On ne sort pas indemne d’un tel livre. C’est de la dynamite. Que vole en mille morceaux l’image idyllique que le lecteur non averti avait de la Révolution et de ses hommes. Tel un éléphant dans un magasin de porcelaines, Ali Kafi, ex-colonel de la wilaya II, fracasse tout sur son passage : le mythique CCE, le mythique GPRA, le mythique Abane Ramdane, le mythique Larbi Ben M’hidi, le non moins mythique Boumediène sans compter d’autres chefs qu’il liquide d’une phrase, d’un mot… Il dit ses vérités qui ne sont pas forcément La vérité. Mais qui a le monopole de la vérité dès lors que jusqu’à l’heure actuelle, l’histoire de l’Algérie combattante n’a pas été écrite ? Hein, qu’on nous le dise. On a juste des puzzles. Et celui de Kafi est important, car il a été l’un des principaux acteurs de la guerre de libération.
« Sans le 20 août, la révolution aurait avorté »
Diplômé de la Zitouna de Tunis, Ali Kafi a rejoint les maquis de la wilaya II dès janvier 1955. Son chef était Zighoud Youcef, le seul personnage de la révolution, avec le colonel Lotfi, qu’il a vraiment admiré, car les deux avaient du cœur et cette pureté révolutionnaire qui excluait tout calcul et toute volonté hégémonique. Ce que supporte le moins le futur colonel. Il nous raconte dans le détail, et non sans fierté, la légendaire offensive du 20 août 1955 qui eut un retentissement international. Selon Kafi, elle avait notamment comme objectif de « semer la panique, la peur et le sentiment d’insécurité dans les rangs de l’ennemi, des colons et de leurs auxiliaires. » en visant notamment toutes les positions militaires : casernes, commissariats de police, postes de gendarmerie, ainsi que les unités économiques et les centres de colons. Au final, en matière de statistiques macabres, on compta du côté algérien, 12 000 morts tous massacrés sans pitié, la plupart des civils ; du côté colonialiste, à peine une centaine. Mais cette centaine a eu comme conséquence de voir la peur changer de côté.
Pour l’auteur, au-delà de l’effroi qu’a semé l’offensive du 20 août dans les rangs de l’ennemi, au-delà de son impact international, il va même jusqu’à se poser cette question qui restera sans réponse : « Aurons-nous, au vu des résultats qui ont suivi le 20 août 1955, l’objectivité et le courage requis pour enfin reconnaitre que sans le 20 août 1955, la révolution aurait avorté ? »
Voici le congrès de la Soummam et voici les premiers coups de semonce de Kafi. Au nom de l’objectivité et de la vérité, il pose quelques questions qui sont autant de réponses sur les arrières-pensées des uns et des autres : « La première question qui s’impose est de savoir si la Soummam fut un congrès, une réunion, ou une rencontre entre responsables ? Un congrès qui comptait uniquement les délégués et les représentants des Zones 2,3 et 4 alors que la Zone 5 était représentée par Larbi Ben M’hidi seul ? La Zone 1 n’a pas assisté (Ben Boulaid était mort) et il n’y avait ni la Fédération de France ni le « groupe de l’extérieur » qui rejeta par la suite les décisions du congrès. »
La deuxième question qu’il se pose concerne la domiciliation du CCE à Alger au lieu des montagnes d’Algérie plus sécurisées, selon lui. On voit ici la méfiance du maquisard issu du monde rural vis-à-vis des politiciens de la ville.
Il enfonce aussi le clou en précisant que les révolutionnaires maquisards (les militaires) étaient convaincus que la guerre allait durer alors que les « politiciens et les professionnels de la politique. » estimaient que la guerre allait finir au bout d’une année. Il cite à ce propos Larbi Ben M’hidi qui aurait dit à Zighoud à la fin du Congrès de la Soummam : « Nous nous rencontrerons prochainement rue d’Isly, à la fin de cette année ou au début de l’année 1957, si Dieu le veut, pour la célébration de la victoire. » Il ajoute que c’est ce même courant qui était derrière l’option de « la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. » Contestant cette option, il ajoute cette phrase incroyable : « Le but ultime était d’en finir avec les révolutionnaires véritables et leur avant-garde, l’armée de libération nationale, l’artisan du 1er novembre. »
Ben M’hidi et l’avion fantôme : qui intoxique qui ?
