La guerre d'Algérie commence le 1er novembre 1954 après des attentats et des escarmouches. A partir de 1956, des dizaines de milliers de jeunes Français, appelés du contingent, sont envoyés sur place.
A l'occasion du 65e anniversaire du début de la guerre d'Algérie, France 5 diffuse Algérie, la guerre des appelés, un documentaire en deux parties réalisé par Thierry Lestrade et Sylvie Gilman. Le premier épisode, intitulé Le bourbier, est à voir en avant-première sur notre site franceinfo.fr.
Printemps 1956, après un an et demi de guérilla, l’Algérie s’embrase. Le gouvernement français décide d’envoyer en masse des appelés du contingent pour une simple "opération de maintien de l’ordre", qui devient la guerre d'Algérie. Pour la plupart des appelés, des jeunes hommes d’à peine 20 ans, c’est un premier voyage, une aventure. Mais sur place, ils sont précipités dans un conflit d’une rare violence, et confrontés à des dilemmes moraux. Leur insouciance va se consumer dans une entreprise dont personne ne connaissait le but.
Après plusieurs décennies de silence, à l’heure du bilan de leur vie, des témoins parmi lesquels l'écrivain Jean-Claude Carrière ou le chirurgien Gérard Zwang libèrent leur parole et leur conscience. Ils racontent l'épreuve qu'ils ont traversée, en commençant par leur arrivée à Alger.
GUERRE D’ALGÉRIE. « BEAUCOUP DE CES ANCIENS APPELÉS N'AVAIENT JAMAIS PARLÉ À PERSONNE »
ALGÉRIE, LA GUERRE DES APPELÉS. DOCUMENTAIRE / FRANCE 5 / DIMANCHE 3 NOVEMBRE / 20 H 50. Dans ce documentaire en deux épisodes (« le Bourbier » et « l’Héritage »), Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman sont allés à la rencontre de ceux qui, à 20 ans, ont été débarqués en Algérie pour y mener une guerre dont on taisait le nom. Et qui acceptent, enfin, de raconter.
Quelle a été la genèse de ce film ?
En 2017, le producteur Matthieu Belghiti m’a proposé de réaliser un documentaire à partir de lettres, de photos et de films en super-huit collectés par l’historien Tramor Quemeneur auprès d’anciens appelés ou de fonds d’archives régionaux. Sur le coup, j’étais un peu désemparé. Je pensais que tout avait déjà été dit sur la guerre d’Algérie. J’ai laissé ce projet de côté. Puis mon père est mort. En triant ses affaires avec ma mère, nous avons découvert, au fond de son atelier, un fusil au canon rouillé emballé dans un sac plastique fermé par une corde. Je n’avais jamais vu mon père s’en servir. Une phrase qu’il m’avait dite m’est revenue : « Si tu donnes un fusil à un homme, ce n’est plus le même homme. » Je savais qu’il avait fait la guerre d’Algérie mais il n’en parlait jamais et je ne l’ai jamais interrogé. J’ai alors décidé d’aller poser, à ceux qui étaient encore vivants, les questions que je n’avais pas posées à mon père. Cette phrase de mon père a été comme un « ouvroir » auprès des ex-appelés, ils l’ont tous comprise immédiatement. Et cela a libéré leur parole.
Comment avez-vous rencontré et choisi les protagonistes du film ?
Tramor Quemeneur nous a donné beaucoup de contacts. Certains témoins nous ont aiguillés sur d’autres avec qui ils étaient restés en contact. Nous avons aussi épluché la presse régionale, où sont parus des portraits d’anciens soldats à l’occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre en 2012. Et sur Internet nous avons trouvé quelques blogs comportant des témoignages ou des évocations de la période 1954-1962… Au total nous avons rencontré vingt-cinq témoins, avant de « sélectionner » les quinze qui apparaissent à l’écran. Nous voulions un panel représentatif de toutes les régions de France et de toutes les classes sociales. Il fallait aussi que les protagonistes aient exercé des fonctions différentes en Algérie : simple soldat, officier ou objecteur de conscience… Nous n’avons pas retenu ceux qui n’avaient rien vu de la guerre car ils travaillaient dans des bureaux.
Les convaincre de témoigner a-t-il été difficile ?
