« Je n’ai pas besoin d’avoir vu ces Algériens que les bateaux ramenaient d’Afrique au mois de juin de l’autre année, je sais le poids de leur tristesse, de leur inquiétude et de leur colère. Ils disaient qu’ils avaient tout perdu, et si on les interrogeait ils dressaient volontiers, même les plus démunis, les bilans des dommages matériels que leur faisait subir l’exode. Ils noyaient ainsi les véritables raisons de leur peine et dissimulaient ce que leur pudeur se refusait à avouer. Car ce qui leur infligeait leur plus douloureuse blessure ce n’était ni les biens, parfois dérisoires, abandonnés de l’autre côté de la mer, ni l’argent, ni la terre, ni la maison, ni un emploi perdu, c’était ce continent collé leur peau, à leur chair, qu’on leur arrachait. Un continent semé d’oasis d’années heureuses et de grandes palmerais de souvenirs d’enfance. C’était aussi comme une dimension de la France à laquelle on leur interdisait désormais de rêver. »
1962, plus de un million de Pieds-noirs sont sur le point de quitter l’Algérie, après la signature, le 18 mars, des Accords d’Évian. Ceux-ci prévoyaient le cessez-le-feu à partir du lendemain, 19. Un référendum sur l’indépendance en France, puis en Algérie, la mise en place en attendant d’un exécutif provisoire, présidé par Abderrahmane Farés, des garanties pour les Pieds-noirs et les intérêts français en Algérie. Mais à peine sont-ils signés les Accords d’Évian deviennent caducs pour deux raisons : d’abord parce que l’OAS, qui veut les rendre inapplicables, intensifie ses attentats terroristes ; ensuite parce qu’au sein du Gouvernement provisoire de la République algérienne, qui est profondément divisé, et avec lequel la France a pourtant signé les Accords d’Évian, quelques dirigeants, et non des moindres, sont bien décidés à ne pas les appliquer, parmi eux, le chef de l’Armée de libération nationale, Houari Boumédiène et le futur président de la République algérienne, Ahmed Ben Bella, qui ne croit pas au maintien des Pieds-noirs en Algérie.
Ahmed Ben Bella, futur premier Président de la République Algérienne : Je ne pouvais concevoir une Algérie avec million cinq cent mille Pieds-noirs. Ce n’est pas un acte de rejet, je vous assure, les Pieds-noirs moi je pense qu’ils ont été victimes, j’ai des amis parmi les Pieds-noirs, mais lucidement, je ne voyais pas le projet de l’Algérie que je portais en moi, une Algérie révolutionnaire, une Algérie qui allait vers les options socialistes, une Algérie qui allait combattre l’impérialisme, qui serait engagée totalement dans le combat impérialiste, non seulement pour l’Algérie mais aussi pour les autres pays, nous avons fait ça, elle ne pouvait pas avoir la prétention de le faire avec un système de Rhodésie.
Vous savez bien quand-même que les gros colons sont peu nombreux, la majeure partie des Pieds-noirs…
Ahmed Ben Bella, futur premier Président de la République Algérienne : Ils étaient quand-même une vingtaine de milles et disposaient de trois millions d’hectares, les meilleures terres de l’Algérie ! Qu’est-ce que c’est cette Algérie dont de trois millions d’hectares, les meilleurs, qui avaient été spoliées, resteraient entre les mains des colons ? J’ai dit très franchement au général de Gaulle, je lui ai dit : écoutez, nous allons faire la réforme agraire. Il m’avait dit, je me souviens très, très bien : mais enfin les Accords d’Évian, c’est monsieur Gorse. Je lui ai dit : Les accords d’Évian, ce n’est pas le Coran ni la sunna, nous allons les changer parce qu’ils ne peuvent pas être acceptables.
Bernard Tricot, conseiller technique chargé de l’Algérie auprès de de Gaulle (1959- 62) : Il y a deux choses qui ont fait que ces Accords d’Évian sont devenus très vite théoriques. C’est d’une part que le FLN n’a pas voulu ou n’a pas su mettre fin aux attentats, ce qui créait d’ailleurs autour des négociations d’Évian une atmosphère déplorable et assez irréaliste. On parlait de garantie, on parlait de paix, etc., et chaque soir on apprenait encore qu’on avait massacré des gens. Et ça a continué après, il y a eu des chefs du FLN, qui, malgré je pense des ordres donnés par l’organisation, ont continué à enlever et à tuer. Et d’autres part, il y a eu l’OAS, qui a pratiqué, ce que l’on appelait à ce moment-là, vous vous en souvenez, la politique de la terre brûlée : Eh bien, vous voulez faire la paix avec les Musulmans, vous voulez mettre fin à l’Algérie telle que nous l’avons connue et aimée, eh bien nous détruisons.
Jean Scotto, curé de Bab El Oued : Les attentats se multipliaient, je n’étais plus curé de Bab El Oued à ce moment-là, j’étais curé d’El Harrach, un autre endroit très dur, espérant : est-ce que cela va aboutir ou cela ne va pas aboutir, ces Accords ? ! Et alors, le dernier jour, le 19 mars, je suis sorti dans la rue alors là avec un cœur gonflé d’espoir, parce qu’alors là je me demandais commet les Algériens allaient réagir, le peuple. Je ne connaissais pas tous les Algériens, les Algériens me connaissaient peut-être beaucoup plus que moi. Vous voyez ces réflexions : ah la guerre est finie ! Je parle des réflexions d’Algériens. On s’est donné des coups mutuellement, mais maintenant ? ! Vous voyez, donc une espèce d’espoir. Et si vous voulez, peut-être qu’une des raisons pour lesquelles jamais - oui, je le dis carrément – je ne pardonnerais, - je ne dis pas aux personnes, aux personnes on doit toujours pardonner - à un mouvement comme l’OAS, car je l’accuse non seulement de ses crimes contre les Algériens mais je l’accuse d’avoir tué mon peuple pied-noir.