Dans la foulée, il pointe un doigt accusateur sur Abane Ramdane, coupable à ses yeux d’avoir coopté Ferhat Abbes, « rejeté du point de vue militant et révolutionnaire ». Il va encore plus loin dans l’attaque en faisant des campagnards de vrais moudjahid irréductibles et des autres, ceux des villes, des politiciens tièdes, des mollusques prêts à toutes les négociations. Il précise son propos en ciblant un homme, en fait le vrai chef de ce courant qu’il abhorre : « Il plaisait à certains parmi eux, dont Abane Ramdane, de déclarer que la présence d’éléments des villes, formés politiquement, ayant une expérience sous la conduite consciente et clairvoyante du FLN, a permis et rendu possible d’assurer la direction des régions. » Là où il y a complémentarité, Kafi voit le dualisme, en tous les cas, il voit rouge, alors il attaque en défendant ceux qu’il croit injustement méprisés, les siens, les maquisards, les paysans, ceux des villages et des campagnes : « N’était-ce pas là déjà un signal d’alarme, le début d’un jeu politique opportuniste et d’une déviation certaine ? »
Dans le même élan, il fustigera l’option de « la primauté du politique sur le militaire » qui ne « figurait pas dans la déclaration du 1er Novembre », ajoutant une accusation grave : « Quiconque faisait allégeance à un des chefs politiques recevait des armes à profusion ! De plus, la porte fut ouverte aux contacts avec l’ennemi et aux tentatives de négociation, sans consultation des gens de l’intérieur ou des chefs de wilayas. » En tant que chef de la wilaya II, il en a gros sur le cœur. À lui et ses hommes les sales corvées, le froid, la faim, les bombardements et la mort au bout du compte, aux autres, les chefs politiques, les salons feutrés et la dolce vitae. On a vu dans les précédentes chroniques que tous les maquisards de l’intérieur partagent cette opinion.
Sa méfiance est telle qu’il soupçonne Ben M’hidi d’avoir au mieux été berné, au pire de les avoir bernés dans ce qu’il appelle « le mystère de l’avion fantôme. » L’histoire en deux mots. Lors du troisième jour du congrès de la Soummam, Ben M’hidi aurait confié à Zighoud Youcef qu’un avion chargé d’armes devait déposer sa cargaison dans la Zone II. Les deux chefs, Ben M’hidi et Zighoud confièrent à Kafi la tache de réceptionner les armes. Sur place, point d’avion à l’horizon. Alors forcément, Kafi se pose des questions lourdes de sens : « Était-ce notre bonne foi en la révolution qui nous avait amenés à y croire ou bien s’agissait-il d’une ruse pour isoler Zighoud de son adjoint militaire ? Nous ne doutons pas de la bonne foi de Larbi ben M’hidi, mais qui a planifié et conçu cette opération ? » Question sans réponse. Beaucoup plus tard, il posera la question de « l’avion fantôme » à des dirigeants de la révolution. Ils seront les premiers étonnés. Mystère et boule de gomme.
« L’indépendance nous l’aurons, mais la révolution, c’est fini ! »
Il résumera la lutte entre les « dialoguistes » politiques et les maquisards-militaires par une formule de Zighoud Youcef qui était sur le chemin du retour à sa wilaya : « L’indépendance nous l’aurons, c’est sûr ! mais la révolution, c’est fini ! » Harbi était arrivé au même constat dès le déclenchement de la guerre : « Ce n’est pas une révolution, mais une guerre de libération ! » Dans sa bouche, l’une est supérieure, par ce qu’elle est créée de ruptures et de changements radicaux, à l’autre.
