Un enfant de la région de Cherchell dans la guerre
Aïzer, un village haut perché sur les hauteurs de Cherchell. C'est la guerre. Mohamed la raconte... sur la base de ses souvenirs de tout petit enfant (à peine 5 ans en 62... juste l'âge de souvenirs en flashes que le temps a effacés en bonne partie). En revenant sur les lieux de sa prime enfance, en compagnie de sa mère ; lieux auparavant défrichés, labourés et semés et, aujourd'hui, abandonnés, laissés en jachère... avec, pour seul habitant, un vieil homme, «le dos légèrement courbé... qui suivait un maigre troupeau vers l'oued aux quelques mares restantes... et aux illusions éteintes depuis belle lurette». Mais, surtout, en faisant parler son père, un homme de la montagne, d'une témérité sans bornes, et ayant grandi à la «dure» (à quatorze ans, il était déjà parti travailler chez les colons, dans les fermes... pour gagner de l'argent et acheter ce qui manquait. «et Dieu sait que nous manquions de tout» !), qui va participer en tant que «moussebel» à la guerre de libération nationale et que les risques, les emprisonnements, la torture, les blessures n'arriveront jamais à décourager. Au contraire... Ne dit-on pas qu'«à quelque chose malheur est bon» : ainsi, son enfermement au camp de prisonniers Paul Cazelles (Ain Oussera) lui avait «ouvert les yeux» sur bien des points jusqu'ici ignorés... et ce, «grâce aux frères lettrés» qui lui ont «appris bien des choses sur ce que serait le pays après l'indépendance»... et lui ont appris à déchiffrer les lettres de l'alphabet... et, surtout, la solidarité.
Il fait, aussi, parler sa mère... qui, elle, orpheline de mère assez tôt... et père remarié, avait appris auprès de son frère scolarisé, l'alphabet français et prononcé les premiers mots qui, dit-elle, «sont restés gravés dans ma mémoire».
Il fait parler la société environnante, faite de Berbères des montagnes et de citadins... se rencontrant à «Cherchell, la cité tant convoitée». Toujours des tensions latentes, qui, fort heureusement, restaient cantonnées dans la bonhommie de l'humour et du sarcasme lingusitique.
Il fait «parler» aussi les camps de «regroupement» (d'abord Ben Yamna... en fait, un vaste amoncellement de gourbis et de baraques surveillé de loin par une caserne... puis, à Rivail, dans un endroit, cette fois-çi entouré de barbelés... et aux sorties sévèrement contrôlées), avec leurs harkis et leurs collaborateurs, les combats cachés et les résistances, des lâches et des héros... ainsi que les moudjahidine toujours là, malgré toutes les surveillances- souvent plus que rigoureux, après avoir été forcés de quitter le domicile familial et les terres.
Lui aussi, le petit Mohamed, devenu un peu plus grand, parle... de l'indépendance et de la liesse populaire... et, surtout, de la découverte de la grande ville, Cherchell, une certaine et inoubliable journée du 5 juillet 1962. Un autre lieu de vie, un autre homme, une autre vie. Mais toujours un passé présent.
L'Auteur : Né à Cherchell en 1958. Professeur de littérature moderne (Université d'Alger), traducteur (il a traduit, entre autres, Mohamed Dib, Yasmina Khadra...) et écrivain bilingue (arabe-français). Auteur de plusieurs ouvrages... Prix Escale littéraire d'Alger en 2016, avec «Pluies d'or» (Chihab Editions, Alger 2015), déjà présenté in Médiatic)
Extrait : «Dans nos montagnes, les gens étaient pauvres, mais généreux et partageaient tout, pas comme aujourd'hui. Les richesses de l'indépendance ont perverti toutes nos valeurs (p 18).
Avis : Récit à la gloire de la famille, du père et de la résistance populaire (rurale) au colonialisme. On se perd un peu dans les (trop nombreux) détails. Il est vrai que les histoires de famille, avec leurs pointes de nostalgie et de fidélité mal retenues, sont toujours «envahissantes». Mais que de vérités sur un passé trop idéalisé !
Citations : «La ville, c'était le rêve tant souhaité, surtout après le départ des Français. Le pays était à nous, et nous avions payé cher pour avoir enfin la liberté» (p 61), «Je croyais que la vieillesse effaçait les souvenirs de jeunesse. Au contraire, il suffit d'une étincelle pour que tout s'enflamme, pour que toute notre vie, celle qu'on avait crue oubliée, défile devant nos yeux flétris» (p 68), «La vie en liberté et la ruée vers les biens abandonnés par les colons ont tout chamboulé :les hommes et les valeurs. On a vu les frères d'armes s'entre-tuer à coups de couteaux et les ennemis d'hier se transformer en amis de toujours pour gérer leurs intérêts communs. On ne distinguait plus le moudjahid du harki ou le chahid de celui qui avait été éliminé pour trahison et collaboration avec l'armée française»» (p 96)
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Récit de Mohamed Sari, Editions Barzakh, Alger 2018, 800 dinars, 249 pages.
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5273466
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