En 1952, le colonel Charles Larcheroy est le premier à utiliser le terme de guerre révolutionnaire dont le concept repose sur le contrôle et la prise en main de la population, ce qui a pour conséquence de rendre la population immédiatement suspecte. La guerre d'Indochine menée jusqu'à l'insurrection aboutissant à la décision politique et militaire se termine le 20 juillet 1954. La guerre révolutionnaire fait son entrée à l'École supérieure de guerre. L'insurrection algérienne éclate le 1 novembre. La loi du 3 avril 55 instaure l'état d'urgence et le général Adbertin préconise : les assignations à résidence - les perquisitions de jour comme de nuit - le droit de suspendre des fonctionnaires ou élus - l'interdiction de réunions publiques.
L'année 1955 voit l'ouverture du Centre d'instruction de la pacification et de contre-guérilla : « mise en service systématique de mesures et de moyens variés destinés à influencer l’opinion, les sentiments, l’attitude et le comportement d’adversaires déclarés (armée et population) dans un sens favorable aux plans et objectifs définis par le gouvernement et le commandement ». Un manuel d'instruction provisoire sur l'emploi de l'arme psychologique est rédigé, au programme : la guerre révolutionnaire - l'action psychologique et militaire - le renseignement. Dorénavant, la destruction de l'adversaire passera par le démantèlement de ses structures politiques et la reprise en main de la population.
Le 4 janvier 56, les pouvoirs de police (PU, PJ, DST, RG) sont remis au général Massu. La Casbah d'Alger abrite 70.000 personnes vivant sur une vingtaine d'hectares qui concentre la majorité des effectifs du FLN algérois évalués à 1.400 militants, et le réseau chargé de la fabrication des bombes. Le fief du FLN est bouclé, des postes militaires en filtrent les entrées et les sorties, ses ruelles font l'objet de patrouilles. La capitale et ses environs sont divisés en secteurs, sous-secteurs, îlots, groupes de maisons, d'immeubles. Chaque demeure est référencée avec ses occupants et chaque individu a un numéro individuel. A la tête de chaque découpage, un responsable est chargé de consigner les mouvements des habitants dont il a la responsabilité. La nuit, les « paras » procèdent à des contrôles surprises afin de s'assurer que tout le monde est bien au bercail et que la maisonnée n'accueille pas un terroriste. De son côté, la population pied-noir dénonce tout étranger dans son quartier.
Le « dispositif de protection urbaine » repose sur les patrouilles surprises composées de huit militaires et un sous-officier qui se déplacent à bord d'un 4 x 4. Le chauffeur s'arrête où bon lui semble pour permettre à l'équipage de procéder au bouclage d'une rue et fouiller les individus qui s'y trouvent. L'opération terminée, les militaires rembarquent et renouvellent l'opération qui mise sur la surprise en un autre endroit.
Les Sections administratives spéciales et les Sections administratives urbaines vont tisser une toile administrative nouvelle qui va se substituer aux pouvoirs locaux dans tous les domaines de la vie courante : administration - économie - éducation - santé et ainsi contribuer au contrôle et à la pacification de la population. Le contact entre les « services psychologiques » et la population, vise à éradiquer l'influence du Front de libération nationale et celui de l’Armée de libération nationale.
L'année 1957 voit la création du Cinquième bureau en charge de l'action psychologique et du Groupe de renseignement et d'exploitation dont l'objectif est le retournement des rebelles interpellés. Les personnels des détachements opérationnels de protection (DOP), bénéficiaires du statut « en service spécial » sont autorisés à revêtir la tenue civile, à circuler à toute heure et en tout lieu, à transporter tout document, matériel, ou toute personne dont ils n'ont pas à en révéler l'identité. Lors de la « bataille » d'Alger, chaque unité reçoit des listes de suspects établies par les RG. Les militaires commencent par « éplucher » les fichiers de police pour loger les suspects qui seront arrêtés nuitamment. Les suspects interpellés ne sont pas regroupés avant leur interrogatoire, ils sont immédiatement interrogés par l'officier de renseignement (OR) du régiment ou de l'unité. Il suffit d'arrêter chaque personne au sommet de la cellule clandestine (chef de groupe ou de section) pour rompre la chaîne et ensuite interpeller les subalternes. L'organigramme du FLN va très vite être reconstitué : collecteurs de fonds, colleurs d'affiches, guetteurs, messagers, hébergeurs, activistes, artificiers, complices, sympathisants, etc. Ceux qui ont la chance de pouvoir s'échapper n'ont d'autre alternative que de rejoindre le maquis.
