Les Oubliés Alger-Paris au Théâtre du Vieux-Colombier
Les Oubliés, ce sont nous tous impactés de prés ou de loin par le processus sans fin et chaotique de l’indépendance de l’Algérie. Dans la seconde salle de la Comédie Française, rue du Vieux Colombier, Julie Bertin et Jade Herbulot en proposent un récit mosaïque dans une splendide scénographie.
Tout commence par un mariage, celui d’Alice et de Karim, un de ces mariages réputés mixtes où souvent les non dits se chuchotent et où l’indispensable injonction du vivre ensemble s’allie à l’obligation du bonheur le jour des noces pour se dérober aux affres de cette peur de l’autre qui depuis longtemps s’est inscrit dans les consciences de part et d’autre de la Méditerranée. Une frontière invisible parcourt l’espace, la frontière fantôme entre deux peuples qui ont dû en passer par une guerre pour se séparer, sans jamais y parvenir totalement et qui partagent désormais une même histoire cependant que racontée différemment. De ce divorce reste une nervosité. Dans la salle de cérémonies de la mairie du 18e arrondissement, ces deux oppositions s’épousent. Le dispositif scénique en bi frontal où l’un des deux alignement de fauteuils figure les invités de la cérémonie nuptiale appuie le trait et du clivage et de sa soudure. L’ambiance est à la fête et à la fraternité. Le joint menace de rompre à tout moment. Hors champ, une captation vidéo en direct recueille aux lavabos les atermoiements individuels de chaque personnage.
Le mariage républicain est une solennité et la République s’y veut puissante à fabriquer la pacification des esprits. Elle autorise à l’ordinaire la petite histoire des gens à advenir sans tracas enjambant la grande Histoire des rapports France Algérie. Mais ici la salle de mariage est hantée par un meuble, celui de la réplique du bureau du Général de Gaulle. Alors à la façon de Festen, l’édifice craque. A la faveur de la scénographie nous voyagerons dans le temps pour rejoindre le cabinet du général et ses conversations avec Michel Debré. La chronique nuptiale se transformera en une leçon d’histoire in vivo qui doit tout à ses comédiens hors pair. Notamment, Bruno Raffaelli qui compose le père de la mariée dans les tableaux de 2019, interprète un admirable Général de Gaulle dans les tableaux de 1958. À chaque fois il est phénoménal de justesse et d’inventivité. Jerome Pouly au meilleur de son talent, interprète le cousin de la mariée qui a découvert le secret de famille, il y est bouleversant.
Le sujet est périlleux et devant ces périls, le texte choisit la caricature. On ne dit pas l’épineux tiraillement du Général de Gaulle, sauf à le décrire comme un vieux monsieur irascible qui parfois ne sait pas ce qu’il dit, on ne dit pas -le marié Karim se déclare non musulman- la difficulté des enfants de couples mixtes tiraillés entre deux religions, on ne dit pas la tristesse des pieds noirs trahis par l’état français sauf sous forme de rancœurs racistes, on ne veut pas dire non plus la fortuite fortune des Juifs d’Algérie sauvés par la magie du Décret Crémieux de 1870 du sort de leur coreligionnaires contraint à un tout autre exil par les autres pays arabes. On évite par la caricature de prendre position. Le propos se veut épais et la psychologisation innocente. Le marié Karim, fils d’une algérien communiste et d’une Française est un personnage hybride mais consensuel, aussi gêné d’être mi-arabe que d’être mi-français. La mariée comprend la raison de ses vertiges dans un ravissement improbable dès qu’elle apprend que son grand-père était dans l’OAS. La mère (éblouissante DanièleLebrun) est un santon ravi: ancienne militante PCF mariée par conviction politique à un Algérien, elle déploie un discours aussi exemplaire que simpliste. Quant au père de la mariée, caricature du raciste, il est un viticulteur franchouillard.
Ainsi devant l’abstrusion du sujet, le texte ne fait pas dans la dentelle. La pièce devient un conte parabole pour enfants, et inaugure une autorisation à ne plus escamoter cet épisode de l’histoire de France, lui même intriqué dans la création de la cinquième république. Le dispositif scénique judicieux et le brio des comédiens-français finissent de composer pour les jeunes générations un spectacle éducatif captivant.
Poète illuminé des hauts remparts d’Icosium , comédien majestueux sur les planches du TNA, tribun de la cinémathèque d’Alger, écrivain mémorialiste, auguste acteur des films réalistes, champion du monde de plongée en Apnée, qui est Himoud Brahimi , tendrement surnommé Momo le philosophe de la Casbah ?
Une enfance artistique
Mohamed Brahimi dit Himoud a vu le jour le 18 mars 1918 au cœur de la Casbah d’Alger, rue des frères Bachagha (ex- Klébert). Sa mère, Doudja Bouhali Chekhagha , héritière de traditions artistiques d’une ancienne lignée d’artisans kabyles d’Azeffoun, et son père, El Hadj Ali Brahimi, descendant d’une famille de poètes de Tablat , commerçant lettré , lui donnèrent une éducation moderne enracinée dans l’authenticité de la petite bourgeoisie d’Alger. Il était l’unique enfant de cette famille aisée. Comme tous les enfants de son épo-que il suivit une instruction entre l’école coranique et l’école coloniale française. Une ruelle séparait les nattes d’alfa et les planches de bois de Djamaâ Safir et les lourdes tables à encrier de céramique et le tableau noir de l’école communale Mathès. C’était L’univers enfantin de Momo. Très studieux , bien élevé , c’est tout naturellement qu’il obtint son certi-ficat de fin d’études primaires en 1931, grand privilège pour un enfant indigène, même issu d’une famille aisée porteuse de mémoires anciennes et acquise à la modernité française. Momo avait surtout de la chance d’avoir un père avec des prédispositions particulières pour les choses de l’art et une mère dépositaire des reflexes culturels de sa lignée. Momo baignait dans cette atmosphère familiale fleurant la culture et l’enracinement civilisationnel. Son père lui répétait souvent : « La liberté est en toi mon fils ! Ce n’est pas l’arme à feu qui fera de toi un homme libre. Ne te fies pas au drapeau, mais apprends le français, prends en le meilleur et reste toi-même. » . Voilà en une phrase du père –poète, résumé le destin du jeune Momo, acquérir la modernité sans renoncer à ses racines. Son univers culturel s’élargira avec l’entrée au lycée Bugeaud et la découverte des films muets au cinéma La Perle. Il dira un jour « C’est le cinéma qui m’apprit les meilleures leçons de la vie ». Son adolescence sera ponctuée par un drame : la perte de sa maman. Il projettera toute sa frustration dans la Casbah, sa nouvelle mère, son refuge, son giron affectif et son berceau de chaleur humaine, toute son affection, son amour inassouvi pour sa vraie mère artiste sensible et tendre disparue sans avoir eu le temps de le voir grandir. C’est sans doute de cette séparation inattendue, cette déchirure aigué qu’il eut sa vocation de poète au regard mélancolique et parfois distant. Momo se formera par la force des neurones durant ses séjours parisiens et ses incessants va et vient de la Casbah à Saint-Germain des près, les lieux privilégiés de Momo où soufflait l’esprit de sa géniale poésie. Il s’installera à Paris pour se cultiver et apprendre. Il connaitra de grandes figures de l’art et de la littérature « je me suis plongé dans toutes les lectures possibles et imaginables. Spinoza, Kant, Nietszche et même Bronski… » Il reviendra pourtant à la Casbah , s’immerger la culture locale et les profondeur de sa civilisation multimillénaire.
Plus fort que Tarzan
Il ne fréquentera pas longtemps encore le Lycée Bugeaud, où Albert Camus fut son meilleur ami. Sa vie basculera à la mort de sa mère, alors qu’il avait 15 ans. Il finira son adolescence avec sa grand-mère et rejoindra tôt le monde du travail. Elancé, bien musclé, Himoud avait un corps d’athlète. Il voulait gagner son autonomie et faire de sa vie, comme le lui avait recommandé son père, un parcours créatif dans l’honneur et la dignité. Son premier job sera dans une imprimerie où une minerve lui broya une partie de la main droite. Il sera opéré par un médecin féru de plongée sous marine et des prouesses de l’apnée tout comme lui. Ils deviendront amis et se retrouveront régulièrement au bout du Môle. Toute la jeunesse de Momo passera entre les ruelles de la casbah et la mer dans laquelle la vieille cité plongeait ses orteils. Momo était passionné d’apnée, il restait sous l’eau jusqu’à faire peur à ses amis. « C’est dans le fond des eaux que je m’approchais le plus de mon être éternel ». Ecrivit-il dans l’un de ses textes. « On le voyait nager. La jeunesse de l’époque était sur la jetée, Mesli le peintre, Galiero, des sportifs et Momo nous subjuguait par ses exploits sous l’eau. » dira son ami enseignant de Français Naceur Abdelkader qui joua avec lui dans le film culte « Tahya Ya Didou ». Momo le plongeur , était tellement aimé dans la Casbah , que ses amis créèrent cette légende selon laquelle il aurait battu en 1956 à Paris le record du monde de plongée en apnée, effaçant l’américain Johnny Weissmuler, cinq fois médaillé en or aux jeux olympiques, celui-là même qui interpréta au cinéma le fameux personnage de Tarzan, l’homme singe ,film qui marqua le cinéma mondial durant des décennies. Dans un élan de sincérité, Momo, démentira l’information rapportée en 1947 par le journal « Alger Républicain ». Ce démenti viendra un an avant sa mort en 1997, lors d’un entretien accordé à Radio Alger Chaine 3. La légende aura vécu une cinquantaine d’années.
Momo dénoncera vigoureusement et dans la douleur les massacres du 8 mai 1945, perpétrés par l’armée coloniale contre des civils sans armes, qui croyaient par leurs manifestations pacifiques rappeler à l’occupant ses promesses d’indépendance contre la participation des algériens à la seconde guerre mondiale. Il écrira : « Face à la formidable participation des indigènes dans la guerre contre le nazisme, le colon nous récompensa par la tuerie… »
Personnage insolite
Il frisait l’insolite, le fantasque Rais aux cheveux bouclés noués en queue de cheval ! Original presque irréel, barbe en pointe, Momo était impressionnant de fragilité. Seule la puissance du regard pénétrant nous donnait de la distance sur la profondeur de son être. Le verbe haut, le port altier presque ostentatoire, il en imposait comme un acteur de théâtre avec son gilet et son saroual paysans rehaussé de son « Asarou » un « Hzem » de laine hérité de sa maman artiste d’Azeffoun. Il était dans son personnage de conteur mythique de légendes, d’aède porteur de récits fondateurs sorti tout droit d’un souk constantinois du moyen-âge. Son allure parlait de son parcours de poète affecté par la décrépitude continue de la Casbah, sa mère, sa génitrice, son univers. Une solitude tenace rongeait ses yeux malicieux et sa face burinée par les embruns du Mole. J’entends encore le malicieux poète avec sa voix sacerdotale, au printemps de l’année 1978, déclamer à un auditoire fidèle de la cinémathèque d’Alger, son poème-cantilène ‘’Architecture’’ . Sa voix montait et flottait comme une brise matinale, elle en appelait aux esprits de la Casbah :
« Ville incomparable, jolie comme une perle, Splendide à souhait, au bord de la mer Les mouettes au port, les bateaux ancrés Les iles reliées, le mole qui les suit Vision d’une coupole, la Casbah colline Maison séculaires, cèdres renforcés Habitat mystère, les murs patinés terrasses gouailleuses, ruelles clairières Céramiques claires, colonnes torsadées Marbre le parterre, patios ombragés Alger El Djazair, comptoirs phéniciens Hercule y vécut, Mezghenna aima L’andalou maçon traça le schéma Le soleil selon, un gite à la lune Un peuple pour époux, épouse dulcinée Casbah solitaire, joyau de mon cœur Casbah de mémoire, aux histoires citées Le voile qui te sied, ne peut plus cacher Les rides séniles, rongeant toute ta peau A chaque jour nouveau l’agonie te guette Et toi toute muette, dans les yeux ta vie Gaieté des enfants, l’œuvre des mamans Dans ce monde nouveau, tu es matriarche Je sais ce que racontent, les tournants des rues
Les pavés qui chantent, les pas des partants Du sang sur les murs, linceuls dans les tombes Je me dois de dire à ceux qui ne sont plus Qu’ils sont avec nous et Toi avec eux Nous sommes leur Casbah et toi notre aïeule !
La charité culturelle de Momo
Nous etions nombreux à traquer le verbe majestueux du Poète de la Casbah, à glaner, à ramasser, à recueillir et sauvegarder jalousement les poèmes de Momo, des paroles suintant comme des goutes d’or d’entre ses lèvres en colère, des écrits tombant de ses poches encombrées, des secrets murmurés à des moments de perte de soi ! Il était l’idole d’une génération, cinéphiles, poètes, artistes, musiciens et mélomanes, nous l’attendions dans la petite ruelle qui menait à la cinémathèque d’Alger, sur les escaliers du TNA, sur les terrasses de café à la croisée des ruelles encaissées de la Casbah, sur les marchés grouillant de monde dans le ventre de la vieille cité. Il était attendu, non comme le messie, mais comme le prince illuminant les dédales ombrageux de la citadelle imprenable .Son aura imposante, son verbe caustique, son front haut faisait de lui le Pharaon de la Casbah. Il veillait sur ses trésors immatériels, ses lumières, ses odeurs, ses parfums, ses saveurs. Point d’ors ,point de bijoux , mais des voiles blancs de féminité immaculée, des murailles fêlées , des fleurs fanées , des fontaines murmurant des histoires anciennes, où des êtres veillent , invisibles sentinelles tutélaires sur le nombril de la cité magique . Momo était le chantre de la charité culturelle. Il offrait ses poèmes comme des présents porteurs d’amitié et de reconnaissance tel un vieil aède qui déclamait ses poésies dans les Souks. Ses offrandes n’attendaient pas de retour .Il donnait et partait. Momo ne disait pas, mais écrivait et distribuait ses textes. Lui ne conservait rien. On retrouvera ses poèmes éparpillés chez ses amis, le Docteur Mohamed Madani, l’artiste Mohamed Zinet, son fils Mohamed et ses trois autres enfants, même chez le Cheikh Omar Chalabi, un de ses admirateurs. C’est avec beaucoup de peine que l’écrivain mémorialiste Omar Belkhodja à qui l’on doit un travail remarquable sur l’œuvre de Momo , en récupérera l’essentiel . Il écrira dans son livre « Momo le poète béni » : ‘’ ce fut une quête improbable d’aller à la recherche – à la conquête- d’éléments qui aient pu servir, à reconstituer, ne serait-ce qu’une partie de l’œuvre de celui dont la personnalité recouvrait des aspects plus intéressants les uns que les autres. »
La casbah est une femme
Momo avait un rapport charnel à la Casbah, il connaissait son corps, ses membres, sa bouche, ses yeux, ses jambes tentaculaires, ses chutes de rein, son nombril. Il était dans un flirt perpétuel. Il aimait ses colonnades, ses balcons ajourés, ses alcôves chaulées, ses ruelles étroites encaissées, ses placettes suspendues, ses terrasses dérobées, ses minarets en équilibre instable, ses clochers aux pleurs lointains. Pour Momo, la casbah n’est pas une cité, une ville, mais une femme. La casbah est une femme, territoire de l’amour et de la perte de soi ! C’est ainsi qu’il voyait sa haute citadelle avec ses dédales érotiques qui de leurs marches de pierre pénètrent avec fougue les maisons, unissent les balcons, ouvrent la voie aux terrasses, caressent la peau intérieure des foyers chauds et font se toucher et s’entrelacer les murailles, les lourdes portes, et les fontaines ruisselantes de vie. Amoureux jaloux et conquérant, Momo, veille et surveille et “Chaque matin le soleil salue son amour et la Casbah ravie lui ouvre toutes ses couches”.