« À Alger, des attentats ce matin, attentats à l’arme à feu contre des Musulmans : un mort à Bab El Oued, un blessé à Hussein dey. Les Musulmans hésitent à reprendre leur travail et à traverser les quartiers européens. C’est ainsi qu’à Alger, à la Régie des transports, huit employés musulmans sur douze-cents ce sont présentés pour prendre leur service. Ces défaillances n’entraînent d’ailleurs aucune perturbation dans les transports en commun, la Régie s’est organisée pour assurer quand même les transports des Algérois sur les principales villes. Ici Alger, à vous Paris. »
« À Alger, c’est la terreur. Les gens qui sont obligés de sortir sortent sans trop savoir s’ils vont revenir ou s’ils vont tomber dans la rue. Nous en sommes tous là, les courageux et les lâches, au point que l’on se demande si tous ces qualificatifs existent vraiment ou si ce ne sont pas des illusions sans véritables réalités. On ne distingue plus les courageux des lâches, à moins que nous soyons tous, à force de vivre dans la peur, devenus insensibles et inconscients. Bien sûr, je ne veux pas mourir, et je ne veux absolument pas que mes enfants meurent, mais je ne prends aucune précaution particulière, en dehors de celle qui depuis une quinzaine sont devenues des habitudes : limitation des sorties, courses pour acheter en gros, suppression des visites aux amis. Mais chaque fois que l’un d’entre nous sort, il décrit au retour un attentat ou signale une victime. » Mouloud Feraoun, Journal, 14 mars 1962.
Le lendemain du jour où il écrit ces lignes, Mouloud Feraoun est assassiné par l’OAS, qui contrôle les villes à majorité européennes : Alger où règnent les commandos Delta de Roger Degueldre et Oran, où elle est dirigé par le général Jouhaud, qui est arrêté le 25 mars. Le jour même arrive en Algérie le dernier représentant de la France, le haut-commissaire Christian Fouchet, qui de Rocher-Noir, près d’Alger, dirige la lutte anti-terroriste OAS et s’adresse aux Pieds-noirs.
« Christian Fouchet : Aujourd’hui, en cette première journée où j’exerce réellement mes fonctions de haut-commissaire, je veux vous dire simplement ceci : aux Français d’Algérie d’abord, parce que vous êtes en ce moment ceux qui souffraient le plus, je viens ici pour vous aider. Rien n’est perdu ! Rien n’est perdu ! si vous avez les yeux ouverts. L’attachement émouvant que vous avez pour votre pays, comment ne pas le comprendre ! Comment ne pas le partager ! Mais ceux qui vous disent e vous abandonner aux tentations du désespoir vous mentent et vous trahissent. Je vous le dis parce que je viens d’en faire l’expérience vécue. Sachez que le monde entier, je dis bien le monde entier, toutes les nations du monde, pratiquement sans exception, se ligueraient contre vous si vous vouliez revenir, tenter de revenir sur ce qui a été décidé et conclu. Vous lancer dans cette erreur terrible ce serait vous attirer la fureur du monde et vous en serez les principales et les premières victimes, et puis surtout vous vous sépareriez de la France, car ceux qui vous disent que votre avenir est de vous insurgez contre la République et de protéger des assassins, et de tirer sur des gendarmes et des soldats français, sont des fous et des criminels. Pour eux, qu’ils le sachent, il n’y a plus de salut, mais vous, au nom du ciel ! ne vous solidarisez pas avec eux, sachez-les ! »
Edmond Jouhaud, général commandant des forces aériennes françaises en Algérie : J’ai été arrêté le 25 mars, je suis arrivé le 26 mars à la Santé, j’ai été interrogé, deux interrogatoires de trois heures, par deux juges différents, l’un sur l’OAS, l’autre sur le putsch, et e 11 avril j’étais devant le tribunal. C’est-à-dire que c’est un procès qui a été remarquablement… l’instruction a été remarquablement rapide étant donné qu’il a fallu trois semaines pour passer devant le tribunal alors qu’à l’heure actuelle vous entendez des procès qui durent depuis cinq ans, des instructions qui durent depuis cinq ans parce qu’il manque une pièce ici et là, à ce moment là il n’y avait pas besoin de pièces. Je passe devant le tribunal, tribunal composé d’un certain nombre de gens choisis par le pouvoir, et le treize avril je suis condamné à la peine capital. Je souris, je hausse les épaules et je suis conduit à la Santé. À la Santé, je tombe sur le directeur qui me dit : je vais vous mettre dans une autre cellule. Je lui dis : pourquoi ? Il me dit parce que c’est les cellules des condamnés à mort, vous n’avez pas le droit de retourner dans les cellules de l’étage. J’insiste et lui dit : oh il est tard, demain matin, tiens ! Parce que comme on m’a dit que je serais guillotiné, j’ai réussi à cacher une lame de rasoir, et j’avais dit : si je suis condamné, je me coupe les veines. Le directeur de la Santé, sans le savoir, m’a sauvé la vie.
L’arrestation de Jouhaud, puis, le 7 avril, le chef des commandos Delta, Roger Degueldre, et enfin le 20 avril 61, du général Salan, ne mettent pas un terme à la terreur. Livrés à eux-mêmes, les chefs de l’OAS multiplient les attentats, notamment contre les Musulmans, essayant ainsi de provoquer des affrontements entre les communautés et de pousser l’armée française à intervenir, ce que les Accords d’Évian lui interdisent. Mais certains responsables de l’OAS réprouvent bientôt un combat qu’ils jugent désormais inutile et même dangereux pour l’avenir des Pieds-noirs en Algérie. C’est le cas de Sarradet, Leroy et Villard, qui prennent contact avec les autorités françaises, les deux derniers sont assassinés par l’OAS.