Non, cette parole ne demandait qu’à surgir. Certains qui n’avaient jamais parlé à personne de « leur » guerre en ressentaient l’urgence au crépuscule de leur vie. Partager ces souvenirs a été pour eux un immense soulagement. Mais nous leur avons bien sûr expliqué le cadre de notre travail. La matière de ce film est bien leurs mots, sans regard surplombant. Au final, même si chacun a un point de vue subjectif, la multiplicité de leurs voix permet d’approcher la vérité historique. Trois de nos témoins témoignent de la torture : les sinistres « corvées de bois » (1) sont aussi évoquées, de même que l’abandon des harkis.
Une vérité qu’à leur retour d’Algérie la société française n’était pas prête à entendre ?
Effectivement, dans les années 1960, la France était en pleine expansion économique. Le temps était plutôt à l’insouciance. D’ailleurs, le mot même de guerre est resté longtemps tabou, on parlait des « événements ». Il y avait aussi un sentiment de honte de la part des appelés. Ils avaient vécu, enfants, la Seconde Guerre mondiale et n’avaient pas oublié la présence des Allemands dans leur pays. Du coup, s’être retrouvés en tant qu’occupants en Algérie ne devait pas être facile à vivre.
On comprend à la fin du film que des liens forts se sont tissés entre ces anciens appelés et l’Algérie…
Tous n’y sont pas retournés, mais beaucoup ont le souvenir d’un pays extraordinaire. Il faut comprendre qu’à 20 ans l’Algérie a été leur premier voyage. Un des témoins raconte son retour sur les lieux où il a été cantonné durant la guerre. Il y reçoit un accueil incroyable de la part du maire de la ville, dont des membres de la famille ont pourtant été tués par les Français pendant la guerre. C’est un véritable message d’espoir. Il était important pour nous de faire un film qui ne ravive pas les ressentiments. En réalité, cette crainte a été balayée quand nous avons réalisé que les ex-appelés que nous avons rencontrés avaient un grand respect pour les combattants du camp d’en face. Tous sans exception ont salué leur courage.
De quel message votre film est-il porteur ?
Je pense que la véritable réconciliation ne peut se faire que sur les bases de la vérité. Pour cela, il faut regarder notre histoire avec sincérité. J’espère que ce film y contribue. Les protagonistes du film ont assisté à sa projection en avant-première. Après le générique de fin, la salle est restée de longs instants silencieuse. L’émotion était palpable. J’ai le sentiment que ce film à permis à ces vieux messieurs de faire la paix avec les jeunes hommes qu’ils étaient.
(1) « Corvée de bois » était l’expression utilisée par les soldats français entre eux pour désigner les exécutions sommaires des prisonniers algériens.
UNE GÉNÉRATION TRAUMATISÉE
La guerre d’Algérie est la dernière à avoir massivement sollicité, sur le front des appelés, des jeunes civils en service militaire. À leur retour en métropole, ils ont été nombreux à taire ce qu’il s’est passé, à vouloir l’oublier. Dans leur documentaire, Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman rendent la parole aux vétérans, pour revenir sur ce traumatisme générationnel. Entre 1955 et 1962, c’est ainsi 2 millions de jeunes Français qui ont été envoyés en Algérie pour participer à des « opérations de maintien de l’ordre ». Certains se sont livrés à des pillages, à des arrestations, voire à des exécutions pour l’exemple. Un des anciens combattants confie ainsi à la caméra de Thierry de Lestrade qu’il s’est lui-même chargé de l’exécution d’un prisonnier, et que la gendarmerie l’a déguisée en tentative de fuite. Un souvenir qui le hante. Le documentaire aborde aussi la « gégène », surnom donné à la torture pendant la guerre d’Algérie. Un vétéran raconte que la première fois que les membres de sa troupe ont entendu des gémissements de torturés, ils se sont arrêtés net, choqués : « Mais, le temps passant, on n’y faisait plus attention. » Les chefs militaires veulent transformer ces jeunes en « hommes sans réflexion », et certains finissent par « dériver », et vont même jusqu’à violer des civiles. À leur retour en France après l’indépendance de l’Algérie, l’omerta sur la guerre est totale. Le documentaire en deux parties est accompagné d’images d’archives et de photos d’époque des témoins qui nous plongent dans l’horreur qu’a été la guerre d’Algérie.
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