Sa vie fut un attachement physique à cette cité et souffrait de la voir vieillir trop vite. Il aimait la Casbah d’un amour total, corps et âme au point où il déniait à tout autre d’appro-cher sa dulcinée. Il se disait, dans un élan possessif de folie amoureuse, l’époux de la casbah :
« T’a-t-on dit mienne Casbah ?
T’a-t-on dit l’amour ?
Je t’aime comme l’épouse
Qui pose son regard apaisé sur les prunelles paisibles de l’époux »
Quelle déclaration d’amour ! Qui est l’époux, qui est l’épouse dans ce couple fusionnel d’ êtres symbiotiques. Momo le fou est amoureux des lumières, des odeurs, des bruits, des paroles des murailles qu’il est seul à entendre et à interpréter. Rhapsode illuminé, il entendait les mots inaudibles des disparus, l’appel des âmes vagabondes qu’il transmettait comme un legs historique, un viatique de bonheur, par le dire, le chant, le poème. Il voyait en la Casbah, la cité du Soleil !
« Comme un cygne paré de sa blancheur laiteuse,
La Casbah s’apprête à recevoir le soleil arqué à l’horizon.
Paraissant immobile, le soleil avance,
et la Casbah en révérence ailée, le salue.
Et toi, baie d’El Djazaïr,
Comme une vierge de Botticelli qui attend tout de l’amour
tu drapes ta nudité en baissant pudiquement les paupières. »
Momo le Soufi
« Sur la terrasse de l’Institut du Monde Arabe, par un dimanche de canicule, le narrateur a rendez-vous avec un homme à qui il voue un grand respect : Momo, le poète ésotérique de la Casbah d’Alger. Il l’a rencontré là-bas il y a plus d’un quart de siècle. Ce personnage qu’il attend tarde à venir et le lecteur apprend… qu’il est mort. Il a pourtant fixé ce rendez-vous, lui-même, la veille. Ces derniers jours, la présence de Momo s’est faite insistante. Le narra-teur a repris la lecture des textes qu’il lui a légués pour tenter d’en approcher enfin le sens, Le poète de la Casbah se dit “métaphysicien” et à l’écoute de messages qui lui donnent l’inspiration. Il cite Ibn Arabi, Hallaj et René Guénon. Vénère le Coran et Jésus. Les textes et les paroles de Momo sont évoqués dans les lieux qui souvent leur ont donné naissance…De Saint-Germain à la Casbah d’Alger, les lieux de Momo où soufflait l’esprit se renvoient l’un à l’autre à travers la nostalgie du narrateur. Ainsi s’esquisse le portrait de Momo, Himoud Brahimi, poète du vieil Alger. “Le fou de la Casbah” disaient ceux qui n’osaient pas le comprendre. “Illuminé” ou homme éclairé, il se révèle un maître de sagesse. ». Telle est la note de présentation de l’éditeur de l’ouvrage « Une lumière dans les années sombres de l’Algérie » où l’auteur Jean René Huleu s’intéresse à la spiritualité soufie de Momo, cet incompris multidimensionnel.
Momo au cinéma
Il laissera un ouvrage immortel « Casbah lumières » où ruisselle à chaque page, en poèmes lourds parfois ésotériques, encombrés de culture ancienne, criant de modernité, l’amour des siens, de sa patrie, de sa Casbah. C’est pourtant au cinéma que Momo laissera les empruntes les plus marquantes. Il jouera dans « Les Noces de sable », puis dans « Les Puisatiers du désert » et dans « Pépé le Moko ». C’est en portant le personnage central de « Tahya ya Didou » qu’il crèvera l’écran. Le journaliste Jamel Moknachi écrira à propos de ce film en 1971 : « Sous la double signature du poète Himoud Brahimi et d’un nouveau metteur en scène, Mohamed Zinet, l’APC d’Alger présentait un film qu’elle a entièrement financé… Tahia ya Didou relate l’arrivée de touristes à Dar El Beida pour visiter Alger . Zinet a promené sa caméra sous les angles les plus inattendus, les plus insolites …et avec les touristes il nous fait découvrir Alger une capitale que nous ignorions. Il ne s’est pas attardé sur la beauté plastique de la capitale mais avec courage , il nous ballade sur las plaies d’Alger , bidonvilles ,HLM , chômage , dragueurs ,proxénètes , filles des rues , enfants perdus , insalubrité , malades abandonnés dans les rues , artisans vivants de miracles ,foule anonyme , torrents de lumière pour noctambules millionnaires …Zinet met Alger en état d’arrestation et lui fait les poches … c’est peut-être du cinéma , mais du vrai … » et d’ajouter « Son film est soutenu d’une épaule par un monstre au verbe dantesque : Himoud Brahimi, poète surréaliste , acteur , metteur en scène, tribun ,meddah , existentialiste, … Momo ne mache pas ses mots dans ce film où il tient le rôle du narrateur, du coryphée, du guide, de la conscience collective mais avant tout du chantre de la casbah :
Si j’avais à choisir parmi les étoiles pour te comparer
Le soleil ne saurait éclipser
La lumière du verbe que tu caches … »
Le poème de Momo est le fil conducteur de ce film culte, que les algériens n’ont pas la chance de voir encore parce qu’enterré dans les tiroirs de l’oubli avalé par les méandres de l’anti-culture.
Mélange d’images d’archives et de scènes de fiction, le film est un hommage à la ville d’Alger, qui est à l’origine du projet. Au hasard des promenades et des rencontres, Simon et sa femme, un couple de touristes français, découvrent Alger. Simon reconnaît dans un bistrot un Algérien qu’il a autrefois torturé. L’homme le fixe. Pris de panique, Simon s’enfuit.
Thèmes : Alger, ville cinématographique , Guerre d’indépendance algérienne
Réalisateur(s) : Zinet, Mohamed
Pays de production : Algérie
Type : Long métrage
Genre : Fiction
Edition du festival : Maghreb des films juin juillet 2012 , Maghreb des films novembre 2010
Autre titre Alger Insolite !
Année : 1971
Durée : 76’
Scénario : Mohamed Zinet, Himoud Brahimi
Image : Ali Marok, Bruno Muel, Pierre Clément
Son : A. Oulmi
Musique : Mohamed El-Anka
Production : Mairie d’Alger
Distribution : Centre National du Cinéma et de l’Audiovisuel (CNCA) Algérie
Avec : Himoud Brahimi, Mohamed Zinet, Georges Arnaud, N. Drais, Suzie Nace
Le commentaire de Wassyla Tamzali
Publié en mai 2013 dans Le Quotidien d’Oran (ultérieurement dans les Temps Modernes), aux côtés de 6 autres commentaires (Yasmina de Lakhdar Amina, Nouad’Abdelaziz Tolbi, La Nouba des femmes du Mont ChenouadeAssia Djebar, Nahla de Farouk Beloufa, Inland de Tariq Tegia, Demande à ton ombre de Lamine Ammar-Khodja)
Tahia Ya Didou de Zinet, Le premier film urbain. De quelle année est Tahia Didou ? L’année où il a été réalisé ou 1973 l’année où il a été pour la première fois montré à la Cinémathèque dans une projection privée ? Un film existe-il sans son public aussi clairsemé soit-il ? La question mérite d’être posée tant nombreux sont les films réalisés et jamais distribués de part le monde. Avez vous remarquez la manière particulière d’un cinéaste qui parle de son film jamais montré ? Un air de deuil en quelque sorte. Ou de mystère. À toutes les raisons connues dans tous les pays s’ajoutent dans notre pays, mais pas uniquement chez nous, les films censurés sans être censurés. Les pratiques occultes autour des films sont multiples et jalonnent le Cinéma algérien écrivant ainsi de petits scénarios qui ne demanderaient qu’à être tournés. Ainsi pour les candidats, « Libération » de Farouk Beloufa. Produit par le ministère de l’information en 1972, qui furieux de voir que le réalisateur faisait le lien entre la Révolution d’Octobre et notre guerre de libération (l’insolent !), charcuta le film tant et si bien que Beloufa demanda qu’on enleva son nom. Le titre même fut changé en « La guerre de libération ». Voilà un film qui a changé de titre, qui n’a plus de réalisateur et qui pour dernier avatar à disparu de la circulation.
Nous avons eu plus de chance avec Tahia Ya Didou. Là aussi nous avons frôlé la disparition corps et âme d’un des meilleurs films du Cinéma Algérien. Ouf ! Il restera dans l’histoire de la Ville. Savez vous que les escaliers derrière la Place Emir Abdelkader sont appelés par les gens du quartier les escaliers Tahia Ya Didou en souvenir de cette scène d’anthologie charlinchapplinesque des enfants qui montent en courant, et qu’une des dernières salles de cinéma qui peut revendiquer cette qualification s’appelle Zinet ? C’est l’administration de la Ville d’Alger qui avait commandé à Zinet ce film. Le tournage commença en 1969, se poursuivit en 1970. Quand les responsables de la ville virent le film ils le rangèrent au fond d’un tiroir avec le mépris pour les artistes, connue de l’administration, obtuse, autoritaire et très souvent inculte. Il faut reconnaître à leur décharge qu’il était difficile de faire de Tahia Ya Didou un dépliant touristique. Le réalisateur s’était laissé submerger par des souvenirs douloureux de la bataille d’Alger qu’il ne pouvait dissocier du petit peuple héroïque de la Casbah. La Cinémathèque batailla pour l’avoir. La Ville assez mercantile pour ça exigeait d’être payée en retour ignorant tout du statut de la Cinémathèque. - Langlois et la Cinémathèque Française piratait et envoyait les films à Alger gratuitement.
Tahia Ya Didou est un film précieux à notre mémoire, irremplaçable. Il filme un peuple (le petit peuple d’Alger comme on dit), une culture, il rend compte d’un langage, de mœurs, de gens, de lieux à jamais disparus. Où est la gouaille du petit peuple de la Casbah ? Ce petit peuple magnifié par la voix de Hadj El Anka, ce petit peuple courageux, frondeur, insolent qui nargue les projets mégalomanes de l’État socialiste aujourd’hui tous démantelés par le libéralisme sauvage, avec bon sens et intelligence. Ce petit peuple enfoui aujourd’hui sous des couches de bigoterie, de fausse religion quand il n’est pas terrorisé par la violence de ses enfants à qui on n’a laissé aucun espoir, voyous, waabistes et Salafistes de tous poils. Si, comme je le pense, le sujet principal du cinéma est le temps et la mémoire alors Tahia Ya Didou est un objet parfait de cinéma. Et de nostalgie. Avant de le voir nous savions déjà que c’était un film précieux. Parce que c’était Zinet. À 9 ans Zinet était monté sur les planches, acteur il alla poussé par la Guerre d’Algérie à travers le monde, 1962 le trouvera en Scandinavie dans le rôle d’Amédée de Ionesco. En 1963 il présenta au public d’Alger sa pièce « Tibelkachoutine ». En 1964 il est assistant sur la Bataille d’Alger de Ponte Corvo. Il est aussi journaliste, humoriste, dessinateur mais ce qu’il y a de plus important pour le cinéma et pour nous dans les bagages du petit homme de la Casbah c’est la liberté. Cette liberté que nous ne connaissions pas nous les Enfants I de l’Algérie pétris par les Grandes causes nationales. Zinet vivait aussi difficile soit-elle sa liberté d’homme. Cette liberté fit de lui un paria dans la société de la Révolution nationaliste et socialiste, souterrainement islamiste. On le retrouva mort sur un trottoir, un matin gris à Paris. Il me disait, « Tous ceux que je rencontre veulent m’offrir à boire, personne ne m’offre à manger. » Quelle est triste la Révolution quand elle laisse mourir ses poètes, et qu’elle empêche ses femmes de danser !
Commentaires de Marion Pasquier
Tahia Ya Didou est l’unique film du comédien Mohammed Zinet. Né d’une commande de la ville d’Alger, qui attendait qu’il soit un documentaire touristique, il ne fut pas du goût des autorités et il n’y eut aucune sortie en salles. Devenu malgré tout un film culte, Tahia Ya Didou est bien plus qu’un documentaire promotionnel. Hommage à la ville d’Alger, à ses habitants, il est doté d’un ton inclassable, cohabitation de comique burlesque et de tragiques réminiscences du passé douloureux du pays.
Du marché au port, des rues aux cafés, la caméra de Mohammed Zinet déambule dans la ville dont elle capte le pouls. Variant les angles, les échelles de plans et les mouvements d’appareil, c’est avec fluidité qu’elle observe les Algérois, sur le visage desquels elle prend souvent le temps de s’attarder. Certains apparaissent plusieurs fois et deviennent ainsi personnages (une ribambelle d’enfants poursuivis par un gendarme bienveillant, un suisse insolite tout juste arrivé en avion, en short, et dépourvu de passeport, un pêcheur de crevettes...). Les portraits esquissés sont souvent drôles, les êtres captent l’intérêt, nous sommes bien immergés dans le mouvement de cette ville.
Fil conducteur de ce tableau d’Alger, les déambulations d’un couple de touristes français. Lui (Simon) a fait la guerre et méprise les algériens (sur des images où ces derniers s’échinent sur des chantiers, le Français explique à sa femme qu’ils sont des fainéants, que tout ce qu’ils savent, ils le doivent aux Français). Elle, émerveillée, est le porte-parole de tous les clichés (elle écrit sur une carte postale combien les enfants sont mignons, la nourriture délicieuse...). Mais la magie du voyage est soudainement rompue, lorsque Simon reconnaît en un homme aveugle l’un de ceux qu’il a torturés pendant la guerre. Tahia Ya Didou date de 1971, et l’on sent des plaies encore ouvertes. Les gens semblent avoir besoin d’évoquer l’occupation et la guerre d’indépendance, ces souvenirs font encore partie de leur quotidien. Capture du temps présent reconvoquant le passé, Tahia Ya Didou est aussi empreint d’une dimension intemporelle, véhiculée par les apparitions récurrentes du poète illuminé Momo. Ses paroles, hymnes à Alger, ne sont pas sous titrées au moment même où il les prononce mais répétées juste après, en français. Nous avons ainsi le loisir de nous imprégner des sonorités de la langue arabe dont on ne comprend pas le sens.
Mêlant avec aisance l’approche documentaire et fictionnelle, la comédie et la tragédie, Mohammed Zinet a donné vie à un film atypique, très vivant, dans lequel on se délecte d’être immergé. Il est ainsi extrêmement regrettable que le négatif de cet opus ait été perdu.
Que voilà une synthèse nécessaire faisant le point des connaissances sur la guerre d’Algérie. Rien « d’iconoclaste » dans la démarche du grand spécialiste du conflit.
Cet ouvrage illustre tout simplement la rigueur de l’historien dans une approche critique de l’historiographie, Ce qui conduit parfois à quelques répétitions et longueurs comme ces 35 pages consacrées à la seule question du 17 octobre 1961 à Paris. Malgré l’absence de cartes, outre une chronologie et une bibliographie-modèle, cette somme comporte des notes scientifiques fournies pour chaque fin de chapitre.
