Papicha
de Mounia Meddour, avec Lyna Khoudri, Shirine Boutella
La Vie aime : beaucoup
Mounia Meddour avait 19 ans en 1997. Année noire pour l’Algérie, avec 40 000 victimes de la guerre civile. Et Mounia Meddour se souvient et imagine Nedjma, une papicha (une jeune fille, dans le parler algérois), une rebelle, étudiante en lettres à l’université d’Alger mais surtout passionnée par les tissus et la création de vêtements. La scène d’ouverture dit une jeunesse universelle, avec ses rires, sa légèreté, sa rage de vivre, sa soif de liberté, mais aussi la jeunesse réprimée, enserrée dans le carcan islamiste. En pleine nuit, Nedjma et sa copine se faufilent à travers le grillage de la résidence universitaire et, à bord d’un taxi clandestin, se changent, se maquillent, fument, écoutent de la musique, jusqu’à ce qu’un barrage de la police les ramène à la réalité. Celle du terrorisme. La tension va ainsi crescendo au rythme des diktats, toujours plus violents, que font peser les intégristes et leurs zélotes sur la société algérienne et sur les femmes en particulier. Mais la combativité et l’audace de Nedjma vont aussi croissant. Car, loin de plier, l’étudiante décide de se battre coûte que coûte. D’un haïk, ce long tissu que la génération de sa mère utilisait pendant la guerre d’indépendance pour transporter des armes clandestinement, elle va faire à son tour, à travers une série de robes, un instrument de lutte et de libération. Quand la création et le courage l’emportent sur l’oppression, c’est tout le sens de ce film coup de poing. Et toujours d’actualité : sa sortie a été « annulée » – autant dire interdite – en Algérie. (F.T.)
Le premier film de Mounia Meddour, sélectionné au Festival de Cannes, a glané au Festival du film francophone d’Angoulême le prix du scénario et celui de la meilleure actrice pour Lyna Khoudri.
Papicha ***
de Mounia Meddour
Film franco-algérien – 1 h 45
Années 1990, Alger. Blottie au cœur de la cité universitaire, Nedjma, 18 ans, poursuit son rêve de devenir styliste. Hors les murs, des milices islamistes et des brigades armées de femmes en tchador veulent imposer leur loi. « Couvre-toi avant qu’un linceul ne le fasse ! », intiment-elles aux filles. Nedjma tente de s’affranchir de ce carcan qui se resserre. Sa sœur, jeune journaliste, est assassinée en pleine rue, « coupable » d’être trop bien habillée. C’est « la décennie noire » de la guerre civile algérienne.
Nedjma (Lyna Khoudri) et ses sœurs de résistance vont, par défi, tenter d’organiser un défilé de mode, loin des canons rigides que les islamistes zélés veulent imposer (hidjab pour toutes), refoulant toute vision du corps des femmes.
Nedjma et ses remuantes copines, dont l’une, pieuse, est autant ébranlée par la dérive terroriste des sectaires de sa foi que par l’attitude obstinée de Nedjma, vont ruer dans ces brancards, repousser les murs, affirmer leur identité avec panache, bravant interdits et menaces de mort. Elles ouvrent une brèche salutaire mais risquée, sur fond d’attentats et de meurtres, face à la bigoterie mortifère de ces apôtres de la haine qui ne visent qu’à dominer et humilier. Premières victimes, les femmes dont les revendications sont un affront pour eux et une souillure de la « pureté » qu’ils prétendent garantir et protéger.
Un film manifeste aux accents autobiographiques
Pour sa première fiction, film manifeste d’une génération perdue, Mounia Meddour, née en Algérie, qui a fui vers la France avec ses parents durant cette sinistre décennie, au cours de laquelle des dizaines de milliers de personnes trouvèrent la mort, a opté pour une mise en scène énergique, au plus près du visage de ces femmes, ardentes et inspirées, pour traduire l’enfermement, l’étouffement, la claustrophobie. Elle dispose de comédiennes exceptionnelles qui irriguent d’une électricité trépidante ce périlleux face-à-face avec l’ennemi.
Mounia Meddour signe un beau plaidoyer, aux accents autobiographiques, plein de chaleur et d’humour aussi, sur la solidarité et la complicité dans l’adversité. Ou comment de simples étudiantes vont se transformer en furies pour conquérir leur dignité. Son film affirme une liberté de ton dans les dialogues, servis par le jeu tonique des actrices, et une ironie dévastatrice, comme le détournement du haïk (le vêtement traditionnel des musulmanes) en objet de mode, après une astucieuse et réjouissante série de retouches. On croirait la métaphore du futur incertain de cette société en ébullition…
Les commentaires récents