Une série d’anecdotes dont nul ne sait si elles sont avérées, tant sa liberté de ton, une fois retiré des affaires, n’engage que lui. La France, via son ambassadeur, s’est d’ailleurs désolidarisée de l’ouvrage après sa publication. Voici quelques anecdotes, à prendre, donc, avec un certain recul.
De Gaulle et les « ascenseurs » algériens
Arrivé au pouvoir sur les chars de l’armée des frontières en 1962, le président Ahmed Ben Bella souhaite nationaliser les « bien vacants » laissés par les pieds-noirs ayant quitté massivement l’Algérie après l’indépendance de juillet 1962. Pour sonder le général Charles de Gaulle, Ben Bella dépêche à Paris le jeune Bouteflika, nommé ministre des Affaires étrangères en 1963. La discussion entre les deux hommes dure visiblement plus que ne pouvait supporter le général, d’après l’ex-patron de la DGSE.
Pour couper court à l’entretien, de Gaulle demande à son hôte de voir la question avec Georges Pompidou, son Premier ministre. Mais Bouteflika insiste, excédant quelque peu le général : « Bouteflika, vous ne vous imaginiez tout de même pas que j’allais réparer vos ascenseurs jusqu’à la fin des temps ? », lui aurait alors rétorqué de Gaulle.
Boumédiène boude l’ambassadeur
Le président Houari Boumédiène, qui a pris le pouvoir en 1965 jusqu’à sa mort en 1978, entretenait des relations tendues avec l’ancienne puissance coloniale. Cette froideur, Guy de Commines de Marsilly, ambassadeur de France, l’a sentie à maintes reprises au cours de son mandat à Alger, de 1975 à 1979. Houari Boumédiène ne l’a par exemple jamais reçu en audience. Il s’entretenait néanmoins régulièrement avec Paul Balta, le correspondant du journal Le Mondeen Algérie.
Lors d’une réception donnée par le raïs le 1er novembre, comme chaque année pour commémorer le début de la guerre d’Algérie, Boumédiène appelle à sa table les ambassadeurs soviétique, allemand, américain et d’autres diplomates. Guy de Commines de Marsilly, lui, n’en fait pas partie. L’homme ne voyait pas non plus Abdelaziz Bouteflika, alors chef de la diplomatie. Il ne passait même quasiment jamais à son bureau, note ainsi Bajolet. « Le malheureux Commines devait se rabattre sur les fonctionnaires du ministère. »
Fuites sur la corruption de la famille Bouteflika
Janvier 2008. Bernard Bajolet confie à son homologue américain Robert Ford ses vertiges quant à la corruption qui gangrène l’Algérie, « touchant jusqu’à la famille du chef de l’État ». Rendues publiques en 2010 par WikiLeaks, ces confessions provoquent une tempête médiatico-politique à Alger. Pourtant, elles ne suscitent pas « les protestations qu’on aurait pu craindre de la part des autorités algériennes, tant celles-ci les savaient fondées ».
Peu de temps avant la publication de ce câble diplomatique secret, l’ambassadeur d’Algérie en France, Missoum Sbih, proche de Bouteflika, invitait à déjeuner Bernard Bajolet, qui occupe alors les fonctions de coordinateur des services de renseignement auprès du président Nicolas Sarkozy. Compte tenu du grand barnum provoqué par ces confidences ainsi que la mise en cause de la famille présidentielle, on aurait pu croire que cette invitation allait être annulée.
Elle a non seulement été maintenue et le sujet, lui, a été éludé. « Au cours de notre rencontre, souligne Bajolet, il ne fut pas question de ces fuites. »
Quand un « énorme rat » s’invite à un déjeuner présidentiel
Décembre 2007. Nicolas Sarkozy effectue une visite officielle de trois jours en Algérie. Bernard Bajolet insiste pour que le déjeuner officiel, offert par Bouteflika à Constantine, se tienne dans l’ancien Hôtel de ville construit au début du XXème siècle. Problème : la grande salle est complètement abandonnée. Et personne ne sait où se trouve la clé du bâtiment. Quand le protocole de l’Elysée vient reconnaître les lieux avant le voyage présidentiel, les Algériens doivent enfoncer les portes.
Si le déjeuner somptueux se déroule bien, il en aurait pu en être autrement. C’est que la bâtisse n’a pas été dératisée à temps. Si bien qu’un « énorme rat », selon les mots de l’auteur, s’est invité sur les lieux en courant sous les tables des convives. « Heureusement, je fus, semble-t-il, le seul à le remarquer », note Bajolet avec humour.
Bouteflika rancunier envers Sarkozy
Abdelaziz Bouteflika entretenait de très bonnes relations avec Nicolas Sarkozy, qu’il avait reçu en grande pompe à Alger quelques temps plus tôt la même année, à l’époque où celui-ci était ministre de l’Intérieur. Le président algérien a tenu des propos chaleureux sur lui lors de l’audience de départ de Bajolet, en juillet 2008.
Le raïs, pourtant, peut se montrer rancunier. La belle mécanique des relations algéro-françaises s’enraille ainsi en août 2008, lorsqu’un diplomate algérien est arrêté en France et mis en examen pour « complicité d’assassinat » dans l’affaire de l’opposant algérien Ali Mécili, tué à Paris en 1987. Alger crie à la méprise et exige sa remise en liberté. De son côté, Paris répète que la justice française est indépendante, même quand elle se trompe. L’affaire tend les relations entre les deux capitales. Bouteflika, qui reproche à Sarkozy d’avoir dégradé les liens tissés, jugera même que son quinquennat a été un gâchis pour les relations bilatérales.
Il ne semble pas l’avoir oublié des années plus tard, alors qu’il est de passage à Paris pour des soins médicaux. À l’instigation de Bernard Bajolet, Sarkozy tente de le joindre au téléphone. Le chef de l’État algérien refuse de prendre celui qu’il avait adoubé en 2007 sur les portes du palais d’El Mouradia.
Une université franco-algérienne à Alger ? Non, merci !
Au cours de son séjour à Alger, l’ambassadeur Bajolet propose la création d’une université franco-algérienne à Alger. Les diplômes délivrés auraient été équivalents à ceux attribués par les universités ou les grandes écoles françaises. Bouteflika y est favorable, avant de changer d’avis. La raison ? « C’était surtout l’équivalence des diplômes, pourtant gages de qualité, qui le gênait », observe le diplomate.
Au cours d’un déjeuner, celui-ci s’enquiert des raisons du refus des autorités algériennes. « Vous allez aspirer toute notre jeunesse éduquée », se justifie Bouteflika. Bajolet lui explique le contraire, à savoir que les 5 000 nouveaux étudiants algériens auxquels la France accorde chaque année un visa d’études ne retournent que rarement en Algérie. Ceux qui auraient pu être formés dans le cadre de ce projet universitaire auraient non seulement bénéficié d’une formation de qualité, mais « auraient plus de chance d’y rester [en Algérie, ndlr] ».
Manifestement, le temps a donné raison au diplomate français. Chaque année, plus de 22 000 étudiants algériens se rendent en France, sans retourner en Algérie. Aujourd’hui, on compte notamment plus de 14 000 médecins algériens qui exercent dans les hôpitaux français, soit une hausse de 60 % au cours des dix dernières années.
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