En introduction, Guy Pervillé rappelle combien il est encore difficile pour les Français de considérer la guerre d’Algérie comme un sujet d’histoire en raison de la permanence de la « guerre des mémoires ». Le travail inlassable des historiens des deux côtés de la Méditerranée est encore trop peu connu des politiques et de l’opinion. Articulé en quatre parties, cet ouvrage devrait intéresser tous les enseignants.
En effet, la première partie est le récit explicatif de « l’aventure française en Algérie » depuis François 1er. Et de rappeler qu’une des raisons de l’expédition d’Alger, en 1830, est la reprise de la guerre de courses à partir de 1821 en raison de la révolte grecque contre l’Empire ottoman. L’érudition de l’auteur lui permet d’exhumer des faits très peu connus telle, en 1913, cette première perception du nationalisme au Maghreb (distinct du mouvement des «Jeunes Algériens ») signé par un journaliste de Constantine, André Servier, Le Péril en l’avenir.
A noter également que le 1er août 1942, témoin du racisme inhérent au régime de Vichy, une pancarte apposée à l’entrée de la plage de Zéralda, « Interdit aux juifs et aux arabes », est à l’origine d’une vive protestation conduisant à la rafle de 40 Algériens dont 25 meurent asphyxiés dans les caves de la mairie. Sans pouvoir préciser le nombre de morts (« des milliers ») relatifs à la sanglante répression suivant le 8 mai 1945, thème repris en deuxième partie, Guy Pervillé détruit de main de maître la légende du complot colonialiste.
Il souligne comment la question de la « repentance », à travers l’instrumentalisation de la Fondation du 8 mai 1945, est en fait tardivement évoquée par le FLN, en 1959, puis sert d’exutoire sur fond de guerre civile en 1990-1995. Fine analyse aussi des contradictions du gouvernement Guy Mollet, en 1956, empêtré dans une intensification de la guerre, tout en recherchant une hypothétique « pacification » et des contacts avec l’adversaire du Caire à Rome via Belgrade. Belles pages également sur la politique du général de Gaulle.
Dès 1944 il confie à des proches qu’il est favorable à l’association entre la France et l’Algérie et que toute notion d’autonomie conduira à l’indépendance. C’est bien le discours du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination qui constitue le tournant politique du conflit algérien.
La question des harkis est abordée avec sérénité. Guy Pervillé montre la responsabilité de certains chefs du FLN/ALN en amont : 19 mars, à Saint-Denis-du Sig, en Oranie, premier massacre ; 10 avril 1962 directive de la wilaya 5 sur la vengeance différée après la proclamation de l’indépendance qui verra « le jugement final devant Dieu et devant le peuple qui sera seul responsable de leur sort ».
Toute aussi riche est la deuxième partie consacrée aux « événements et leur réécriture ». Les différentes approches du 20 août 1955 sont développées et les études partielles et partiales critiquées. Guy Pervillé rappelle que « la bataille d’Alger » a bien commencé en 1956 et qu’en janvier 1957 il s’agit d’une grève politique et non insurrectionnelle.
Longs développements, non pas sur la façon dont les 24 000 personnes arrêtées l’ont été, ce qui est à présent bien connu et en marge de la légalité républicaine, mais quid des 3 024 disparus d’Alger et de sa région selon Paul Teitgen et ses proches que l’auteur a interrogés ? Il estime que la question n’est pas encore tranchée. Analyse aussi des plus pertinentes quant à l’importance des manifestations des 7 au 10 décembre 1960, lors du dernier voyage du général de Gaulle en Algérie. Par leur ampleur, elles surprennent le GPRA et les chefs des wilayas.
L’auteur relate aussi la querelle des historiens à propos du 17 octobre 1961 et souligne la valeur scientifique des travaux de Jean-Paul Brunet. Il précise aussi que l’instrumentalisation de cette triste journée est à l’origine de La Marseillaise sifflée le 6 octobre 2001 après la distribution de tracts. Même acuité d’analyse pour Charonne (8 février 1962) et le 19 mars 1962 qui n’est en rien « la fin de la guerre d’Algérie ».
Spécialiste des accords d’Evian, le professeur émérite rappelle qu’ils ne sont qu’une simple étape vers l’indépendance pour les signataires du FLN. Ce qui conduit à leur échec total et aux drames de l’on sait de cette terrible année 1962 d’Oran à Alger, sans oublier les lourdes responsabilités de l’OAS.
Publié à la suite de la synthèse de Remi Dalisson, Guerre d’Algérie, l’impossible commémoration, (janvier 2018), ce livre, dans sa 3e partie, rend compte de la persistance de mémoires antagonistes. Rien n’est oublié de divers types de mémoires et de commémorations pour les Français d’Algérie, les harkis, les anciens combattants algériens des deux guerres mondiales, les illusions perdues du PCA (Parti communiste algérien), les actions des démocrates-chrétiens tel André Mandouze, sans oublier la nébuleuse des « libéraux »… Une des originalités concerne l’étude des scissions à l’intérieur des forces politiques françaises. Hormis le PCF et les groupuscules anarchistes et trotskistes, c’est en 1955 que la gauche se déchire.
A droite, pendant l’été 1957, lors du débat Raymond Aron, Jacques Soustelle et Edmond Michelet, la guerre devient une pomme de discorde. L’auteur souligne aussi que la guerre civile algérienne, MNA contre FLN, à l’inverse d’une idée reçue, ne laisse pas indifférente l’opinion publique métropolitaine. Très riche, le dernier chapitre de cette partie concerne la mémoire algérienne de la guerre d’indépendance, un peu plus libre depuis 1989. Elle intéresse aussi les historiens français depuis l’interrogation sur la nation algérienne qui n’est qu’une vue de l’esprit en 1830. De sorte que la guerre d’Algérie par les débats qu’elle suscite reste un sujet d’une brûlante actualité.
Inattendue, la dernière partie constitue un témoignage personnel relatif à « L’histoire et la mémoire » qui rappelle les contradictions de la politique mémorielle. En distinguant les diverses générations d’historiens (y compris algériens tels Mahfoud Kaddache ou Mohammed Harbi), Guy Pervillé a le mérite de mettre en perspective historique le travail des historiens, dont certains ont glissé vers l’arène politique.
On conçoit que le scientifique prône une histoire dépassionnée. Et ce, sur le modèle du colloque international consensuel tenu à l’Ecole normale de Lyon, en juin 2006, sous la direction du regretté Gilbert Meynier et de Frédéric Abécassis, Pour une histoire critique et citoyenne, au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire, le cas de l’histoire algéro-française.
En bref, à l’image de la conclusion générale, un ouvrage courageux d’une profonde réflexion historienne qui fera date. Pour que la guerre d’Algérie finisse enfin, il faut que chacun d’entre nous se sente concerné et découvre enfin le travail des historiens plus que d’écouter des mémoires qui s’ostracisent l’une l’autre.
Guy Pervillé, Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, Paris, Vendémiaire, novembre 2018, 670 p., 26 euros.
Voici la présentation à lire sur la quatrième de couverture :
"La guerre d’Algérie a pris fin officiellement en mars 1962, avec les accords d’Evian qui prévoyaient, notamment, l’amnistie pour tous les combattants. Or force est de constater que, près de soixante ans plus tard, elle se poursuit, à travers des affrontements mémoriels où les historiens ont souvent été sommés de prendre parti.
Est-il possible aujourd’hui d’écrire une histoire dépassionnée de ce douloureux processus de décolonisation, et des traces qu’il a laissées dans les mémoires collectives ? Est-il possible de ne rien céder aux récits militants, aux récits sélectifs, à la volonté de faire silence autour de certains événements, à l’emportement de la polémique, à l’intime conviction ? Est-il possible de ne pas choisir son camp quand on écrit l’histoire ?
C’est à ces questions essentielles pour la légitimité même de la discipline que tente ici de répondre Guy Pervillé, spécialiste incontesté d’une période à laquelle il a consacré l’ensemble de ses travaux. Conduit par cette seule certitude qu’il n’y a pas de cause qui puisse prévaloir sur la recherche de la vérité.
Guy Pervillé est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse-le Mirail, spécialiste de l’histoire de l’Algérie coloniale ainsi que de la guerre d’Algérie. Il a notamment publié La guerre d’Algérie(Que-sais-je ?, 2007), Atlas de la guerre d’Algérie (Autrement, 2003), ainsi que chez Vendémiaire La France en Algérie, 1830-1954 (2012) et Oran 5 juillet 1962, leçon d’histoire sur un massacre (2014)".
Un premier et bref compte rendu se trouve dans un article consacré par la revue L’Histoire aux publications récentes concernant la guerre d’Algérie : "Algérie, chantiers ouverts. De nouvelles publications témoignent de la vitalité de la recherche sur ce pays", L’Histoire n° 454, décembre 2018, p 80 :
" (...) Guy Pervillé, lui, continue de s’interroger sur les liens entre mémoires(s) et histoire. Après le récit des relations entre la France et l’Algérie(1830-1962) et le passage en revue des grands enjeux historiographiques, il aborde les affrontements mémoriels. Dans la dernière partie, il se livre à un essai d’auto-histoire, s’accusant - de façon touchante - de naïveté pour avoir cru que la guerre d’Algérie pouvait être un sujet comme un autre." (...)
Christelle Taraud, membre du Centre d’histoire du XIXème siècle (Paris-I, Paris IV)
On trouve, depuis le 7 novembre dernier, un premier compte rendu détaillé par Adam Craponne sur le site "Grégoire de Tours" (https://www.gregoiredetours.fr/autres-civilisations/civilisations-islamiques/guy-perville-histoire-iconoclaste-de-la-guerre-d-algerie-et-de-sa-memoire/) :
" En fait Guy Pervillé avance, dans sa conclusion, que les conséquences de la Guerre d’Algérie pèsent encore sur le destin de ce dernier pays et qu’en France certains auraient presque tendance à croire que les hostilités n’ont jamais cessé entre ces deux pays des deux côtés de la Méditerranée (un certain discours contre les Maghrébins ou plus largement contre les musulmans, renouvelant d’ailleurs les détails destinés à entretenir la haine, ceci étant une réflexion personnelle).
Il n’est pas sûr, les antagonismes passant d’une génération à l’autre malheureusement, que dans le grand public des deux pays, on soit prêt à accepter un discours historique".
Et aussi un résumé très détaillé sur le site "Les Clionautes" par Christiane Peyronnard (https://clio-cr.clionautes.org/histoire-iconoclaste-de-la-guerre-dalgerie-et-de-sa-memoire.html).
Puis un compte rendu anonyme placé le 17 décembre 2018 sur le site sur le site Guerres et conflits (http://guerres-et-conflits.over-blog.com/), et sous le titre "Dépasser les passions" :
"Un ouvrage qui va marquer l’historiographie de la guerre d’Algérie car, au-delà du simple récit chronologique des évènements, l’auteur s’attache avec un soin particulier à rechercher les fondements de mémoires antagonistes persistantes et à évaluer les rapports entre mémoire(s) et histoire.
Le livre est ainsi organisé en quatre grandes parties nettement distinctes : un rappel des relations entre la France et l’Algérie dans le temps long ("L’aventure française en Algérie : un récit explicatif"), la guerre d’Algérie elle-même entre 1954 et 1962 ("Les évènements et leur réécriture"), une approche de mémoires profondément contradictoires, métropolitaine, pied-noir, anciens combattants, algérienne(s), etc. ("Mémoires antagonistes") et une originale dernière partie consacrée à la bibliographie et aux historiens de la guerre d’Algérie, avec la place parfois envahissante du politique ("L’histoire et la mémoire dans le cas de la guerre d’Algérie : un témoignage personnel"). Chaque partie se termine sur un appareil critique de notes de référence et sur une conclusion partielle. Les responsabilités politiques ne sont jamais tues et les errements autour des accords d’Evian soulignés. La conclusion finale tente de faire le tri entre devoir de mémoire, devoir de justice et devoir d’histoire, entre engagement politique et engagement d’historien. Le livre se termine sur plus de 35 pages de références, sources et bibliographie, véritable mine où pourrons piocher tous ceux qui veulent aller plus loin.
Un livre qui se termine sur le constat (un peu désabusé) d’un verrouillage du discours public par les autorités algériennes, une "langue de bois" qui interdit pour l’instant tout progrès dans l’apaisement des mémoires".
Mais depuis le 13 décembre, le compte rendu le plus détaillé se trouve dans le quotidien algérien Le Matin d’Algérie(http://www.lematindalgerie.com/histoire-iconoclaste-de-la-guerre-dalgerie-et-de-sa-memoire-de-guy-perville) :
"Que voilà une synthèse nécessaire faisant le point des connaissances sur la guerre d’Algérie. Rien « d’iconoclaste » dans la démarche du grand spécialiste du conflit.
Cet ouvrage illustre tout simplement la rigueur de l’historien dans une approche critique de l’historiographie, ce qui conduit parfois à quelques répétitions et longueurs comme ces 35 pages consacrées à la seule question du 17 octobre 1961 à Paris. Malgré l’absence de cartes, outre une chronologie et une bibliographie-modèle, cette somme comporte des notes scientifiques fournies pour chaque fin de chapitre.
En introduction, Guy Pervillé rappelle combien il est encore difficile pour les Français de considérer la guerre d’Algérie comme un sujet d’histoire en raison de la permanence de la « guerre des mémoires ». Le travail inlassable des historiens des deux côtés de la Méditerranée est encore trop peu connu des politiques et de l’opinion. Articulé en quatre parties, cet ouvrage devrait intéresser tous les enseignants.
En effet, la première partie est le récit explicatif de « l’aventure française en Algérie » depuis François 1er. Et de rappeler qu’une des raisons de l’expédition d’Alger, en 1830, est la reprise de la guerre de courses à partir de 1821 en raison de la révolte grecque contre l’Empire ottoman. L’érudition de l’auteur lui permet d’exhumer des faits très peu connus telle, en 1913, cette première perception du nationalisme au Maghreb (distinct du mouvement des « Jeunes Algériens ») signé par un journaliste de Constantine, André Servier, Le Péril de l’avenir.
A noter également que le 1er août 1942, témoin du racisme inhérent au régime de Vichy, une pancarte apposée à l’entrée de la plage de Zéralda, « Interdit aux juifs et aux arabes », est à l’origine d’une vive protestation conduisant à la rafle de 40 Algériens dont 25 meurent asphyxiés dans les caves de la mairie. Sans pouvoir préciser le nombre de morts (« des milliers ») relatifs à la sanglante répression suivant le 8 mai 1945, thème repris en deuxième partie, Guy Pervillé détruit de main de maître la légende du complot colonialiste.
Il souligne comment la question de la « repentance », à travers l’instrumentalisation de la Fondation du 8 mai 1945, est en fait tardivement évoquée par le FLN, en 1959, puis sert d’exutoire sur fond de guerre civile en 1990-1995. Fine analyse aussi des contradictions du gouvernement Guy Mollet, en 1956, empêtré dans une intensification de la guerre, tout en recherchant une hypothétique « pacification » et des contacts avec l’adversaire du Caire à Rome via Belgrade. Belles pages également sur la politique du général de Gaulle.
Dès 1944 il confie à des proches qu’il est favorable à l’association entre la France et l’Algérie et que toute notion d’autonomie conduira à l’indépendance. C’est bien le discours du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination qui constitue le tournant politique du conflit algérien.
