Qui était l’aspirant Henri Maillot ?
Que signifie aujourd’hui le nom de l’aspirant Maillot, quarante-deux ans après sa mort, dans les premiers jours de juin 1956 ? Dans un récent ouvrage, Serge Kastell accomplit un remarquable travail de mémoire. Le moins que l’on puisse dire est que la disparition de ce jeune aspirant du Train, responsable du Parti communiste algérien qui, au temps où le gouvernement de la France étendait son autorité de Dunkerque à Tamanrasset, passa « à l’ennemi » en avril avec un camion d’armes et qui se fit tuer au maquis, reste discrète, voire méconnue, de l’histoire officielle française. En Algérie, ce n’est qu’un nom de martyr parmi d’autres, en grande majorité musulmans, et pour un tout petit nombre européens. En préface à l’ouvrage, Henri Alleg parle d’ »épopée » à propos de la constitution dans la vallée du Chélif d’un « Maquis rouge », comme disait la presse de l’époque. Il est de ceux qui jamais ne pourront oublier « l’extraordinaire émotion qui, un matin de juin 1956, accueillit la nouvelle de la mort d’Henri Maillot, de Maurice Laban et de leurs compagnons d’armes, paysans patriotes engagés à leur c »té ».
Ces « Combattants de la libération » dont Henri Maillot fut une figure héroïque, s’intégreront, pour certains d’entre eux qui survécurent, dans l’Armée de libération nationale (ALN) algérienne. Henri Alleg note que, si à l’époque « le nom des Européens qui en étaient membres a été plus médiatisé que ceux qui étaient d’origine algérienne, ils ne seront pas non plus traités par les dirigeants de l’Algérie indépendante avec le respect et la reconnaissance que méritait leur exceptionnel courage ». Serge Kastell, trop jeune pour avoir vécu l’expérience de la guerre d’Algérie, est une exception. Il a été « fasciné » et « conquis » par la « pureté de l’engagement » de l’aspirant Maillot. On lui pardonnera donc certaines inexactitudes sur l’attachement profond de son héros au Parti communiste algérien et sur la réalité de ce que furent les relations entre le PCA et le Parti communiste français. Henri était fils d’un européen d’Algérie de vieille souche. Un enfant du pays, en quelque sorte. On en apprend beaucoup sur les épisodes qui propulsèrent Henri Maillot dans l’univers communiste de l’époque, et peut-être un peu moins sur les circonstances de la mort de celui que « l’Echo d’Alger » traitait d’ »aspirant félon ». L’auteur a retrouvé Mohammed, pâtre, témoin oculaire de la fin tragique de Maillot. Ce dernier serait bien mort en répondant « Vive l’Algérie ! » aux militaires français qui lui intimaient l’ordre de crier « Vive la France ! ».
ARNAUD SPIRE
preuve de collusion du PC avec les terroristes
L’aspirant Henri Maillot ancien comptable de Alger Républicain, il livre des Armes aux rebelles un chargement d’armes 97 fusils, 85 mitraillettes, 90 pistolets, 12 caisses de grenades et munitions passent ainsi aux mains des hors-la-loi. Les esprits les plus libéraux ceux qui considèrent encore que le communisme était une opinion valable ne peuvent plus entretenir cette illusion. En Algérie le communisme est synonyme de trahison. La félonie de l’aspirant Henri Maillot en est une confirmation. Seulement une confirmation. C’est la gravité du forfait, ses conséquences, qui heurtent la conscience humaine. Qu’un français, un officier, use de ce titre pour ourdir un sombre complot, se mette à la disposition des ennemis de son pays au nom d’une quelconque idéologie, cela dépasse l’entendement.
