évoquant la désobéissance 3. La révolte de la caserne Richepanse à Rouen, les 6 et 7 octobre 1955, conjugue les forces des rappelés à celles de la civile du quartier, et conduit à une véritable mise à sac de la caserne 4. Elle constitue l'acmé de la contestation de l'automne 1955, mais la question de la désobéissance reste présente : elle trouve même des relais politiques comme avec le socialiste Marceau Pivert, qui affirme, le 8 octobre 1955, que « les soldats ont maintenant le droit de ne pas obéir à autre chose qu'à leur propre conscience » 5. De plus, le Comité des organisations de jeunesse contre l'utilisation du contingent en Afrique du Nord structure aussi la contestation 6. Enfin, le 23 novembre 1955, des appelés du contingent (et non des rappelés) manifestent sur les Champs-Elysées, montrant ainsi que la contestation se poursuit au-delà des rappels 7. Cela contribue à la fragilisation du gouvernement puis à sa chute. Le mouvement de 1955 a, d'une certaine manière, vu ses revendications aboutir puisque les rappelés sont tous ramenés dans leurs foyers avant la fin de l'année 1955 et que les élections législatives anticipées en janvier 1956 conduisent le Front républicain au pouvoir, sur le mot d'ordre de paix en Algérie.
Mais le gouvernement modifie radicalement sa position, fait voter les « pouvoirs spéciaux » en mars 1956, et organise de nouveaux rappels et maintiens sous les drapeaux en avril 1956. Il s'ensuit un nouveau
3. Tract joint à Préfecture de police, police municipale, 5e district, 5e arrondissement, « Le commissaire de police principal du 5e arrondissement à monsieur le directeur général de la police municipale », 29 septembre 1955, APP (Archives de la préfecture de police de Paris) - C 45 4560 120 131 9*. Les cotes des archives suivies d'un astérisque sont soumises à dérogation.
4. Cf. en particulier : Journal de Marche et d'Opérations (JMO) du 406e RAA, 6 octobre 1955, Service historique de la Défense-Terre (SHDT) - 7 U 1204 D* 1, cité in Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie. 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du contingent, Paris : Autrement, 2000, 365 p., Mémoires, p. 33.
5. Cité in Janine Cahen et Micheline Pouteau, Una resistenza incompiuta. La guerra d'Algeria e gli anticolonialisti francesi 1954-1962, Milan : II Saggiatore, 1964, deux volumes, LU + 448 p. et [VI] + 494 p., volume 1, p. 80.
6. Entretien avec Jacques Berthelet, Batz-sur-Mer, 13 janvier 1999 ; Janine Cahen et Micheline Pouteau, Una resistenza incompiuta..., op. cit., volume 1, p. 83.
7. Préfecture de police, Direction générale de la police municipale, « Le directeur chargé des fonctions de directeur général de la police municipale à monsieur le préfet de police », 24 novembre 1955, APP - C 45 4560 120 131 9*.
mouvement de contestation des rappelés, encore plus important que le précédent. Plus de 300 incidents se déroulent d'avril à juillet 1956, dont plus de 200 manifestations 8. Les manifestations se développent tout en restant relativement pacifiques. La question de la reste très prégnante puisque des rappelés ne partent pas ou sont retenus par la population civile, comme à La Rochelle le 2 mai 1956 9. Au fur et à mesure que les départs progressent et que les soldats de la classe 52/2, plus âgés et ayant donc quitté le service militaire depuis plus longtemps, sont rappelés, les violences et les absences illégales se font de plus en plus importantes. Les de Grenoble, le 18 mai, se caractérisent par le fait que les personnes impliquées sont des civils, même si nombre de ceux-ci sont jeunes et susceptibles d'être bientôt appelés, et par les violences très importantes de ces affrontements IO. Ces violences traduisent une volonté très forte de ne pas partir : du reste, le drame de Palestro dans lequel une vingtaine de rappelés perdent la vie, ne tarit pas les La fin du mois de mai est marquée par des manifestations numériquement importantes. Surtout, une véritable révolte se déroule dans le camp de La Fontaine du Berger près de Clermont-Ferrand, le 28 mai ". Les autorités militaires parviennent à ce que l'information circule peu sur cette affaire. D'ailleurs, la répression se fait de plus en plus forte envers les journalistes, les partisans de la négociation et les manifestants. Une allocution du président de la République, René Coty, appelant à la discipline enraye les incidents déjà moins I2. Un dernier événement important se déroule le 8 juillet 1956 au camp de Mourmelon, au cours duquel les rappelés se livrent à une véritable révolte I3. Contrairement aux manifestations de 1955, le de force des rappelés avec l'autorité ne conduit pas à l'abrogation des mesures de rappel. Le mécontentement des rappelés restant pré- gnant, la contestation de l'autorité passe par d'autres modes notamment comportementaux, laissant penser à une véritable intériorisation de l'indiscipline.