Le mois de mai 1958 voit la naissance du Centre d'entraînement à la guerre subversive, où les officiers font un passage de quelques semaines. « L’action psychologique doit atteindre l’individu au travers de son milieu (Français de souche européenne, Arabe, Kabyle, Musulman, Israélite), moralement, sociologiquement défini ». En décembre 1958, le général de Gaulle propose aux colonies françaises d'Afrique noire de choisir leur destin... Un effet d'engrenage à cliquet va s'enclencher. Pour le général de Gaulle, la guerre ne peut être que militaire. « Quant à l’Armée, elle doit bien se convaincre que son rôle est purement technique. Elle est là pour exécuter les ordres qui lui sont donnés ». Pour le général de brigade, l'arme psychologique est susceptible de politiser les Armées, ce en quoi il n'avait pas totalement tort... Le 5e Bureau est dissout le 15 février 59, il va s'ensuivre le déplacement de plus d'un millier d'officiers ! Le Centre d'instruction et de perfectionnement des commandos de chasse (CIPCC) est créé. Les commandos de chasse relèvent du Centre de coordination interarmes.
Le 24 janvier 1960, les pieds-noirs descendent dans la rue, l'état de siège est décrété. Les militaires de la 10° DP soupçonnés d'être partisans de l'Algérie française sont relevés par d'autres unités. L'Organisation de l'Armée secrète est créée le 11 février 61. Le plan de l'OAS est simple, peut-être un peu trop... Il s'inspire de celui des insurgés de Budapest (1956), le combat en milieu urbain et de la GR. Les militaires séditieux projettent d'occuper les bâtiments publics et les points stratégiques de la ville d'Alger, opération qui doit être suivie à la nuit tombée, d'un soulèvement militaire dirigé contre Paris ! Le 22 avril, les rues d'Alger résonnent aux paroles de « La Marche des Africains », un chant interdit. La radio diffuse des discours en faveur de l'Algérie française. De Gaulle s'adresse sur les ondes, aux hommes du contingent pour leur enjoindre de ne pas exécuter les ordres de leurs supérieurs factieux.
Le 18 juin 1961, le train Paris Strasbourg déraille à la hauteur du petit village de Blacy, une bombe a été déposée sous le rail. L'attentat qui a fait 28 morts et 132 blessés ne sera jamais revendiqué et il faudra attendre 1996 pour qu'il soit reconnu comme tel par l'État ! Selon les historiens, cet attentat commis le jour de l'Appel du 18 juin et qui restera longtemps le plus meurtrier en France, a été commandité par l'OAS qui pouvait compter sur une dizaine d'organisations parisiennes.
Le 26 mars 1962, la manifestation des partisans de l'Algérie française est réprimée par l'armée, bilan 54 morts. L'indépendance est proclamée le 3 juillet. Le putsch des généraux : Challe - Jouhaux - Salan - Zeller a échoué. Dans une note du 20 avril, on peut lire : « Le mythe de la guerre subversive doit être abandonné. Les méthodes d'une telle guerre valent chez les peuples sous-développés et mûrs pour la révolution, mais demeurent inefficaces dans un pays repu. Les Français ne se manœuvrent pas comme un régiment de parachutistes et la France ne se conquière pas comme un piton ». Les stratèges étoilés avaient oublié de relire Machiavel : « Il n'y a rien dont l'exécution est plus difficile ou la réussite plus douteuse, ou le maniement plus dangereux, que l'instauration d'un nouvel ordre des choses ».
Leurs erreurs principales : la création d'un organigramme stéréotypé sur l'articulation militaire - d'avoir pensé qu'une guerre d'inspiration révolutionnaire avait sa place dans le conflit - leurs scrupules qui les ont fait renoncer à l'affrontement militaire. S'il est toujours possible sur le papier de remplir les cases vides, dans la réalité encore faut-il disposer des effectifs et des fonds ! L'OAS ne pouvait compter que sur 1.000 combattants et 3.000 militants infiltrés. Les commandos Delta ; déserteurs de l'armée dont certains resteront en cavale une dizaine d'années, en Italie et en Espagne principalement, se demanderont s'ils n'ont pas été sacrifiés en vain.
Les conflits d'Indochine, d'Algérie et la guerre froide allaient imprégner l'esprit de l'armée et son instruction pendant au moins deux générations. L'École supérieure de guerre va partager son savoir fraîchement acquis avec plusieurs dizaines d'armées étrangères qui vont tirer la quintessence de l'expérience française pour créer leurs propres centres de formation. Avec l'explosion de sa première bombe « A » le 13 février 1960 dans le Sahara, la France dispose d'une nouvelle arme « psychologique », la dissuasion nucléaire. La Défense Opérationnelle du Territoire est à l'ordre du jour. En janvier 63 est créé à Givet le premier Centre d'entrainement commando. En janvier 64, le Centre national d'entraînement commando de Mont-Louis destiné à former les formateurs des CEC ouvre ses portes. L'instruction militaire sera profondément modifiée à la suite des événements de mai 1968... Le gouvernement redoute la porosité entre la Guerre révolutionnaire, la Guerre froide et le terrorisme urbain. L'instruction militaire est à double tranchant, pas question que le conscrit échappe à n'être que la chose servile de l'État. On va former le « bidasse » au Combat Rapproché Anti-Chars (CRAC) en préparation à l'affrontement avec les Armées du Pacte de Varsovie. L'instruction au combat urbain apparaîtra en 1977, expérience anglaise en Irlande (opération Banner).
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-guerre-revolutionnaire-217130
Les commentaires récents