19 mars 1962 : "Le cessez-le-feu n'est pas la paix."
Le 20 Mars à Alger, premier jour après la proclamation du cessez-le-feu en Algérie
Faire l’inventaire de tous les crimes commis par l’OAS relève de l’impossible quant on sait que tout le pays est concerné
Le 19 mars 1962 entrait en vigueur le cessez-le-feu entre l’Algérie et la France, mettant fin ainsi à plus de sept ans et demi d’une guerre qui ne voulait pas dire son nom et trois mois plus tard , à cent trente deux ans de colonisation. Ce fut le premier rayon de lumière à percer la longue nuit coloniale, promesse d’une aube nouvelle tant espérée.
Mais une frange irréductible d’ultras issus de la minorité européenne vont mener des actions criminelles et de sabotage pour tenter d’empêcher l’avènement d’une Algérie indépendante définitivement détachée de la France . Ils créent la funeste OAS (Organisation Armée Secrète) le 11 février 1961.
L’OAS était un ramassis hétéroclite d’individus de tous bords : gros colons, militaires, étudiants et petites gens attachées à leurs privilèges et qui n’acceptent pas l’évolution inéluctable de la situation en Algérie. Ils vont tout faire pour empêcher le processus menant à l’indépendance. Le but de l’OAS est de maintenir l’Algérie française , c’est-à-dire le statut de citoyens pour la minorité française et le statut d’indigène pour la majorité musulmane.
Tous les moyens sont mis en œuvre par cette organisation terroriste : assassinats collectifs ou ciblés, sabotages économiques, plastiquages : bref, une véritable politique de terreur est installée dans les derniers mois en Algérie. Des personnalisés françaises favorables aux Algériens et à une négociation avec le FLN sont visées. Mais c’est surtout la population algérienne qui est l’objet d’affreuses représailles. Malgré cela, la foi des Algériens dans l’indépendance prochaine et en un avenir meilleur ne fût à aucun moment ébranlée.
Au fil des mois et du déblocage progressif du problème algérien, l’OAS renchérissait dans l’abjection et l’horreur terroriste, pratiquant la politique de la terre brûlée, rendant impossible toute réconciliation (rêvée par certains) entre les deux communautés.
Faire l’inventaire de tous les crimes commis par l’OAS relève de l’impossible quant on sait que tout le pays est concerné. Les attentats perpétrés à Alger font évidemment l’objet d’une plus grande couverture par la presse internationale. Ils sont aussi plus violents et plus spectaculaire qu’ ailleurs.
Le paroxysme dans l’horreur sera atteint au petit matin du 2 mai 1962, au port d’Alger, à deux mois de l’indépendance, lorsque une charge explosive ôta la vie à deux cents dockers algériens qui attendaient leur jeton pour commencer une dure journée de déchargement des navires. L’attentat fit également des dizaines de blessés.
Un autre attentat, plus ciblé, va coûter la vie à une personnalité algérienne de premier plan et à cinq de ses compagnons, dont trois français. Le 15 mars 1962, à El-Biar, ce que l’on appelle alors le Commando Delta procède à l’exécution pure et simple de six inspecteurs de l’Education nationale en réunion ce jour-là. Ils sont trois algériens et trois français. Parmi eux se trouve Mouloud Feraoun, écrivain algérien né à Tizi Hibel en Grande Kabylie. Son plus célèbre roman “Le fils du pauvre”, écrit en 1950, lui a valu le Prix littéraire de la Ville d’Alger, attribué pour la première fois à un algérien. Par cet attentat, l’OAS a visé une personnalité intellectuelle algérienne et un cadre éminent de l’éducation nationale dont l’Algérie allait en avoir tant besoin au moment de l’indépendance, c’est-à-dire dans moins de quatre mois.
Les assassins ne furent jamais vraiment inquiétés et continuèrent tranquillement leur vie en France . L’un d’entre eux fera même une carrière politique au sein de l’UMP de Jacques Chirac. Ceci pour juste rappeler aux donneurs de leçons (et ils sont nombreux outre-méditerranée) qu’ils doivent d’abord balayer devant leur porte.
Toujours dans la même idéologie destructrice, l’OAS a visé cette fois-ci la Bibliothèque Universitaire d’Alger. Le 7 juin 1962, trois bombes au phosphore explosent, mettant le feu à la bibliothèque : 500 000 ouvrages sont la proie des flammes. Seuls 80 000 seront sauvés. Tous les manuscrits ont été détruits. Aucun autodafé n’a fait autant de dégâts dans l’Histoire. La Bibliothèque Universitaire ne rouvrira ses portes que six ans après, le 12 avril 1968.
Le 20 mars 1962, Benyoucef Benkhedda, deuxième président du GPRA (Gouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne), annonce, dans une allocution radiodiffusée au peuple algérien, l’accord officiel de cessez-le-feu et la signature des Accords d’Evian. Il déclare à cette occasion : “Le cessez-le-feu n’est pas la paix.” La criminelle OAS allait redoubler de férocité face au mouvement irréversible de l’Histoire.