Que cet homme fournisse des armes dont il ne peut ignorer la destination, qu’il donne à des assassins les balles viendront frapper surtout dans le dos, des innocents ou ceux qui défendent une terre ancestrale, la sienne cette conduite ne peut être qualifiée que d’infamante. Avant d’être officier il avait été délégué national de l’U.J.D.A. Henri Maillot avait signé une déclaration sur l’honneur » dans laquelle il affirmait ne pas être communiste et ne jamais avoir appartenu au parti. C’était déjà un mensonge. Et l’on peut s’étonner que sa seule signature lui ait valu la confiance de ses chefs. Henri Maillot avait pourtant des antécédents qui auraient dû le rendre suspect. Son père, décédé il y a quatre mois, étant un communiste notoire secrétaire général du syndicat (C.G.T.K) des municipaux. Le fils avait suivi ses traces. Deux fois il avait été invité derrière «le rideau de fer ». Il faisait partie de la délégation qui avait assisté au «festival de Varsovie », il avait été aussi en URSS, avant 1952, et l’on sait combien il faut montrer patte blanche pour assister à de tels congés. Lui pouvait le faire : il avait été délégué national de l’union de la Jeunesse Démocratique algérienne (U.J.D.A). Il était encore comptable au journal rouge «Alger-Républicain », et épisodiquement l’un des ses rédacteurs. Henri Maillot enfin était «fiché » dans les services de la police. Nous sommes en mesure d’avancer que ces renseignements avaient été communiqués à l’autorité militaire. Récemment. On peut s’étonner qu’on lui ait alors confié une mission à Miliana de cette importance.
L’intelligence du crime
Henri Maillot a intelligemment édifié son forfait. Les policiers et les malfaiteurs vous diront que plus une «affaire » est simple plus elle a de chances d’aboutir. Les contacts avec les rebelles étaient établis sans doute depuis longtemps. On nous a même assuré que Maillot s’était engagé dans le seul but de leur être un auxiliaire précieux. Ecarter un camarade et l’escorte qui ’accompagnait était un jeu. Quel « trouffion » résisterait à quelques heures de liberté accordées pendant une mission, à la possibilité d’aller embrasser sa femme de caresser son gosse sachant qu’il retrouverait dans quelques instants la caserne ?….Quel officier compréhensif était Henri Maillot et combien il savait se rendre sympathique à ses hommes. Hélas pour cet esprit rigoureux, mathématique tout n’était que bas calcul. Il poursuivait un plan ,.En mettant bas le masque, il a découvert aussi les buts que poursuivent ceux qui se réclament d’une idéologie néfaste. L’Algérie française connaît désormais ses ennemis.
Une mission comme les autres
A 7h mercredi matin, un convoi militaire quittait Miliana pour se rendre sur Alger. Ce convoi était composé d’un camion Ford, cabine avancée, du groupe de Transports 504, et de deux Jeeps avec chacune trois hommes. La mission principale de ces derniers était d’assurer la protection du camion qui transportait un armement important comprenant : 97 fusils de guerre , 95 mitraillettes douze caisses de grenades offensives, 50 pistolets à barillet, du modèle 92, et 40 pistolets automatiques 7 mm, 65. Ces armes étaient accompagnées de leurs munitions en nombre important. En outre le camion avait également chargé des fusils de guerre et des baïonnettes reformés et quatre cent chargeurs vides de mitraillette sten. Le Bataillon de protection auquel elles avaient été affectées, ayant été dissous à la suite de la démobilisation des réservistes qui le composaient , ces armes étaient renvoyées à l’Arsenal d’Alger avec un bordereau d’envoi régulier. A 9 h le convoi arriva à Alger après un voyage sans histoire.A partir de cette heure-là, on ne sait pas encore exactement ni dans quelles circonstances l’aspirant Henri Maillot, si on peut encore lui donner son grade, réussit à se séparer de son escorte. Henri Maillot avait la responsabilité du camion d’armes, tandis que le lieutenant Chicha, un réserviste également, notaire dans le Constantinois assurait le commandement de la petite troupe. A la lumière des déclarations du conducteur du « Ford », on sait toutefois que Maillot aurait proposé de se séparer pour « casser la croûte » en donnant rendez vous au lieutenant Chicha et à ses hommes devant l’Arsenal de Belcourt. Puis il se tourna vers le conducteur du camion et lui dit : « Vous venez avec moi, nous allons déjeuner dans ma famille, à Alger ». Ne pouvant se soustraire à cette invitation qui était plutôt un ordre le conducteur, un jeune Métropolitain, incorporé depuis peu de temps, et en Algérie depuis une vingtaine de jours, reprit donc la route avec Henri Maillot à ses cotés. Sur les ordres de ce dernier, il s’engagea sur une route qu’il connaissait pas, celle du littoral Ouest.
