Dès l’enfance Albert Camus entretient un rapport particulier avec l’Espagne. Sa grand-mère et sa mère sont d’origine majorquine, il ira d'ailleurs faire un voyage aux Baléares- et ses premières années baignent aussi dans cet univers. Plus tard, il sera attiré par la littérature espagnole, en particulier Cervantes, Tirso de Molina et Lope de Vega.
L'Espagne sera toujours présente dans son esprit, que ce soit dans sa première pièce écrite collectivement mais où on reconnaît bien son empreinte Révolte dans les Asturies [1] en 1934, qui fait référence aux événements de la deuxième République et ensuite L’État de siège [2] dans une Espagne marquée par la révolte et l'absurde. Il sera aussi toujours aux côtés de mouvements anarchistes qu’il soutiendra tout au long de sa vie.
Le 22 janvier 1958, tout juste de retour de Stockholm ou il vient de recevoir le prix Nobel de littérature, Albert Camus s’en va rejoindre les républicains espagnols en s’exclamant à leur endroit : "Je ne vous abandonnerai jamais et je resterai fidèle à votre cause !" Ce livre répond à un double propos : suivre Camus dans son désir fou et entêté de s’affronter aux géants qui offensèrent la terre de ses ancêtres. Et analyser l’énorme impact que l’Espagne eut dans son œuvre.
Jamais l'hispanité de Camus ne fut mieux analysée que dans ce livre qui complète heureusement tant d'Ïuvres de biographie ou d'exégèse sur cet auteur dont on ne cesse de découvrir, au fil du temps, la modernité et la profondeur. Hispanité ? Oui, par la mère, née Sintès, dans ce foyer espagnol qu'était Bab-el-Oued, cette femme, illettrée, effacée, presque muette, si peu douée pour témoigner compréhension et tendresse, oui, aussi, par la grand'mère Sintès, autoritaire et dure, vraie colonne vertébrale de ce foyer en déshérence depuis la mort du père, tué sur le front de la guerre de 14, et qui ne laissait que son nom, français ! Hispanité revendiquée comme un exorcisme pour « la honte d'avoir eu honte » d'être à demi espagnol. Mais surtout, ce livre donne les clefs de l'engagement constant, affirmé, efficace de Camus pour la cause des républicains espagnols conte le franquisme. Il démontre son attachement à nombre des compagnons de route communistes français et espagnols alors que bien des biographes n'insistent que sur le fait qu'il fut communiste puis qu'il ne le fût plusÉ
Engagement pour un idéal dont il savait l'utopie mais qu'il ne reniait pas et plus encore, engagement contre la misère « parce qu'il l'avait connue. »
« Tout comme il fut un Espagnol discret, il se montra un communiste discret » dit Javier Figuero, et, plus loin : « N'ayant pas encore la reconnaissance officielle dont jouissaient Nizan, Eluard, Tzara ou Aragon, notre auteur saignait comme ses grands camarades pour la patrie blessée de ses ancêtres. »
Une anecdote me revient à l'esprit à propos de ce qu'écrit Javier Figuero au sujet de Paul Bellat, auteur des « Heures héroïques », assimilées à une « propagande fasciste ». Paul Bellat, issu d'une vieille famille de Sidi-Bel-Abbès, où il habitait « Le Rocher », était chargé de l'attribution des bourses universitaires au Gouvernement Général à Alger. C'est lui que vint solliciter Camus. Persuadé de la valeur du jeune homme, Paul Bellat signa son accord aussitôt ; mais alors Camus lui demanda d'accorder également une bourse à un ami arabe méritant. Ce qui fut fait. Cet ami arabe se nommait Aït Ahmed qui s'illustra dans le FLN comme on sait. J'ajoute que, sincèrement ému par la misère de Camus qui lui raconta, à cette occasion, que sa mère subsistait par des travaux de couture, Madame Bellat offrit à cette digne femme une machine à coudre qui lui permit une vie un peu meilleure. Ceci me fut conté directement par Paul Bellat lui-même, que j'ai bien connu comme poète. On me pardonnera, je l'espère, cette parenthèse dans une recension d'un livre important qui apporte un éclairage particulier et bienvenu sur notre Prix Nobel de littérature algérois. Livre qui souligne les trois épines au cÏur de l'homme : la misère, la maladie et l'exil, transcendés par la gloire païenne du soleil et de la mer, car « il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. »
Geneviève de Ternant
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