Après les déclarations d’Emmanuel Macron sur l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie, la semaine dernière, le monde militaire insiste sur le travail critique déjà accompli dans ses rangs.
Le devoir de désobéir, souligné par le président de la République, y demeure un sujet de débat éthique et juridique.
« Il en va de l’honneur de tous les militaires morts pour la France et plus généralement de tous ceux qui ont perdu la vie dans ce conflit. » Ces mots ont été longuement pesés avant d’être adressés à la veuve de Maurice Audin par le président de la République jeudi 13 septembre. Le militant communiste est bien mort « exécuté ou torturé à mort par des militaires » lors de la bataille d’Alger.
Au-delà de la responsabilité de l’État dans cet assassinat, c’est l’existence d’un système légal autorisant les exécutions sommaires et la torture qu’Emmanuel Macron a actée. La loi « autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée », votée en 1956 et mise en œuvre l’année suivante, a-t-il précisé, a créé « ce terreau malheureux d’actes parfois terribles ».
Depuis des années, le travail minutieux des journalistes et des historiens qui ont rendu possible ce geste politique a été répercuté aux futurs officiers. « Cette déclaration ne provoque pas de choc au sein de l’armée car ces faits historiques sont connus et étudiés dans les écoles militaires », réagit l’ancien général de division de l’armée de terre Vincent Desportes. Surtout, insiste celui qui est entré à Saint Cyr en 1972, « les principes éthiques sont depuis cette période placés au centre de la formation des officiers comme des militaires du rang ».
« L’usage de la torture est reconnu et étudié comme objet historique »
Peuvent-ils néanmoins craindre l’amalgame entre ces faits historiques et leur rôle aujourd’hui ? Le général en doute, même si « l’armée est toujours facilement critiquée ». Il y voit même, à l’inverse, l’occasion de rendre public et d’amplifier le travail critique accompli en son sein.
Pour lui, le risque est ailleurs : que les soldats jadis engagés sur le terrain algérien soient jugés « sans mesurer l’univers d’extrême violence et les dilemmes moraux dans lesquels ils ont été plongés.La guerre conduit les êtres humains et les gouvernements dans des situations anormales où seules prévalent les règles qui ne portent pas atteinte à leur sécurité ».
Enseigner l’histoire militaire, Michaël Bourlet, officier détaché dans l’éducation nationale, l’a fait pendant dix ans à Saint-Cyr. « L’usage de la torture est reconnu et étudié comme objet historique, c’est-à-dire replacé dans son contexte, confirme-t-il. Et la question du choix qui s’impose aux officiers est abordée en formation initiale d’un point de vue éthique et historique, à la fin des années cinquante en Algérie comme en 1940 en France. »
Une limite juridique et morale à l’obéissance est prévue depuis 1972.
Depuis 1972, la loi sur le statut général des militaires prévoit une limite juridique et morale à leur obéissance. Le devoir de refuser l’exécution d’un ordre s’impose si celui-ci est jugé illégal ou contraire au droit de la guerre.
À ce sujet et avec prudence, la déclaration présidentielle a ainsi mis en valeur ceux qui, dans ce contexte extrême, ont refusé d’obéir. « Il en va de l’honneur de tous les Français qui, civils ou militaires, ont désapprouvé la torture, ne s’y sont pas livrés ou s’y sont soustraits, et qui, aujourd’hui comme hier, refusent d’être assimilés à ceux qui l’ont instituée et pratiquée », peut-on y lire.
Pour l’historien Tramor Quemeneur, qui a consacré sa thèse aux insoumissions et désertions pendant la guerre d’Algérie, « l’apprentissage de la désobéissance, l’acceptation d’une forme de refus de certaines décisions politiques » reste une question difficile « et même taboue » au sein d’une organisation qui voit dans la discipline le fondement de son efficacité.
Une brèche vient d’être ouverte pour la reconnaissance de ces « Justes »
« Pendant la guerre d’Algérie, seuls des haut gradés pouvaient éventuellement désobéir à un ordre injuste, ajoute-t-il, citant notamment le général Pâris de Bollardière, qui refusa les ordres du général Massu avant de démissionner en 1961. La phrase d’Emmanuel Macron ouvre une brèche pour la reconnaissance de ces « Justes », civils et militaires. Parmi eux, des déserteurs, au nombre de 15 000 environ, mais aussi ceux qui ont résisté dans les rangs de l’armée en n’appliquant pas les ordres. »
Car, ajoute l’historien, considérer les acteurs de l’époque, y compris les militaires, comme des blocs homogènes est une illusion rétrospective. « L’armée est le reflet de la société française, confirme Michaël Bourlet. Y coexistent l’ensemble des mémoires de la guerre d’Algérie, de la plus distancée à la plus douloureuse ».
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