Cependant, ces manifestations de rappelés produisent ou favorisent des désobéissances, qui forment des « parcours précurseurs » de réfrac- taires à la guerre d'Algérie. C'est dans ces parcours que la mémoire des
8. D'après nos recherches effectuées dans les archives militaires, les archives de la préfecture de police de Paris et la presse. Cf. Tramor Quemeneur3 Une guerre sans « non » ?..., op. cit.
9. « Venant de Vannes les rappelés du 117e RIC en route pour l'Algérie arrêtent en gare de La Rochelle le train qui les transportait », L'Humanité, 3 mai 1956.
10. Cf. en particulier Patrick Rotman et Bertrand Tavernier, La guerre sans nom. Les appelés d'Algérie 54-62, Paris : Le Seuil, 1992, 309 p., Points Actuels, p. 39 sq.
11. 8e région militaire, subdivision militaire de Clermont-Ferrand, 2e bureau, « Rapport du colonel Démange Jacques, commandant provisoirement la subdivision militaire de Clermont-Ferrand », Ier juin 1956, SHDT - 3 R 151 D* 4.
12. Jean-Pierre Vittori, Nous, les appelés d'Algérie, Paris : Stock, 1977, pp. 57-58.
13. Roger Barberot, Malaventure en Algérie avec le général Paris de Bollardière, Paris : Librairie Pion, 1957, Tribune libre, p. 36 sq.
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refus de la guerre puise pour isoler des « parcours exceptionnels ». Ainsi, le communiste algérien Henri Maillot a déserté en avril 1956 avec un camion chargé d'armes qui ont servi au « maquis rouge » algérien et à l'ALN de l'Algérois *4. De même, le rappelé Noël Favre- lière a sauvé un Algérien d'une exécution sommaire en traversant le désert jusqu'en Tunisie I5. Cette focalisation de la mémoire sur des « parcours exceptionnels » occulte d'autres parcours restés beaucoup moins connus, sinon anonymes, bien que certains d'entre eux peuvent s'être trouvés confrontés à des situations « extraordinaires ». Il en est par exemple ainsi du communiste et futur chanteur Claude Vinci, qui a déserté en Algérie après avoir été le témoin d'un massacre l6. D'autres parcours sont également précurseurs dans la mesure où ils inaugurent la formation d'une opposition à la guerre d'Algérie en Suisse : tels sont ainsi les cas de l'ancien séminariste Jacques Berthelet I7 et de Louis Orhant, ouvrier communiste l8. Parmi ces réfractaires « précurseurs » figurent aussi des anarchistes, tels que l'enseignant et permanent de la Fédération communiste libertaire (FCL) Paul Philippe qui plonge dans la clandestinité en France pour se mettre au service des Algériens I9, ou que le jeune militant de la Fédération anarchiste (FA) André Bernard, qui s'exile en Suisse 2O. Enfin, quelques uns préfèrent le refus : alors que certains restent inconnus, tel le jeune acteur de théâtre Jacques Blot 2I, sympathisant trotskyste et proche de Y Internationale lettriste de Guy Debord, qui désobéit en Algérie, d'autres accèdent progressivement à la notoriété, comme le jardinier et militant Alban Liechti 22.