Sur la grève des huit jours et la « Bataille d’Alger » son jugement est sans appel : « La Bataille d’Alger » et la grève des 8 jours furent des opérations-suicide malgré les aspects positifs. Entre mars et avril 1957, avait régné une anarchie dangereuse, dont la sanction finale fut l’arrestation, puis l’exécution du héros Larbi Ben M’hidi. » Dangereuse cécité. Comment Ali Kafi, si louangeur sur les offensives du 20 août en dépit de ses 12 000 morts du côté algérien peut-il ne pas voir que la grève des 8 jours ainsi que « La Bataille d’Alger » s’inscrivent dans cette même perspective en montrant au monde entier les aspirations à l’indépendance d’un peuple en lutte derrière le FLN ?
Le CCE si honni qui a déclenché la grève et dirigé la « Bataille d’Alger » est passé à la moulinette. « Avant que n’ait pu sécher l’encre des décisions de la Soummam « concernant la primauté de l’intérieur sur l’extérieur », les membres du CCE quittèrent le territoire national, à la recherche d’un autre terrain pour y poursuivre le jeu et la manœuvre politiques dont la finalité était la conquête du pouvoir et le contrôle de la révolution. » Peut-être que Ali Kafi aurait voulu que les 4 membres restants du CCE aient le même sort que Ben M’hidi ? On a vu dans la chronique consacrée à Yacef Saadi quelle terrible pression des paras pesait sur les membres du CCE. Plus loin, le même Kafi revient sur ce qui ressemble à une obsession : au lieu de prendre leurs quartiers à Alger, les membres du CCE auraient dû se positionner au sommet des montagnes. Des politiques au sommet des montagnes, pourquoi faire et avec quels moyens de liaisons ? Leur rôle était de diriger la révolution algérienne et non de verser dans le populisme et l’électoralisme. À Alger, ils avaient tous les moyens matériels même si les risques étaient en fait plus grands que dans les montagnes où on pouvait appréhender le danger par air ou par terre. À Alger, contrairement aux maquis, chaque action avait une grande résonnance médiatique nationale et internationale.
Ali Kafi à Krim Belkacem : « Je sais que tu projettes d’assassiner trois officiers supérieurs de l’ALN »
C’est vrai que le départ des membres du CCE s’apparente à une fuite, mais avaient-ils le choix ? Pouvaient-ils informer, comme l’aurait souhaité Kafi, les responsables de wilayas sans risquer d’être espionnés, filer et finalement capturer ?
La méfiance qu’avait le colonel Ali Kafi pour le CCE n’avait d’égale que sa profonde aversion pour l’un de ses membres qui s’est imposé comme le chef naturel de la révolution : Abane Ramdane. Il fit dire à Lakhdar Bentobbal : « Il (Abane) a des ambitions et même des liaisons suspectes avec la partie française à notre insu. » Calomnies dites par l’ex-chef de la wilaya II et reprises par son ex-adjoint. Benkhedda, ex-membre du CCE, dans son livre sur Abane et Ben M’hidi tord le cou à cette accusation en balayant cette accusation qui n’était étayée par aucune preuve tangible : « Ali Kafi est difficile à lire de par ses élucubrations encore plus difficile à décoder. »
Quant à Abderrahmane Fares décédé avant la publication des mémoires de Kafi, dont nous avons parlé dans une précédente chronique, il avait cité Abane et Ben M’hidi qui lui ont dit la même chose concernant les contacts avec la France. Reprenons-les une nouvelle fois, ne serait-ce que pour rafraichir les mémoires : « Nous ne sommes pas des nihilistes. En acceptant le principe d’une rencontre, cela ne veut pas dire que nous soyons vaincus. Nous agissons méthodiquement. Le temps, quelle que soit sa durée, travaille pour nous. Il faut absolument faire comprendre à tes interlocuteurs parisiens notre farouche résolution de continuer la lutte, mais que nous sommes aussi des réalistes en engageant un dialogue sérieux. » S’il ne fallait dialoguer qu’avec ses amis, nous ne savons pas sous quel statut nous serions aujourd’hui.
