Jacques Chirac a certes été un grand homme d'Etat pour son pays. Il a reconnu en 1995 officiellement la responsabilité de la France dans les déportations de juifs, il a promulgué en 2001 la « loi reconnaissant le génocide arménien », il s'est opposé en 2003 à la guerre contre l'Irak. Mais s'agissant des crimes coloniaux en Algérie, il a manqué au devoir de mémoire et à l'impératif de vérité.
Jacques Chirac est décédé hier à l'âge de 86 ans après des années de maladie. De nombreux hommages lui sont rendus en France et à l'étranger. Il est décrit comme un « grand homme d'Etat », un « humaniste », un « homme de culture », un « sage » et un « visionnaire ». Nicolas Sarkozy estime qu'« il a incarné une France fidèle à ses valeurs universelles et à son rôle historique ». On se souviendra de Jacques Chirac comme l'homme qui s'est opposé à la guerre contre l'Irak, déclenchée en 2003 par George W. Bush, sans l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU. Son discours prononcé le 16 juillet 1995 au Vel d'Hiv, à Paris, dans lequel il a reconnu officiellement la responsabilité de la France dans les déportations de juifs pendant la deuxième guerre mondiale, est sans doute l'un des moments forts de son passage à l'Elysée.
Cependant, pour être fidèle à l'esprit du discours du Vel d'Hiv et cohérent avec sa ligne morale, Jacques Chirac aurait dû prononcer aussi un discours au sujet des crimes colonialistes commis contre les Algériens. Le partisan de l'Algérie française, qui se porta volontaire pour s'acquitter de son service militaire en Algérie, en pleine guerre de libération, pour y passer 14 mois entre 1956 et 1957, a dû changer avec les années et devenir « humaniste ». Hélas, concernant le passé colonialiste de la France, Jacques Chirac n'a pas beaucoup évolué. En 2000, il déclara que « la France peut être fière » de ses soldats et « exclure toute idée de repentance collective pour les actes de torture qui ont été commis à l'époque », car « dans ce type de situation, il faut prendre son temps et laisser l'Histoire faire son travail » (Associated Press, Paris, 14 décembre 2000). C'est d'ailleurs sous sa présidence que Michèle Alliot-Marie, son ministre de la Défense, a présenté en 2005 et défendu au parlement une loi qui disposait que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord. »
Voici un autre « discours du Vel d'Hiv » que Jacques Chirac aurait peut-être dû prononcer.
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Monsieur le Maire,
Monsieur le Président,
Monsieur l'Ambassadeur,
Monsieur le Grand Imam,
Mesdames, Messieurs,
Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays.
Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l'on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l'horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont souffert des atrocités du colonialisme. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par cette entreprise qui bafoue les valeurs humanistes de la France.
Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle du colonialisme a été l'œuvre de Français, pensée et exécutée par l'État français.
Il y a plus d'un siècle et demi, la France a occupé l'Algérie.
Sous l'habillage d'une « mission civilisatrice », les divers régimes colonialistes sous la monarchie, l'empire ou la république ont commis les pires atrocités contre les populations algériennes soutenus par des idéologues du colonialisme tels Tocqueville, Sarrauton, Varin, Bodichon, Hain et d'autres.
Des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, des crimes culturels, des crimes économiques et des crimes contre l'environnement ont été commis par la France en Algérie pendant 132 ans de colonisation.
Des historiens estiment le nombre des victimes de ces crimes à plus de cinq millions de morts massacrés ou affamés.
Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.
Les enfumades et les emmurades de tribus complètes, l'expropriation des terres et les blocus qui ont jeté des populations entières dans la famine, l'enrôlement forcé de centaines de milliers de jeunes Algériens dans des guerres lointaines, les massacres de mai 1945, les déportations en masse, les bombardements des populations civiles, parfois au napalm, durant la guerre de libération, la politique des représailles contre les civils, les exécutions sommaires individuelles et collectives, la torture, les milliers de disparus, les essais d'armes nucléaires et chimiques dans le Sahara, tout cela a laissé une tache noire dans l'histoire de la France.
Les noms des officiers et fonctionnaires français Allard, Argoud, Baufre, Bigeard, Bugeaud, Cavaignac, Clauzel, Decournu, Godard, Jacquin, Lacheroy, Lacoste, Lamoricière, Léger, Massu, Montagnac, Pélissier, Saint-Arnaud et Savary (duc de Rovigo), Trinquier et d'autres hanteront longtemps la mémoire collective du peuple algérien.
La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, a ainsi accompli l'irréparable.
Le Coran exhorte à se souvenir. Une phrase revient toujours : « Seuls les doués d'intelligence se souviennent ».
Quand souffle l'esprit de la haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l'exclusion. Quand, à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d'une idéologie raciste et islamophobe, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais.