Pour certains de ces réfractaires, le refus de l'autorité est complet car leurs valeurs anticolonialistes sont fortes. Tel est ainsi le cas pour Jacques Berthelet, Louis Orhant, Paul Philippe, Jacques Blot ou encore Alban Liechti. Le cas d'André Bernard est différent puisque ce sont moins ses valeurs anticolonialistes que son antimilitarisme et son qui conduisent à son refus. Enfin, pour d'autres comme Noël
14. Serge Kastell, Le maquis rouge. L'aspirant Maillot et la guerre d'Algérie. 1956, Paris : L'Harmattan, 1997, 285 p., Histoire et Perspectives Méditerranéennes.
15. Entretien avec Noël Favrelière, Paris, 24 février 1998 ; cf. aussi Noël Favrelière, Le désert à l'aube, Paris : Minuit, i960 (2001), 227 p., Documents.
16. Claude Vinci, Les Portes de Fer. « Ma guerre d'Algérie » et « ma » désertion, Pantin : Le Temps des Cerises, 2002, 98 p.
17. Entretien avec Jacques Berthelet, op. cit.
18. Entretien avec Louis Orhant, Pamiers, 23 juin 2003.
19. Paul Philippe, « Un combat politique », in Sidi Mohammed Barkat (dir.), Des Français contre la terreur d'Etat (Algérie 1954-1962), Paris : Reflex, 2002, pp. 91-100.
20. André Bernard : « Insoumission », La Petite Revue de l'indiscipline, n° 45 : « La guerre d'Algérie (1954-1962) », Lyon, été 1997, p. 8 sq.
21. Entretien avec Jacques Blot, Paris, 13 novembre 2000. Cf. également Tramor Quemeneur, « La détention ou l'illégalité : trois parcours de refus d'obéissance pendant la guerre d'Algérie », in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des Hommes et des Femmes en guerre d'Algérie, Paris : Autrement, 2003, Mémoires, pp. 431-442.
22. Entretien avec Alban Liechti, Trappes, 13 décembre 2000 ; Alban Liechti, Le Refus, Pantin : Le Temps des Cerises, 2005, 263 p.
Favrelière ou Claude Vinci, ce n'est qu'après avoir observé les de la répression en Algérie qu'ils ont désobéi. À cet égard, leurs parcours se rapprochent davantage de ceux de la deuxième période de refus et de la deuxième attitude vis-à-vis du refus, c'est-à-dire le refus d'un certain type d'autorité.
2. Refuser quelle autorité ? (1957-1959)
La deuxième période de l'histoire des refus dans la guerre d'Algérie est marquée par le témoignage et l'organisation. Le témoignage peut être considéré comme une forme de désobéissance, une contestation de la guerre pour ses raisons ou les conditions de son déroulement. Cette forme de contestation, au sein de l'armée ou après le retour, peut être nommée, à la suite de Jacques Semelin 23, une « micro-résistance », ou dans le cas présent une « micro-désobéissance ». En effet, elle passe par une acceptation du cadre et de l'autorité militaires, tout en le plus ou moins ouvertement. Ainsi, les lettres, photographies, témoignages oraux auprès des proches voire de certaines autorités constituent des « micro-désobéissances » qui contribuent à faire le débat sur les tortures au printemps 1957. L'attitude des soldats, sur place, entre aussi dans ce cadre. L'intériorisation de l'indiscipline évoquée ci-avant peut même aller jusqu'à une contestation ouverte des supérieurs en Algérie, sans pour autant franchir la limite de la Inversement, la discipline affichée d'un soldat peut en fait une désobéissance fondamentale, comme c'est le cas pour Jean Péaud, impliqué dans l'aide à l'ALN en Algérie 24. Ainsi, discipline ne rime pas forcément avec obéissance, et indiscipline avec désobéissance. Un groupe social se caractérise notamment par la commission de « micro-désobéissances » : il s'agit des chrétiens. Parmi eux, le général de Bollardiere est une des figures les plus marquantes. Son opposition aux tortures pratiquées dans la guerre d'Algérie l'amène à dénoncer publiquement ces faits, ce qui le conduit à être de plus en plus au sein de l'institution militaire 25.