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Alors, Leroy et Villard n’ont pas été assassinés. Leroy et Villard ont été exécutés. Leroy, lui, est venu nous menacer disant qu’il était d’accord pour la partition et qu’il était disposé à nous imposer sa volonté. Ils ont été tués parce qu’ils ont trahi ou pas parce qu’ils ont été nos adversaires ou nos ennemies mais parce que leur comportement à ce moment-là pouvait être générateur de notre massacre, d’une catastrophe terrible. Bon, l’OAS serait morte trois mois plutôt aurait-ce été un bien ou aurait-ce été un mal, ça je n’en sais rien, mais de toute manière à ce moment-là ce n’était pas nos ordres à nous. Il fallait soumettre absolument les gens qui étaient en rébellion. Ces gens-là n’ont pas trahi, ils ont voulu imposer à l’OAS une ligne de conduite qui n’était pas celle de l’État-major, en pleine période de danger, en pleine période de catastrophe. Bon, je le regrette. Je regrette d’ailleurs… oui, je regrette tout ce qui a été fait pour rien. Je regrette d’avoir été responsable de morts d’hommes pour finalement…. pour finalement, vous le dites, un rêve, je n’en sais rien. Je ne sais pas. À ce moment-là j’étais sincère. Je sais que j’étais absolument sincère, je pensais me battre vraiment pour mon pays. Je regrette vraiment les morts que j’ai provoqués. Sincèrement. Si c’était à refaire, je ne le referai pas maintenant sachant ce que je sais parce que cela n’en vaut pas la peine.
[Musique militaire]
Vincent Monteil, conseiller technique du haut-commissaire Christian Fouchet : Je suis alerté un beau jour par prêtre que je ne connaissais pas, Pied-noir, qui évidemment pouvait m’intégrer dans un piège, il se trouve que ça n’a pas été le cas, et qui me donnait rendez-vous à Alger, en plein fief OAS, dans un immeuble où je suis allé et où j’ai rencontré Jean Sarradet. Jean Sarradet dirigeait un de ces commandos que l’on appelait « les commandos Z », qui étaient des commandos très actifs et très meurtriers de l’OAS. Il vivait avec une fille, qui a d’ailleurs écrit, sous le titre « La Valise et le cercueil », ses mémoires, et qui s’appelle Anne Loesch. Je l’ai donc vu avec ce curé, à trois reprises, et il m’a dit : on ne peut pas continuer comme ça, l’OAS commet des crimes sans arrêt, moi-même j’ai fini par être menacé parce que je suis débordé, je veux rompre tous contacts avec eux. Finalement, le 7 juin, il donne une conférence de presse dans laquelle il se dissocie complètement de l’OAS et les condamne. Aussitôt il est condamné à mort par l’OAS. Il vient se réfugier du côté de Rocher-Noir, je vais le voir, et ensuite il rentrera en France. Pour se rallier, effectivement il demandait que ses hommes gardent leurs armes, une somme d’argent raisonnable, de façon à pouvoir leur payer leurs soldes, mais surtout il demandait des cartes d’identité de policier français pour ses hommes. Évidemment ça, ce n’était pas possible, ça je n’ai pas pu le lui obtenir et je reconnais que c’était irréalisable. Mais enfin en tout cas il a obtenu complètement le combat. Ceci montrait quand même qu’il y avait des gens dans l’OAS qui se posaient des questions.
« Archive message radio de l’OAS( ?) : Et voici quelques messages personnels. Le four est trop chaud. Les petits pains vont brûler. Suze et Saint Janot ont un mélange hardi Le micro est particulièrement sensible. Nautilus fera surface à l’aube. »
[Musique militaire, fond sonore des annones de la prise d’antenne par l’OAS]
Traqué par la police, par l’armée et par le FLN, que dirige à Alger le commandant Azzedine, unanimement condamnée en France, perdant le contrôle des Pieds-noirs dont certains quittent déjà l’Algérie, l’OAS cherche à négocier avec le GPRA, présidé alors par Ben Khedda. Contre l’avis de Jean-Claude Pérez, chef de la branche armée de l’OAS, Jean-Jacques Susini, qui a succédé à Salan à la tête de l’organisation, prend contact avec le docteur Mostefaï, membre du FLN au sein de l’exécutif provisoire. Mais en temps, pour se donner plus de poids, l’OAS intensifie son action terroriste, malgré l’ordre du général Jouhaud, qui de sa prison en France, lui demande de cesser le combat.
« Lorsqu’un chef estime que la bataille est sans issue, lorsqu’il a conscience que tout a été tenté pour vaincre, que l’honneur est sauf, il est pour lui un moment douloureux, tragique, c’est d’arrêter les combats. Il faut chercher avec nos ennemis d’hier un terrain d’entente qui permette à tous les Français de continuer à vivre sur leur terre natale en toute dignité. Il importe que l’action de l’OAS cesse au plutôt, c’est son chef qui le demande à ceux qui se sont spontanément mis sous ses ordres. »
« Archive message radio de l’OAS ( ?) : Si nous n’obtenons rien, si Monsieur Ben Khedda déclare s’en tenir aux Accords d’Évian, qui nous ne satisfont nullement, et si le président du GPRA prétend se faisant ne pas vouloir devenir un marchand de tapis, notre intention, qu’il le sache bien, et ses amis avec lui, est absolument conforme. Nous avons prouvé que, et nous prouverons encore, que nos équipes spéciales obéissent strictement aux ordres qui leur sont donnés : déjà, certaines industries sont détruites, il nous faut aller plus loin. Nous procéderons alors vraiment à la politique de la terre brûlée. Nous incendieront tous les puits de pétrole et tous les puits de gaz, nous minerons les barrages, nous détruirons les usines électriques, les usines gazières, nous indiquerons à chaque particulier d’avoir sous la main une vingtaine de litres d’essence pour brûler tous les meubles qu’ils ne pourront pas emporter. Une chose est donc certaine, nous ne laisserons rien ici, si nous devons partir. »
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : On avait demandé en quelque sorte d’exagérer les actions terroristes pour donner plus de forces à ces négociations, pour donner l’impression que l’OAS était une force qui était disposée à aller jusqu’au bout et à faire d’Alger un véritable champ de massacre, il fallait jouer ce bluff-là pour le succès d’un certain style de négociations. Le problème ça a été que quand il y a eu la capitulation des Deltas, c’est une capitulation, quand ils ont décidé de faire le cessez-le-feu, je les ai réunis, je leur ai dit : du jour au lendemain vous mettez bas les armes alors que normalement vous auriez dû au moins en parler. On m’a dit qui avait réussi à les convaincre, j’ai dit : alors c’est très bien, moi je vais faire une lettre et j’ordonne le départ de ceux qui veulent me suivre. J’ai fait une lettre à tous mes adjoints, à tous mes subordonnés, en disant pour quelles raisons j’ai décidé de partir et de transférer ailleurs notre potentiel de combat. C’est comme ça que je suis parti le 14 juin, abandonner les miens, devenant un gêneur, et finalement ne voulant pas compromettre la vie de ceux qui allaient rester et leur laisser le temps de partir puisque finalement la frontière est restée ouverte, il n’y a pas eu d’opération visant à nous empêcher de partir par tous les moyens.