La question des harkis est abordée avec sérénité. Guy Pervillé montre la responsabilité de certains chefs du FLN/ALN en amont : 19 mars, à Saint-Denis-du Sig, en Oranie, premier massacre ; 10 avril 1962 directive de la wilaya 5 sur la vengeance différée après la proclamation de l’indépendance qui verra « le jugement final devant Dieu et devant le peuple qui sera seul responsable de leur sort ».
Toute aussi riche est la deuxième partie consacrée aux « événements et leur réécriture ». Les différentes approches du 20 août 1955 sont développées et les études partielles et partiales critiquées. Guy Pervillé rappelle que « la bataille d’Alger » a bien commencé en 1956 et qu’en janvier 1957 il s’agit d’une grève politique et non insurrectionnelle.
Longs développements, non pas sur la façon dont les 24 000 personnes arrêtées l’ont été, ce qui est à présent bien connu et en marge de la légalité républicaine, mais quid des 3 024 disparus d’Alger et de sa région selon Paul Teitgen et ses proches que l’auteur a interrogés ? Il estime que la question n’est pas encore tranchée. Analyse aussi des plus pertinentes quant à l’importance des manifestations des 7 au 10 décembre 1960, lors du dernier voyage du général de Gaulle en Algérie. Par leur ampleur, elles surprennent le GPRA et les chefs des wilayas.
L’auteur relate aussi la querelle des historiens à propos du 17 octobre 1961 et souligne la valeur scientifique des travaux de Jean-Paul Brunet. Il précise aussi que l’instrumentalisation de cette triste journée est à l’origine de La Marseillaise sifflée le 6 octobre 2001 après la distribution de tracts. Même acuité d’analyse pour Charonne (8 février 1962) et le 19 mars 1962 qui n’est en rien « la fin de la guerre d’Algérie ».
Spécialiste des accords d’Evian, le professeur émérite rappelle qu’ils ne sont qu’une simple étape vers l’indépendance pour les signataires du FLN. Ce qui conduit à leur échec total et aux drames de l’on sait de cette terrible année 1962 d’Oran à Alger, sans oublier les lourdes responsabilités de l’OAS.
Publié à la suite de la synthèse de Remi Dalisson, Guerre d’Algérie, l’impossible commémoration, (janvier 2018), ce livre, dans sa 3e partie, rend compte de la persistance de mémoires antagonistes. Rien n’est oublié de divers types de mémoires et de commémorations pour les Français d’Algérie, les harkis, les anciens combattants algériens des deux guerres mondiales, les illusions perdues du PCA (Parti communiste algérien), les actions des démocrates-chrétiens tel André Mandouze, sans oublier la nébuleuse des « libéraux »... Une des originalités concerne l’étude des scissions à l’intérieur des forces politiques françaises. Hormis le PCF et les groupuscules anarchistes et trotskistes, c’est en 1955 que la gauche se déchire.
A droite, pendant l’été 1957, lors du débat Raymond Aron, Jacques Soustelle et Edmond Michelet, la guerre devient une pomme de discorde. L’auteur souligne aussi que la guerre civile algérienne, MNA contre FLN, à l’inverse d’une idée reçue, ne laisse pas indifférente l’opinion publique métropolitaine. Très riche, le dernier chapitre de cette partie concerne la mémoire algérienne de la guerre d’indépendance, un peu plus libre depuis 1989. Elle intéresse aussi les historiens français depuis l’interrogation sur la nation algérienne qui n’est qu’une vue de l’esprit en 1830. De sorte que la guerre d’Algérie par les débats qu’elle suscite reste un sujet d’une brûlante actualité.
Inattendue, la dernière partie constitue un témoignage personnel relatif à « L’histoire et la mémoire » qui rappelle les contradictions de la politique mémorielle. En distinguant les diverses générations d’historiens (y compris algériens tels Mahfoud Kaddache ou Mohammed Harbi), Guy Pervillé a le mérite de mettre en perspective historique le travail des historiens, dont certains ont glissé vers l’arène politique.
On conçoit que le scientifique prône une histoire dépassionnée. Et ce, sur le modèle du colloque international consensuel tenu à l’Ecole normale de Lyon, en juin 2006, sous la direction du regretté Gilbert Meynier et de Frédéric Abécassis, Pour une histoire critique et citoyenne, au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire, le cas de l’histoire algéro-française.
En bref, à l’image de la conclusion générale, un ouvrage courageux d’une profonde réflexion historienne qui fera date. Pour que la guerre d’Algérie finisse enfin, il faut que chacun d’entre nous se sente concerné et découvre enfin le travail des historiens plus que d’écouter des mémoires qui s’ostracisent l’une l’autre.
Une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l'oppression coloniale en Algérie
Psychanalyste, Karima Lazali a mené une singulière enquête sur ce que la colonisation française a fait à la société algérienne, enquête dont elle restitue les résultats dans ce livre étonnant. Car elle a constaté chez ses patient∙e∙s des troubles dont rend mal compte la théorie psychanalytique. Et que seuls les effets profonds du « trauma colonial » permettent de comprendre : plus d’un demi-siècle après l’indépendance, les subjectivités continuent à se débattre dans des blancs de mémoire et de parole, en Algérie comme en France.
Elle montre ce que ces « blancs » doivent à l’extrême violence de la colonisation : exterminations de masse dont la mémoire enfouie n’a jamais disparu, falsifications des généalogies à la fin du XIXe siècle, sentiment massif que les individus sont réduits à des corps sans nom... La « colonialité » fut une machine à produire des effacements mémoriels allant jusqu’à falsifier le sens de l’histoire. Et en cherchant à détruire l’univers symbolique de l’« indigène », elle a notamment mis à mal la fonction paternelle : « Leurs colonisateurs ont changé les Algériens en fils de personne » (Mohammed Dib). Mais cet impossible à refouler ressurgit inlassablement. Et c’est l’une des clés, explique l’auteure, de la permanence du « fratricide » dans l’espace politique algérien : les fils frappés d’illégitimité mènent entre frères une guerre terrible, comme l’illustrent le conflit tragique FLN/MNA lors de la guerre d’indépendance ou la guerre intérieure des années 1990, qui fut aussi une terreur d’État.
Une démonstration impressionnante, où l’analyse clinique est constamment étayée par les travaux d’historiens, par les études d’acteurs engagés (comme Frantz Fanon) et, surtout, par une relecture novatrice des œuvres d’écrivains algériens de langue française (Kateb Yacine, Mohammed Dib, Nabile Farès, Mouloud Mammeri…).
« En Algérie, des générations d’êtres humains ont vécu dans la hantise de la disparition »
La psychanalyste et écrivaine Karima Lazali analyse les conséquences psychiques d’une histoire coloniale verrouillée.
Psychanalyste à Paris et à Alger, Karima Lazali a mené une enquête singulière sur les effets de l’oppression coloniale en Algérie.
Dans son ouvrage Le Trauma colonial (éd. de La Découverte, 2018), l’auteure mêle psychanalyse, histoire et littérature pour expliquer comment, plus d’un demi-siècle après l’indépendance, les individus continuent à souffrir d’une histoire confisquée.
Comment vous est venue l’idée de ce livre ?
Karima Lazali J’exerce comme psychanalyste à Paris mais aussi à Alger depuis 2006, et je me suis rendue compte que mon travail y était très différent. Il y a là-bas des constantes spécifiques : un sentiment d’accablement, un malaise, une difficulté à parler librement et un état de peur intérieur. En résumé, un régime de censure intérieure dont les sources sont multiples : la famille, la religion – ou plutôt ce que j’appelle la moralisation du religieux –, le politique.
J’ai donc cherché à en comprendre les raisons. Dans mon premier livre, La Parole oubliée (éd. Erès, 2015), j’ai travaillé sur la guerre civile [la décennie 1990] et comment une société avait basculé dans la barbarie. Mais je ne comprenais toujours pas comment s’était construite cette déflagration que j’observais chez les individus où l’immobilisme peut côtoyer un fabuleux dynamisme. Il faut pour cela remonter les fils du temps. Comprendre comment au gré des générations, une catastrophe, quelque chose de grave, a eu lieu, qui a impacté les subjectivités, le social, le pouvoir politique – lui aussi malade en Algérie –. Et je suis arrivée aux effets de la colonisation.
De quelles façons ce traumatisme se manifeste-t-il ?
Notamment par un rapport souffrant à l’Histoire et à la mémoire. C’est le cas pour la période de la guerre civile – que je qualifie de guerre intérieure-, mais c’est aussi le cas pour celle de la colonisation. Celle-ci est omniprésente dans les discours mais sans jamais permettre d’accéder à un autre sentiment que celui de l’offense coloniale. Tout se passe comme si rien de « ce passé n’était véritablement passé ».
L’archivage dans la mémoire collective est en panne ici et là-bas et cette situation a des incidences majeures sur les individus en Algérie dont la difficulté à construire du commun et du collectif. Une réinvention de l’identitaire n’a pu se produire malgré l’indépendance. Cela conduit à penser que cette sur-présence du colonial masque un défaut pour penser et se vivre autrement que dans l’héroïsation et la glorification des « martyrs » en lien avec ce très long épisode de l’histoire -132 ans-. Cette forme d’amputation de la mémoire n’a fait que reconduire un régime de sous citoyenneté dans la société algérienne contemporaine. Dès l’émergence des mouvements nationaux, le fratricide a été utilisé en interne en lieu et place d’une pensée politique plurielle, cela a atteint son paroxysme au moment de la guerre intérieure. Jusqu’à ce jour, le fratricide continue à structurer la vie politique algérienne. Il m’était nécessaire de rechercher les sources et les origines du fratricide et ses conséquences sur les individus et le vivre ensemble.
L’effacement des traces de destruction, de falsification et de meurtres est le propre du système colonial. Il pratique la suppression de l’archivage. Sur le plan historique, la colonialité a fait comme si l’Algérie commençait au temps zéro de la colonisation, que ce territoire était vierge d’histoire, de savoir et de structure sociale.
Un autre effacement est lié à la colonie de peuplement. Le système colonial a pour objectif d’inverser le nombre de naissances pour que les colons soient plus nombreux que les Indigènes. Il s’agit de « blanchir » le territoire. Le mot est à entendre dans les deux sens : installer une majorité de Blancs, mais aussi faire table rase de l’existant. On se focalise sur la guerre de libération contre la France [1954-1962], mais ce n’est que la fin d’un long processus. De la conquête coloniale [1830] à l’indépendance, un tiers de la population algérienne a disparu : dans les meurtres de masse, les enfumages de grottes, les maladies, la faim.
Autre type d’effacement : la renomination des Indigènes lors de l’inscription à l’état civil. Celle-ci a permis le contrôle de la population, mais aussi les expropriations de terres (dans le système tribal, les terres étaient un bien collectif). La renomination des lieux est également terrible : l’Algérien devient l’étranger sur son propre territoire. Dans ces conditions, comment reconnaître au fil des générations qu’il y a eu un avant et un après ? Vous vous retrouvez quasiment sans histoire ou avec une histoire qui fait de vous presque un objet. Des générations d’êtres humains ont vécu dans cette hantise de la disparition.
En quoi cela continue-t-il d’impacter la société actuelle ?
Concrètement, ça se traduit pour les individus par une difficulté à s’autoriser à vivre librement. Les relations sociales continuent à être pensées sur le mode de la domination, de l’offense, de la hantise d’une catastrophe à venir. Construire une histoire collective plurielle est très difficile, à commencer par le fait que le pouvoir politique maintient caché le fratricide qui le structure depuis l’émergence des mouvements nationaux.
L’accent mis sur la guerre d’indépendance sert d’écran à une longue guerre intérieure, résultant en grande partie des désastres causés par le colonial, en particulier l’immense sentiment d’illégitimité causé par les effacements généalogiques au moment de l’établissement de l’Etat civil français pour les « indigènes ».
Dans la mesure où rien n’a été élaboré à l’indépendance de ce qu’a été ce trauma colonial, il a été impossible de sortir des censures, de cette non-citoyenneté, du non-lieu de la loi. L’impunité des crimes coloniaux lors des accords d’Evian n’a fait qu’être prolongé par la loi dite de « la concorde civile » après la guerre intérieure des années 1990 faisant du crime un non-lieu.
Dans ce système, quel est le rôle du religieux ?
Le religieux vient fonctionner là où la loi est défaillante pour protéger les humains de la barbarie et de l’aléatoire du crime. Dans la société contemporaine, ce qui prédomine n’est plus le religieux, mais la moralisation du religieux. Le religieux est réduit à un seul niveau, celui de la morale. Ce qui est autorisé, ce qui est interdit. Et vous réglez vos comportements en fonction de ça. C’est un religieux qui opère comme une censure, mais aussi comme un remède à ce qui n’a pas pu être traité par ailleurs. On en appelle à Dieu de manière conjuratoire par rapport à une menace.
L’histoire, la psychanalyse, la littérature. Pourquoi avoir choisi de mêler différentes disciplines dans vos travaux ?
Il n’y a pas de travaux sur le trauma colonial dans le champ du soin psychique. Il y a des travaux sur la seconde guerre mondiale, sur l’héritage traumatique de la Shoah, sur le génocide arménien mais rien, en France, sur la particularité de la colonialité sur le plan psychique, sur comment cette histoire se transmet de génération en génération.
La psychanalyse seule ne pouvait pas grand-chose, je me suis donc tournée vers les historiens. J’ai été saisie par le fait que les nombreux travaux des historiens en France n’ont rien transformé du traitement de l’histoire coloniale dans la société. Il y a toujours une difficulté à parler de la colonisation sans être pris dans le registre de la passion, de la revendication, de la plainte ou de l’offense, y compris pour des Français qui n’ont pas été directement touchés par cette histoire. Malgré leur grand intérêt, ces travaux d’historiens ne permettent pas de changer les mentalités. Il y a, en France comme en Algérie, une mise sous scellé de l’Histoire par le politique. En France, on fait comme si l’histoire coloniale ne concernait que les minorités, et non l’intégralité de la population française. En Algérie, les mentalités restent captives de l’offense et de la catastrophe à venir. On est dans la glorification de la guerre de libération. Le résultat, c’est une mémoire brouillée et confuse pour les générations qui en héritent, c’est-à-dire pour les deux populations française et algérienne dans leur ensemble.
Ensuite, si ces travaux d’historiens m’ont été utiles, en tant que psychanalyste, ils ne me disaient rien des subjectivités impactées et brisées. Dans l’Algérie contemporaine, ce sont les écrivains qui portent ce projet de retrouver les traces de l’effacement et de donner à penser. Il y a tout une histoire de la littéraire algérienne de langue française qui est née d’un refus de l’asservissement et de l’urgence de trouver les traces intimes de la catastrophe collective. Cette littérature fait parler les faits d’histoire, offre une analyse et une compréhension de ce qui s’est passé. Les écrivains algériens sont presque les soignants du collectif, à contre-courant de l’injonction politique.
Propos recueillis par Charlotte Bozonnet, Publié le 26 Janvier 2019
Si vous êtes algériens et que la situation actuelle vous angoisse parce que vous ne comprenez pas cette invisibilité qui fait peur et paralyse, alors il faut absolument lire “Le trauma colonial”, de Karima Lazali
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Ghania Mouffok
Si vous voulez comprendre ce qui se joue autour de la manière dont les dirigeants algériens se succèdent en s’entretuent physiquement et symboliquement, d’hier à aujourd’hui, si vous voulez répondre à cette question obsédante, “qui est qui ?” et si en plus vous êtes algériens et que la situation actuelle vous angoisse parce que vous ne comprenez pas cette invisibilité qui fait peur et paralyse, alors il faut absolument lire “Le trauma colonial”, de Karima Lazali et suivre son incroyable enquête sur les “effets psychiques et politiques contemporains de l’oppression coloniale en Algérie”.