Je ne te tue pas tu es français !…
A Baïnem, Henri maillot fit prendre au conducteur la route de la forêt. A 11 h 10 environ, le camion passa devant la maison forestière (le fils aîné du garde-forestier le remarqua mais n’y prêta pas une attention particulière). C’est à 2 km 500 de la maison forestière que le coup de théâtre survint. Le camion était arrivé au carrefour des routes de Baïnem, Guyotville-Chéragas et Bouzaréa. Ignorant la route à prendre, le conducteur ralentit l’allure et se tourna vers son supérieur. Henri Maillot lui dit : Continue et engage toi dans la petite allée en terre que tu vois devant toi ». Le soldat obéit. Les roues du Ford avaient à peine quitté le goudron pour la terre mouillée recouverte d’aiguilles de pins, que l’aspirant Henri Maillot jeta le masque. . Sortant son pistolet de son étui, il le braqua sur le ventre du militaire en lui annonçant d’une voix calme « Je ne te tue pas parce que tu es français, comme moi, mais stoppe ici et laisse – toi faire » Chez le jeune conducteur, la surprise fit place à la peur. Puis le malheureux, en examinant plus attentivement le paysage, comprit qu’il était victime d’une trahison. Il n’eut d’ailleurs pas le temps de pousser plus loin ses réflexions. Déjà trois hommes masqués avaient surgi des broussailles. Avec l’aide d’Henri Maillot, il fut rapidement ligoté (la cordelette a été retrouvée sur les lieux), endormi au chloroforme, et jeté dans le fossé devant son camion de surcroît, on lui jeta du poivre dans les yeux. Le conducteur réduit à l’impuissance, Henri Maillot et ses complices transbordèrent le chargement d’armes sur un camion civil, négligeant les fusils reformés et les trois cents chargeurs vides. L’opération demanda sans doute très peu de temps. Elle se situe entre 11 h 30 et 12 h. Vers 12 h 30, le conducteur se réveilla. A l’aide de son couteau de poche, il réussit à couper ses liens. Il sauta ensuite dans son camion et s’aperçut que les fils d’allumage avaient été cisaillés à leur arrivée au tableau de bord !
Menez moi à Alger…
A 13 h 10 M. Santini, le garde forestier de la foret de Baïnem le voyait arriver, à pied pâle et défait « Menez moi tout de suite à Alger » lui dit le jeune soldat. Surpris M.Santini, lui demanda ce qui s’était passé. Le militaire lui expliqua alors le vol des armes et la conduite de son officier. Sans plus tarder, le garde téléphone à la gendarmerie de Guyotville. A 13 h 30, l’alerte générale était donnée. A 14 h des barrages étaient dresses sur toutes les routes tandis qu’une compagnie de tirailleurs sénégalais commençait le ratissage de toute la forêt et la fouilles des grottes qui se trouvaient à l’Ouest du bois. Hier matin ces fouilles devaient reprendre une nouvelles fois. Les barrages de la gendarmerie et de l’armée étaient restés en place toute la nuit.
Un filet serré
Dans les milieux autorisés on pense que le camion qui a pris les armes à son bord n’a pu aller bien loin en raison du filet très serré qui est tendu sur toutes les routes et les pistes. Mais les terroristes ont dû probablement s’assurer par avance d’une retraite sûre et à l’abri des recherches à Alger même ou dans la banlieue. La façon dont s’est déroulée l’attaque, prouve bien en effet que le « coup » a été parfaitement monté que toutes les hypothèses ont été examinées et qu’à chacune d’elles une parade a été préparée. La Police judiciaire, la sécurité militaire et la gendarmerie nationale ne désespèrent pas cependant de retrouver rapidement, non seulement les armes, mais aussi Henri Maillot et ses complices qui auront à répondre, surtout le premier , d’un chef d’inculpation qui doit les conduire à la peine de mort !
F.ATTARD
L’ASPIRANT Henri Maillot déserta le 4 avril 1956. L’affaire fit d’autant plus de bruit qu’elle s’assortissait d’un vol massif d’armement.
Mais pour ceux qui connaissaient l’homme, à l’exception de ses supérieurs, semble-t-il, cette trahison ne fut pas une surprise.
Employé au journal Alger républicain, où son père, militant communiste notoire, avait longtemps exercé la profession de comptable, Henri Maillot était membre du parti et ne dissimulait pas ses convictions politiques.
Rappelé sous les drapeaux en octobre 1955, c’est-à-dire un mois après que le P.C.A. eut été frappé de dissolution pour menées subversives, il avait été muté au 57e bataillon de tirailleurs, constitué à Miliana.