Après la réunion houleuse de Ghardimaou qui dura 94 jours et rassembla 10 colonels (Krim, Boussouf, Bentobbal, Mohamedi Said, Boumediène, El hadj Lakhdar (wilaya I), Kafi (Wilaya II), Yazourène (wilaya III), Dehiles (Wilaya 4), Lotfi (Wilaya 5), Kafi qui a eu un accrochage verbal avec Krim nous informe qu’il a eu vent d’une tentative d’assassinat fomentée par le même Krim contre lui-même, Boumediène et Lotfi, tous trois opposants déclarés à l’ancien chef de la wilaya III. Comme il n’était pas du genre à éviter les confrontations, il se présenta au bureau de Krim, alors ministre de la Défense. Ni une, ni deux, il alla droit au but : « Je sais que tu veux et tu projettes d’assassiner trois officiers supérieurs de l’ALN. Mais je t’avertis que si tu le fais, ton groupe et tes comparses seront exécutés au même moment. Ce n’est pas une menace, c’est un avertissement. À toi de décider ! »
Mémorialiste, Ali Kafi a parfois le trait cruel sur un certain nombre de dirigeants de la révolution.
Sur Boumediène, il dessine, mine de rien, le portrait peut-être le plus fin que nous avons eu à lire : « Boumediène apparut comme un chef sans rival parmi ses pairs. Il se distinguait nettement de tous les autres et il s’efforçait de cultiver sa singularité. Il savait se laisser se former autour de lui une aura de mystère, de sobriété et d’intégrité qui sied à l’image du révolutionnaire ascète. (…) Il ne s’est jamais lancé dans une aventure et ne s’est jamais exposé au danger. Ainsi, le pouvoir ne peut revenir qu’à ceux qui sauront arriver « sains et saufs » au terme du parcours ! »
Sur Kaid Ahmed : « Membre de la direction de l’UDMA, adjoint au maire de Tiaret ; ses orientations et tendances bourgeoises étaient connues. »
Sur le commandant Azzedine : « Sans aucun passé politique, fut arrêté le 7 novembre 1958, puis « libéré » dans des conditions confuses pour « défendre » la « paix des braves », dans la wilaya 4 ; en mars 1959, il rejoindra la Tunisie.
Sur Ali Mendjli : « A milité dans les rangs du PPA-MTLD ; il s’est fait remarquer aux frontières comme un homme obtus et prétentieux. »
Le moment le plus émouvant du livre est assurément l’anecdote concernant un jeune homme distingué et triste voué à une mort certaine qu’emmenait Amirouche vers sa wilaya pour être jugé sur instruction de Krim Belkacem. Étonné par le mutisme de cet homme qui n’était autre que le réalisateur Djamel Tchanderli, Kafi voulût en savoir plus. Tchanderli lui révéla qu’il allait être jugé à la wilaya III parce qu’il a refusé d’être dépossédé de sa voiture par Krim Belkacem. Kafi le sauva des mains d’Amirouche. Par la suite, la propre mère de Tchanderli lui rendit la pareille. Elle sauva le fils de Kafi qui eut ce commentaire : « Ce fut là l’une des attitudes humaines qui eurent de l’influence sur ma vie par la suite. »
La guerre de libération ne fut pas un long fleuve tranquille. Ce fut une âpre lutte de pouvoir à l’intérieur des cercles dirigeants. Ce ne sont ni les meilleurs, ni les plus purs, ni les plus intelligents qui réussirent à survivre et à s’accaparer le pouvoir. Ce furent les plus forts. Sinon les plus frais.
