Il pleut sur mon cœur, il pleut sur ma mémoire.
Cette pluie glaciale de début de printemps me transperce et me rappelle ceux qui ont illuminés toute ma jeunesse. Mes yeux s'ouvrent lentement sur des horizons lointains, plus savoureux, plus cléments.
Cette pluie ravive en moi de magnifiques souvenirs, souvenirs d'ailleurs, souvenirs de toujours qui ont bercés mon enfance. Je n'ai plus envie de rester ici mais de m'évader vers d'autres horizons pour renouer avec cette magnifique terre d'Algérie, toujours aussi grisante, chargée de ses couleurs chatoyantes et de ses parfums enivrants.
Je reviens vers toi mon doux pays à petits pas. Je me fais discret comme pour me faire pardonner de t'avoir délaissé pendant tant d'années. Non, je ne t'ai pas oublié et je voudrai faire le chemin à l'envers pour venir me blottir dans tes bras et effacer tout ce temps passé loin de toi durant lequel je n'ai jamais cessé de penser à toi.
Il faudra que tu acceptes mes larmes, celles que je retiens depuis des années et qui m'ont souvent précipité dans l'angoisse. Je veux de nouveau me baigner dans cette atmosphère d'autrefois joyeuse, chaleureuse, familière et revoir ces paysages fabuleux que tu as su m'offrir tout au long de ces années passées prés de toi. Je les garde jalousement ancrées dans mon cœur et je savoure avec délice ces moments divins qui m'ont aidés à supporter cette triste situation qui est la mienne aujourd'hui : celle de t'avoir perdu.
j'ai toujours vécu, en regardant par dessus mon épaule pour te chercher du regard, attendre un signe de toi, mais il a fallu que je poursuive mon chemin sans toi et que je me plonge dans un univers où tout était triste et différent ; recherchant sans cesse ce petit quelque chose qui me ferait revenir vers toi. Rien ne s'est passé et je suis resté isolé comme enchaîné à l'autre bout de la terre. Je suis comme l'arbre déraciné qui, planté ailleurs, ne parvient pas à faire de nouvelles racines pour aller chercher la sève qui va le maintenir en vie..
Oh ma terre ! Ma chère terre d'Algérie comme tu me manques ! Je demeure rattaché à toi par ce précieux cordon qui diffuse en moi un sang neuf qui me donne la force de supporter cet exode et combattre le souvenir affreux de ce jour de juin 1962 où j'ai dû te quitter. Je me suis senti complètement abandonné, perdant mes repères mais ne te quittant pas des yeux jusqu'à ce que tu disparaisses dans le lointain et dans le flot de mes larmes. Je savais que rien ne serait comme avant !... Episode tragique où je partais pour je ne sais où, faire je ne sais quoi !...
Mon avenir, je le voyais ici, prés de toi, au milieu de mes amis, pour tisser avec toi les liens les plus secrets et les plus beaux. Durant toutes ces années, je me suis souvenu de tous ces moments délicieux que tu m'as donnés et qui sont devenus au fil du temps mes perles précieuses, mes diamants, mes émeraudes, mes rubis, mon trésor, ma richesse.
Je revois avec délice ma ville d'Hussein-Dey où je suis né, où j'ai grandi, mon bien aimé quartier Trottier, et toutes ces jolies maisons qui bordaient les rues. Je pense à la mienne avec dans le jardin l'oranger, le citronnier et l'immense jasmin qui diffusaient leurs parfums suaves les soirs d'Eté. Le bougainvillier qui formait une tonnelle au dessus du portail, les jolis géraniums, les pois de senteur, les arums et les violettes parfumées aux pieds des arbres. J'entends encore les rires et les cris des enfants assis sur le bord des trottoirs souvent surchauffés par le soleil, celui des hirondelles volant dans un ciel d'azur et je retrouve cette foule joyeuse et insouciante qui arpentait les trottoirs de cette longue rue de Constantine le soir dans le brouhaha et la fumée des barbecues.
Je n'oublie pas la passerelle et le petit chemin qui menaient à la plage du piquet blanc.
Toi l'hirondelle, quand tu passeras au dessus du cimetière, vient tournoyer autour de la tombe de papa et maman pour leur murmurer tendrement que je les aime toujours autant et que je pense à eux...