Du côté de ceux qui ont déjà franchi les limites de la désobéissance, le temps est maintenant à l'organisation. Si, au départ, les réfractaires sont isolés, ils se rencontrent peu à peu et forment des réseaux. Ainsi, le mouvement Jeune Résistance se crée en Suisse en 1958, à partir du noyau constitué de Jacques Berthelet et de Louis Orhant, auquel s'ajouter deux nouveaux déserteurs - Jean-Louis Hurst et Gérard Meïer 26. Ces réfractaires exilés s'appuient sur des soutiens locaux. Des
23. Jacques Semelin, Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe 1939-1945, Paris : Payot, 1998, 274 p.. Petite Bibliothèque.
24. Entretien avec Jean Péaud, Paris, 24 avril 1999.
25. Jacques de Bollardière, Bataille d'Alger, bataille de l'homme, Paris : Desclée De Brouwer, 1972, 168 p.
26. Entretien avec Jean-Louis Hurst, Paris, 16 février 1998.
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réseaux se forment aussi dans d'autres pays, comme la Tunisie, la Belgique et l'Allemagne.
Enfin, les objecteurs portent également un témoignage du refus de participer à la guerre d'Algérie. Cette notion de témoignage est importante pour des chrétiens comme l'enseignant de philosophie Jean Le Meur, qui devient sous-lieutenant en 1958. Il est alors le témoin de tortures dont il rend compte dans la revue Esprit en décembre 1959 2?. L'organisation des objecteurs se fait moins par eux- mêmes, dans la mesure où ils sont emprisonnés et isolés les uns des autres, que par des personnes extérieures. En l'occurrence, le pacifiste libertaire Louis Lecoin entreprend une campagne en faveur de la reconnaissance légale de l'objection de conscience en 1958 28. Il un point de repère pour des objecteurs tels qu'André Gazut 29 et qu'Henri Cheyrouze 3°, qui refusent d'obéir en 1959.
Une forme particulière de témoignage est constituée par les refus communistes de participer à la guerre d'Algérie. Ces « soldats du refus » témoignent dans la mesure où ils rendent publiquement compte de leur refus et où ils acceptent volontairement l'emprisonnement, à l'instar des objecteurs de conscience. Cette forme de refus est par Alban Liechti en 1956. Progressivement, son exemple amène d'autres communistes à suivre le même chemin. À la fin de l'année 1957, tandis que les refus s'accélèrent, le parti communiste soutient ses militants emprisonnés par une campagne de presse demandant leur retour en France et leur libération. Le point d'orgue de la campagne se déroule en janvier 1958, avec la désobéissance de neuf soldats 3I. Mais l'accélération des refus amène les autorités à réagir et à réprimer plus sévèrement les « soldats du refus » en les incarcérant systématiquement en Algérie 32. Le tournant dans la campagne des « soldats du refus » se déroule en mai 1958. Certains « soldats du refus » sont alors conduits à la « section spéciale » de Tinfouchy, véritable bagne militaire. Ils vivent des conditions de détention extrêmement difficiles avec des cas de mauvais traitements révélés en mai 1959 33. À la même période,
27. Entretien avec Jean Le Meur, Rennes, 27 septembre 1999 ; Jean Le Meur : « d'un acte responsable. Le cas Jean Le Meur », Esprit, décembre 1959, p. 686 sq.
28. Cf. Louis Lecoin, Le cours d'une vie, Paris : Chez l'auteur, 1965, 347 p.
29. André Gazut est un chrétien, travaillant comme photographe et qui est ensuite devenu caméraman. Entretien avec André Gazut, Belle-Ile-en-mer, 25 juillet 2000. Cf. également Tramor Quemeneur, « La détention ou l'illégalité... », art. cit.