En la matière, rien n'est insignifiant, rien n'est banal, rien n'est dissociable. Les crimes racistes, la défense de thèses islamophobes, les provocations en tout genre — les petites phrases, les bons mots — puisent aux mêmes sources.
Transmettre la mémoire des Algériens, de leurs souffrances sous le joug du colonialisme. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'État. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'œuvre.
Cet incessant combat est le mien autant qu'il est le vôtre.
Les plus jeunes d'entre nous, j'en suis heureux, sont sensibles à tout ce qui se rapporte au colonialisme. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus de Français décidés à regarder bien en face leur passé.
En cet instant de recueillement et de souvenir, je veux faire le choix de l'espoir.
Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n'a jamais soutenu l'entreprise colonialiste.
Elle est présente, une et indivisible, dans le cœur de ces Français, ces « Justes » qui, au plus noir de la tourmente, au péril de leur vie, ont condamné en Algérie et en France les crimes commis par l'armée française.
Je veux me souvenir de tous les Audin qui, fermement attachés aux valeurs humanistes de la France, ont donné vie à ce qu'elle a de meilleur.
Je veux me souvenir de toutes les françaises et les français qui se sont engagés aux côtés des Algériens dans leur lutte pour l'indépendance.
Je veux saluer les voix qui s'élèvent en France pour réclamer que l'on assume notre passé.
Les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui fondent l'identité française et nous obligent pour l'avenir.
Ces valeurs, celles qui fondent nos démocraties, sont aujourd'hui bafouées en Europe même, sous nos yeux. Sachons tirer les leçons de l'Histoire. N'acceptons pas d'être les témoins passifs, ou les complices, de l'inacceptable.
Si nous le voulons, ensemble, nous pouvons donner un coup d'arrêt à une entreprise qui détruit nos valeurs et qui, de proche en proche, risque de menacer l'Europe tout entière.
- 27 SEPT. 2019
- PAR ABBAS AROUA
- BLOG : LE BLOG DE ABBAS AROUA
- https://blogs.mediapart.fr/abbas-aroua/blog/270919/lautre-discours-du-vel-dhiv-que-jacques-chirac-manque
Jacques Chirac souhaite alors effectuer son service militaire dans la cavalerie. Il part donc pour l’école de Saumur, où il «travaille comme un cheval». Le jour de la proclamation des résultats, il apprend qu’il était classé 8e de la promotion mais, étant fiché comme communiste, il est affecté en tant que deuxième classe dans un régiment de dragons en Bretagne. Son rêve de devenir «sous-lieutenant de cavalerie et de commander un peloton de spahis» s’envole. Il remue ciel et terre, finit par être reçu par le général Koenig en personne et réussit à se faire restituer sa place, ce qui lui permet d’être affecté comme sous-lieutenant au 11e régiment de chasseurs d’Afrique à Lachen, en Allemagne. Il part pour l’Algérie au printemps 1956… juste après s’être marié.
Jacques et Bernadette Chirac le jour de leur mariage, le 17 mars 1956.© Keystone-France/Gamma-Rapho via Getty Images
Jacques Chirac, 24 ans, mène la parade du 6e régiment d'artillerie, en 1956.© Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images
Officier volontaire pendant la guerre d'Algérie durant laquelle il fut lieutenant en 1956, Jacques Chirac, mort jeudi à 86 ans, évoquait son service militaire comme étant la période la plus passionnante de sa vie. Le goût du risque, la camaraderie. Il passe 14 mois près de la frontière marocaine, ce qui le marquera fortement. Tout au long de sa carrière politique, son entourage le qualifia de "fana mili", expression qui désigne une personne très portée sur les différents aspects de la vie militaire.
"Il savait ce qu'était l'armée, il la connaissait très bien de l'intérieur, il adorait le style de vie militaire mais tel qu'il l'avait connu au contact de la troupe, comme lieutenant en Algérie. Il était beaucoup plus sévère au fur et à mesure que l'on montait dans la hiérarchie", se souvient le général Jean-Louis Georgelin, ancien chef d'état-major particulier.
Essais nucléaires et fin du service militaire
Le jeune lieutenant sera douze années durant chef des armées, et dès le début de son premier mandat présidentiel il annonce la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique. Ces derniers étaient interrompus depuis trois ans lorsque Jacques Chirac décide d'une campagne de huit tirs souterrains. Ces essais fournissent des données qui permettent à la France, en mai 96, de passer à la simulation et de ne plus lancer d'essai physiq
Autre décision en 1996 : la fin du service militaire.Le chef de l'État la justifie ainsi : la France ne fait plus face à un danger extérieur. Il enclenche ainsi la professionnalisation de l'armée qui l'amènera à devenir comme on la connaît aujourd'hui. "Chirac s'intéressait à la chose militaire et avait un réel intérêt stratégique", a écrit l'un de ses chefs d'état-major particulier, le général Bentégeat.
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