Toi mon pays, campé dans tes habits de lumières tu as su être généreux et me donner ce que tu avais de plus beau, de plus convaincant. Ton ciel merveilleusement bleu, ton soleil éclatant, tes paysages colorés allant des bords de mer somptueux aux splendeurs inégalées des fraîches palmeraies, tes senteurs subtiles et pénétrantes, qui forcent l'admiration et l'amour de tous ceux qui ont eu un jour la chance et le bonheur de te rencontrer…
Algérie ma belle, Algérie éternelle, Algérie envoûtante… je vais refermer une fois de plus ce bel album de mes souvenirs, ouvert aujourd'hui, pour en extirper les plus beaux moments de ma vie, ceux de ma jeunesse ensoleillée parmi les paysages les plus beaux, les plus parfumés.
Je n'irais plus manger des makroutes et des z'labias chez le marchand de beignets, ne pourrais plus parcourir les rues de mon quartier à la recherche d'un copain ou d'une copine pour jouer, entendre ces musiques merveilleuses, magiques, qui vous prennent les tripes et qui vous donnent une envie impérieuse de danser et de rire… mais il me faudra tout simplement fermer les yeux et me laisser bercer par la magie des souvenirs pour revivre ce temps passé et ineffaçable où j'étais tout simplement heureux….
Serge Molines
Alger ma ville
Après ce dur exil, c'est à peine si j'ose
Te dire Alger ma ville : nous sommes en osmose.
Pardon, pardon ma "Blanche" de t'avoir investie.
Architecte un peu fou, par la foi investi
Les vaisseaux de mon corps, à l'ancre de ma jetée
Sont les navires de ton port, face à l'Amirauté.
Mes veines et mes veinules sont tes rues, tes ruelles,
Je les sens battre, sourdes, vivantes, perpétuelles.
Arago, Berthelot, Chartres, Pasteur, Batandier
Des centaines à coup sûr, désormais répudiées.
Mes artères sont Isly, Baudin, Lyon, Camot
D'autres et d'autres encore. Le sang de mes canaux
Irrigue banlieues, quartiers : la Marine, Champ de manœuvre,
Ben Aknoun et Kouba, Basseta, le chef-d’œuvre !
Le cœur de Bab-el-Oued, dans mon cœur s'interroge
Le temps a-t-il cessé à l'heure des trois horloges ?
Tes jardins sont présents en tatouages internes
Je m'y promène souvent, nostalgique l'âme en berne.
Pourtant le Frais Vallon, Nelson, Laferrière
Resplendissent toujours écrasés de lumière.
Le sable de tes plages granule sous ma peau
Et je l'entends crisser quand je suis en repos
La Pérouse, Matifou, Zéralda, Pointe Pescade
Le bain étant prétexte de la moindre escapade
Pour un peuple joyeux, coloré, animé
Doré par ce soleil qu'il a tant et tant aimé
Mes côtes sont les tiennes, est-ce une métempsycose ?
La mer est mon humeur, j'y perçois toutes choses.
Sereine, alanguie caressant tes rivages
Emue au souvenir de ces douces images
Violente et déchaînée ivre blasphématoire
Battant mes flancs pour flageller l'histoire
J'ai gardé tes senteurs, de la menthe à l'anis
Elles s'exhalent par mes pores que nulle effluve dénie
Et puis il y a les sons dont mes oreilles bourdonnent
Les rires, les pataquès, les surnoms que l'on donne
"Se taper la Kémia, " ac" les escargots"
"Descendre en bas le port. Vas de là falampo !"
Folklore d'un peuple, original lexique
Enfoui dans ma mémoire comme une pieuse relique.
Des clichés infinis de la vie d'autrefois
Tapissent mes arcades, mon subconscient fait foi.
"L'Harrach et son marché, Fort-de-l'Eau ses brochettes
La casbah ses bordels, Rue Michelet la Cafète
La pêcherie ses poissons, Rovigo ses tournants
Bal-el-Oued ses nuits chaudes, la loubia chez Fernand.
Mingasson, Télémly, le Stade et la Piscine
Le duc d'Aumale et Bugeaud, El-Biar les Glycines
Saint-Eugène, le cimetière, Belcourt, l'Arsenal,
Baïnem la forêt, Mustapha l'Hôpital
Les chalutiers, les barques, les yoles du Sport Nautique
L'esplanade et bien sûr " Notre-Dame-d'Afrique"
J'arrête ma litanie et ferme mon théâtre
Je suis comme toi bâti, sur un amphithéâtre
Tu cernes par mes bras, la plus belle des baies
Vision du grand Départ sur ma rétine gravée.
Excuse-moi lecteur de cette hardiesse enragée
J'ai entr'ouvert mon cœur pour me parler d'Alger.
Etienne-Pierre
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