30. Henri Cheyrouze est un jeune journaliste chrétien, qui se rapproche du communisme. Entretien avec Henri Cheyrouze, Paris, 21 novembre 2001.
31. Tramor Quemeneur, « Les "soldats du refus ". La détention, la campagne de soutien et la répression des soldats communistes refusant de participer à la guerre d'Algérie », La Justice en Algérie. 1830-1962, Paris : La Documentation française, 2005, Histoire de la Justice,, pp. 189-201.
32. Secrétariat d'Etat aux Forces Armées (Terre), Etat-major de l'Armée, Ier Bureau, « Conduite à tenir à l'égard des militaires pratiquant diverses formes d'objection de conscience », 27 janvier 1958, SHDT - 2T 28 D* 2.
33. « Révélations. ÀTimfouchi [sic], sous un soleil accablant. Des soldats sont astreints à la pelote et au tombeau », La Défense, n° 415, mai 1959, p. 4.
Maurice Thorez affirme nettement que les militants communistes cesser de désobéir et au contraire accepter le cadre militaire 34. Les « soldats du refus » emprisonnés sont alors transférés en France 35, ce qui laisse penser à un accord entre le parti communiste et le À l'issue de leur période de détention, les « soldats du refus » réintègrent l'armée et effectuent leur service militaire.
Ces militants communistes acceptent le cadre militaire mais refusent de participer à la guerre d'Algérie au nom de leur anticolonialisme mais aussi du fait des conditions dans lesquelles cette guerre se déroule. Cela caractérise aussi une partie des insoumis et des déserteurs qui à la création de Jeune Résistance, ainsi que des objecteurs comme Jean Le Meur ou encore Henri Cheyrouze. Certains « soldats du refus » prennent seuls leur décision, sans en référer à leur parti, mais tous respectent la ligne politique suivie par le PCF. À cet égard, leurs se rapprochent de ceux de la troisième période, à savoir des réfractaires qui respectent une autre autorité que celle du français.
3. Le respect d'une autre autorité (1960-1962)
Le troisième temps des refus dans la guerre d'Algérie est celui du débat. Il est constitué par deux mouvements aux logiques internes fortes, qui sont d'une part l'insoumission et la désertion, d'autre part l'objection.
Le débat sur l'insoumission et la désertion éclate au printemps i960 à la suite de la découverte de l'existence de Jeune Résistance. En effet, l'un de ses militants, Diego Masson, fils du peintre André Masson, et un déserteur, Jean Crespi, sont arrêtés à la frontière franco-suisse 36. Alors que la polémique enfle autour de la question de l'insoumission et de la désertion dans la guerre d'Algérie, deux réfractaires publient des livres témoignages, Jean-Louis Hurst avec Le Déserteur 37 et Maurice Maschino avec Le Refus 38. Le philosophe Francis Jeanson, à la tête du principal réseau de soutien au FLN, insiste aussi sur la question de l'insoumission et de la désertion au cours d'une conférence de presse clandestine à Paris, le 15 avril 39. Tous ces éléments alimentent le débat
34. Maurice Thorez : « Rassemblons toutes les forces pour la bataille contre le pouvoir personnel ». Discours de clôture à la Conférence fédérale de Paris (31 mai 1959) », L'Humanité, 3 juin 1959, p. 6.
35. « Note pour monsieur le directeur régional des services pénitentiaires de », 28 août 1959, AMJ (Archives du ministère de la Justice), 841*.
36. « Jugement rendu par le tribunal permanent des forces armées de Lyon séant à Lyon (iere chambre) », 8 juillet i960, AMJ - 59 74 G 283*.