Maillot était arrivé dans son unité précédé d’une fiche de renseignements qui paraissait devoir lui interdire toute mission d’importance. De fait, il n’exerça pendant six mois qu’une simple fonction administrative.
Jusqu’à ce que, par une sorte d’aberration coupable, lui fût confié le commandement du détachement chargé de reverser à l’E.R.M. d’Alger le matériel de son bataillon dissous!
L’occasion était trop belle et Maillot ne se priva pas d’en profiter.
C’était justement l’époque où le parti communiste, réduit à la clandestinité, tentait d’imposer au F.L.N. la participation active de sa propre organisation à la révolution.
Donc, en ce début d’avril 1957, le 57e B.T.A. disparaissait pour céder la place à une nouvelle unité: le 504e train. Et c’est Maillot qu’on choisit pour rendre à l’arsenal le lot d’armes superflu.
Avisé de sa tâche le 2 avril, l’aspirant alerta son vrai chef, celui du parti, le docteur Hadjérès, jeune militant de vingt huit ans, grand, mince, passionné, qui avait le sens des choses concrètes et représentait, dans le bureau politique du parti, la tendance des étudiants communistes qui voulaient passer à l’action aux côtés du F.L.N. L’affaire fut réglée en quarante-huit heures.
Dans la forêt de Baïnem …
Armes et munitions avaient été chargées la veille et, comme prévu, le camion du 504e train, nouveau régiment, de Maillot, quitta Miliana pour Alger à l’aube du 4 avril. Le jeune Jacques Domergue, du contingent, était au volant. A ses côtés avait pris place l’aspirant tandis que, derrière, au milieu du matériel empilé sous les ridelles, un sous-officier et cinq hommes composaient le détachement. A 8 h 30, le véhicule pénétra dans l’enceinte de l’E.R.M. Sans trop se presser, les militaires se mirent au travail. On commença de décharger les caisses, mais tout le monde sait que, dans les arsenaux, rien ne pourrait troubler le sacro-saint horaire des fonctionnaires. A midi, lorsque la sirène du déjeuner retentit, le transbordement était loin d’être terminé. Restaient encore dans le camion, dont personne ne se souciait, des revolvers des mitraillettes, des fusils, des uniformes, plusieurs caisses de grenades et de munitions. Après leur avoir fixé rendez-vous pour 14 heures, l’aspirant donna à ses convoyeurs l’autorisation de déjeuner en ville. La cour de l’E.R.M. était pratiquement déserte …
Maillot resta seul avec le chauffeur. « Et si nous allions déjeuner chez mes parents, à BaÏnem? dit-il, comme sous le coup d’une subite inspiration. Nous avons tout notre temps. Je possède un grand garage où nous pourrions enfermer le camion pendant le repas. Ça ne risque rien : il n’y a pas de fellaghas à Saint-Eugène. »
Le jeune Domergue n’avait pas d’objections à faire.
Quelques heures plus tard, un garde forestier le retrouvait, ligoté, dans une clairière de Baïnem, près du véhicule abandonné. Le malheureux raconta sa mésaventure aux gendarmes de Guyot-ville. Domergue avait conduit sans histoire jusqu’après Saint-Eugène. A cette heure, la route du littoral n’était guère encombrée.
« Nous étions à 10 km d’Alger lorsque le lieutenant dégaina. Il braqua son revolver sur moi et m’ordonna de m’engager sur un chemin de terre qui s’enfonçait dans le bois. Je dus ensuite manœuvrer en marche arrière, à travers les arbres. Un camion civil était stationné. Plusieurs hommes en descendirent. Je stoppai le camion près d’eux. Après, je ne sais plus. Je me souviens qu’un Arabe s’approcha de moi et me mit un tampon d’ouate imbibé de chloroforme sur le visage …»
Déjà les complices de Maillot transbordaient le matériel dans leur véhicule.
On ne récupéra sur place que deux caisses de chargeurs, des harnachements et une dizaine de baïonnettes que les rebelles avaient négligés. En revanche, ils avaient emporté 74 revolvers, 10 pistolets automatiques, 121 pistolets mitrailleurs, 63 fusils de chasse et un important lot de munitions.