Questionner ce qui se cache, c’est le métier de Karima Lazali, psychologue clinicienne et psychanalyste qui, depuis 17 ans, entre Alger et Paris, analyse ce qui se refuse au dévoilement chez chacun de ces algérien.nes qui viennent la consulter pour sortir des lourds tunnels de la souffrance. Depuis cette longue pratique s’élabore un premier constat doublé d’une impuissance. Si les algérien.nes, arrivent dans son cabinet de consultation comme le reste du monde avec leurs censeurs, leurs interdits, la famille, la religion, la politique, censeurs dont normalement au cours d’une cure analytique on finit par se débarrasser pour enfin aborder la construction de ce que l’auteure appelle “sa subjectivité”, elle constate que malheureusement face à ces analysés, algérien.nes, cette séparation ne s’opère pas. Impossible de décoller l’Un de ses très nombreux colocataires, cet Autre.
“Qui est qui ?” et “qui suis-je ? moi tout seul”, répondre à cette question, ici, n’est pas existentiel, mais une question de santé mentale.
Mais le malaise devient encore plus complexe quand elle analyse les détournements, les arrangements que met en branle le souffrant pour contourner ces féroces censeurs et faire quand même ce qu’il “est interdit de faire”. Mensonges, dissimulations hypocrites, les stratégies sont multiples pour rendre invisible la transgression de ce qui est interdit.
Des stratégies d’invisibilité, nous dit l’auteure, qui se retrouvent aussi bien dans la sphère de l’intime que de la chose publique, la politique, dans de multiples cachettes qui tout en permettant aux individus de vivre ensemble sans se mettre en danger ne font que reproduire l’ordre établi moral, religieux et politique. Sans parole, ni intime, ni publique, ces transgressions individuelles et secrètes n’ébranlent pas la Cité du mensonge mais au contraire la renforcent dans une invisibilité destructrice d’individualité et donc de citoyenneté. Comment se construisent ces subjectivités “troublées et agissantes” quand comme en Algérie “le sujet vise en permanence un dépassement de l’histoire et pourtant au moment où il est censé s’en libérer, il s’y réenglue et s’en sert de couverture” comme “on fuit”, “se dérobe” à “toute question portant sur sa responsabilité”? Plutôt se retourner contre son corps avec une psyché aussi encombrée que de prendre le risque de tout faire exploser en s’affirmant singulier ?
Y aurait-il, interroge l’enquêtrice, dans ces impossibilités et ses contournements, dans ces douloureux arrangements, une singularité algérienne ? Et de quoi cette peur insurmontable de se vivre pleinement, libre et singulier est -elle le nom dans la dictature du mensonge ?
Comment faire parler le “Je” ?
Et puisque le “Je” refuse de se dévoiler, notre clinicienne se tourne alors vers ses indécollables colocataires, la famille, la politique, la religion etc. qui l’habitent pour questionner les fondations de la toute puissante Maison des souffrances qui transperce et qui cloue les histoires individuelles à l’histoire d’une nation.
Une nation, faut-il le rappeler dont les frontières géographiques ont été dessinées par et avec le colonialisme, au point de se demander, à la lecture de K.Lazali, si elles n’ont pas fini par se confondre avec la construction de cette Maison de souffrances, entraînant ce que l’auteure appelle :“Le trauma colonial”.
Lire cette enquête “sur les effets psychiques et politiques contemporains de l’oppression coloniale” est, aussi bien par sa démarche que par ses conclusions, tout simplement vertigineux.
Un vertige perturbant qui révèle non pas pour la nième fois les méfaits du colonialisme mais ce qu’il a laissé derrière lui comme une bombe à fragmentation qui, quand elle explose, n’épargne ni les corps, ni la terre, ni le passé, ni le présent et peut être même pas le futur.
Aussi que l’on ne s’y trompe pas, si cet ouvrage interroge le passé, c’est pour mieux interroger le présent. Parce qu’il y a aujourd’hui en Algérie, une urgence à soigner un pays qui vient de vivre l’une des séquences de son histoire les plus sidérantes. Nous nous sommes entretués (années 90/2000), massivement et dans une violence inouïe, spectaculaire, lors de ce que l’auteure nomme, avec une belle justesse « la guerre intérieure ». Sans ce drame majeur, ce livre n’aurait pas la puissance qu’il prend aujourd’hui : « Les questions relevant du « comment en sommes- nous arrivés là ? », et « pourquoi ce déferlement de pertes hémorragiques ? » - les morts, les disparus, les massacres et la barbarie - restaient en souffrance. Un désarroi massif s’est répandu, à partir de la dimension collective d’une détresse envahissante et insaisissable. Les bords du dedans et du dehors, si protecteurs habituellement, devenaient fragiles et poreux. » Et l’auteure de conclure : « Cette situation nous conduit à penser que nous avons affaire à des subjectivités qui véhiculent un grave « trauma social », dont les causes et les remèdes se cherchent encore. »
Alors elle cherche et appelle ce trauma, “le trauma colonial”, la piste de ce trauma étant là presque évidente tant elle traverse aussi bien, les souffrants français que les souffrants algériens qui la renvoient à l’histoire coloniale.
Et de s’interroger : Ce trauma a-t-il une histoire ? Et se transmettrait-il de génération en génération ?
De l’impensé au trauma
Pour répondre à cette énorme question notre clinicienne se transforme alors en archéologue à la recherche des traces de cette déflagration, l’irruption coloniale, qui se cache entre “les vides”, les silences, et les “trop pleins” de récits mystifiés qui entre l’Algérie et la France se partagent, sans faire miroir, l’impensé, cet art d’effacer au service de la politique.
L’impensé de la politique coloniale et son récit civilisateur qui plonge les souffrants français dans un océan de perplexité, eux aussi habités par cette Histoire, sans parole, qu’ils n’ont pas faite mais dont ils retrouvent héritiers, malades de culpabilité. L’impensé de la politique à l’algérienne devenue indépendante et libre, croit-elle, de s’écrire alors qu’elle interdit à son tour de questionner ce qui, dans cet énorme magma, de la colonialité à la guerre de libération nationale, a été reçu en héritage, individuellement, de cette bombe à fragmentation. Interdit de penser et donc de réparer. Il ne s’agit pas ici de déclarer toutes les souffrances égales mais d’éclairer le rapport historique et malsain qu’elles entretiennent et qu’elles transmettent, peut-être, de génération en génération.
Dans un tel contexte, il ne s’agit plus pour réparer en clinicienne de faire ”(…) un travail de déconstruction mais bien de construction de traces, restées hors mémoire.”
Mais où trouver ces fragments de la bombe, de la déflagration totale quand s’installe ce que l’auteure appelle, “la colonialité”, plutôt que le colonialisme, pour éclairer un rapport scellé entre celui qui a pris la place, le colon, et celui, condamné depuis, à chercher sa place, le colonisé. Dans l’Histoire bien sûr, mais surtout, dans la littérature, et c’est là que s’élabore toute l’originalité, le travail novateur et bienveillant de cet ouvrage, avec une belle intelligence (au sens de rendre intelligible), un engagement personnel, (l’auteure ne craignant pas de dire “Je”) et un véritable courage politique. C’est là qu’opère l’alchimie.
Ce qui est impensé n’est pas vide.
La physique ne nous apprend-t-elle pas que “le vide a d’autres propriétés que celle de ne rien contenir ?” Et Karima Lazali fait le pari que la littérature peut le prouver. Et elle le prouve. Sous le regard étonné, bouleversé du lecteur, de la lectrice, dans un va et vient presque clinique avec l’histoire, l’écriture ainsi éclairée de chaque auteur, tous de graphie française, de chaque œuvre se révèle un champ de fragments de la bombe. Les traces sont là. Surprenant, jamais la littérature algérienne de langue française ne nous avait été révélée ainsi.
Chaque écrivain, Kateb Yacine, Nabile Farès, Jean Mouhoub Amrouche, Yamina Mechakra, Samir Toumi, Amellal, Salim Bachi, Tahar Djaout, le chercheur d’os assassiné, les anciens et les nouveaux servant ainsi de parolier singulier à la longue litanie des plaintes et des souffrances d’algériens et d’algérienne, faisant presque office des paroles confidentielles des souffrants algériens en analyse. Car, nous dit l’auteure, “l’histoire ne parle pas seule, ce sont les sujets qui la font parler et, dans le meilleur des cas, ils en disputent l’interprétation aux historiens et aux politiques.”
Relire ces auteurs sous cet éclairage, dans une belle alliance entre l’écrivain “qui écrit” et « la psychanalyste qui “lit ce qui dans le texte se loge dans le blanc des marges”, une toile de fond se tisse, se ligue et dévoile ce “qui a été et continue d’être effacé par le politique.”
Lire ce travail c’est comme assister à la naissance, à la construction de cette subjectivité indigène colonisée qui ne se dérobe plus.
Et ce dévoilement témoigne pour tous que la colonialité est toujours là, à l’œuvre, elle n’est pas l’histoire mais son effet « (...) pleinement incluse dans les subjectivités. »
Et l’un de ses effets, nous apprend l’analyste, le plus meurtrier serait, au cœur du trauma colonial : la peur de disparaître.
D’abord parce que l’entreprise coloniale a œuvré à cette disparition, dans une violence terrifiante, à la fois physique et symbolique, entre colonie de peuplement (de remplacement ?) expropriation massive de la terre des ancêtres, effacements des traces des ancêtres, langue, culture, jusqu’à la manière de les (re)nommer. Mais pas seulement, à l’indépendance, le politique n’a pas permis d’honorer nos morts et nos disparus : « Les désastres de la guerre de conquête sont très rarement mentionnés et le fait qu’un tiers de la population ait alors disparu semble relever d’un oubli. »
La peur de disparaître qui déborde notre conscience pour faire trembler nos corps ce n’est pas la peur de la mort, c’est pire, c’est la crainte de rejoindre ce deuil impossible de tous ces morts qui nous « possèdent » parce que les ayant laissés sans sépulture nous n’avons pas témoigné qu’ils étaient morts. « (…) Ce qui a disparu fleurit au détriment de ce qui va naître. », écrit K. Yacine en véritable maitre éclaireur de l’ombre.
« Les sujets sont assiégés dans leur intériorité par l’esprit de la disparition. Là se loge le véritable « pacte colonial », qui maintient les vivants à une place d’ombre d’eux-mêmes. Les vivants sont captifs d’une forme de fascination problématique : comment donc quitter ses disparus en l’absence d’un ensevelissement collectif. » Des disparus qui s’accumulent pendant qu’il est encore et toujours interdit par décrets de parler des malheurs depuis la colonisation à la libération jusqu’à la guerre intérieure.
Il y aurait là, ajoute l’auteure, comme une continuité du pacte colonial dans la manière de gouverner de l’Algérie coloniale à l’Algérie indépendante : fabriquer des disparus et les faire disparaître. Effacement des mémoires. Une épouvantable fabrique de la peur et donc de l’inertie.
Et l’auteure de nous inviter à reconnaître la part sombre de ce pacte : notre responsabilité contemporaine dans la fabrication de la colonialité.
Comment s’en libérer collectivement et individuellement ?
D’autant plus que la gouvernance de l’Algérie indépendante souffre d’une autre perte incrustée dans nos mémoires, silencieuse comme un autre fragment de bombe : la perte du père.
Sans père, sans loi pour dire la filiation, pour désigner le successeur, ”’effraction coloniale qui a orchestré la disparition des pères et leur déchétisation a plongé les fils dans une situation impossible dont le fratricide résulte”.
Les fils errants s’entretuant et se succédant depuis dans l’illégitimité telle une constante nationale invisible, de l’assassinat d’Abane Ramdane (1957), le massacre de Melouza, jusqu’à l’assassinat, de Mohamed Boudiaf (1992) et le massacre de Bentalha au cœur de la “guerre intérieure”.
Alors, conclut Karima Lazali : “Il serait maintenant bienvenu de se donner les moyens de faire du trauma une source de perpétuelles inventions pour la pensée et la politique. ”
C’est ce qu’elle a fait, en véritable maîtresse éclaireuse de l’ombre, et pour la subjectivité indigène que je suis c’est magistral.
“Le Trauma colonial, une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporain de l’oppression coloniale en Algérie”, éd. La Découverte (France). Ed Koukou (Algérie) 2018
Nous sommes tous intimement liés à l'Histoire. Qu'on le veuille ou non, elle nous imprègne. Elle nous façonne. Nous ne devons pas grand-chose à nos ancêtres Gaulois, qui ont laissé infiniment moins de traces que les envahisseurs romains; nous sommes faits avant tout de ce que l'Histoire contemporaine nous a légué. De même que la défaite de 1870 et la perte de l'Alsace-Lorraine ont longtemps nourri des sentiments anti-allemands qui aujourd'hui encore persistent, de même que le bombardement de la flotte française à Mers-el-Kébir par la Royal Navy continue confusément à entretenir par transmission l'anglophobie de nombre de Français, la guerre d'Algérie n'en finit pas de peser sur les mémoires comme dans l'inconscient national, suscitant ici la nostalgie, le regret, la honte, là le ressentiment, la stigmatisation, une haine mal contenue englobant sans distinction tous les citoyens originaires du Maghreb et étendue bien au-delà de la frontière des générations.
Il y a des signes qui ne trompent pas. Et le vocabulaire en fait partie. Selon la façon dont nous avons choisi de nommer l'Autre, il est aisé de mesurer ce qui nous en sépare. C'est l'étendue, la richessse de l'invention langagière qui permet le mieux d'apprécier le degré d'hostilité, de mépris, de rejet de l'Etranger : ennemi, envahisseur, indésirable. Chaque conflit, chaque vague d'immigration a stimulé cette créativité singulière. L'Occupation allemande avait été une formidable source d'inspiration. Mais force est de constater que le Maghrébin est, depuis des décennies, le détenteur incontesté du plus grand nombre d'appellations péjoratives, méprisantes ou injurieuses... L'Histoire, encore une fois, est passée par là...
ON LES APPELAIT LES SIDIS
Lorsque j'étais petit garçon, on en voyait peu. Ils faisaient partie de ces personnages pittoresques qui exerçaient leur métier sur le pavé : le vitrier, le rémouleur, le collecteur de peaux de lapin - ou encore l'allumeur de réverbères, ce visiteur du soir silencieux qui circulait à bicyclette, sa longue perche à la main. « Eux », on les appelait les "Sidis" - ça se voulait plutôt gentil, bien qu'un peu condescendant. Ils faisaient l'article au porte-à-porte, leurs tapis sur l'épaule. La plupart portaient le chèche. Ils mettaient une touche d'exotisme dans notre décor estompé par la suie et les fumées méphitiques qui, sous le ciel bas de notre banlieue ouvrière, rendaient l'air irrespirable. On marchandait ou on feignait de négocier en imitant leur sabir ; on les traitait avec un paternalisme rigolard, en leur donnant du « Mon z'ami », comme dans la comptine en boucle (« Pourquoi la casbah elle a brûlé mon z'ami ?... ») composée au bon vieux temps des colonies. C'était encore l'époque des tickets de rationnement. Notre portion de rue, pilonnée par les bombardements alliés, était réduite à une succession d'amas de briques, de pans écroulés et de cratères instables. Notre maison à la façade criblée d'éclats se tenait debout à la lisière des ruines, à la frontière de ces terrains de jeux interdits. Dans cette artère rectiligne qui conduisait au port, matin et soir les vélos des dockers s'alignaient en files inclinées contre les murs des trois bistrots qui jalonnaient le parcours. Il y avait des rails qui formaient deux sillons luisants au milieu de la chaussée, destinés aux lourds wagons-citernes de produits chimiques frappés d'une tête de mort. Et pour le cycliste qui avait un coup dans le nez, c'était la gamelle assurée.