37. Maurienne [Jean-Louis Hurst], Le déserteur, Paris : Minuit, i960, 128 p., Les jours et les nuits.
38. Maurice Maschino, Le Refus, Paris : François Maspero, i960, 207 p.. Cahiers Libres.
39. Georges Arnaud : « Les étranges confidences du professeur Jeanson », Paris-Presse L'Intransigeant, 20 avril i960.
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sur la désobéissance au printemps i960. Jeune Résistance en profite pour mieux faire connaître ses idées, en songeant même devenir une « organisation de masse » 4°. D'ailleurs, la question du « refus collectif » crée des lignes de clivage à l'intérieur de partis et de syndicats, ce qui amène le secrétaire de la revue Les Temps modernes à écrire qu'il existe une « gauche respectueuse », qui condamne la désobéissance, et une autre « irrespectueuse », qui l'accepte et qui a ses faveurs 4I. La fin du printemps et l'été i960 sont encore marqués de l'empreinte de la désobéissance. Ainsi, une réunion des organisations de jeunesse se déroule sur cette question dans un temple de la rue de l'Avre à Paris 42. Cette période voit aussi la structuration de nouveaux réseaux de réfrac- taires : Jeune Résistance se développe dans la région lyonnaise et marseillaise, le Groupe Nizan évolue à Paris, le Groupe François agit au Maroc. Enfin, l'été est encore marqué par le congrès de Jeune Résistance à Darmstadt, où deux tendances s'affrontent : celle en faveur de Francis Jeanson dont le réseau a été ébranlé au printemps, et celle favorable à Henri Curiel qui a repris les rênes du soutien au FLN 43. L'opposition de ces deux tendances fragilise Jeune Résistance au moment où la question de la désobéissance devient omniprésente. En effet, en septembre i960 s'ouvre le procès du « réseau Jeanson » au cours duquel de nombreuses personnes évoquent la désobéissance 44. Surtout, la « Déclaration du droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie », plus connue sous le nom de « Manifeste des 121 », fait l'effet d'un coup de tonnerre, de grands intellectuels justifiant le droit à la désobéissance dans la guerre d'Algérie 45. Parmi les signataires figurent Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Simone Signoret et André De plus, les signataires commencent à être poursuivis, interdits d'antenne, suspendus de l'administration et de l'enseignement, et sont même inculpés. Le « Manifeste des 121 » suscite évidemment de fortes oppositions dont témoigne un « Manifeste des intellectuels français » est signé par 185 personnalités 46. Un troisième manifeste, l'« Appel à l'opinion pour une paix négociée en Algérie », signé par plus
40. Jeune Résistance, «Jeune Résistance » s'explique..., sd. circa mai 1960, 16 p. Francis Jeanson).
41. Marcel Péju : « Une gauche respectueuse », Les Temps modernes, n° 169-170, avril- mai i960.
42. Entretien avec André Gazut, op. cit. ; Entretien avec Louis Orhant, op. cit. ; avec Joseph Pyronnet, Causse Noir, 25 juin 2003. Cf. également le témoignage de Jean-Jacques Porchez, qui a organisé la réunion in Jacques Charby, Les porteurs d'espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d'Algérie : les acteurs parlent, Paris : La Découverte, 2004, 299 p., Cahiers libres, pp. 163-168.
43. « Le premier Congrès de "Jeune Résistance" », Coexistence, n° 73-74, septembre- décembre i960, pp. 3-8.
44. Marcel Péju (présenté par), Le procès du réseau Jeanson, Paris : François Maspero, 1961, 254 p., Cahiers libres.
45. Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, septembre i960, BNF (Bibliothèque nationale de France), 4° Lk8 3537 (5)*.
46. « 185 intellectuels français condamnent les apologistes de l'insoumission et de la désertion », Le Figaro, 7 octobre i960.
de 16 000 personnes, clarifie la ligne de démarcation à gauche, entre ceux qui justifient l'insoumission et ceux qui sont pour l'indépendance algérienne sans être favorables à l'appel à l'insoumission 47. Le « des 121 » fait craindre aux autorités le développement de la mais les arrestations minent l'activité des réseaux Ces arrestations conduisent Jeune Résistance à accepter la tutelle du FLN, choisissant ainsi de respecter une autre autorité que celle de la France. Mais au début de l'année 1961, le FLN lâche Jeune Résistance, qui glisse vers le groupuscule. Pourtant, les désobéissances se jusqu'à la fin de la guerre et deviennent même de plus en plus nombreuses. Cette augmentation tient à la violence exacerbée qui règne en Algérie, mais aussi au fait que personne n'a envie d'être le dernier mort de la guerre.