Vous avez même été je crois… enfin vous aviez un créneau, comme on dit, c’est-à-dire qu’en réalité l’armée était prête à fermer les yeux sur votre départ.
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Ça, c’est ce que je crois avoir compris, en ce qui me concerne je ne crois pas qu’on m’aurait laissé partir si on m’avait attrapé, pas moi, moi on m’aurait flingué à vue, je pense. D’ailleurs les dernières journées que j’ai passées à Alger j’ai passé mon temps à changer de planque sans arrêt, j’étais balancé par tout le monde. J’étais celui qu’il fallait apporter dans la corbeille de mariage. Il fallait amener ma tête, j’étais le gêneur, celui-là on ne peut pas discuter avec lui, il faut le flinguer.
Le 17 juin 1962, le docteur Mostefaï annonce aux Pieds-noirs l’accord conclu avec l’OAS.
« Je sais le désarroi dans lequel vous êtes. Vous vous posez des questions sur votre avenir dans ce pays, sur votre sécurité, sur le respect de votre personnalité et de votre dignité d’homme. Vous êtes probablement meurtris parce que vous pensez que l’avenir de l’Algérie se fait et se fera sans vous, et même contre vous. Tels sont les sentiments d’un grand nombre d’entre vous. Ces sentiments ont été exprimés par les dirigeants des organisations syndicales et professionnelles, en particulier par les dirigeants de l’OAS, avec lesquels nous nous sommes entretenus, et si j’ai participé à tous ces entretiens, c’est parce que leur utilité a été reconnue par les dirigeants algériens dont vous entendiez recevoir les assurances nécessaires. L’entente et la paix sont donc possible, tout de suite. Sachons saisir ensemble l’occasion qui s’offre à nous de ramener la concorde nécessaire entre tous les Algériens. »
En moins d’un an, l’OAS avait tué plus deux-mille-quatre-cent personnes. Trois mois après le cessez-le-feu du 19 mars, le 17 juin 1962 la Guerre d’Algérie se terminait donc réellement mais trop tard pour les Européens et les harkis compromis par l’action de l’OAS et qui craignaient les représailles du FLN, notamment à Oran où se multiplient les disparitions et les massacres. Quelques Européens accusent l’armée française, commandée par le général Fourquet de les avoir abandonnés.
Michel Fourquet : général : Le terme d’abandon est vraiment, je crois, mal appliqué dans ce cas-là. Ce qu’il faut quand même se rappeler c’est que les Accords d’Évian prévoyaient à un moment donné l’arrêt des opérations offensives. C’est-à-dire que l’armée française s’engageait à ne plus opérer d’actions contre les guérillas ou contre les éléments de l’ALN qui pouvaient se trouver par-là. Ça, c’est un premier point. Alors, chacun sait que dans une situation d’insécurité, quand on n’attaque pas eh bien mon Dieu la sécurité diminue instantanément.
Pierre Laffont : Les massacres d’Oran ce sont des mouvements absolument spontanés. Le FLN n’est pour rien du tout là-dedans. On a attendu pendant plusieurs jours avant de fêter l’indépendance. Les gens étaient excités, ils avaient gagné, ils avaient bu et puis tout d’un coup ils se sont répandus dans les rues et ils ont commencé à tirer sur tous les Européens qu’ils voyaient. D’après les chiffres que je sais il y a eu mille-deux-cent morts ce jour-là. Personne n’en parle jamais mais c’est quand même la plus grande catastrophe de la guerre, c’est bien plus qu’Ouradour. Or, qu’est-ce qui s’est passé là ? Le général Katz, le général qui commandait à Oran, il a attendu sept heurs pour faire sortir ses troupes. Et dès que les troupes françaises sont sorties, tous les émeutiers se sont égaillés dans la nature et l’ordre est revenu. Alors, comprenez que les Français d’Algérie qui ont assisté à ça, on les avait laissés entre les mains de gens sans foi ni loi, aient pu trouver quand même que la pilule était amère.