Matériel précieux, dont une partie, nous le verrons d’autre part, allait permettre au « colonel » Ouamrane de monter, quelques semaines plus tard, la sinistre embuscade de Palestro …
Bien entendu, le déserteur et ses complices demeurèrent introuvables en dépit de l’importante opération qui suivit.
Maillot avait gagné une cache sûre, en attendant de filer sur l’Orléansvillois, où, depuis juillet 1955, se préparait le « maquis rouge ». Quatre jours après ce coup de force, le Q.G. des « Combattants de la libération» annonça, dans un communiqué : « L’aspirant Maillot est passé aux forces de la résistance. » Le 18 avril, le félon adressa encore une série de lettres ronéotypées à la presse, à la police et à l’armée, exhortant les jeunes appelés à rejoindre les rangs des combattants algériens.
Le tribunal militaire le condamna à mort par contumace.
Rivalités
Dans la région d’Orléansville, le F.L.N. n’avait guère de structures. Mais la propagande communiste, après le terrible séisme de septembre 1954, avait laissé des traces vivaces dans les esprits. Très vite, les éléments durs du P.C.A., représentés par Bachir Hadj Ali, Akache et le Dr Hadjérès, avaient décidé d’implanter un groupe armé dans cette région, où ils croyaient pouvoir compter sur une ambiance favorable.
Les « Combattants de la libération » étaient nés. Ils étaient environ une vingtaine, commandés par un instituteur de Biskra, René Laban, ancien des Brigades internationales, acquis à la rébellion dès novembre 1954.
C’est à ce groupe que l’aspirant Maillot, militant des Jeunesses communistes, destine, naturellement, le chargement d’armes avec lequel il vient de déserter.
Le F.L.N. n’avait pas vu d’un très bon œil l’implantation du « maquis rouge ».
Il entendait demeurer le seul représentant valable de l’insurrection et ses chefs s’en tenaient à la déclaration du 1er novembre 1954 : celui qui veut participer à la lutte pour l’indépendance est le bienvenu à condition qu’il se débarrasse de toute étiquette politique.
Or l’affaire Maillot, avec la publicité fracassante que la presse accordait maintenant à l’action des communistes, posait à nouveau le problème de l’association.
D’autre part, si l’aspirant félon intéressait peu l’état-major F.L.N., les armes, en revanche, excitaient sa convoitise, d’autant qu’elles faisaient cruellement défaut dans los maquis kabyles d’Ouamrane.
II devenait urgent d’engager le dialogue non seulement pour forcer le P.C.A. à admettre définitivement la théorie du F.L.N. : « La révolution est le fait du peuple algérien », mais aussi pour négocier le transfert du matériel volé.
C’est Ben Khedda, ami du Dr Haddjérès, qui fut chargé de l’opération. Les deux hommes se rencontrèrent à Alger, rue Horace-Vernet. En moins de deux heures, Ben Khedda enlevait la partie. Il n’était plus question de collaboration mais d’intégration des volontaires communistes.
Pour preuve de bonne volonté, le Dr Hadjérès accepta même de remettre le stock d’armes de Maillot aux hommes de l’A.L.N.
Le lendemain, deux voitures américaines prenaient la route de Palestro. Avec dans leurs vastes coffres, les armes et les munitions qui, fin 1956, décimeraient la section de rappelés du lieutenant Artur.
Le » maquis rouge »
Cependant, le P.C.A., en dépit des assurances données par le Dr Hadjérès, ne renonçait pas à son « maquis rouge ». Les communistes avaient gardé par-devers eux une partie de l’armement que Maillot s’était chargé de convoyer vers Duperré, où Laban et ses hommes s’étaient réfugiés.
Pressé par sa « jeune garde », le parti admettait mal d’avoir à se fondre dans la masse. II entendait conserver son audience auprès des étudiants, garder cette autonomie d’action que le F.L.N. lui contestait. Dans cette Orléansville travaillée par une propagande intense au lendemain du tremblement de terre, on pourrait juger de son efficacité.
On jugea. Deux mois après avoir signé son forfait, l’aspirant Maillot tombait sous les balles des soldats du 504° train, ceux-là mêmes qu’il avait trahis par un beau matin d’avril.
Vers la fin du mois de mai, le bruit courut dans l’Ouarsenis, que des « étrangers » étaient arrivés de l’est.
