Avec un nouveau regard et beaucoup de recul, on redécouvre le vieil Alger. La descente de la Casbah est un moment tonifiant, prestigieux, exceptionnel et intense. On rencontre un homme, ancien habitant, qui avait de l’émotion dans la voix. Descendant les escaliers, il marque soudain une halte. Il montre du doigt un amas de pierres, une maison complètement détruite. La Casbah où résonnaient ses cris d’enfance et d’adolescence, où il a découvert les premières sensations de la vie, a été selon lui abandonnée, trahie et anéantie. Pourtant, elle est un lieu de mémoire où des pages d’histoire ont été écrites à travers les siècles.
«Les responsables qui se sont succédé n’ont fait que se remplir les poches et nous mentir sur une prétendue réhabilitation. Comment peut-on être à ce point indifférent au sort de cette citadelle ? Comment est-ce possible d’éprouver autant d’indifférence, voire de mépris ?», se désole-t-il. La Casbah, classée pourtant patrimoine mondial de l’humanité et héritage des Turcs. Ces derniers ont redonné vie à la Mosquée Ketchaoua. Une mémoire qui part en lambeaux. La Casbah est amputée d’une part de son existence, de son histoire, de sa mémoire…
L’ébéniste Khaled Mahiout ouvre souvent les portes de son atelier mais surtout son stah (terrasse) d’où l’on a une vue panoramique d’Alger. L’air marin fouette les visages et fait valser les cheveux. Ce lieu est incontournable pour les touristes qui viennent visiter la citadelle. Ici, les couleurs scintillent de mille feux. Des visiteurs découvrent les lieux le pas lent et le regard émerveillé. Ils savent qu’ils marchent sur les traces d’hommes et de femmes qui ont fait la grandeur de ce lieu.
Décor à de nombreux films comme la bataille d’Alger
Certaines habitations, qui menacent de tomber en ruine, sont soutenues par d’imposantes poutres en bois ou en métal. Elle a pourtant servi de décor à de nombreux films, comme Pépé le Moko ou La bataille d’Alger.
«Durant le Ramadhan, tout était éclairé. L’ambiance était unique. On y venait de partout pour s’y imprégner. La Casbah, c’était aussi l’endroit où sont nés des artistes comme le comédien Rouiched», poursuit l’homme amer. C’est dans cette ancienne cité aussi que l’acte de naissance du chaâbi a été signé. Les maîtres de cet art ont pour noms cheikh Nador, cheikh El Hadj M’hamed El Anka et cheikh El Hasnaoui. Il a permis à des générations de musiciens d’oublier la misère et de chanter l’amour.
Plus bas, on évoque le chanteur Amar Ezzahi. «El Maaknine Ezzine», le humble parmi les humbles, chantait pour les pauvres, les démunis et les laissés-pour-compte. Il était souvent solitaire et fuyait toute exposition médiatique. Le cheikh vivait de son verbe et de sa muse. Il ne voulait pas d’une gloire éphémère. Il était souvent dans le café l’Etoile qui n’existe plus ou dans le jardin qui fait face au lycée Okba, récemment rénové. Il était populaire et aimait se mêler à la population. Il ne s’est jamais marié.
Certains disent que c’est paradoxalement à cause d’une déception amoureuse ! La femme qui a conquis son cœur n’a pas pu être sa femme car son père lui a répondu : «Je ne donne pas la main de ma fille à un chanteur !» Cela l’a complètement brisé. Ce fut son premier et dernier amour !
On jette un regard nostalgique sur l’autre lycée Emir Abdelkader. Sur l’esplanade El Kettani (Bab-El Oued), quelques familles et des couples se promènent. Certains s’adonnent à la pêche à la ligne, regard noyé dans les vagues avec un sac contenant hameçons et appâts. Sous les arcades, les murs sont décrépis.
Certains consomment des glaces en cet après-midi très ensoleillé. De l’autre côté, la douce agglomération de Bologhine : la mer la valorise et la Basilique Notre-Dame d’Afrique lui ajoute une touche de beauté, surtout la nuit avec son éclairage. Son stade résonne encore des exploits du MCA et de l’USMA. Mais ce quartier gagnera aussi à être sérieusement réhabilité car actuellement on fait plus du replâtrage que de la vraie rénovation.
Le Bastion 23 est un endroit à visiter absolument pour les amateurs d’histoire et d’architecture, mais pour bien profiter, il faut avoir un guide qui pourra raconter les histoires de ce palais ainsi que ses faces cachées. Il indique la puissance de la marine turque de l’époque. A la pêcherie, des pêcheurs préparaient leur sortie en mer. Les mouettes accompagnent un chalutier au loin. Se promener dans le vieil Alger est un moment où scintillent les étoiles du souvenir.
Alger la Blanche, El Mahroussa, Alger la cité où le crépuscule peint un tableau merveilleux pour vous souhaiter un bon début de soirée. Alger est une belle cité méditerranéenne pour celui qui a la sensibilité de déceler la belle lumière dans laquelle elle beigne : l’aube et le crépuscule sont une pure merveille de la nature, un don du Créateur par amour envers ses créatures. Les artistes peintres ont su capter cette lumière dans leurs toiles.
De temps en temps, nous avons besoin d’une halte pour goûter aux vraies saveurs de la vie car noyés dans notre quotidien, on passe souvent devant l’essentiel. Reste que tout ce potentiel n’est ni mis en valeur, ni exploité touristique ment. Pourtant, on peut proposer pas un tourisme mais des tourismes : de mémoire, citadin, culturel et cultuel. Mais il faut avoir une volonté politique et un réel désir de voir briller Alger. Reste l’étincelle de nos espérances pour résister à la marche du temps…
AMEL BENELKADI
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