Nadi El Taraqqi ou Cercle du progrès, de l’Association des oulémas algériens (AOA) n’existe plus. Situé à la place des Martyrs, le lieu n’assure plus la mission pour laquelle il a été ouvert à la fin des années vingt (1927). Puisque fermé à double tour.
Dans cette partie de la Basse Casbah, partiellement rénovée, très peu ou rares parmi les riverains qui le connaissent. Pas de plaque, ni même le numéro indiquant l’immeuble (n°9). «Nadi quoi… ?», répond un jeune trentenaire interrogé sur l’adresse exacte du cercle.
Le jeune revendeur, gérant d’un magasin des arcades de la place avoue ignorer l’existence d’un tel endroit à l’étage de l’immeuble qu’il occupe avec ses collègues.
Fondé par des grandes familles algéroises, le Cercle sera «repris» par l’Association des oulémas à travers un de ses illustres membres, Tayeb El Okbi (1889-1960).
De retour du Hedjaz où il a émigré avec sa famille, El Okbi, originaire de Biskra, est invité par Mahmoud Ben Siam et Mohamed Ben Merabet à animer l’association du Cercle du Progrès, rappelle Nacim El Okbi, dans une étude très documentée : Le Nadi El Taraqqi ou Cercle du progrès à Alger : origine, activités, rôle dans l’affirmation d’une identité algérienne (1927-1962) (disponible sur le site du Centre d’études diocésain d’Alger et dans l’ouvrage collectif, Défis démocratiques et affirmation nationale.
Algérie, 1900-1962, Chihab). «Créée par des familles algéroises dans la Basse Casbah où étaient leurs principaux lieux de rencontre, l’association du Nadi El Taraqi s’était fixé pour but d’"aider l’éducation intellectuelle, économique et sociale des musulmans d’Algérie", rappelle l’auteur.
Le vénérable cheikh, qui a à son actif une carrière déjà longue : conseiller au Hedjaz du chérif Hussein qui lui confia la direction du journal Al Qibla, le Alim retourne en Algérie en 1920 pour vite entrer en contact avec Ibn Badis et lance sous la bannière islahiste (réformiste) des journaux.
A Alger, où il s’installe à l’appel des notables locaux, il réussit à conquérir le public par une forte activité dans les locaux de l’association à l’étage de l’immeuble de l’ancienne place du Gouvernement. «Les nouvelles idées de la Nahda (La Renaissance) et de l’lslah se propagent alors avec force dans la capitale algérienne, ce qui prépare la création, en mai 1931, de l’Association des oulémas qui aura, elle aussi, son siège au Cercle du progrès», signale Nacim El Okbi qui assure que l’auditoire de son aïeul devient plus nombreux, plus varié, et rapidement la salle principale (du cercle) ne désemplit pas, toutes les couches sociales s’y retrouvant, de la plus modeste, à l’exemple des dockers, avec à leur tête leur chef syndical Hadj Nafaâ, à la plus aisée – celle qui était à l’origine de la fondation de l’association.
Le Cercle du progrès connaîtra durant cette période une forte activité. Il accueille des associations musicales et de théâtre, dont El Djazaïria (L’Algérienne) qui y a été créée en 1930. Et dont l’objectif est précurseur pour l’époque. «La naissance de la société El Djazaïria le 27 janvier 1930 laisse paraître, ne serait-ce que par son appellation, la volonté d’affermissement d’une personnalité algérienne, non étouffée, voire recrudescente.
Ayant pour président Mohamed Bensiam, son premier concert public fut donné au Cercle du progrès le 23 mars 1930», note Nadya Bouzara-Kasbadji dans son essai très éclairant, L’Emergence artistique algérienne au XXe siècle (OPU), que l’éditeur universitaire ferait bien de réimprimer, l’édition originale publiée en 1988 étant épuisée depuis très longtemps.
Bisbilles entre oulémas !
L’activité musicale au Cercle est assez intense, signale El Okbi, avec les orchestres andalous des associations El Moutribia (La Mélodieuse), créée vers 1911, et El Andaloussia (L’Andalouse), née en 1929, qui, à plusieurs reprises, donnent des concerts dans la grande salle.
Le grand ténor et homme de théâtre Mahieddine Bachtarzi (1897-1986), s’y retrouve avec ses musiciens de toutes confessions. «Cette relation des oulémas d’Alger avec les associations artistiques a duré bien après les années trente ; par exemple, le groupe de Bachtarzi a offert les revenus de la pièce théâtrale Khaled el chahir jouée au Majestic en 1947 et aussi la pièce théâtrale Fi sabil ech-charaf pour la construction de la première mosquée libre dans la ville d’Alger, nommée Chakib Arslan à Saint-Eugène (Bologhine actuellement)», détaille Afaf Zekkour, docteur en histoire contemporaine à l’université Hassiba Benbouali, de Chlef. (voir entretien).
De la musique andalouse, du théâtre, des activités caritatives, le cercle sera le refuge des Algériens, qui voient la France coloniale célébrer avec grand faste le «centenaire» de sa présence dans le pays (1930).
Ces associations «indigènes» y trouvent un lieu d’activités, à l’instar du «Mouloudia Club d’Alger» (MCA), dont le président, Si Mahmoud Ben Siam, et le vice-président, Si Tahar Ali Chérif, privilégient cet endroit pour lancer des activités en direction de la jeunesse du vieux quartier arabe tout proche, La Casbah. Le Cercle connaîtra à la faveur de la Guerre de Libération une autre histoire.
C’est dans ses locaux que l’écrivain Albert Camus lancera son appel à une trêve civile le 22 janvier 1956. Protégé par des militants du FLN, avec la complicité de Amar Ouzegane, Mhamed Lebdjaoui, l’écrivain prononce son discours pour tenter, espérait-il, de réconcilier entre les communautés européennes et musulmanes, autour de l’initiative pacifiste des libéraux d’Algérie, comme le précisent Christian Phéline et Agnès Spiquel dans des essais sur l’auteur de L’Etranger (Charles Poncet, Camus, L’impossible trêve civile, Gallimard).
Y était présent dans la salle le vieux alim, El Okbi, reconnaissant à l’auteur de la Chute qui prendra sa défense dans les colonnes d’Alger Républicain, après sa détention dans l’affaire du mufti Kahoul. Après cet épisode rocambolesque, le cercle connaîtra des soucis avec l’administration coloniale.
Le général Jacques Massu, chef du commandement militaire, fera occuper les lieux par sa soldatesque. Pour Nacim El Okbi, l’officier «prit de force possession des lieux et en expulsa l’association afin d’utiliser le local pour son ''action psychologique'' contre les Algériens en y établissant une ''œuvre féminine'' avec sa femme Suzanne Massu, et Lucienne, épouse du général Salan». «Le but réel était de soustraire cet important lieu à l’action de la communauté musulmane qui était à cette date majoritairement acquise au combat pour l’indépendance», soutient-il.
L’association, dont l’activité a baissé au lendemain de l’indépendance suite aux démêlés de son président Bachir Ibrahimi avec le président Ben Bella, délaissa les locaux du Nadi. Des bisbilles sont apparues beaucoup plus tard sur la gestion du lieu. L’actuel président, Abderrazak Guessoum, fera face à une contestation sur la propriété de l’endroit où sont organisées de très rares activités.
Dont l’une des dernières est la célébration en 2012 du 52e anniversaire de la mort (21 mai 1960 – 16 juin 2012) du grand orateur et islahiste Cheikh Tayeb El-Okbi.
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