Ali Kafi
Du militant politique au dirigeant militaire
Mémoires : 1946-1962
Casbah Editions
Par:
https://www.tsa-algerie.com/les-terribles-aveux-du-colonel-kafi/?fbclid=IwAR2gXFxs-hBFZyG2i3J-TKUYnuFookyKGi4fAfsiGCCJMqjXRGc3NwW6ouQ
Fragments de mémoires sur la paume de la main
De fait, ces Mémoires portent sur un passé de plus de cinquante ans de vie.
Car pour Ali Kafi, auteur et personnage central du présent ouvrage, intitulé Du militant politique au dirigeant militaire - Mémoires (1946-1962) (*), il fallait d’abord rappeler et expliquer aux lecteurs ce qui l’avait naturellement préparé à sui-vre le parcours du militant nationaliste puis à participer à la lutte de libération nationale dans les rangs de l’ALN. Il s’agit donc d’une autobiographie, et dans celle-ci, tout spécialement, chaque détail conté compte.
En effet, dans son avant-propos à l’ouvrage, l’auteur écrit: «Je souhaite que cela apporte une pierre de plus dans l’écriture de l’histoire de notre révolution, et un exemple à suivre d’une intense expérience de militantisme nationaliste, pour autant qu’à travers ces Mémoires, j’ai tenté de dévoiler certaines vérités sur la révolution algérienne qui sont rendues publiques pour la première fois.» Voilà ce qui tire l’oeil.
Bien évidemment, l’auteur est connu de tous les citoyens algériens puisqu’il a été, en janvier 1992, membre du Haut Comité d’Etat et en est devenu le Président après l’assassinat de Mohamed Boudiaf. Néanmoins, en lisant son autobiographie, il nous intéresse davantage par les émotions qu’il a vécues et qu’il tente de nous faire partager. Là, certes, il n’a pas d’autorité, il n’a plus d’autorité pour s’imposer lui-même physiquement, mais il s’évertue à avoir du coeur et de l’humilité pour faire croire à ce qu’il dit et à ce qu’il a vu. Cela transparaît agréablement dans plusieurs pages. Car si même le texte original de ce livre est en arabe - une copie, dit-on, ne ressemble jamais à l’original -, une impression de sincérité se dégage des lignes et d’entre les lignes. Et elle est bien restituée par le traducteur Dahmane Nedjar et par la révision de la version française par Casbah-Editions. Toutefois, signalons que quelques imprécisions demeurent gênantes dans le développement de certaines parties du récit et que quelques enchevêtrements de souvenirs sont inattendus et inexpliqués dans le cours des événements. Si dans le récit arabe, certaines tournures, certaines variations de phrases incessantes, certaines subtilités de style sont peut-être indispensables au génie de la langue arabe et à la langue de l’auteur, elles sont, à notre sens, encombrantes, lourdes, obscures lorsqu’elles réapparaissent sciemment ou non dans la traduction.
«Pourquoi ces Mémoires paraissent-ils, en ce moment précis?» Ici l’auteur devance son lecteur. Il estime que «les générations montantes ressentent un grand besoin de savoir ce qu’ont accompli leurs devancières comme réalisations grandioses, de même qu’elles ont besoin d’accéder aux vérités et aux informations de la bouche même des concernés, de manière à relier les chaînons de la marche historique de notre peuple (...) De même, il y a le besoin des historiens, des analystes et des chercheurs, de disposer des témoignages des hommes qui ont participé à la création de l’événement dans notre nation arabe afin de comprendre l’histoire de notre Ouma (...) Quelle que soit la valeur du témoignage que je présente aujourd’hui, il constitue un complément aux témoignages de ceux qui m’ont précédé dans cette tâche.» Oui, l’écriture de l’histoire de notre pays a grand besoin de témoignages sincères. Et c’est bien le moment de rendre à la Vérité sa vérité.