Rabah Khellif, capitaine : Je commandais la 4ème compagnie du 30ème bataillon des chasseurs portés, le 30ème BCP. Ayant des renseignements - comme tous mes camardes, alors que j’étais le seul officier français de souche nord-africaine, comme nous disons nous à l’époque dans cette unité de chasseurs, unité d’élites - qui m’affirmaient que les membres du FLN ramassaient, dans Oran et sur les routes, les Pieds-noirs et bien sûr les Musulmans qui étaient pro-français, pour les amener dans des camions et les fusiller avant de les jeter dans le Petit Lac, qui, paraît-il, actuellement serait cimenté. Je préfère parler au conditionnel, puisque je n’ai pas vu cette action, voilà ce qui m’a été rapporté. J’ai téléphoné au colonel commandant ce secteur, qui était mon patron hiérarchique le plus élevé, et à son adjoint, un commandant m’a dit : Khellif je comprends très bien ce que vous ressentez, je vous laisse faire selon votre conscience, mais attention, je ne vous ai rien dit. J’ai considéré cette réponse comme un feu vert, ou comme un encouragement, j’ai alors embarqué la moitié de ma compagnie et je me suis dirigé vers le point de regroupement, un des points de regroupement, qui se trouvait être devant l’ancienne préfecture, qui doit être toujours Préfecture je crois maintenait. Et là, effectivement, j’ai vu, d’un part une colonne, colonne par trois, colonne par quatre, de femmes, d’enfants, de vieillards Pieds-noirs, des centaines, qui étaient gardés par la valeur d’une section du FLN et qu’on s’apprêtait à embarquer pour une destination inconnue. Devant la Préfecture, il y avait un planton. Je demande à ce planton où se trouve le Préfet. Il m’a montré un monsieur, petit, costaud, chéchia rouge, qui grimpait les escaliers de la Préfecture. J’ai donc en trois enjambées rejoint ce Préfet et je lui ai dit : Monsieur le Préfet, je vous donne trois minutes pour libérer tous ces gens là, sinon je ne réponds plus de rien. Le Préfet en question n’a pas répondu, il est redescendu avec moi, il a été voir le patron de la section du FLN. La palabre n’a pas duré longtemps. Les gars du FLN sont montés dans leur camion, sont partis. le Préfet est venu avec moi et a dit à tous ces braves gens, les Pieds-noirs : Vous êtes libres.
Michel Fourquet : général : Oh, c’était vraiment une période absolument lamentable, à tous points de vue. Je ne vous cache pas que dans ma carrière, ça a été la période la plus douloureuse que j’ai pu vivre. Parce que voir s’effondrer, parce que c’est vraiment un effondrement moral et matériel, toute une population comme on l’a vécu c’est vraiment affreux. Je ne parle même pas des règlements de comptes et tout ce qui a pu tourner autour de ça, simplement l’effondrement et l’affolement de cette malheureuse population pied-noir, qui, tout d’un coup, s’est rendue compte que, eh bien mon Dieu c’était l’indépendance, parce qu’ils n’ont pas voulu y croire jusqu’au dernier moment. Alors, ça a été la panique, ça a été la débâcle et puis tout d’un coup ils ont voulu partir.
[Musique bédouine]
« Il nous sera difficile de retrouver la même douceur de vivre loin des steppes du sud embrassés par les lumières qui rongent les couleurs, les consument et n’en laissent traîner sur les horizons incandescents que des reflets fanés à peine ravivés par les aurores et les crépuscules. Quand les djebels découpés sur les ciels violets ressemblent à des scories oubliées à la gueule d’un four. Difficile de vivre loin des hautes plaines de l’Oranais ou du Constantinois sur lesquelles le vent pétrit les champs de blé comme les vagues de la mer et inspire l’esprit une dimension de la liberté. Ces paradis dont on nous a chassés, ce bonheur des terres incendiées, des ciels incandescents, des horizons de métal et des mosaïques bleues jonchées des fleurs de jasmin, nous tenterons de les troquer contre d’autres bonheurs, les bonheurs inconnus qui naissent pour d’autres hommes de la douceur de vivre sous d’autres cieux. Nous essayerons de découvrir la beauté de la lumière nacrée de la vallée de la Loire, la tristesse raffinée de la Bretagne, la gaîté bachique de l’Alsace, l’austérité des Cévennes et cette poésie indéfinissable qui baigne les paysages de bois et d’eau de l’Île-de-France. Mais nous savons bien qu’au bout de la quête nous n’aurons pas fait taire la nostalgie des paysages de pierres ni oublié les fêtes de la lumière sur les horizons embrassés. »
(Ach’hal Imdinnen Esvar du groupe Djurdhura [1])
Marie Elbe, journaliste à L’Écho d’Alger, écrivain : Nous avons quitté Alger le 23 juin 62. Je suis allée chercher mes parents dans le bled. La veille, maman qui était naïve s’imaginait qu’elle allait pouvoir emporter ses meubles. Elle ne se rendait pas compte de ce qui se passait. Quand je suis arrivée mes parents m’ont dit qu’il y avait eu des youyous toute la nuit, c’était horrible. Les mauresques hurlaient des youyous. Bien sûr le village était infiltré par le FLN, c’était la fin, on était à une semaine de l’autodétermination quand même. Alors, on a fait nos bagages. Il y avait une telle atmosphère épouvantable, moi j’ai dit à mes parents : écoutez, on va prendre un taxi et on va partir tout de suite, ce n’est pas la peine d’attendre le train, et puis on n’emporte rien. On ne pouvait rien emporter. Maman avait préparé nos déguisements de marquis quand on avait dix ans, en pleurant et en disant que c’était vos petits déguisements de marquis quand il y avait tel bal masqué. Tous les meubles étaient en paquets, tout était prêt. J’ai dit : non, non, on emporte trois fois rien et on part. Vous savez, on vit ça dans un état second parce que quand vous quittez votre maison parce que c’est la ruée des Allemands qui arrivent, enfin… Mais ça semblait absolument idiot : on partait, on partait, voilà ! Alors moi je me suis retourné, j’ai vu le casque colonial blanc de mon père, l’embrelle de ma mère, et je me suis dit : mais ce n’est pas possible ! j’ai passé ma vie dans cette maison et on part. et maman est descendue avec son petit chapeau et son sac, très digne, puis au moment de monter dans le taxi, c’était une femme assez vive, elle a vu les gars du FLN en face, elle est allée vers eux et leur a dit une chose idiote : Au revoir messiers, nous rentrons chez nous et je vous souhaites bien du plaisir ! Je me demande pourquoi, je ne sais pas, il fallait qu’elle dise quelque chose. Et alors, on est monté dans l’auto et fichte, on est parti. Elle nous disait d’ailleurs en descendant les escaliers : je vous en prie, ne pleurez pas, ne pleurez pas, tenons-nous bien droits !
