Des dizaines de milliers de manifestants ont de nouveau envahi les rues d’Alger et des principales villes d’Algérie le 5 juillet, jour du 57ème anniversaire de l’indépendance et 20ème vendredi de mobilisation.
Journée symbolique entre toutes, le 5 juillet était en effet non seulement le vingtième vendredi de mobilisation et le cinquante-septième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
Aujourd’hui, le pouvoir vacille à Alger. Ce que feint de ne pas comprendre la vieille classe politique qui est en train de s’éteindre, celle issue du combat pour la libération et l’indépendance contre la France coloniale, c’est que la jeunesse d’aujourd’hui ne réclame qu’une chose: son départ.
Les jeunes veulent une nouvelle génération de dirigeants démocratiques
Il est clair que les jeunes, qui connaissent leur histoire, se disent aujourd’hui que leurs aînés n’ont pas été capables de construire une Algérie démocratique et prospère malgré les richesses naturelles dont elle est dotée, essentiellement le gaz et le pétrole qui représentent 97% des exportations de ce pays. Or le pays est pauvre et le chômage touche essentiellement la jeunesse.
Les jeunes de moins de 25 ans représentent 45% de la population et les moins de 30 ans 54%. C’est dire que les vieilles lunes sur le combat pour l’indépendance ne les intéressent plus.
Ce qu’ils veulent, c’est d’un Etat éthique et impartial et honnête, avec des responsables politiques qui leur assurent enfin un avenir et qui ne les condamnent pas à vivre avec seulement quelques centaines d’euros par mois. Cette période est révolue.
Un pays corrompu
Or le pays est gangrené par la corruption depuis des décennies, depuis l’indépendance à vrai dire, des maîtres du socialisme planificateur d’après l’indépendance au régime actuel tenu par une caste qui domine le pays avec l’indéboulonnable FLN, parti unique qui, au fil des ans et des révisions successives de la Constitution, s’est adjoint quelques autres partis pour constituer une “majorité présidentielle”.
Depuis des années, l’Algérie est dominée par un clan ayant placé à sa tête un président impotent handicapé et incapable de gouverner. Si le pays avait été bien gouverné en coulisses, une telle situation complètement absurde aurait pu être tolérée. Mais à partir du moment où les hommes qui tiraient la ficelle derrière le décorum se servaient eux-mêmes avant de servir le peuple, cela n’a plus été admis. Voir le président Bouteflika se faire soigner dans les meilleurs hôpitaux à Paris ou en Suisse lorsque l’accès aux soins en Algérie demeure difficile, a fait que la limite de l’inacceptable a été atteinte.
Conscientes du problème, les autorités ont donc fini par écarter Bouteflika dans un premier temps, puis ses proches aujourd’hui. Un président par intérim a été installé, Abdelkader Bensalah, qui serait, selon des rumeurs, lui aussi malade. En réalité, celui qui tire encore les cordons (pour combien de temps?) est Ahmed Gaïd Salah, tout puissant chef de l’armée qui tente encore, à presque quatre-vingts ans, de tirer les ficelles dans l’ombre mais qui a lui-même amassé une fortune à l’origine douteuse. “Les anciens boivent, les enfants trinquent” dit le proverbe en Algérie.
Une dictature de fait marquée par la répression
Malheureusement pour lui, le subterfuge ne marche plus et les manifestants ont encore, ce week-end, réclamé son départ. Or le régime se crispe, à supposer qu’il ait été un jour démocratique. En réalité, il ne l’est bien sûr pas.
La circonstance que le terme échu du mandat présidentiel ait été atteint sans qu’une élection présidentielle soit organisée, montre bien que les autorités se fichent comme d’une guigne de la Constitution. Le régime n’est donc constitutionnel que de façade; il est en réalité devenu une dictature sournoise. La répression continue avec des pressions intenses sur les libertés, notamment la liberté de la presse.
Le régime algérien est en réalité, malgré cette apparence constitutionnelle qui consacre le multipartisme, un pouvoir fort qui ne partage rien et qui n’accepte aucune contestation. On l’a bien vu encore depuis une quinzaine de jours avec l’arrestation de plusieurs dizaines d’étudiants et de manifestants arborant le drapeau berbère. On pourrait se demander où se situe le problème dès lors que pratiquement tous les Algériens se disent berbères. Pourtant, le pouvoir ne tolère pas ce qui apparaît comme une remise en cause du régime, le terme berbère ou “amazigh” étant en réalité synonyme d’homme libre ou noble et donc défiant le régime en place. L’oppression du mouvement berbère ne date pas d’aujourd’hui.
La fin du régime, une nouvelle ère démocratique
Lors d’une conférence organisée par Mouloud Mammeri, linguiste anthropologue et écrivain réputé, auteur de la “colline oubliée” au mois d’avril 1980 à Tizi-Ouzou, les organisateurs avaient réclamé l’officialisation de la langue amazighe et la reconnaissance de l’identité et de la langue berbère en Algérie. Le mouvement du 20 avril 1980 qualifié de “printemps berbère” et première manifestation d’opposition au pouvoir avait été écrasé par les autorités.
Aujourd’hui, la peur d’être renversé domine encore au gouvernement. Pour tenter d’éviter le pire, le président par intérim a, vendredi dernier, proposé un grand dialogue dont seraient exclus… le gouvernement et les militaires. Ce discours grandiloquent destiné à faire vibrer la fibre patriotique, suggérant un “dialogue national inclusif” avec une autorité indépendante constituée d’un panel de personnalités, semble avoir fait chou blanc.
Ce que veulent les manifestants, les jeunes qui sont majoritaires dans ce pays, c’est que la vieille classe politique déguerpisse, qu’un nouveau régime s’installe avec une nouvelle génération n’ayant pas connu la guerre d’indépendance, qui leur offre travail et perspectives d’avenir. Ils veulent un changement de régime, l’avènement d’une ère démocratique nouvelle. Rien d’autre. Une nouvelle assemblée constituante devrait s’y atteler en urgence avant que la situation atteigne un point de non retour où la violence et la répression pourraient l’emporter.
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