Le documentaire mêle à l’histoire personnelle et familiale des éléments de ce qu’on appelle la grande Histoire, dans un équilibre plutôt réussi qui associe le présent du voyage, des témoignages, des éléments d’information, des vers récités qui ont inspiré le titre du film, une carte recensant les camps établis par l’armée française, quelques images d’archive et de belles séquences poétiques entre rêverie et remémoration. La réalisatrice, parce qu’elle ne peut ni ne veut complètement se départir de sa casquette de journaliste, offre une œuvre hybride assez originale dans le ton, un documentaire entre histoire, généalogie et enquête. Le film a d’ailleurs remporté le Prix des Droits Humains au Festival International de Film Documentaire d’Agadir (Fidadoc) en juin dernier et continue d’être projeté en festival, comme il y a quelques jours aux Etats Généraux du Film Documentaire de Lussas en France.
L’odyssée du père, son retour au pays natal sont ainsi vécus doublement par Malek Kellou bien évidemment, mais aussi par sa fille. Comme un dialogue qui se déploie sous nos yeux sur l’un des épisodes les plus douloureux de l’histoire de la colonisation: le déplacement par l’armée française de plus de 50% de la population rurale, soit plus de 3,5 millions de personnes, dont 2 millions dans des camps et 1,5 millions dans des villages comme celui de Mansourah. Malek Kellou essaye d’expliquer à sa fille la manière dont les relogements ont été organisés et l’on sent tout au long de leurs échanges combien transmettre n’est pas toujours chose aisée.
C’est contre tous les oublis, mais probablement surtout contre le sien propre, que se débat Dorothée-Myriam Kellou. Interrogeant sans relâche son père, mais aussi d’autres habitants du village dont Aldja Salhi qui parmi d’autres documents, tend distraitement une photo du Colonel Amirouche, sans s’en émouvoir outre mesure, alors que Dorothée-Myriam Kellou n’en croit pas ses yeux. Cette séquence que Hassen Ferhani filme avec retenu pour refléter la pudeur de cette militante, est d’une grande beauté. La route est encore longue avant que nous puissions sortir des grands romans nationaux qu’ils soient algérien ou français qui ont bien trop souvent glorifié à outrance ou omis sciemment que la colonisation a bouleversé des millions de vies. Touché chaque habitant de chaque village. D’une manière ou d’une autre.
Le documentaire tente ainsi de dire les traumatismes liés à ce passé. Les cauchemars du père, la vie brisée de l’autre, les larmes qu’on ne peut retenir, la morsure encore vive de souvenirs douloureux. D’autres blessures et brûlures bien réelles. La déstructuration d’une société entière à qui l’on a dit à la sortie de la guerre qu’il fallait avant tout garder la tête haute car elle était victorieuse. Le documentaire laisse deviner aussi le pouvoir de guérison que tout travail de mémoire permet d’enclencher. L’histoire n’est elle pas avant, comme l’a écrit Pasolini, la passion des fils qui voudraient comprendre leurs pères ? Il oubliait – probablement par mégarde - les filles qui fort heureusement ont, elles aussi, leur mot à dire et leur histoire à tisser.
25/08/2019
https://www.huffpostmaghreb.com/entry/la-memoire-de-nos-peres-a-mansourah-tu-sous-a-separes-realise-par-dorothee-myriam-kellou_mg_5d625498e4b0dfcbd48eb702?utm_hp_ref=mg-algerie
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