Et sur les quais, vous étiez…
Marie Elbe, journaliste à L’Écho d’Alger, écrivain : Alors là, mes parents pleuraient, maman ne voulait pas le croire, ce n’était pas possible ! Je lui ai dit : on part ! Alors elle dit : je ne veux pas laisser mes morts ! On ne savait plus… Il fallait partir. On a réussi à avoir des places dans les soutes, comme tous les Pieds-noirs qui partaient à ce moment-là. On est parti avec des valises de cigales. Puis, le matin du départ, et bien voilà, on était là, et… cette foule immense, énorme… j’avais réussi à avoir une cabine, c’était El Mansour, pour mes parents, nous, nous étions dans la foule en bas, puis tout d’un coup j’ai vu monter sur cette passerelle mon père et ma mère. Ça, je ne l’oublierai jamais…. Et j’ai eu l’impression qu’ils étaient devenus vraiment des, je ne sais pas, rien, qu’ils n’étaient plus rien, rien… Deux vieillards, je me suis dit : ça y est c’est fini. Pour moi ça, ça a été la fin. Je me suis dit quoiqu’il arrive, quoiqu’on fasse, quoiqu’on me raconte ce n’est pas possible, ça c’est une chose qui n’était pas pensable.
[Ach’hal Imdinnen Esvar du groupe Djurdhura]
Omar Oussedik : Ils sont parts, ils n’ont jamais voulu être nos égaux, c’est pour cela qu’ils sont partis. Ils ne voulaient pas être nos égaux. C’est un constat. Il ne s’agit pas de vouloir ou de ne pas vouloir. Ils sont partis, c’est tout.
Ahmed Ben Bella, futur premier Président de la République Algérienne : Je savais que psychologiquement ce n’était pas possible. Un Français, un Pied-noir qui a vécu pendant des années dans un état psychique ne peut pas accepter l’état d’une Algérie libre où il n’est plus psychiquement, socialement ce qu’il était. Psychiquement sa constitution ne peut pas accepter cela. Moi, je comprends ça, moi j’aurais à sa place j’aurais fait la même chose. Moi, à la place d’un Pied-noir j’aurais réagit comme lui, je vous le dis franchement. (( ?) manque deux mots), pendant 133 ans, il a mangé… Jusqu’aujourd’hui, vous croyez qu’ils sont Français, jamais ils n’oublieront le pays, je vous le jure. Moi, j’ai vu des Pieds-noirs. J’ai vu quelqu’un au Mont-Saint-Michel, c’était un ancien OAS, il m’a invité, j’ai mangé, etc. il m’a expliqué ce qu’il était devenu, je comprends. Je comprends, que veux-tu ! Ils sont blousés ces gens-là, ils ont tout perdu, à qui la faute ? à qui la faute ? !
[Ambiance, enfants jouant dans la rue]
« Comprenez que je ne puisse parler d’elle autrement qu’au passé. Pour ceux qui sont nés, comme moi, là-bas, dont le destin a bifurqué, cette Algérie est morte. Comme nous l’aimions éperdument son agonie nous rendait fous. Portant l’évoquant aujourd’hui, je le ferai sans chagrin, éprouvant même quand j’y pense une sorte d’intime allégresse. Les années ont passé, elles ont emporté avec elles nostalgie amère et vaines amertumes, ces scories de la mémoire, restent nos souvenirs purs, vivaces, souverains, intacts, plus forts que le temps qui passe, plus forts même que la mort. Éblouissantes allusions que les saisons de l’enfance et de l’adolescence ont déposé en chacun de nous, soleil après soleil. Pays natal béni, nourricier de splendeurs, à notre insu tu nous pris le goût de savourer jusqu’à la plus infime les joies d’une terre prodigue, tu nous enseignas le bonheur d’exister. Il faut dire aussi que tu offrais comme compagnon de jeunesse et de jeu le soleil, les éblouissements de midi, la douceur des ombres du soir, les reflets sur la mer des jardins d’Évangile, des ciels gorgés d’étoiles, des mirages sur la rocade sud, et le vent, le vent architecte des dunes, suivaient les cortèges de senteurs et des tumultes de couleurs. Un jour nous avons dû à travers ces richesses impalpables, dont nos yeux été encore pleins, regarder le reste du monde, il a fallu apprendre à les garder en nous, une lumière au fond de nous, une superbe référence, notre héritage, notre vérité. » Marie Elbe
Lorsque tous ces Pieds-noirs sont partis, vous, vous êtes resté, Mon seigneur, pour quelle raison ?
Monseigneur Duval, évêque : Je suis resté parce que je suis évêque. L’évêque porte un anneau. L’anneau signifie l’alliance, mariage si vous voulez. L’évêque est lié au peuple que Dieu lui a confié. Quand je suis venu en Algérie en 47, je suis venu avec la volonté de n’en partir jamais. L’Algérie est devenue indépendante, j’ai pensé non pas que ce n’était pas une raison pour m’en aller mais que c’était une raison pour rester, rester fidèle au peuple algérien, car si je suis venu ici ce n’est pas seulement pour les chrétiens, je suis venu ici pour porter témoignage de la charité du christ auprès de toute la population du pays. Par conséquent, l’Algérie étant devenue indépendante, c’était une raison de plus, pour moi, de rester. C’est pour cela que je suis resté. Un bon nombre de prêtres également sont restés, les évêques, tous les évêques qui étaient à leur poste au moment de l’indépendance, nous sommes tous restés.