A quelques jours de l’indépendance, le FLN qui a appris à négocier, finira par signer un accord de dernière minute avec l’OAS, épargnant ainsi quelques vies.
Le cessez-le-feu signé, il n’échappe pas à l’esprit vigilant de beaucoup d’opportunistes de profiter de l’occasion pour s’acheter à moindre frais, et surtout à moindre risques, une devanture révolutionnaire dont ils imaginaient (avant tout le monde peut-être) qu’ elle serait fort utile demain, une fois l’indépendance acquise définitivement. D’ailleurs, après le 5 juillet, le peuple algérien distinguait déjà entre les authentiques moudjahidines et ceux du 19 mars.
Il est vrai que les révolutions profitent rarement à ceux qui les déclenchent, mais plutôt aux derniers venus, à ceux qui ont eu la chance de survivre, aux malins et aux opportunistes. C’est ainsi qu’ on a eu plus d’un million de martyrs, des moudjahidi
https://www.huffpostmaghreb.com/entry/19-mars-1962-le-cessez-le-feu-nest-pas-la-paix_mg_5aae6a80e4b0337adf8493b2
Dans ce magnifique poème, « Le combat Algérien », écrit en juin 1958 à Paris, Jean Amrouche crie à l’humiliation et à l’injustice faites aux Algériens, dénonce les ravages de la France coloniale et revendique une Algérie libre et indépendante. A (re)lire, sans modération, dans sa version intégrale.
À l'homme le plus pauvre
à celui qui va demi-nu sous le soleil dans le vent
la pluie ou la neige
à celui qui, depuis sa naissance, n'a jamais eu le
ventre plein
On ne peut cependant ôter ni son nom
ni la chanson de sa langue natale
ni ses souvenirs ni ses rêves.
On ne peut l'arracher à sa patrie ni lui arracher sa
patrie.
Pauvre, affamé, nu , il est riche malgré tout de son nom
d'une patrie terrestre son domaine
et d'un trésor de fables et d'images que la langue
des aïeux porte en son flux comme un fleuve porte
la vie.
Aux Algériens on a tout pris
la patrie avec le nom
le langage avec les divines sentences
de sagesse qui règlent la marche de l'homme
depuis le berceau
jusqu'à la tombe
la terre avec les blés, les sources avec les jardins,
le pain de bouche et le pain de l'âme,
l'honneur, la grâce de vivre comme enfant de Dieu frère des hommes sous le soleil dans le vent la pluie et la neige.
On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine
on les a fait orphelins
on les a faits prisonniers d'un présent sans mémoire
et sans avenir
les exilant parmi leurs tombes de la terre des
ancêtres, de leur histoire, de leur langage et de la
liberté.
Ainsi
réduits à merci
courbés dans la cendre
sous le gant du maître colonial
il semblait à ce dernier que son dessein allait
s'accomplir,
que l'Algérien avait oublié son nom son langage
et l'antique souche humaine qui reverdissait
libre sous le soleil dans le vent, la pluie et la neige
en lui.
Mais on peut affamer les corps
on peut battre les volontés
mater la fierté la plus dure sur l'enclume du mépris
on ne peut assécher les sources profondes
où l'âme orpheline par mille radicelles invisibles
suce le lait de la liberté.
On avait prononcé les plus hautes paroles de fraternité
on avait fait les plus saintes promesses.
Algériens, disait-on, à défaut d'une patrie naturelle
perdue voici la patrie la plus belle
la France
chevelue de forêts profondes hérissée de cheminées
d'usine,
lourde de gloire de travaux et de villes
de sanctuaires toute dorée de moissons immenses ondulant au
vent de l'Histoire comme la mer
Algériens, disait-on, acceptez le plus royal des dons
ce langage
le plus doux , le plus limpide et le plus juste vêtement
de l'esprit.
Mais on leur a pris la patrie de leurs pères
on ne les a pas reçus à la table de la France.
Longue fut l'épreuve du mensonge et de la promesse
non tenue
d'une espérance inassouvie
longue, amère
trempée dans les sueurs de l'attente déçue
dans l'enfer de la parole trahie
dans le sang des révoltes écrasées
comme vendanges d'hommes.
Alors vint une grande saison de l'histoire
portant dans ses flancs une cargaison d'enfants
indomptés
qui parlèrent un nouveau langage
et le tonnerre d'une fureur sacrée :
on ne nous trahira plus
on ne nous mentira plus
on ne nous fera pas prendre des vessies peintes
de bleu de blanc et de rouge
pour les lanternes de la liberté
nous voulons habiter notre nom
vivre ou mourir sur notre terre mère
nous ne voulons pas d'une patrie-marâtre
et des riches reliefs de ses festins.
Nous voulons la patrie de nos pères
la langue de nos pères
la mélodie de nos songes et de nos chants
sur nos berceaux et sur nos tombes
Nous ne voulons plus errer en exil
dans le présent sans mémoire et sans avenir
Ici et maintenant
nous voulons
libérer à jamais sous le soleil dans le vent
la pluie ou la neige
notre patrie : l'Algérie.
Jean Amrouche, In poèmes algériens, Espoir et parole, recueillis par Denise Barrat. Editions Seghers. Paris 1958.
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