Roman de Ahlem Mosteghanemi (traduit de l'arabe par Fadila Farah Karlitch et diffusé en Algérie par El Izza oua El Karama Lil Kiteb, Alger). Edité par Hachette A. Antoine, Beyrouth 2018, 1 350 dinars, 345 pages.
Description :
Il lui avait dit une fois : " Vous savez… Il n'y a pas plus pauvre qu'une femme sans souvenirs. ". Plus tard, elle comprendrait que la plus grande douleur ne vient pas de ce qui ne fut jamais à nous, mais de ce que nous avons possédé pour un bref moment et qui nous manquera à jamais. Hâla, dont le père, chanteur, fut assassiné en Algérie par les intégristes pendant les années 1990, défie les meurtriers et brave les interdits en chantant pour la première fois à ses funérailles. Elle doit alors quitter son pays. Un richissime homme d'affaires libanais la découvrira plus tard en vedette dans une émission de télé, lumineuse et vêtue de noir. Follement épris, il usera de tous les artifices que permet sa fortune pour lui montrer ce dont un homme amoureux est capable. Belle et rebelle, cette Berbère, habituée à faire face au terrorisme, continuera à tenir tête au pouvoir de l'argent… ©Hachette " Le monde arabe ne peut pas garder pour lui tout seul les romans d'Ahlem Mosteghanemi ", The Independant.
Un roman d'amour du début à la fin. Pour ne pas changer. Il est vrai que le gros nœud de la problématique du développement de la société arabe (et musulmane) reste encore très lié à la condition féminine d'une part et des rapports homme-femme d'autre part. Bien des écrivains (mais surtout bien des chercheurs) ont tenté de les décrypter avec plus ou moins de bonheur... mais la lutte paraît incroyablement difficile. C'est ce qui rend encore plus passionnantes les œuvres de l'esprit (dont les romans et les films) qui traitent du thème, celui de la libération sentimentale (on n'ose pas dire plus au risque de se retrouver sur les bancs d'on ne sait quels accusés) de la femme. Ahlem Mostaeghanemi, elle, a osé, déjà depuis bien longtemps, avec ses premières œuvres poétiques et littéraires, rencontrant un large succès, tout particulièrement auprès des publics arabes... et depuis un bon moment auprès des publics autres, en d'autres langues dont la française.
Cette fois-ci, l'histoire est simple et compliquée à la fois. Elle décrit une histoire de relations amoureuses d'une jeune et belle Algérienne, Hala El Wafi et, attention, c'est très important, «Chaouia» de surcroît (là-bas, dans sa ville natale, «on ne badine pas avec l'honneur» et «l'amour est frappé d'anathème»), enseignante de son état d'une ville de l'intérieur du pays, qui se retrouve, en raison d'un exil forcé (le terrorisme islamiste qui a assassiné son père, un «Sultan démuni»), en situation de chanteuse émigrée (au Moyen-Orient, en Syrie plus exactement, puisque sa mère est Syrienne d'origine)... Pas encore star mais une «créature lumineuse». Au fil du temps, elle se retrouve «courtisée»... et conquise par un riche (et beau) Libanais, Talal, «un homme qui ne pleure pas», qui a du temps, précieux et même prétentieux, se croyant «maître des désirs», «Dieu des banquets» et «Sultan de l'extase» ayant fait ses preuves et sa fortune au Brésil, d'abord dans la restauration (où résident cinq millions de Brésiliens d'origine libanaise). De plus, marié avec une (encore) belle femme qu'il n'a pas l'intention de quitter, et père de deux enfants.
Deux fortes personnalités, mais deux façons de conjuguer l'amour, l'homme en position de «conquérant» , narcissique non-déclaré comme tout macho arabe, se servant de son argent pour éblouir et «dominer» ; la femme, «courageuse et obstinée», en position de recherche, d'abord et avant tout, de «considération», de respect, de soutien et de protection («Le sentiment de protection devant lequel les femmes capitulent» ) Deux univers donc (un monde réel, dur, pourri d'argent, égoïste, face à un monde de rêves) en fait s'attirant mais, en même temps, au fil des rencontres, s'opposant... Le même monde... cultivé, ouvert sur le monde moderne, mais existant pour les mêmes valeurs. Un choc des cœurs, (sans «choc des corps», il faut le préciser ; ceci pour dire que le roman est assez «prude» sur la question). La séparation est brutale car la dignité et l'honneur avant tout... Mais la belle en sort «dévastée» intérieurement... Heureusement, il y a, quelque part, un compatriote - fonctionnaire international - rencontré par hasard et admirateur de la chanteuse - au cœur «gros comme ça» qui redonnera de l'espoir...