Jean Scotto, curé de Bab El Oued : Alors là si vous voulez ça a été vraiment pour moi, je le dis simplement, une souffrance intense. Je me souviens que je suis resté trois semaines sans dormir, tellement je souffrais de cette multiplication d’attentats. Je me demandais où nous arriverions. Finalement, on est arrivé comme ça à la veille du scrutin de l’indépendance, et là alors j’ai eu une réflexion peut-être un peu désabusée en réunion d’équipe, avec mes prêtres, j’ai dit : eh bien moi aujourd’hui je suis un homme vaincu. Ils m’ont dit pourquoi ? J’ai dit parce que je rêvais à la réconciliation. Je rêvais d’un peuple nouveau dans une Algérie nouvelle, dans un pays neuf et voici que cela n’a pas lieu puisque la plupart des chrétiens sont partis.
C’est donc dans une Algérie désertée par un grand nombre d’Européens que le premier juillet 62 le référendum prévu par les Accords d’Évian se déroule. Une majorité écrasante d’électeurs se prononce pour l’indépendance de l’Algérie. C’est la fin d’une guerre qui n’a jamais voulu dire son nom, et à l’issue de laquelle le bilan des pertes reste encore très controversé. La France reconnaissant la mort de vingt-trois-mille soldats, de trois mille Pieds-noirs et de quelques deux-cent-mille Musulmans. Mais les autorités algériennes donnent un chiffre d’un million de morts sans compter les massacres de plusieurs milliers de harkis. Début juillet, l’entrée du GPRA en Algérie provoque des manifestations de joie. Mais en France, la fin de la tragédie algérienne bouleverse tout le monde, y compris ceux qui avaient souhaité mettre un terme à une guerre sans issue, parmi eux, Bernard Tricot.
Bernard Tricot, conseiller technique chargé de l’Algérie auprès de de Gaulle (1959- 62) : C’est d’abord la tristesse, c’est aussi le sentiment vraiment que cette affaire française en Algérie elle a été largement ratée. Nous n’avons pas eu, jusqu’aux décisions souvent pénibles mais courageuses du général de Gaulle, de politique continue, que nous avons perdu des occasions. Après je crois vraiment que cette affaire été perdue parce que le sentiment nationaliste algérien s’était considérablement renforcé. Et l’Algérie n’était pas seule dans le monde, il y avait les voisins marocains et tunisiens, qui pendant ce temps-là accédaient à l’indépendance. Tout cela était probablement trop tard pour faire des solutions raisonnables. De sorte que oui, c’est la tristesse qui l’emporte.
Paul Delouvrier, Délégué général du gouvernement en Algérie de 1958-1960 : On m’a demandé de servir mon pays et j’avais confiance dans le général de Gaulle. Seul, il pouvait nous tirer d’affaire. L’histoire le dira, c’est peut-être un service aussi grand que celui qu’il a rendu en faisant le discours du 18 juin.
Yacine Kateb, écrivain : Ça n’a jamais été je crois une lutte contre la France, pour la plupart des Algériens, pas seulement pour moi. On se connaît et on sait très bien que ce qui s’est passé ce n’est pas la France qui a été impliqué là, c’est l’impérialisme français, c’est autre chose. Il y a eu un choc entre nos deux peuples, c’est sûr. Il y a eu une conquête militaire, c’est sûr. Il y a eu une tentative de dépersonnalisation, c’est aussi sûr. Mais à quelque chose malheur est bon, nous avons quand même vécu ensemble, longtemps, et au départ nous avons subi, tous, une histoire qui nos échappait souvent maintenant nous en connaissons le sens à peu près. Maintenant il faut l’assumer.
Omar Oussedik : Les conditions de lutte étaient excessivement difficiles. Nous n’avions pas d’industrie de guerre, la France en avait une. Nous n’avions pas ‘aviation, nous n’avions pas de blindés, nous n’avions pas de marine de guerre. Nous avions au départ des fusils de chasse et quelques fusils de guerre. Et nous avions surtout foi en la justesse de notre cause et nous nous situions aussi dans l’histoire. Nous n’étions pas des passéistes, nous étions dans la vérité, nous défendions une cause juste. Il faut que les gens sachent que l’épopée de notre peuple a été une très grande épopée, ça a été un des moments forts de l’histoire de l’humanité. Il faut aimer, aimer farouchement la liberté pour résister, comme on l’a fait, pendant sept ans et demi, à une armée qui avait des traditions militaire, qui sont honorables, ils ont été mes adversaires nous nous sommes battus, c’étaient des guerriers, le Française se bat, il se bat bien, mais les Algériens aussi savent se battre.
« Archive radio, journaliste ( ?) , sur fond de défilé avec klaxons, et slogans « tahia el djazaïr » : Des camions, des autocars, des automobiles chargés à bloc de Musulmans, des jeunes hommes, des garçons, d’enfants, défilent dans le centre de la ville en scandant : « FLN yahia ! », évidemment tout cela nous rappelle étrangement le slogan « Algérie française ! » cela se prononce absolument dans la même modulation et produit un effet assez curieux dans ces quartiers européens où ce vieux slogan, « Algérie française ! », avait assez souvent retenti. Mais je vous le répète, tout cela est peut-être très bruyant mais tout cela se fait absolument sans incidents, la population européenne regarde au balcon. Les passants Européens sont un peu inquiets quand-même, essayent de sourire pour montrer qu’ils ne sont pas hostiles, mais de part et d’autres il n’y a pas de gestes, il n’y a pas d’attitude hostile. On voit au carrefour de la ville des soldats en armes de l’ALN, mitrailleuse à la main, mitrailleuse (manque un mot) d’ailleurs, ils assurent la protection, nous ont-ils dit, des Européens au cas où quelques perturbateurs essaieraient d’exploiter cette manifestation. Par ailleurs, à tous les carrefours se trouvent des membres du FLN, brassards à la manche, qui assurent la circulation. Mais devant nous un incident, un soldat de l’ALN, mitraillette à la main, en tenue de parachutiste, casquette bigeard, arrête un camion, bourré d’enfants et leur interdit de klaxonner, leur interdit de manifester et leur demande de circuler dans le silence. Le soldat a été, disons, assez énergique, les enfants ont baissé la tête, le camion repart et ils entonnent des slogans beaucoup moins forts. »
Georges Buis, général : Il y a eu la fantasia en pleine nuit ! Tout le monde, y compris ma boniche, que j’ai retrouvé dans un coin, tirait des coups de révolver, tirait des coups de fusils en l’air, mais les balles circulent partout. Moi, j’ai fait le tour des miradors, j’ai dit à tous les gendarmes : vous ne répondez pas. Ils m’ont dit : mais bien sûr, on comprend, ils sont contents. Ils ont été très calmes. Puis, ça s’est éteint. Mais enfin, il y a eu là une explosion de joie. Les serveurs des messes et les boniches qu’on pouvait avoir, tout ça, tout le monde était dehors, hurlait sa joie et tirait des coups de révolvers dans l’air.
