Des documents confidentiels récemment déclassifiés et révélés par le quotidien panarabe Al-Charq Al-Awsat, dans son édition de ce vendredi, montrent que Paris a demandé, en 1994, à Londres de se préparer à voir un régime islamiste s’installer à Alger, que les Français prévoyaient d’accueillir des centaines de milliers de réfugiés algériens sur leur sol.
Selon ces documents contenant des prévisions de ministres et de responsables français «au fait de la crise algérienne», ces derniers jugeaient inéluctables la chute du «régime» algérien et l’arrivée des islamistes au pouvoir. Suivant leur analyse de la situation, qui s’avérera par la suite tout à fait fausse, la chute d’Alger devrait être suivie, comme par un effet de dominos, de celle de Tunis, de Rabat, puis du Caire.
Selon ces documents du gouvernement britannique, des responsables français ont déclaré que le gouvernement du président Liamine Zeroual «ne serait plus en mesure de résister longtemps face aux islamistes armés, et serait remplacé par le Front islamique du salut au pouvoir.
Les documents révèlent que les Français se plaignaient de «l’activité des islamistes algériens sur le territoire britannique», et reprochaient à leurs voisins une certaine «permissivité» dans leur traitement de ce phénomène, appelé plus tard «Londonistan». Et de préciser que ces plaintes étaient exprimées par le ministre français de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, connu pour sa fermeté face à la menace islamiste, même si celui-ci le faisait aussi pour des raisons électoralistes.
La même source indique également que le président Liamine Zeroual n’avait pas accepté l’invitation de François Mitterrand à assister aux cérémonies marquant l’anniversaire du débarquement des Alliés dans le sud de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, «de peur d’un coup d’Etat militaire contre lui pendant son absence en Algérie».
Les documents rapportent le contenu de rapports envoyés par l’ambassadeur britannique à Paris, Christopher Mallaby, datés d’août 1994, et dont voici quelques extraits :
«Pascqua est satisfait de la coopération franco-britannique au sujet des Algériens établis à Londres. Les politiques français sont déprimés, s’attendant à un régime du Front islamique du salut en Algérie, qui posera des problèmes d’ordre public en France.»
«Certains ministres français m’ont informé du débat sur l’Algérie lors d’une réunion ministérielle improvisée par Mitterrand à bord d’un porte-avions lors des célébrations du 14 Août. La conclusion (de la réunion) est que le Front islamique du salut prendra le pouvoir, peut-être dans quelques mois, et que le gouvernement actuel n’est pas en mesure de relever le défi et ne pourra pas survivre. Le président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin, m’a dit que le FIS utiliserait la communauté algérienne en France pour perturber l’ordre public, par exemple en provoquant la violence dans les banlieues des grandes villes où l’ordre public était déjà fragile, à cause du chômage et des tensions ethniques. Cela provoquera une réaction des «Français blancs» et la France pourrait vivre une période malheureuse. Cela pourrait même arriver avant l’élection présidentielle du printemps prochain (…)»
Dans un autre télégramme intitulé «Algérie : points de vues français», daté de la même période, le diplomate britannique écrira : «Les Français s’attendent à un ‘’conflit’’ à long terme mais ils sont de plus en plus convaincus que les islamistes contrôleront le ‘’pouvoir’’. Les ministres réévaluent leur soutien au régime actuel.»
«L’assassinat récent de cinq Français à Alger, la dure réaction française et les menaces qui ont ensuite été proférées contre la France par des groupes islamistes, autant d’éléments qui font que l’Algérie reste au cœur des préoccupations du gouvernement français, des médias et de l’opinion publique. Nous avons discuté en détail de l’analyse et de la politique françaises avec les principaux ministres et agences concernées ces derniers jours. Voici une synthèse des différentes vues françaises (thèses et antithèses) qui sont globalement cohérentes.
La situation intérieure en Algérie
Peu de personnes ici s’attendaient à ce que les services de sécurité algériens mettent fin à la répression plus tôt cette année. Ces opérations n’ont pas été couronnées de succès, et le nombre de victimes a de nouveau fortement augmenté (les estimations oscillent entre 200 et 400 morts par semaine). Les principaux perdants sont les islamistes modérés, réduits au silence ou radicalisés. Et le processus politique, la dernière ‘’offre’’ de Zeroual à l’opposition est considérée avec beaucoup de scepticisme. Zeroual est largement considéré comme une simple marionnette entre les mains des militants ultras. Les Français avec qui nous avons des contacts nous ont dit qu’il avait refusé d’accepter l’invitation de Mitterrand d’assister au 50e anniversaire de la chute des Alliés en Provence les 14 et 15 août, car il craignait un coup d’Etat en son absence.
Dans ces circonstances, il existe un large consensus sur le fait que le régime actuel (en Algérie) est condamné à la chute. En dépit de ses efforts courageux en matière de réformes économiques, la violence exercée par les forces de sécurité rend le régime de plus en plus impopulaire. Cela dit, peu de gens s’attendent à ce que la situation s’effondre immédiatement. Les forces armées sont toujours considérées comme relativement cohérentes et capables de continuer à se battre pendant des mois. Mais des dissidences inquiétantes commencent à apparaître. Ainsi, les cas de désertion du service militaire seraient en augmentation, notamment certains pilotes de l’armée de l’air qui se sont rebellés (un MiG et un hélicoptère d’assaut). L’inquiétude suscitée par la désertion aurait atteint un tel niveau, dit-on, que les voyages routiniers à l’étranger pour les responsables algériens ont été annulés.
Les gagnants sont des radicaux islamistes qui tirent profit des méthodes du régime et du manque de soutien populaire à son égard. Le ministère français des Affaires étrangères a connu une accélération remarquable à cet égard depuis le mois dernier (c’est-à-dire depuis les entretiens Greene et Boucher du 8 juillet – voir notre rapport 783). Un régime islamique au pouvoir est considéré (ici) comme devenant de plus en inévitable. Le Premier ministre prépare actuellement un document selon lequel un gouvernement du Front islamique du salut (FIS) sera au pouvoir d’ici un an ou deux. Nous avons également été cités dans un document préparé par l’ambassadeur de France en Algérie (prière de protéger cette source), qui pense que le Front islamique du salut (FIS) sera au pouvoir dans 18 mois.»
«Les Français s’attendent à une augmentation du nombre d’actes terroristes commis par les islamistes en Algérie dans les mois à venir. Des preuves d’approvisionnement en armes venant de l’étranger, bien que minimes (dont la découverte de certaines quantités ici en France), suggèrent aux Français que les islamistes pourraient construire un arsenal et plus encore. Ils ne peuvent qu’améliorer davantage leur puissance de feu, tandis que les forces de sécurité ne peuvent que se replier. La voie de la ‘’contrebande d’armes’’ à travers l’Allemagne et l’Italie est maintenant considérée comme la filière préférée. Les nouvelles armes peuvent bien être utilisées par les ‘’Afghans’’ (algériens) qui avaient tant appris en Afghanistan et qui n’ont eu jusqu’à présent qu’une seule chance de pratiquer le terrorisme à petite échelle en Algérie.»
Par R. Mahmoudi –
décembre 28, 2018
https://www.algeriepatriotique.com/2018/12/28/documents-secrets-quand-mitterrand-pariait-sur-la-prise-du-pouvoir-par-le-fis/
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