A noter que le roman pèche (?), à mon avis, par des digressions qui en font, aussi, un livre assez engagé politiquement. Plutôt des prises de position : sur le terrorisme, sur la lutte antiterroriste, sur la «réconciliation nationale » et l'amnistie, sur la «harga», sur Bouteflika (p 208) , sur l'état psychologique ou mental des Algériens (p 28) : on «a produit plus de fous après l'indépendance que de martyrs pendant la Révolution»)... et certaines sont même assez gênantes (exemple sur le rôle des «hommes de l'Aurès» dans la Révolution armée, p 66) .
L'Auteur : Née en avril 1953 à Tunis au sein d'une famille algérienne originaire de Constantine (Chaouia d'appartenance) ayant émigré après le 8 Mai 45. Etudes à Tunis et à Alger (elle y fut, alors, lycéenne) animatrice de radio... Epouse de Georges Rassi, éditeur et journaliste, trois enfants. Docteure en Sciences sociales (Paris). Classée en 2006, par le magazine «Forbes», parmi les dix femmes les plus influentes du monde arabe. Des poèmes et romans à succès («La mémoire de la chair» , édité en arabe en 1985 et en français en 2002 en France
puis transformé en série télévisée), «Le chaos des sens» (présenté in Mediatic, jeudi 11 octobre 2012), «Le noir te va si bien»...) ...d'abord à l'étranger (comme «Dakhirat al djassad»).Il est vrai qu'en Algérie, jusqu'aux années 2000 et maintenant encore,... pour une femme à forte personnalité, écrire audacieusement, écrire sur les rapports homme femme n'est pas chose bien acceptée
Plusieurs prix : «Malek Haddad», «Nadjib Mahfoud»...) .Nommée Femme arabe de l'année à Londres en 2015 et Artiste de l'Unesco pour la paix en 2016... Des millions de «fans» sur Facebook. Un «phénomène littéraire dans le monde arabe» !
Extraits : «Dans le monde de l'argent, comme dans celui du pouvoir, il n'y a pas de sécurité affective .Un homme fortuné doit faire faillite pour tester le cœur de ceux qui l'entourent» (p 22), «C'est la servitude, l'injustice et l'avilissement qui conduisent les gens à la folie. Quand l'Algérien perd sa dignité, il perd la raison .Il n'est pas génétiquement programmé pour s'adapter à l'humiliation»( p 28),«Dans cette ville (Beyrouth) on dirait que chaque habitant était à la tête d'une agence d'informations «(p 49), «Quand on pratique l'art culinaire avec talent, on sait comment cuisiner les désirs et organiser à la perfection le festin de la vie» (p 156), «...les peuples arabes : tout en aspirant à la liberté, ils éprouvent la nostalgie de leur bourreau» (p 322), «La femme arabe est triste quand elle doit être heureuse, puisqu'elle n'est pas habituée au bonheur» (p 234),«Pour nous délivrer d'un tyran, nous faisons toujours appel à un envahisseur, et ce dernier à son tour fait appel aux bandits des grands chemins de l'Histoire pour leur remettre les clés du pays «(p 336),
Avis : C'est vrai, «les femmes ne meurent plus d'amour» mais elles se consument, parfois sans le vouloir et sans le savoir et c'est là le drame. Car, «sur l'échelle des priorités, l'amour venait en premier dans la vie d'une femme. Alors que dans le vie d'un homme, il se tenait au deuxième rang» (p 142). Donc, pour les femmes, un livre à lire absolument. A faire lire aux hommes, amoureux ou non. Peut-être connaîtront-ils bien plus leurs femmes et se comporteront-ils bien mieux ? Dans le monde arabe et musulman, pas si sûr ! Mais, «quand on aime, on ne compte pas».