Allons donc pour une lecture attentive de cette oeuvre où Ali Kafi, fils du cheïkh El Hocine, est né le 17 octobre 1928 (demain, il aura 76 ans: bon anniversaire !) au lieu-dit «M’Souna», dans une famille «se rattachant à la zaouïa «Rahmania» et connue pour sa résistance à la colonisation française.» Enfant, il est élève de son propre père qui refuse de l’envoyer à l’école française et lui apprend le Coran. A l’âge de 17 ans, les massacres du 8 mai 1945 l’ont marqué. L’année suivante, il se rend à Constantine pour étudier à l’Institut El Kettania («L’Institut Ben Badis, écrit-il, n’acceptait pas d’étudiants affiliés au PPA et ceux suspectés d’être liés à ce parti étaient expulsés») et où, malgré cet interdit, il constitue avec un petit groupe de disciples sûrs, une cellule du PPA. Quelque temps après, «Au milieu de l’année 1948, il voit arriver dans cet Institut, un étudiant dont les traits et la physionomie trahissaient son origine rurale paysanne.» Ali Kafi écrit: «On aurait dit qu’il redoutait le milieu citadin. Il était modestement vêtu d’un burnous. Il avait rencontré des difficultés pour entrer à l’Institut et nous étions intervenus pour faciliter son inscription. J’ai tenté de nombreuses fois de le convaincre de nous rejoindre dans notre mouvement, mais à chaque fois j’essuyais le même échec. Un jour, il me confia la raison de son refus: «Mon père m’a envoyé ici pour étudier, non pour faire de la politique.» Ce jeune homme s’appelait Mohamed Boukharouba.», le futur Houari Boumediene.
Muni de son diplôme «El Ahlia» et gagné par le désir de parfaire ses études et de compléter sa formation politique au service du nationalisme algérien, Ali Kafi se rend à Tunis, avec des camarades, pour étudier à la célèbre «Ezzitouna» et pour vivre la résistance tunisienne à la présence française. L’une de ses participations héroïques à une action nationaliste tunisienne est celle de la transmission de documents confidentiels au représentant tunisien aux Nations unies, à New York. Puis, il est bientôt expulsé de Tunisie pour une histoire d’un individu portant le même nom que lui. De retour à El Harrouch, ses activités de militant nationaliste deviennent de plus en plus importantes, avec cependant des temps de pause. Mais au printemps 1954, son destin lui apparaît sans ambiguïté jusqu’au déclenchement historique du 1er Novembre 1954.
Ensuite, le vrai lecteur continuera, sans se lasser, à suivre seul des yeux, sur plus de 400 pages de souvenirs et de documents annexés, le récit d’Ali Kafi ou plutôt les récits d’Ali Kafi - car il y a tellement d’épisodes où l’auteur se dévoile avec pudeur - sur les débuts de la Révolution (du 1er Novembre 54 au 20 Août 55), sur sa rencontre avec Didouche Mourad, avec Zighoud, sur les exploits des moudjahidine et des moudjahidate, sur le Congrès de la Soummam (20 Août 55 au 20 Août 56), sur les rapports entre l’Intérieur et l’Extérieur, sur De Gaulle, la «bleuite» et l’affaire Abane (de mai 58 à février 59), sur la Wilaya 2 face aux réalités du terrain (1959-1960), sur l’EMG, les Colonels, le CNRA (1959-1961), sur le 4e CNRA et l’enracinement de la crise (1961-1962), avec une analyse de la situation à la veille de l’indépendance.
Après cette longue lecture de l’autobiographie d’Ali Kafi Du militant politique au dirigeant militaire - Mémoires (1946-1962), un épilogue assez amer pose une question lancinante. L’auteur n’hésite pas à en faire sa conclusion et par écrit: «En définitive, et face à l’armée de libération nationale entrée avec héroïsme et courage dans l’histoire, ne reste-t-il de la révolution algérienne rien d’autre qu’une course acharnée pour la conquête du pouvoir?»
Kadour M´HAMSADJI
https://www.vitaminedz.com/du-militant-politique-au-dirigeant-militaire/Articles_16111_30779_0_1.html
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