Gilbert Quellec avait 20 ans en Algérie. Il s’y trouvait pendant « les événements », comme il a longtemps été d’usage de désigner la guerre. 60 ans après, le Morbihannais a emprunté un chemin de mémoire, effectué un acte de réconciliation dont il revient, simplement, heureux.
Avec une infinie délicatesse, il ressort une petite photo en noir et blanc de son grand album familial. « C’est moi à Lamoricière, aujourd’hui renommée Ouled Mimoun… J’avais 20 ans et je ne savais pas vraiment pourquoi j’étais là-bas… ». Gilbert Quellec a laissé une grande part de sa jeunesse en Algérie. Avant la repentance de l’État et la rencontre d’Emmanuel Macron avec la famille de Maurice Audin, Gilbert avait déjà entrepris de réaliser son propre acte de réconciliation. « Le président Macron a oublié de parler des deux camps, il y a eu de nombreux morts des deux côtés ».
Jeune appelé, Gilbert revêt l’uniforme, tout d’abord en Allemagne, avant de découvrir l’Algérie. Il y restera deux ans. « Du 1er novembre 58 au 1er novembre 60 ». Il découvre un pays plongé dans la violence, où la peur s’est lovée dans les recoins de l’esprit. « On avait toujours la boule au ventre. La nuit, quand on était couché ou quand nous étions en patrouille, on entendait les bruits de mitraillettes… », se remémore-t-il aujourd’hui, dans le silence apaisant de sa ferme de Locoal-Mendon (Morbihan). Les combats, la mort, la peur… Les images sont intactes. « Il y a eu des moments très douloureux. Un jour, j’ai vu tomber l’un de mes copains… Je ne savais même pas qu’il était là. Il y avait plusieurs groupes et nous étions pris dans une embuscade. On a eu le temps de se mettre à l’abri, mais on ne pouvait pas intervenir sur un autre groupe qui se faisait mitrailler. Après un moment, le radio, qui était à côté de moi, me dit : "je crois qu’il y en a un de chez toi, là-bas"… C’était vrai. Il se trouve qu’on faisait du vélo ensemble à Lanester, quand nous étions plus jeunes. Il s’appelait René Le Du et il est mort à quelques dizaines de mètres de moi ».
Décoré par De Gaulle
D’autres souvenirs, moins terrifiants, s’agrègent dans le recueil de la mémoire. « Nous étions jeunes mais nous restions soudés. Il y avait un esprit de camaraderie très fort. Je me souviens aussi de ce pays, magnifique, avec ses lumières, son désert extraordinaire… ». Dans l’Oranais, Gilbert était chauffeur. Il lui est pourtant arrivé de se trouver en première ligne, sous le feu de l’adversaire. « Mais je n’ai jamais tiré sur quelqu’un. Un jour, un commandant qui avait repéré une patrouille m’a demandé de prendre à revers un groupe et de le rabattre vers l’oued (rivière). Il a ainsi été mis hors de combat. C’est ce qui m’a valu d’être décoré ». Une décoration remise par Charles de Gaulle en personne. « Le Général se trouvait sur place, en 59, pour faire la tournée des popotes ». Gilbert est revenu d’Algérie, a fait sa vie, eu plusieurs métiers et accompli de belles choses. Mais toujours, le taraudait l’envie de retourner là-bas.
Certains nous disaient qu’ils n’avaient pas vu de Français dans cette partie du pays depuis l’indépendance
« Je parlais de mon projet avec les anciens combattants et ils me disaient de ne pas y aller… Mais j’ai finalement trouvé des compagnons de route qui avaient le même désir : deux anciens des Landes et un autre Morbihannais, Jean Richard, de Séné. Et puis, j’avais avec moi mes deux gardes du corps : ma fille et mon petit-fils de 18 ans ». L’appréhension des débuts est rapidement balayée par les vents de ce désert qui a bien changé. « Le fort du col des Zarifet est devenu un zoo, et Lamoricière (située au nord-ouest), la petite ville de 2 000 habitants, en compte aujourd'hui 20 000… Les gens étaient surpris de nous voir venir. Certains nous disaient qu’ils n’avaient pas vu de Français dans cette partie du pays depuis l’indépendance ».
Devant le monument aux morts de Khemis Miliana
Là où Gilbert et ses compagnons craignaient des portes fermées, des bras accueillants s’entrouvrent. « On a été accueillis avec chaleur. Nous avons expliqué ce que nous faisions là. On entendait : "soyez les bienvenus"… Partout, des gens désireux de venir parler avec nous, d’écouter. Un homme, dont le père était mort pendant la guerre, a pris le temps de nous montrer le monument aux morts où 109 Algériens figurent… D’autres voulaient entendre notre histoire. J’ai été invité à manger le couscous le jour de mon anniversaire, le 12 mai, que j’ai fêté là-bas. C’était tout bonnement incroyable ».
Unis par les larmes
L’émotion est à son comble quand Gilbert et ses amis découvrent une « maison de torture » à Beraoun : « Un homme, Benamar Salah, nous accompagnait. Il avait été torturé sur place. Il y avait là les cachots, la corde pour pendre, la baignoire où les têtes des gens étaient plongées, la gégène et un puits pour jeter les cadavres. À l’époque, je ne savais pas que tout cela existait. Je pense qu’il n’y avait pas de salle de torture au fort de Lamoricière. Là, tout ça… C’était trop. On s’est mis à pleurer. Benamar aussi. Et on s’est pris dans les bras… ». Gilbert est revenu, en paix avec lui-même. « Je pense qu’on n’avait rien à faire en Algérie. C’était un conflit inutile. Tous mes amis le disent ».
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