Citations : «La plus riche des femmes est celle qui pose sa tête sur un oreiller garni de souvenirs» (p 13), «L'amour ne s'annonce pas. C'est sa musique qui le dénonce «p 15), «L amour nécessite une approche intelligente, de la distance. Vous vous approchez trop près, vous supprimez le désir. Vous vous éloignez trop longtemps; vous disparaissez dans l'oubli» (p 47) , «L'indifférence, une arme toujours fatale pour la vanité d'une femme, parce qu'elle fait rebondir sur elle les incertitudes du doute» (p 54) , «Seuls les nouveaux riches se vantent de leurs richesses, et seuls ceux qui n'ont pas de relations se vantent d'avoir du succès auprès des femmes» (p 188), «Un bon auditeur est préférable à un mauvais chanteur» (p 191), «Le plus bel instant dans l'amour est celui qui précède son aveu» (p 193), «La vraie richesse n'a pas besoin d'exhiber son or. Elle ne cherche à éblouir personne. C'est pourquoi seuls les gens riches savent d'un regard estimer la valeur des choses qui n'ont pas d'éclat» (p 219), «Le bonheur n'est pas dans ce qu'on possède, mais le malheur est dans ce qu'on ne possède pas. En règle générale, ce que nous possédons ne peut pas faire notre bonheur, alors que ce que nous manquons cause notre misère» (p 289), «La plus grande tragédie de l'amour n'est pas de s'éteindre dans l'insignifiance mais de nous laisser insignifiants après son départ «(p 318).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Ahlam Mosteghanemi - أحلام مستغانمي est une femme de lettres de langue arabe, algérienne née à Tunis, connue pour être la femme écrivain vendant le plus de livres dans le monde arabe. Elle est l'aînée des enfants d'une famille engagée dans la lutte pour l'indépendance nationale algérienne. Son père, Mohamed Cherif, lutte contre la colonisation française . Il est emprisonné à la prison d'El Koudia (Constantine) suite aux événements du 8 mai 1945 et c'est là qu'il fait la connaissance de Kateb Yacine. Deux des oncles de Mohamed El Cherif meurent dans la ville de Guelma suite à ces mêmes évènements. à sa sortie de prison il est persona non grata à la mairie de Constantine où il exerçait. Il perd son emploi. La famille doit se réfugier en Tunisie, ceci d'autant que de ses neuf enfants qu'avait mis au monde sa mère, il était le seul survivant. Ahlem Mosteghanemi aurait-elle pu devenir écrivaine sans un père comme le sien, sensible au frisson des mots et « fou à lier » de la rime et de la tonalité des phrases, poète à ses heures, et rêveur d'une révolution aux dimensions maghrébines ? Son père Mohamed Chérif lui a fait découvrir, alors qu'elle était collégienne les grands textes de la littérature française tout comme il lui a fait partager son amour de la poésie ( Lamartine, Hugo, Verlaine...) Dans les années 1963 et 1964 le père cumulait la fonction de haut fonctionnaire à la présidence chargé du secteur de l'autogestion agricole, fer de lance de la politique agricole de l'époque, et aussi celle de journaliste à « révolution africaine » et radio nationale en langue française. Ahlem s'était imbibée de cette période charnière pleine d'espoirs et de désillusions. Elle essayait de décoder l'Algérie à travers les soupirs de son père qui aurait souhaité voir l'Algérie être à la hauteur de ses millions de martyrs. Ahlem Mosteghanemi fait des études secondaires, avant de travailler pour la radio. Elle anime une émission, Hamasat, qui lui confère une certaine réputation littéraire. Son premier recueil de poésies paraît en 1973 sous le titre Ala Marfa' Al Ayam (Au havre des jours). Elle décroche avant son départ pour la France une licence en littérature à l'université d'Alger. Installée à Paris, elle épouse un journaliste libanais, et tout en fondant une famille soutient une thèse sous la direction de Jacques Berque. Depuis 1992 elle vit à Beyrouth.
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