Les années ont passé, le regard a changé et le vocabulaire avec lui. Alors que les classes d'appelés se succédaient en Algérie, que les mitraillages des tenants du FLN et de leurs rivaux du MNA faisaient voler en éclats les vitres des «cafés arabes» de ma banlieue plus rouge que rouge, aux interminables murs d'usines où, noirs comme du goudron, s'étalaient en lettres géantes les slogans du Parti - "Libérez Jacques Duclos", "Ridgway la peste" ou "US go home !" - les "Sidis" ont disparu du paysage. Eboueurs, manœuvres, OS de la pétrochimie : les "Bicots" débarquaient en nombre ! La plupart rasaient les murs, redoutant les contrôles. Les rares filles qui «sortaient» avec des Arabes se faisaient traiter de putes et les professionnelles de la profession refusaient de «monter» les "Nordafs". La question-test à l'usage des familles, c'était alors : « Accepteriez-vous que votre fille épouse un Noir ou un Arabe ? » On évitait d'inclure un Juif. On se contentait d'y penser et, de toute façon, pour beaucoup, la réponse allait de soi...
DES DISPARUS PAR MILLIERS
Plus tard, je suis devenu soldat. J'avais 19 ans, je me sentais l'âme d'un poète maudit et j'avais, par bravade, séché les épreuves du Bac. Pas question donc de sursis : service militaire, direct ! C'était trois mois après la signature des accords d'Evian. Le cessez-le-feu était entré en application. Je n'ai pas eu à choisir entre soumission et désertion. Mes parents ont poussé un « Ouf ! » de soulagement : ils me voyaient déjà partir entre deux gendarmes devant tout le quartier. La honte ! Bien pire à leurs yeux que de me savoir contraint de casser du fell ou de risquer ma peau dans le djebel... Après tout, la plupart des appelés en revenaient...
J'ai fait mes « classes », appris à marcher au pas et à manier les armes. Avec mon béret, j'avais l'air d'un con. Puis, après quatre mois passés à me familiariser avec les codes secrets, à chiffrer et déchiffrer des messages, j'ai franchi la Méditerranée, découvert Alger la Blanche et traversé ses faubourgs en camion militaire bâché afin de nous protéger des jets de pierre des mômes. Direction : la cité administrative de Rocher Noir, construite en bord de mer, à une cinquantaine de kilomètres d'Alger, en basse Kabylie, et qui avait accueilli quelques mois plus tôt l'exécutif provisoire franco-algérien chargé de l'organisation du vote pour ou contre l'indépendance de l'Algérie.
L'indépendance acquise, Rocher Noir était devenu le siège du commandement supérieur des forces armées françaises en Algérie ; une immense caserne «trois étoiles» où se côtoyaient des militaires de toutes les Armes encore présentes sur le sol algérien. Dans les caves du vaste bâtiment un temps affecté aux services du Haut-commissaire du gouvernement, Christian Fouchet, des cartons d'archives éventrés avaient libéré, abandonnées là comme de vieux papiers mis au rebut, des milliers de lettres adressées aux représentants des autorités françaises. Des milliers de requêtes en ultime recours, simples et maladroites, d'une excessive politesse, dont la quasi-totalité faisaient état de l'arrestation (advenue le plus souvent durant la bataille d'Alger) d'un mari, d'un frère ou d'un fils depuis porté disparu... Dans presque toutes, au fil des lignes, l'espoir, ténu, cédait la place au fatalisme. Plus de cinquante ans après, même si telle ou telle faction s'efforce de l'exploiter, le ressentiment est rarement exprimé par les générations suivantes. Mais cela signifie-t-il pour autant qu'il est absent ?
UNE SOUS-POPULATION MEPRISEE, HUMILIEE
Lorsque j'ai regagné la France, à la fin de l'hiver de 1963, près d'un million de Pieds-noirs m'y avaient précédé. Les affrontements sur le sol algérien, la violence aveugle, la torture, les disparitions avaient creusé entre Eux et Nous un fossé que les vagues successives d'appelés rentrés au pays et le flux de rapatriés ballottés par l'exil ont contribué à maintenir béant, et leur apport à élargir considérablement le champ lexical où puiser pour désigner les Maghrébins de France. Ouvriers de l'automobile ou du bâtiment, main-d'oeuvre docile et bon marché entassée dans les logements insalubres des quartiers en déshérence et dans les immenses bidonvilles de la « ceinture rouge », les Bicots, les Biques, les Bougnoules, les Crouilles, les Crouïas, les Melons, les Ratons, et j'en passe, sont devenus une sous-population méprisée, vilipendée, humiliée. Mise à l'écart. Et l'on voudrait qu'aujourd'hui les enfants et les petits-enfants de ces oubliés des Trente glorieuses, de ces injuriés, de ces hommes et femmes privés de droits civiques, se comportent tous en citoyens respectueux, exemplaires, en dignes enfants de la République - ce que, l'on ne sait par quel miracle, beaucoup sont devenus... ?
"LES ARABES !" UN THEME OBSESSIONNEL ET CONSENSUEL
Vingt ans après l'indépendance de l'Algérie, des obligations familiales m'ont conduit régulièrement dans le Midi de la France, à Draguignan, dans ce Var qui allait bientôt devenir un fief du Front National. A chacun de mes déplacements j'ai pu constater, au marché comme au bistrot, dans les réunions familiales ou amicales, à l'heure du repas ou de l'apéro, que les Arabes et leurs méfaits - réels ou supposés - étaient au cœur des conversations. Leur présence, leur nombre. Un thème obsessionnel et consensuel. Un mal qui touchait des proches, des voisins que je considérais comme de braves gens, et me les rendait finalement insupportables. Infréquentables.
L'interminable conflit israélo-palestinien, l'injustice sociale et le sentiment d'exclusion ont, au fil des ans, créé un terreau favorable au prosélytisme et aux influences des fondamentalistes. Pour nombre de jeunes musulmans de France d'origine maghrébine ou sub-saharienne, l'Islam est devenu une valeur de substitution sur laquelle fonder son identité... et parfois un instrument de combat. La haine a trouvé là de nouvelles justifications. Etendu ses racines. Contaminé d'autres groupes sociaux auxquels les actes terroristes et l'afflux de migrants sur le sol européen ont fourni des motifs d'avoir peur.
De la longue mémoire des opprimés, certains de leurs héritiers ont fait leur fond de commerce. Exigent réparation. Tandis que, au nom de la cause féminine ou de la laïcité, d'autres ont adopté une position guerrière. Et qu'entre deux, le plus grand nombre est sommé de choisir son camp.
L'an passé, sur Facebook, la «politiste» et «spécialiste du genre» Fatiha Daoudi parlait de régression à propos du burkini. Elle assurait que dans les années 60 les femmes du Maghreb se baignaient librement en tenue de plage à l'occidentale. Mais, durant tout mon séjour à Rocher Noir, pas une fois je n'ai vu une musulmane en tenue de bain. Des Algériennes venaient en groupes à la plage, un peu à l'écart, voilées de blanc des pieds à la tête. Toutes se trempaient jusqu'aux chevilles. Les plus audacieuses retroussaient leur voile et pénétraient dans l'eau plus avant. Jusqu'aux genoux, jamais plus. Respect de principes religieux, contrainte matrimoniale, tradition ou simple pudeur ? Allez savoir... A la plage ou ailleurs, ces femmes en tenue «archaïque» étaient l'objet de quolibets, de plaisanteries salaces, de provocations imbéciles de la part de bidasses venus avec moi de métropole. J'imagine aujourd'hui les mêmes, l'âge n'arrangeant rien, commenter à leur façon cette affaire d'Etat qu'a constitué le port du burkini…
QUAND LE HIJAB PREND DES COULEURS
Ce dont je peux encore témoigner, c'est qu'au début des années 60 en Algérie, les épouses, couvertes de la tête aux pieds, marchaient plusieurs pas en arrière des hommes, qu'ils soient en djellaba ou en costume occidental. En voiture, elles prenaient place à l'arrière. Tandis qu'à Alger, dans le quartier des universités, de jeunes femmes arboraient des tenues légères - parfois ultra-courtes - sans que je les aie jamais vues se faire insulter. Ces dernières années, un nombre croissant de jeunes musulmanes ont adopté le port du hijab, librement ou sous la contrainte. Par conviction religieuse, par soumission, par provocation ou par commodité : leurs motifs sont impossibles à démêler. Ma conviction est que la condamnation insistante, répétée, de ces femmes-là a renforcé la portée symbolique de ce tissu de la discorde et contribué pour partie à son adoption par les plus jeunes. Ne pas les accabler, les stigmatiser en leur opposant sans cesse celles qui, ailleurs, sont victimes du port imposé et/ou de son refus, n'est pas se rendre coupable d'aveuglement, de complicité, d'islamo-gauchisme. Non. C'est peut-être même, réfléchissons-y, éviter que la pratique se généralise durablement, voire permettre qu'au fil du temps certaines s'en affranchissent. En France comme ailleurs, peu à peu, le hijab prend des couleurs. J'y vois, peut-être à tort, un signe prometteur, la victoire, encore timide, de la féminité sur la rigidité.
L'Histoire est faite d'à-coups, d'avancées et de retours en arrière. Je comprends l'agacement, les impatiences des militant(e)s féministes et en particulier de celles qui ont elles-mêmes subi la contrainte des injonctions vestimentaires. Mais l'agressivité, le rejet, la condamnation ne feront pas que l'Histoire avance plus vite. Et elle se traîne parfois, l'Histoire.
Le gastronome oloronais Henri Combret vient de sortir un livre pour raconter ses souvenirs d’enfance ainsi que son expérience de la guerre d’Algérie.
Pour son treizième ouvrage, Henri Combret s’est détaché de la gastronomie qui lui est chère pour revenir sur une période de son passé que beaucoup d’autres de sa génération ont connue, la guerre d’Algérie. Au départ de ce nouveau livre, l’Oloronais avait écrit un article dans une revue spécialisée destinée aux anciens d’Algérie, où il revenait sur son parcours.
La missive lui avait valu de nombreuses réponses, qui l’ont convaincu de revenir plus longuement sur cette période. « Quand nous étions jeunes, nous ne voulions pas en parler, mais maintenant que nous avons pris un peu de bouteille, et que notre mémoire est encore à peu près correcte, il est important de faire ce travail de mémoire », explique l’auteur.
« L’arrêt de notre jeunesse à tous »
Face aux membres de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Henri Combret a présenté son ouvrage, intitulé « Du Béarn à l’Algérie, récit d’une tranche de vie 1944-1962 ». Avec précision, il a brossé son enfance dans la capitale du Haut-Béarn au sortir de la seconde guerre mondiale, la villa Briol occupée par les Allemands, ou encore les tickets de rationnement au Marcadet jusqu’en 1949.
Il a également raconté les bons moments, les jeux dans les rues sans voiture et les parties de pelote basque avec le curé en soutane. Rapidement, Henri Combret en vient à la période qui a marqué toute une génération, appelée en Algérie pour « maintenir l’ordre ». « Cela a signé l’arrêt de notre jeunesse à tous.
Mon témoignage est le même que beaucoup d’autres, à cela près que ma classe a vécu les trois phases de ces événements, appelés guerre d’Algérie après 1999 ». Enrôlé dans l’infanterie de marine, envoyé en Algérie au bout de deux mois, on annonce à Henri Combret et ses camarades le cessez-le-feu au bout d’un mois à peine.
Une période troublé
La guerre est pourtant loin d’être finie, et on sent un peu d’émotion lorsque le Béarnais explique avoir ensuite été affecté au tri des harkis : « Ils étaient envoyés dans des camps en France, ou renvoyés chez eux, où ils se faisaient souvent tuer... Sur quels critères on les triait, je ne sais pas ». Envoyé ensuite à Alger, il connaîtra les attentats quotidiens, puis la période tout aussi troublée de l’indépendance.
À travers son témoignage, c’est la voix d’1,5 million de jeunes appelés qui se fait entendre, sans gloire mais avec sincérité. Les Oloronais présents lors de la dédicace ont d’ailleurs été nombreux à échanger avec l’auteur à l’issue de sa présentation. L’ouvrage est en vente au prix de 15 € à la boutique de produits du terroir Arts et Délices, place de la cathédrale, tenue par la fille d’Henri Combret, Christine Combret-Déchamps. Une autre façon de montrer la transmission des savoirs et de la mémoire.
La secrétaire d’Etat sensible à ce travail de mémoire
En préambule de la présentation du livre, le nouveau président de l’antenne oloronaise de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, André Clot, a lu une lettre de Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’état auprès de la ministre des armées. Elle remercie Henri Combret pour son ouvrage, et se dit particulièrement « sensible à ce travail de mémoire, et à ces témoignages précieux pour les générations futures ». Henri Combret présentera son nouvel ouvrage au salon du livre de Navarrenx, ce week-end.
« Je fus placé à mi-distance de la misère et du soleil » écrit Camus, dans l’envers et l’endroit. Rejeton d’une famille pauvre de « l’Algérie de papa », l’homme a pris conscience très tôt de l’impasse dans laquelle le lobby « coloniste », ultra, avait engagé les habitants de l’Algérie, indigènes, « pieds noirs » et juifs.
L’espoir né des promesses du général De Gaulle et de la touchante loyauté des autochtones durant le conflit mondial, fut immolé le 8 mai 1945, le jour même de la fin de la guerre. Un été meurtrier installa la terreur pour longtemps. Localement, la répression du Constantinois a été sous les ordres du Préfet de Constantine et du sous-préfet de Guelma. Mais, dans les Mémoires de Guerre, le général de Gaulle en rendit responsable Yves Chataigneau, Gouverneur Général de l’Algérie. Beaucoup en doutent, car ce dernier n’était pas en Algérie le 08 mai 1945 et les jours suivants ; de plus, d’autres répressions sanglantes ont été perpétrées en Côte-d'Ivoire, au Niger, à Madagascar, en Indochine et ailleurs, autant de régions qui ne dépendaient aucunement de son gouvernorat. Tous ces évènements plaident plutôt pour une reprise en main musclée des colonies ; pour le reste, certains parlent de dérapages, d’autres de concertation coupable. Quoi qu’il en soit, la classe politique française ne tira aucune leçon de ces massacres.
Marcel-Edmond Naegelen, qui lui succéda fin 1948 (gouvernance 1948 à 1951), essaya de panser les blessures des uns et de freiner l’ardeur des autres. Sept ans avant le début de la guerre d’Algérie la torture et les sévices étaient déjà là ; ils tenaient de la routine. Malgré ses efforts, Naegelin échoua à les faire cesser. Il fit alors de la politique et alla jusqu’à devancer, en vain, les désirs de l’association des maires d’Algérie à la remorque des ultras qui déclaraient à qui voulait les entendre : « les indigènes ne comprennent que la force».