Yacef Saadi, chef des réseaux terroristes FLN : Pour nous, c’était (manque un mot), il n’y a pas de doute, on s’est dit : voilà, on assiste à la manifestation de ce mouvement, on est arrivé quand même. Et après, c’est le bilan, c’est le souvenir des morts, etc., etc. Puis, on oublie. On n’oublie pas les morts évidemment, de temps en temps ils reviennent, parce que… J’ai donné un sens à ma vie, c’est tout. C’étaient les plus belles années de ma vie finalement parce qu’il y avait le risque, il y avait quelque chose, quoique maintenant j’ai troqué la mitraillette pour la plume, j’essaye d’écrire maintenant, j’essaye… Alors, je vie, je vie cette guerre toujours, je la vie jusqu’à maintenant.
Si Azzedine, Rabah Zerari, commandant de l’ANL, chef de la zone autonome d’Alger : Vous savez, ce n’est pas donné à n’importe quelle génération de mener un combat libérateur. Je garde un très grand souvenir et il n’y a pas un jour où je ne voie pas mes compagnons de combat qui ont disparus. Il n’y a pas un jour où je ne me remémore pas quelque chose, ce fut un moment très grand, très grand : le déclenchement, le combat libérateur, l’indépendance. Vous savez, c’est très beau ça ! Pour une révolutionnaire, ces souvenirs demeurent, ils ne partiront jamais jusqu’à sa fin. Ce jour-là de l’indépendance, bien sûr c’était un grand, grand moment. Un grand moment, c’est indescriptible, il fallait le vivre pour comprendre, tout un peuple en folie, tout un peuple en liesse, tout un peuple dans la rue, ça chantait, des gens qui n’avaient pas dormi deux trois jours. C’était vraiment extraordinaire.
Omar Oussedik : C’était le jour rêvé. Après cela, on pouvait mourir. On a vécu ce jour, on a vécu pendant trois jours, trois jours sans dormir ! Et qui a vécu ces trois jours, parmi les Algériens, peut partir, il a vu le drapeau flotter sur la capitale, il a vu l’exécutif revenir dans la capitale, on était réconcilié avec notre histoire.
« Archive radio en arabe :Hona saout El Djoumhouria El-Djazairia, Hymne algérien Ici, la voix de la République algérienne. »
« Par le référendum du 8 avril 1962, le peuple français a approuvé les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, qui prévoient le cas où les populations algériennes choisiraient de constituer un État indépendant, coopérant avec la France. En conséquence, le président de la République déclare que la France reconnaît solennellement l’indépendance de l’Algérie. » Fait à Paris, le 3 juillet 1962, Charles de Gaulle
[Ambiance de rue avec des enfants qui jouent, hymne algérien]
Wa-d-dimâʾi z-zâkiyâti ṭ-ṭâhirât
Wa-l-bunûd il-lâmiʿâti l-khâfiqât
Fi-l-jibâli š-šâmikhâti š-šâhiqât
Nahnu thurnâ fahayâtun aw mamât
’’Wa ʿaqadnâ l-ʿazma ʾan tahya l-jazâʾir.’’
’’Fa-šhadû ! Fa-šhadû ! Fa-šhadû !’’
Nahnu jundun fî sabîl il-haqqi thurnâ
Wa ʾilâ-stiqlâlinâ bi-l-harbi qumnâ.
Lam yakun yusghî lanâ lammâ nataqnâ
Fa-ttakhadhnâ rannat al-bârûdi waznâ.
Wa ʿazafnâ naghmat ar-raššâši laḥnâ
’’Wa ʿaqadnâ l-ʿazma ʾan tahya l-jazâʾir.’’
’’Fa-šhadû ! Fa-šhadû ! Fa-šhadû !’’
Yâ firansâ qad madhâ waqt ul-ʿitâb
Wa tawaynâhu kamâ yutwa l-kitâb
Yâ firansâ inna dhâ yawm ul-hisâb
fa-staʿiddî wa khudhî minnâ l-jawâb
Inna fî thawratinâ fasl al-khitâb
’’Wa ʿaqadnâ l-ʿazma ʾan tahya l-jazâʾir.’’
’’Fa-šhadû ! Fa-šhadû ! Fa-šhadû !’’
Nahnu min abtâlinâ nadfaʿu jundâ
Wa ʿalâ ašlâʾinâ nasnaʿu majdâ.
Wa ʿalâ arwâhinâ nasʿadu khuldâ.
Wa ʿalâ hâmatinâ narfaʿu bundâ.
Jabhat ut-taḥrîri aʿataynâki ʿahdâ
’’Wa ʿaqadnâ l-ʿazma ʾan tahya l-jazâʾir.’’
’’Fa-šhadû ! Fa-šhadû ! Fa-šhadû !’’
Sarkhat ul-awtâni min sâhi l-fidâ
Fa-smaʿûhâ wa-stajîibû li-n-nidâ
Wa-ktubûhâ bi-dimâʾi š-šuhadâ
Wa-qraʾûhâ li-bani l-jîli ghadâ
qad madadnâ laka yâ majdu yadâ
’’Wa ʿaqadnâ l-ʿazma ʾan tahya l-jazâʾir.’’
’’Fa-šhadû ! Fa-šhadû ! Fa-šhadû !’’
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