Le deuxième mouvement est constitué par l'objection de conscience. Il prend naissance dans la rencontre d'un objecteur, Pierre Boisgontier et d'une organisation, l'Action civique non-violente (ACNV), créée par Joseph Pyronnet pour dénoncer la torture et les camps de 48. Pierre Boisgontier convainc Joseph Pyronnet, au moment de la réunion de la rue de l'Avre, d'aider les jeunes qui ne veulent pas participer à la guerre d'Algérie sans les pousser vers l'insoumission et la désertion 4S>. La jonction des objecteurs et des non violents est opérée à l'automne i960. Plusieurs manifestations originales sont organisées : elles requièrent peu de personnes, qui s'enchaînent les unes aux autres en affirmant aux autorités qu'elles ont toutes l'identité de l'objecteur. La première manifestation de ce genre se déroule le 15 décembre i960 5°. Tandis que les objecteurs sont emprisonnés, les autres sont libérés une fois leur identité réelle déterminée. Ces puis les procès des objecteurs attirent l'attention de la presse, et de nouveaux objecteurs viennent rejoindre le mouvement. Par exemple, sept procès d'objecteurs se déroulent au printemps 1961, qui de leur opposition à la guerre d'Algérie ou encore de leur refus général de porter les armes. Le mouvement perdure jusqu'à la fin de la guerre, avec un flux continu de nouveaux objecteurs, qui sont progressivement moins opposés à la guerre d'Algérie en particulier, qu'à la guerre et à l'armée en général. Dans cette mesure, les de l'ACNV refusent une certaine forme d'autorité, mais en une autre à savoir la non-violence structurée, allant jusqu'à se
47. « Appel à l'opinion pour une paix négociée en Algérie », Enseignement public, octobre i960.
48. Tramor Quemeneur, « L'Action civique non-violente (ACNV) et la lutte contre les camps », Matériaux pour l'Histoire de notre temps, Nanterre : Bibliothèque de internationale contemporaine, septembre 2008.
49. Entretien avec Pierre Boisgontier, Causse Noir, 24-25 juin 2003. Entretien avec Joseph Pyronnet, op. cit.
50. Cour d'appel de Paris, Tribunal de grande instance de la Seine, parquet du procureur de la République, « Réquisitoire définitif de renvoi devant le tribunal », sd. [8 janvier 1962], AMJ - 60 731*.
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comparer à une « armée non-violente » dont Joseph Pyronnet est le « capitaine ».
Les mouvements et réseaux formés à la fin de la guerre modifient les rapports à l'autorité. Cette modification a des répercussions dans l'après-guerre d'Algérie. Ainsi, l'ACNV a pesé en faveur du statut des objecteurs de conscience en décembre 1963, même si la grève de la faim de Louis Lecoin en mai - juin 1962 en a constitué le détonateur. Ce statut constitue la première brèche dans le système de conscription français, qui s'est par la suite accentuée avec les diverses formes de service civil, jusqu'à aboutir à la professionnalisation des armées. En ce qui concerne les déserteurs et insoumis, Jeune Résistance développe un discours tiers-mondiste rompant avec le discours communiste de classe. Ce discours fait de plus appel à la jeunesse, et non à la classe ouvrière, comme moteur révolutionnaire. À cet égard, le discours de Jeune Résistance, adopté par de jeunes militants actifs après la guerre, constitue l'un des soubassements culturels et politiques du mouvement de mai 1968.
https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2011_num_98_370_4533?q=Guerre+d%27Alg%C3%A9rie+:+la+parole+des+appel%C3%A9s
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