Cette période fut «l’ultime chance de la réconciliation des habitants de l’Algérie »déclara, dans l’autisme ambiant, la très sage association des « amis de l’Algérie ». Sourde à tout, l’administration Naegelen faisait du clientélisme, de l’intimidation et de la tricherie électorale ses armes de prédilection. La clochardisation [1] des colonisés polarisait les esprits. Elle induisait la rancune et la révolte dans le cœur des uns, la crainte et la culpabilité dans celui des autres. La peur était devenue la ligne de démarcation de deux folies ; elle indiquait aux indigènes qui étaient les maîtres de l’heure ; elle canalisait les « pieds noirs » vers la solidarité forcée contre l’évidence et les obligeait à se ranger derrière les excès de leurs ultras. Cette peur finit par faire d’un fossé un gouffre de malentendus, et de l’absurde le quotidien de l’Algérie.
C’est dans ce contexte que Camus joua le funambule de la réconciliation sur le fil, de plus en plus ténu, de l’entre-deux. Ses efforts, bien que méritoires, furent vains. Pire, la situation révéla à tous que, comme le poison, la peur à forte dose annihile ses propres effets : des loups réapparurent là où on ne voyait plus que des agneaux depuis des lustres.
Camus a partagé l’absurde et la révolte. « J’ai exprimé la négation sous trois formes : dramatique, idéologique et romanesque » a-t-il dit avant d’ajouter, en 1951, à propos de l’homme révolté : « j’ai voulu dire la vérité sans cesser d’être généreux ».Il savait pourtant que la vérité et la générosité l’avaient déjà condamné : la vindicte, que lui valurent ces Chroniques Algériennes ( publiées dans Alger-Républicain ) dès la première parution , Misère en Kabylie [2] ,l’avait contraint à quitter sa terre natale.
Dans son genre, Camus a donc été un réfugié doublé d’un révolté. Visionnaire, il déclara : « le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir des justifications ». Aujourd’hui, Irakiens, Syriens, Palestiniens et bien d’autres nationalités, victimes, non pas « de crimes de passion » mais de « crimes de logiques », font également ce constat amer.
Crimes de logiques, le drame algérien en fut assurément un témoin, le drame palestinien, en est un autre ; on retrouve, dans les deux, la même dynamique séparatiste sur fond de morgue, d’arrogance et de mépris gratuit ; autant de choses qu’autorise l’assurance de l’impunité.
Observons un autre foyer de crimes de logiques .Les bombardements de l’Irak (qui s’inscrivent dans la « Doctrine Carter » et, avant la lettre, dans « le nouveau siècle américain » [3]) ont été, en nombre de mégatonnes, plusieurs fois plus importants que ceux subis par l’Allemagne hitlérienne durant toute la seconde guerre mondiale. On largua sur ce malheureux pays le stock de l’OTAN Europe (constitué en vue d’une éventuelle guerre contre le pacte de Varsovie) ; pas folle-la-guêpe, le CENTCOM remplit la mission qui lui avait été confiée par la Doctrine Carter en purgeant un stock désormais inutile ; la facture de ce dernier fut réglée in fine par ceux qui n’avaient pas participé directement à la guerre de 1991, donc par la France, le Japon et quelques autres pays développés. Ajoutons qu’une fois le pétrole irakien dans de bonnes mains, l’oncle Sam refit un tour de table à l’issue duquel la France passa en pertes et profits l’énorme ardoise irakienne. « C’est ce que l’on appelle le gagnant gagnant à tous les coups » ironisait férocement le gaulois rennais colérique.
Les conséquences
La guerre ne quitte jamais longtemps nos médias. Pourtant, aseptisée à dessein, elle n’est plus sanglante et se résume à quelques lueurs vertes sur fond nocturne de Baghdâd, de Gaza ou de Damas. Exit « l’horreur sacrée », que , dans les temps anciens , inspirait le sang du meurtre qui sanctifiait , ainsi, le prix de la vie .C’est là « la vraie condamnation de notre époque (…) Le sang n’est plus visible ; il n’éclabousse pas assez haut le visage de nos pharisiens .Voici l’extrémité du nihilisme : le meurtre aveugle et furieux devient une oasis et le criminel imbécile paraît rafraîchissant auprès de nos très intelligents bourreaux »[4]
L’outrance de l’injustice lancinante qui les accable engendre, dans le cœur de certains, une révolte contre l’homme d’abord, et insidieusement contre Dieu lui-même, à qui ils finissent par se substituer au moment où ils entrent en action. « La vertu meurt, mais renaît plus farouche encore. Elle crie à tout venant une fracassante charité, et cet amour du lointain qui fait une dérision de l’humanisme contemporain .A ce point de fixité, elle ne peut opérer que des ravages .Un jour vient où elle s’aigrit, la voilà policière, et, pour le salut de l’homme, d’ignobles bûchers s’élèvent (…) ».Dieu est toujours là, bien sûr, mais au service exclusif de leur douleur. Ils en viennent même à occulter - quand ils ne les biaisent pas tout simplement - les prescriptions divines pour adoucir les traits de la haine qui les consume et pour jeter un voile pudique sur leurs meurtres, dont celui de l’innocence, coupable d’être là à un instant donné. Puis, « Au sommet de la tragédie contemporaine, nous entrons alors dans la familiarité du crime (…) [duquel] dès lors le monde entier se détourne distraitement ; les victimes viennent d’entrer dans l’extrémité de la disgrâce : elles ennuient. »[5]
C’est ainsi que l’absurde chassé revient au galop ; même ceux qui crient au blasphème donnent eux-mêmes dans le blasphème : « la rébellion humaine finit en révolution métaphysique » écrit Camus [6].
« La révolte métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création tout entière. Elle est métaphysique parce qu’elle conteste les fins de l’homme et de la création ». Comme l’esclave révolté - qui nie à son maître le droit de le nier, lui, esclave, en tant qu’exigence - le révolté métaphysique refuse la condition qui lui est faite. « Si les hommes ne peuvent pas se référer à une valeur commune, reconnue par tous en chacun, alors l’homme est incompréhensible à l’homme. Le rebelle exige que cette valeur soit clairement reconnue en lui-même parce qu’il soupçonne ou sait que, sans ce principe, le désordre ou le crime régneraient sur le monde. Le mouvement de révolte apparaît chez lui comme une revendication de clarté et d’unité. La rébellion la plus élémentaire exprime, paradoxalement, l’aspiration à un ordre ». Le révolté métaphysique « se dresse sur un monde brisé pour en réclamer l’unité ». Il « ne veut donc rien d’autre, primitivement, que résoudre cette contradiction, instaurer le règne unitaire de la justice, s’il le peut, ou de l’injustice, si on le pousse à bout ». [7].
Faute de compromis, comme pour l’esclave, qui finit par rejeter son état, « le mouvement de révolte le porte plus loin qu’il n’était dans le simple refus.il dépasse même la limite qu’il fixait à son adversaire, demandant maintenant à être traité en égal (…) Cette part de lui-même qu’il voulait faire respecter, il la met alors au-dessus du reste et la proclame préférable à tout, même à la vie ». Ce qui était résistance irréductible de l’homme devient l’homme tout entier qui s’identifie à elle et s’y résume ; il verse alors dans le tout ou rien. « La conscience vient au jour avec la révolte (….) L’affirmation impliquée dans tout acte de révolte s’étend à quelque chose qui déborde l’individu dans la mesure où elle le tire de sa solitude supposée et le fournit d’une raison d’agir (…) Le mouvement de révolte n’est pas , dans son essence , un mouvement égoïste. Il peut avoir sans doute des déterminations égoïstes. Mais on se révolte aussi bien contre le mensonge que contre l’oppression. ». [8]..
C’est du tréfonds de l’homme et de son passé que jaillit le sentiment de révolte, en réaction à l’oppression dont on l’accable, au spectacle de l’oppression dont on accable autrui, en particulier quand la faiblesse de ce dernier est manifeste. On parle alors d’identification. Et, identification il y a dans nos banlieues noires et maghrébines comme dans les communautés juives française et israélienne (des illustres inconnus à Gédéon Levy en passant par Edgar Morin [9] , Dominique Vidal, Rony Brauman, Esther Benbassa, la liste est longue) : les secousses telluriques sporadiques du malheur palestinien se traduisent par des révoltes perlées.
Ces répliques font aussitôt crier, le CRIF et ses officines du sionisme, à « l’antisémitisme nouveau ». Mais, Il n’y a rien d’anormal en cela : le chantage à l’antisémitisme est leur fonds de commerce.
Non ! L’antisionisme de ces révoltés n’est pas de l’antisémitisme car l’oppresseur n’est pas le judaïsme mais le sionisme, une entité politique qui fait de l’apartheid son dogme fondamental.
[1] clochardisation fut le qualificatif utilisé par Germaine Tillon pour décrire la misère du peuple Algérien à cette époque
Engagé volontaire dans la guerre d'Algérie, ensuite appelé au Secrétariat général de la Défense nationale par le général de Gaulle puis officier instructeur dans la Légion étrangère et au Royal Étranger, Henri d'Orléans, après avoir quitté l'armée, avait fait carrière dans la banque et dans l'assistance aux entreprises cherchant à s'exporter. "Prince aux nombreuses qualités humaines, pétri de traditions chrétiennes, il avait dû batailler pour gagner sa vie, relève encore Stéphane Bern, avec pour seul viatique un nom qui oblige plus qu'il n'ouvre de portes."
Décédé le 21 janvier à l'âge de 85 ans, le défunt chef de la maison royale de France recevra un ultime hommage et reposera pour l'éternité en la nécropole des Bourbon-Orléans. Quelques jours avant sa mort, il accordait chez lui, dans son appartement parisien, une interview et parlait de sa grande passion.
Orpheline de celui qui était son chef de file (orléaniste) depuis près de vingt ans et la mort de son père, la maison de France se prépare à rendre les derniers hommages dus à Monseigneur le comte de Paris, duc de France : près de deux semaines après sa mort survenue au matin du 21 janvier 2019 à l'âge de 85 ans, les obsèques d'Henri d'Orléans "seront célébrées le samedi 2 février 2019 à 15 heures, en la chapelle royale Saint-Louis de Dreux", a fait savoir mercredi soir par le biais d'un communiqué son fils Jean d'Orléans, duc de Vendôme, désormais nouveau détenteur du titre de comte de Paris.
"Une chapelle ardente sera ouverte à la chapelle royale, du mercredi 30 janvier au vendredi 1er février de 13 heures à 17 heures", indique en outre le texte, laconique, diffusé sur les réseaux sociaux et sur le site officiel du prince Jean de France.
Descendant de Philippe de France (frère de Louis XIV, duc d'Anjou puis d'Orléans) et de Louis-Philippe d'Orléans dit Philippe-Égalité, qui avait voté la mort du roi Louis XVI, Henri d'Orléans s'est éteint le jour anniversaire de l'exécution de ce dernier, le 21 janvier 1793. Quelques minutes avant d'annoncer avec tristesse la mort de son père, Jean d'Orléans avait d'ailleurs publié sur les réseaux sociaux un message inspiré par ce fait de l'Histoire de France et de l'histoire de la dynastie. Dans la notice nécrologique qu'il a rédigée pour Le Figaro du 22 janvier, Stéphane Bernsoulignait que le défunt comte de Paris allait chaque année à cette date anniversaire prier à la mémoire du roi guillotiné à Saint-Germain l'Auxerrois, paroisse des rois de France.
Engagé volontaire dans la guerre d'Algérie, ensuite appelé au Secrétariat général de la Défense nationale par le général de Gaulle puis officier instructeur dans la Légion étrangère et au Royal Étranger, Henri d'Orléans, après avoir quitté l'armée, avait fait carrière dans la banque et dans l'assistance aux entreprises cherchant à s'exporter. "Prince aux nombreuses qualités humaines, pétri de traditions chrétiennes, il avait dû batailler pour gagner sa vie, relève encore Stéphane Bern, avec pour seul viatique un nom qui oblige plus qu'il n'ouvre de portes."
De son premier mariage, célébré le 5 juillet 1957 en la chapelle Saint-Louis de Dreux sur fond de réconciliation franco-allemande, avec la duchesse Marie-Thérèse de Wurtemberg, il eut cinq enfants : Marie, François (lourdement handicapé après avoir souffert de toxoplasmose pendant la grossesse de sa mère et décédé le 31 décembre 2017 à 56 ans), Blanche (handicapée comme son frère), Jean et Eudes d'Orléans. La séparation légale du couple avait été prononcée en 1977 et son divorce en 1984, Henri d'Orléans épousant la même année en secondes noces à Bordeaux Micaela Cousino y Quinones de Leon, rencontrée dix années plus tôt. Un remariage qui l'avait exposé à la vindicte de son père et éloigné de ses enfants.
Durant ses dernières années, le prince Henri s'adonnait à sa passion de toujours pour la peinture et plus particulièrement l'aquarelle, "peignant sans relâche dans sa petite maison de Palma de Majorque et pratiquant aussi l'escrime et l'équitation", relate aussi Stéphane Bern. Il sera resté actif et en prise avec le monde contemporain jusqu'au bout, suivant avec intérêt, dernièrement, le mouvement des Gilets jaunes, lui manifestant via Twitter une certaine solidarité. Quelques jours avant sa disparition, il avait également accordé, comme l'a remarqué le blog Noblesse & Royautés, un entretien à la radio LCF, son ultime témoignage (à découvrir ci-dessous). Recevant chez lui dans son appartement parisien, il y revenait brièvement sur sa jeunesse en exil et, plus longuement, sur sa passion pour la peinture, soulignant au passage le rôle de la comtesse de Paris, sa femme Micaela, dans l'épanouissement de ce talent : "J'ai commencé à peindre vraiment sérieusement quand j'ai connu ma seconde épouse. C'est grâce à elle que je fais des progrès en peinture, en écriture", confiait-il notamment.
Communiqué officiel :
« Les obsèques de Monseigneur le comte de Paris seront célébrées le samedi 2 février 2019 à 15 heures, en la chapelle royale Saint-Louis de Dreux.Une chapelle ardente sera ouverte à la chapelle royale, du mercredi 30 janvier au vendredi 1er février de 13 heures à 17 heures. »
François Gaston Michel Marie d'Orléans, « Fils de France » et « duc d'Orléans » à titre posthume, est né le 15 août 1935 au Manoir d’Anjou, à Woluwé-Saint-Pierre, en Belgique, et est mort pour la France le 11 octobre 1960" à Touariat Ali Ou Nasseur, en Algérie.