L’Ouarsenis, c’était alors le fief du bachagha Boualem, ancien officier de tirailleurs, qui jusque-là, avait su maintenir ses montagnards hors de la rébellion.
Et puis un samedi matin la nouvelle éclata comme une bombe : quatre musulmans anciens combattants venaient d’être assassinés sur le territoire des Béni-Rached , dans le Damra, à une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Orléansville. Immédiatement l’armée déclencha une opération tandis que le bachagha mobilisait ses fidèles.
Le 2 juin, un montagnard signala qu’un « étranger », après s’être ravitaillé à Lamartine, regagnait le djebel Deraga, son mulet lourdement chargé. L’alerte était donnée et quelques heures plus tard, le contact établi, sur les hauteurs voisines du barrage d’Oued-Fodda. Tandis que les partisans du bachagha s’installaient sur les crêtes, les militaires du 504° train, un escadron de gendarmes mobiles et le G.M.P.R. d’Orléansville entreprenaient de fouiller méthodiquement les ravins. Un soleil brûlant écrasait le relief accidenté et touffu.
Soudain l’éclaireur de pointe du 504°, Letellier, de Paris, ex-champion de France junior du 1 000 m, perçut un brusque déclic : le bruit d’une mitraillette qu’on arme. Il se jeta- au sol. La rafale de la Sten passa à un mètre au-dessus de sa tête et se perdit dans les bois. Letellier tira à son tour, au jugé, vers le buisson qui frémissait devant lui. Un homme tomba: Laban. La fusillade avait éclaté de toutes parts. Le coiffeur Roddes, Parisien également, vit brusquement se dresser une silhouette qui brandissait une Sten. Il ouvrit le feu en même temps que le rebelle. Celui-ci s’écroula. S’agissait-il de Maillot?
Pendant dix minutes encore, les coups de feu crépitèrent. Et puis le calme revint. Les rebelles laissaient cinq morts sur le terrain près d’une mule miraculeusement épargnée.
La bête était chargée d’armes et de munitions.
On reconnut tout de suite deux Européens parmi les cadavres. Laban fut immédiatement identifié. Il portait sur lui un arrêté d’expulsion.
L’autre, drapé dans une gandoura, avait une chevelure étrangement rougeoyante et les sourcils décolorés. Dans son portefeuille, deux cartes d’identité. L’une au nom de Djebour Smaïn, l’autre au nom de Paul Amar.
Les gendarmes pensèrent immédiatement à Maillot. Pour faciliter l’identification, on passa au cirage noir les cheveux décolorés du rebelle abattu. Six officiers, dont le commandant de sa compagnie, reconnurent le déserteur. Les armes découvertes, leurs numéros matricules faisant foi, provenaient du stock volé. Enfin, l’identité releva les empreintes du mort. C’étaient bien celles de Maillot.
L’écroulement du rêve communiste
Six survivants, dont un autre officier, Lucien Guerrab, qui avait déserté de l’hôpital de Blida, étaient parvenus à s’enfuir. Mais l’armée devait encore récupérer 25 pistolets mitrailleurs cachés dans un puits. .
Le 6 juin 1956, à la tombée de la nuit, deux cercueils en bois blanc hâtivement cloués furent enterrés furtivement à Lamartine, sous l’œil indifférent de quelques terrassiers et le regard hostile des habitants européens qui, jusqu’au dernier moment, avaient refusé de recevoir parmi les morts de leur cimetière les dépouilles de Maillot et de Laban.
L’échec du « maquis rouge» marqua l’écroulement du rêve communiste montré : au F.L.N. qu’une force égale combattait à ses côtés tout en gardant sa propre personnalité.
Le P.C.A. n’existait plus. Au mois de juillet, ses cellules urbaines passèrent sous la coupe du F.L.N. Dans l’infernale « bataille d’Alger », les artificiers rouges ne seraient plus que des terroristes parmi d’autres.
Indirectement, l’opération de Lamartine faisait du Front le principal bénéficiaire. Elle mettait un terme définitif à l’action d’un rival idéologique gênant
Ce qui, pour beaucoup, laissa supposer quelque intervention occulte mise en train de l’affaire.
Pourtant, quinze ans après, les partisans du bachagha Boualem revendiquent encore l’honneur d’avoir fourni le renseignement qui permit l’anéantissement de la bande Maillot-Laban.
Dans cette étrange conjoncture chacun peut choisir sa vérité.
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