Le 11 octobre 2015, Monseigneur le Comte de Paris François d’Orléans avait rendu hommage à son frère le prince François, duc d’Orléans, mort il y a 55 ans en Algérie. Nous reproduisons ci-dessous le texte lu par le Prince en la Chapelle Notre Dame de la Compassion (Porte des Ternes). « Aujourd’hui nous célébrons le 55° anniversaire de la mort du Sous- Lieutenant François d’Orléans, mort pour la France. Nous étions trois frères à nous être engagés volontairement pour l’Algérie, comme tant d’autres Français, pour ce que l’on appelait pudiquement une pacification, alors que nous savions bien que c’était la guerre avec toutes ses horreurs. Mais nous étions jeunes, nous nous pensions immortels. Nous y avons connu l’amitié, la souffrance et pour certains la peur face au spectre de la mort ! nous étions responsables de la vie ou de la mort de notre peloton, de nos hommes, nous les aimions et ils nous le rendaient bien… Ce 11 octobre 1960, à mon bureau du SGDN, tôt le matin, je fus convoqué par le Ministre de la Défense. Il m’annonça le décès de François lors d’un affrontement avec des fellagas. Quelques instants après je téléphonais à mes parents qui se trouvaient au Portugal, ce fut bref mais dramatique. Un avion m’attendait à Villacoublay pour me rendre en Algérie, puis un hélicoptère afin de rejoindre le cantonnement du 7° Bataillon de Chasseurs Alpins en Grande Kabylie; ce Bataillon fut créé par notre ancêtre Ferdinand Philippe d’Orléans, Prince Royal, fils du Roi Louis-Philippe. Ma soeur la Princesse Hélène de France en fut longtemps la marraine. Je tenais à me rendre sur place, connaissant par expérience les horreurs de cette guerre sauvage et implacable. L’hélicoptère me déposa en plein « djebel », près de l’endroit où il fut frappé… alors on me raconta… François avait presque fini son temps légal. Certains me dirent qu’il voulait rempiler pour trois autres années. Le Commandant du 7° BCA désirait le prendre à ses côtés dans un poste administratif. Mon frère avait déjà fait ses adieux à son peloton, lorsqu’il apprend qu’une bande de fellagas avait été localisée dans le secteur et que son peloton devait participer à l’affrontement. Il supplia le Commandant de pouvoir, une dernière fois, accompagner ses hommes. Au cours de l’accrochage, un de ses harkis est blessé. Il se précipite pour lui porter secours. Il est lui-même frappé par deux décharges de chevrotines. Son peloton met en fuite l’adversaire pour le secourir… et… ses derniers mots furent : « comment va le blessé ? » Le 7° BCA avait érigé une chapelle ardente pour le veiller sous une grande tente de l’Armée. Il était là, couché sur un lit de campagne, beau et calme. Il avait accompli son devoir de Prince de France, son devoir de Français. On allait le déposer dans son cercueil qui resterait ouvert, car ses adversaires l’avaient respecté. Mes Parents purent le voir dans la cour de l’hôpital de Bab El Oued à Alger...
François d'Orléans (1935-1960)
François d'Orléans en uniforme de chasseur
François Gaston Michel Marie d’Orléans, deuxième fils du Comte de Paris (Henri VI de jure pour les Orléanistes), est né le 15 août 1935 au Manoir d’Anjou, à Woluwe-Saint-Pierre, en Belgique où son père était en exil. Il est Mort pour la France au champ d'Honneur le 11 octobre 1960 en Algérie. Il était titré Fils de France.
Une enfance en exil
La loi d’exil du 22 juin 1886 ayant interdit le territoire national au chef des maisons royales ou impériales ayant régné en France, ainsi qu'à leur fils aîné, c’est en Belgique que le prince François naît au foyer de son père, le Comte de Paris.
Ses études se poursuivront au Maroc, en Espagne et au Portugal. Il ne reviendra en France qu’en 1949 pour terminer ses études secondaires au collège des Oratoriens de Saint Martin de Pontoise. Il fera ensuite un diplôme d’ingénieur agronome à l’Institut agricole de Beauvais (1958).
Un prince soldat
Effectuant son service militaire à Mont-de-Marsan et à Pau avec un stage de parachutisme à Bordeaux, il intègre l’École d’officiers de Cherchell, en Algérie. Avec la grade de sous-lieutenant il prend part aux opérations militaires du 7e bataillon de chasseurs alpins. Corps fondé par son trisaïeul le duc d'Orléans (1810-1842).
Le 15 mars 1960, reçoit une Citation à l’ordre de la brigade avec attribution de la Croix de la valeur militaire avec étoile de bronze : Chef de section ardent et dynamique au combat. Vient de se distinguer à plusieurs reprises par son courage et son sang-froid au cours d'accrochages successifs en Grande Kabylie.
Le 11 octobre 1960, dans une embuscade à Taourirt–Ali-ou-Nasseur prés de Fort-National, il est tué au combat en tentant de dégager un de ses harkis (soldat musulman au service de la France).
La Citation à l'Ordre de l'Armée fera mention du commentaire suivant: Jeune officier animé du plus haut idéal et accomplissant avec simplicité les missions les plus difficiles. A remarquablement réussi comme chef de poste dans les villages kabyles qu’il a grandement contribué à pacifier par le rayonnement de sa personnalité. Toujours volontaire pour les actions de commando de chasse, s’est particulièrement distingué le 16 juin 1960, dans les Aït-Ouabane, où sa section a mis hors de combat 7 rebelles armés. Le 11 octobre 1960, a trouvé une mort glorieuse près du village de Taourirt Ali Ounasseur (Grande Kabylie) en conduisant une manœuvre hardie pour dégager un de ses harkis blessé''.
Il sera inhumé le 17 octobre 1960 à Dreux dans la Chapelle royale.
Hommages posthumes
Général de Gaulle : Le sacrifice du jeune prince François, mort glorieusement pour la France, ajoute un service exemplaire à tous ceux que sa race a rendus à la patrie et qui sont la trame de notre histoire. Que Dieu, maintenant, l’ait en sa garde. Télégramme du 11 octobre 1960.
Nommé Chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume.
Titré Duc d’Orléans par son père, le comte de Paris en 1960.
Promotion d'officiers (1960) de l'École militaire de Cherchell porte son nom.
Depuis 1962, le 7e bataillon de chasseurs alpins a pris l'habitude d'associer son nom lors leur challenge annuel.
Camps de regroupement dans la guerre d'Algérie (1954-1962)
Kamel Kateb, Nacer Melhani, M'hamed Rebah
Durant la guerre d'Algérie, les autorités militaires françaises mirent en place des camps de regroupement destinés à contrer la lutte pour l’indépendance en déplaçant des populations de leurs terres d’origine.
La guerre d’Algérie qui mena à l’indépendance du pays en 1962 constitue une rupture dans les trajectoires individuelles de milliers de ruraux algériens. On estime qu’un quart de la population algérienne fut en effet déportée dans des CRP, les camps de regroupements de population.
Gardiennes de traditions millénaires, coupées de leurs terres et de leur moyens de subsistance, ces populations relativement pauvres, pour l’essentiel des femmes, des enfants et des personnes âgées, furent explusées de leurs terres et confinées dans des camps de fortune où elles durent recréer de nouvelles vies.
Cet ouvrage reconstitue la trajectoire de certains de ces témoins, autour de la région de Cherchell, et apporte, à travers cette série de récits, une pierre essentielle à l’édifice d’une mémoire souvent oubliée ou occultée.
Emportés collectivement dans les secousses de la guerre, ces femmes et ces hommes ont vécu, chacun à leur manière, des parcours qui les ont menés dans des directions différentes.
Les auteurs ont minutieusement récolté ces récits de vie, ces parcours cassés, qui malgré la douleur et l’arrachement ont pu, quelquefois, engendrer aussi de belles histoires.
Dès 1955, en Algérie, les chefs militaires français amorcent des opérations de regroupement des populations civiles algériennes. Si ces opérations concernent d’abord les zones de combat, elles sont ensuite étendues à l’ensemble du territoire : les populations rurales sont, en effet, considérées « comme les bases arrières des insurgés algériens », et il s’agit de « déstabiliser, voire de supprimer, tout ce qui pouvait être perçu comme soutien à ces mouvements insurrectionnels ». Jusqu’au moment de la déclaration de l’indépendance de l’Algérie, en 1962, un quart de la population indigène a été déplacée et cantonnée dans des camps de regroupement.
2L’ampleur de ce chiffre, et des drames qu’il ne peut manquer d’évoquer, contraste avec le vide historiographique et mémoriel qui l’entoure, en France comme en Algérie. Face à ce constat les trois hommes à l’origine de cette étude – Kamel Kateb, chercheur démographe à l’Ined, Nacer Melhani, agronome, et M’hamed Rebah, écrivain – décident de partir d’une région précise (Cherchell, au Nord de l’Algérie) et de donner la parole à ceux qui ont vécu dans les camps qu’elle a abrités, afin de mieux cerner cette réalité essentielle de la guerre et comprendre ses conséquences sur la société algérienne après l’indépendance.
3L’étude s’est fondée sur les témoignages, recueillis en 2012 et 2013, de trente-huit personnes ayant séjourné dans treize centres de regroupement de la région de Cherchell. L’idée était « de partir de leurs conditions de vie et de travail (petits paysans pauvres) avant le regroupement et de saisir les transformations de leur vie individuelle et collective, induites par les années passées dans le centre de regroupement. » Car l’histoire de ces camps de regroupement est aussi celle de la fin d’un monde, rural et montagnard, basé sur une structure familiale de type patriarcal et une agriculture d’auto-subsistance. En suivant le fil des récits de vie et en les croisant avec des archives institutionnelles, l’ouvrage parvient ainsi à saisir l’évolution de cette histoire et à l’apprécier dans sa durée comme dans sa violence. À l’évocation d’une société tribale ancestrale, dont le processus colonial a amorcé l’érosion, succèdent les descriptions de la brutalité des expulsions et de la vie dans les camps, d’autant plus que les populations concernées sont majoritairement composées de femmes et d’enfants. Enfin, les chapitres finaux permettent d’appréhender l’impossibilité, tant matérielle que psychologique, de faire revivre « le monde d’avant », et ce malgré les directives et les aides financières du FLN. Alors que l’Algérie accède à l’indépendance et entame une nouvelle page de son histoire, les stigmates de la guerre en accélèrent les bouleversements sociaux : « Les trajectoires individuelles, jadis scellées par des traditions communes, ont éclaté en une multitude de parcours où chacun devait trouver sa place. » Relater ces parcours, dans ce qu’ils ont d’intime et de particulier, c’est donc dépeindre tout un pan de l’histoire rurale et migratoire de l’Algérie, française puis indépendante. C’est également, pour les trois auteurs, un devoir, sinon de mémoire, du moins d’humanité : « Retracer les trajectoires de gens simples entraînés dans le chaos d’une guerre qui ne disait pas son nom, dont ils subirent la violence et les contraintes et dont ils ne maîtrisaient ni les tenants ni les aboutissants nous a paru presque comme un impératif. »
Les relations francoitaliennes qui ont pour socle un substrat particulièrement fort et qui n'est pas uniquement économique ont traversé des moments de tension que Paris et Rome parvenaient à surmonter par le dialogue et la concertation. Depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron en France et celle du gouvernement Conte en Italie formé de l'alliance de la Ligue et du Mouvement 5 Etoiles, les deux pays déclinent des politiques antagonistes sur presque tout. Ce dont il résulte un creusement du fossé entre eux et une détérioration de leurs rapports qui va en s'accentuant.
Ce dont atteste l'ampleur qu'a prise l'incident diplomatique provoqué par la déclaration peu amène envers la France du vice-président du Conseil italien Luigi Di Maio qui a accusé ce pays d'être ni plus ni moins cause de l'accroissement de la crise migratoire à laquelle l'Europe est confrontée en n'ayant pas cessé de coloniser certains pays africains et de continuer à les appauvrir.
Sur quoi Paris a réagi en faisant convoquer par le Quai d'Orsay l'ambassadrice d'Italie Teresa Castaldo et a dénoncé comme étant « inacceptables » les propos tenus par le vice-président du Conseil italien.
Inacceptables, ils le sont naturellement pour la France mais certainement pas pour l'opinion publique africaine qui n'a de cesse de dénoncer la nature néocolonialiste des rapports qu'elle entretient avec les Etats africains ayant fait partie de son ex-empire colonial.
Les autorités françaises ont pris la mouche à la sortie du vice-président du Conseil italien contre la politique africaine de leur pays parce qu'elles savent ses accusations partagées en Afrique et ailleurs et qu'elles alimentent de ce fait la montée en puissance de ses détracteurs. L'alarme qu'a suscitée à Paris sa déclaration s'explique d'autant que la « Françafrique » est sur la sellette pour la nocivité de ses conséquences dans les pays où elle a cours. La macronie s'en est émue car ayant été visée à son point sensible, celui de s'être posée en donneuse de leçons à tout le monde et à l'Italie et à l'Afrique notamment sur la question de l'immigration.
Il n'est pas anodin que cette prétention de la France en arrive à être pourfendue par le gouvernement d'un Etat européen, l'Italie en l'occurrence. Tant cela est révélateur qu'en persistant à n'entrevoir ses relations avec l'Afrique qu'à travers des rapports du type néocolonialiste tels qu'ils ont été tissés par Foccart, l'ex-inamovible et de sinistre mémoire conseiller pour l'Afrique du général de Gaulle, la France est désormais de plus en plus perçue distinctement comme ayant une grande et lourde part dans les dérèglements qui freinent l'évolution du continent africain dont la crise migratoire qu'il vit en est l'une des conséquences.
par Kharroubi Habib
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5272192
Chassez le naturel...
Traduction de la vision néocolonialiste sur laquelle la France a basé ses rapports avec le continent africain après l'ère des indépendances octroyées à ses peuples, la Françafrique est loin d'avoir été enterrée comme le promettaient verbalement les présidents français qui se sont depuis succédé à l'Elysée. Macron, le président en exercice, n'a pas failli à déclamer cette fallacieuse promesse qu'il a formulée avec grandiloquence lors de sa visite officielle au Burkina Faso peu de temps après son accession à la magistrature suprême de son pays.
Il avait en l'occurrence déclaré qu'il « ne venait pas en Afrique pour dire quelle est la politique africaine de la France, il n'y a plus de politique africaine de la France, il y a un continent que nous devons regarder en face ». Sauf que ce que la France donne à voir vis-à-vis de l'Afrique est qu'elle perpétue ce qu'elle prétend avoir enterré à savoir cette Françafrique dont les fondamentaux ont pour justification que son passé africain lui octroie la « légitimité » à posséder un pré carré dans le continent où elle ne saurait tolérer d'autres influences que la sienne et qu'il lui reviendrait à elle seule d'interagir dans cette sphère.
Preuve que Paris est toujours dans la Françafrique a été donnée par son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qui a qualifié la présence russe en République centrafricaine (RCA) «d'inquiétante» et «d'inamicale» à l'égard de la France. L'argumentaire qu'il a développé contre cette présence russe en RCA, il ne l'a pas évidemment puisé dans l'arsenal des vraies raisons qui fondent la politique de la Françafrique. Mais en soutenant que l'incursion russe dans ce pays et les initiatives de Moscou visant à favoriser un accord de paix entre les belligérants centrafricains n'ont pas l'aval de Paris dont il défend ainsi la prétention à être seule à intervenir dans la crise centrafricaine, il a irréfutablement confirmé la persistance du réflexe néocolonialiste qui fait s'agiter la diplomatie française quand il est question d'un problème africain.
Qu'il y ait rivalité franco-russe qui s'exprime sur de nombreux dossiers internationaux, cela se vérifie nettement. Comme la France, la Russie mène une politique de grande puissance qui la pousse à élargir ses sphères d'influence en faisant jouer les atouts dont elle dispose. La poussée qu'elle est en train d'opérer en Afrique nuit, c'est l'évidence, à l'influence française. Face à elle, le réflexe néocolonialiste français a indubitablement fonctionné, à entendre Jean-Yves Le Drian s'en prendre à Moscou et aux autorités centrafricaines qui ont « osé » s'affranchir de la tutelle de Paris en nouant coopération avec la Russie.
La France s'arroge le droit de regard et d'intervention dans toutes les affaires internationales, mais n'en reconnaît aucun à la Russie au prétexte que ce pays n'aurait que de mauvais desseins sur la scène internationale. Ce n'est pourtant pas la main de la Russie qui a été pendant des décennies derrière tous les mauvais coups dont a pâti le continent africain. C'est bel et bien celle de la France qui a été à la manœuvre avec pour unique but le maintien de son rapport néocolonialiste prédateur avec les Etats africains.
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